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Les réseaux documentaires des IUFM

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Les rencontres annuelles des responsables des réseaux documentaires des Instituts Universitaires de Formation des Maîtres (IUFM) n'avaient plus eu lieu depuis l'intégration des SCD des IUFM à ceux des universités dont ils sont devenus une section. Après avoir pris la tête des médiathèques de l'IUFM de Paris en 2011, Martine Bigot a souhaité relancer ces rencontres en proposant une journée de travail le 12 juin 2012. Jugée fort enrichissante et indispensable pour le renforcement de projets collaboratifs, la formule a été renouvelée les 20 et 21 juin 2013, toujours dans les locaux de l'IUFM Molitor situés dans le XVIème arrondissement de Paris. Durant deux journées, discussions autour des problématiques actuelles et journée d'étude sur les fonds patrimoniaux[1] ont réuni une trentaine de participants, soit la quasi-totalité des académies de l'hexagone.

 

Associés, intégrés, en voie de désintégration … où en sont les réseaux documentaires des IUFM avec l'arrivée des Ecoles Supérieures du Professorat et de l'Education (ESPE) ?

 

En 2009, Laure Delrue[2] publiait dans le BBF un article intitulé « L'intégration des structures documentaires d'IUFM aux SCD des universités : un si long chemin ... ». Dès son introduction, elle rappelait le nouveau cadre institutionnel des IUFM, devenus écoles internes. Elle citait Luc Cédelle[3], qui dans un article paru le 28 janvier 2009 dans le supplément « Education » du Monde annonçait la « mort » des IUFM avec la mise en place de la masterisation.

Quelques années plus tard, force est de constater que les IUFM ne sont pas morts -ou pas tout à fait. Si dans certaines académies, il reste encore des choses à accomplir, dans d'autres, les structures documentaires sont arrivées presque au bout du « si long chemin ».

Toutefois, en septembre 2013, les ESPE[4] remplacent les IUFM, entraînant de profondes mutations. Dans chaque académie, des rencontres entre les différentes universités ont eu lieu, avec pour objectif de savoir à quelle entité allait être rattachée l'ESPE : à l'Université actuelle ? Au Pôle de Recherche et d'Enseignement Supérieur (PRES) de la région ? À l'Université unique réunissant les différents établissements d'enseignement supérieur de l'académie ?

Les décisions, loin d'être faciles à prendre dans un laps de temps plus que réduit, devaient être accompagnées de dossiers d'accréditation à destination du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche (MESR) afin de présenter les solutions envisagées pour la mise en place de la formation des enseignants.

Le tour de table des responsables des réseaux documentaires a montré une réelle inquiétude tant dans la façon dont se créent les ESPE que dans la place qu'allait occuper la documentation. Dans certains cas, l'ESPE devrait rester dans l'Université qui gérait l'IUFM mais certaines compétences seraient réparties entre les établissements les plus proches, afin de simplifier la gestion des personnels et des finances dans des académies où les sites sont éclatés. Cependant, qu'adviendrait-il du réseau documentaire dont la mutualisation est indispensable pour son bon fonctionnement ?

De façon générale, le SCD de l'Université intégratrice de l'IUFM n'a pas été associé au projet. Cela rejaillit directement sur la place que pourront avoir les bibliothécaires et les documentalistes au sein des maquettes pour dispenser des formations au sein du cursus. En effet, alors que le nombre d'heures d'enseignement va diminuer, afin de favoriser l'alternance au sein des établissements scolaires, comment intégrer la participation des professionnels de la documentation pour former les futurs enseignants à la recherche documentaire, eux qui auront toujours à réaliser un mémoire, exercice auxquels ils se prêteront pour la première fois de leur scolarité durant leur préparation au concours ?

Certaines académies ont réussi à se placer dans une Unité d'Enseignement (UE) généraliste, du type « projets inter-disciplinaires » ou « tronc commun et culture ». Une autre solution est d'intervenir dans les séminaires de recherche en proposant aux enseignants et aux formateurs de dédoubler leurs cours, ce qui permet un accompagnement en petit groupe aussi bien pour la partie disciplinaire que formation. Un autre problème, enfin, résidera dans le signalement des collections dans les Systèmes Intégrés de Gestion des Bibliothèques (SIGB). Dans les régions où le SIGB n'est pas commun à l'ensemble des SCD et centres documentaires, et dans le cas où le réseau documentaire quittera l'Université pour aller au PRES, tout sera à déconstruire et à reconstruire : le temps de travail et le coût financier seront alors considérables. La qualité du signalement en sera fortement diminuée à court et moyen termes sans garantie d'une plus grande efficacité à long terme.

De la difficulté d'utiliser le numérique ...

Cette journée a été l'occasion d'inviter deux représentantes commerciales, l'une travaillant pour le Kiosque Numérique de l'Education[5] (KNE) et l'autre pour le Canal Numérique des Savoirs[6] (CNS).
Acquérir des manuels scolaires numériques est devenu indispensable : il faut à la fois répondre au  besoin de nombreux étudiants d'utiliser simultanément les mêmes manuels pour préparer le concours, mais aussi former de futurs enseignants à utiliser ces outils avec leurs élèves. Les aides des conseils généraux et régionaux qui proposent des subventions dédiées au numérique (tableaux blancs interactifs, vidéo projecteurs, prêts ou dons d'ordinateurs portables et maintenant de tablettes) se multiplient, sans que pour autant les enseignants aient toujours été formés à leur maniement, d'où un taux encore faible d'utilisation au sein des établissements scolaires.

Faute d'une offre suffisamment adaptée, acquérir et entretenir ces collections s'avère très difficile pour les professionnels des bibliothèques :

  • la durée d'acquisition pose problème : tantôt trop courte, tantôt trop longue, davantage de souplesse est requise pour mieux gérer des bouquets qui ont tôt fait de devenir obsolètes pour des enseignants qui souhaitent utiliser de nouveaux titres ;
  • le coût est encore très élevé et il faudrait que les réseaux documentaires puissent les acheter à des tarifs privilégiés comme les enseignants en poste, en tenant compte du fait que l'on a souvent besoin d'un nombre de licences important et de connexions simultanées pour les travaux dirigés ;
  • KNE et CNS sont des bouquets qui offrent des manuels de différents éditeurs. Or, ces derniers ont des pratiques et des méthodes très différentes, ce qui rend très difficile l'utilisation des produits proposés ;
  • d'une année sur l'autre, les étudiants changent et il faudrait disposer de plus de souplesse pour supprimer des comptes et en activer d'autres. Ce problème se pose d'autant plus pour les manuels qui ont un nombre de téléchargements limités par licence pour un nombre d'années donné. Les premiers étudiants auront un large panel à leur disposition, ce qui ne sera pas le cas pour ceux qui arriveront la troisième ou la quatrième année d'utilisation et qui devront se contenter du  nombre de téléchargements restants.

Il est proposé qu'un groupe de travail soit formé pour recenser tous les besoins des collègues travaillant dans les IUFM/ESPE. Par la suite, des propositions pourraient ainsi être faites auprès de KNE et de CNS. Nous leur avons par ailleurs proposé, dans un premier temps, de voir comment adapter la disponibilité de leurs ressources aux outils utilisés par les SCD (easy proxy, shibolleth). Enfin, il nous semble qu'en passant par COUPERIN, nous aurions la possibilité de faciliter des achats groupés de bouquets de manuels numériques dont la demande croît et ne fera que se développer avec le système d'alternance et de stages mis en place avec l'ESPE.

 

Politique documentaire et actions de valorisation et de renouvellement des collections

 

Les actions de désherbage des collections ont occupé une bonne partie des débats. La réforme des concours et de la formation a entraîné une chute des prêts de certaines catégories d'ouvrages, dont la littérature générale. Le fait même de désherber n'est pas ancré dans les habitudes des enseignants et de certains bibliothécaires ou documentalistes au sein d'un réseau. Les ouvrages vieillissants cohabitent avec les nouveautés ce qui n'est pas sans poser de problème pour les usagers qui manquent ainsi parfois de repères. Il ressort de ces échanges que la communication à ce propos est à la fois indispensable mais également difficile à mener. En outre, si la recherche de partenariats pour donner certains fonds et la mise en place de bourses aux livres ou de dons de livres semblent être de bonnes solutions, leur mise en œuvre s'avère complexe. Une nouvelle édition du manuel sur le désherbage[7] se consacre à ces problèmes complexes et pourra sans nul doute nous apporter des pistes.

La question de la mise en ligne des mémoires est ensuite apparue. Les conditions de communication sont très variables selon les académies :

  • les mémoires peuvent être mis en ligne s'ils ont eu une note plancher, que l'auteur et le directeur du mémoire ont donné leur accord
  • les mémoires peuvent être mis en ligne sans qu'une note plancher ait été définie. Là encore, plusieurs pratiques existent : choix du directeur du mémoire, ou choix d'un jury d'enseignants qui décident de mettre en ligne les mémoires d'excellence (sous réserve bien entendu de l'accord de l'auteur).

Plusieurs académies utilisent désormais la plate-forte DUMAS[8] (Dépôt Universitaire des Mémoires Après Soutenance) pour signaler leurs mémoires. L'avantage de ce site est une gestion rigoureuse des informations apportées et un très bon signalement permettant des statistiques de consultation et de téléchargement impressionnants (plus de 70 000 visites et 9 000 téléchargements dans l'académie de Lille).

On remarque enfin des différences dans le catalogage des mémoires : certains se contentent d'un signalement en local dans le SIGB mais d'autres préfèrent avoir une plus grande visibilité via le SUDOC.

« Le chemin se construit en marchant » …

C'est sur cette citation d'Antonio Machado que l'on pourrait conclure ce compte-rendu si l'on voulait filer la métaphore du chemin. Les réseaux documentaires des IUFM ont bien avancé depuis leur association ou leur intégration aux SCD des universités. De nouveaux services émergent pour de nouveaux usages et usagers. Toutefois, le passage aux ESPE va modifier des règles administratives qui venaient juste de se mettre en place et dont le rodage avait été complexe. Il faut espérer qu'après les écoles normales et les IUFM, les ESPE continueront de se soucier de la documentation et de la multitude de services que les bibliothèques offrent aux usagers sur des sites où elles constituent  souvent le principal lieu de vie.

 

 

[1]Le compte-rendu de cette journée fera l'objet d'un article spécifique.

[2]Laure Delrue, « L'intégration des structures documentaires des IUFM aux SCD des universités : un si long chemin ... », BBF, 2009, n°2.

[3]    Supplément Éducation du Monde du mercredi 28 janvier 2009, p. 6.

[4]Documents de présentation et de cadrage

[5]KNE (Kiosque Numérique de l'Education)

[6]CNS (Canal Numérique des Savoirs)

[7]François Gaudet et Claudine Lieber (dir.), Désherber en bibliothèque : manuel pratique de révision des collections, 3ème édition, Paris, Editions du Cercle de la Librairie, 2013.

[8]DUMAS (Dépôt Universitaire des Mémoires Après Soutenance)


Où est Charlie ?

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CONTEXTE

Nous avons été 12 bibliothécaires et 2 accompagnantes de Mediat Rhône-Alpes à nous envoler, du 12 au 19 octobre 2013, pour découvrir les bibliothèques de Montréal.

Au programme :
Bibliothèques universitaires
Bibliothèque de l’Université de Québec à Montréal (UQAM)
Bibliothèque de l’Université de Montréal  (UdeM)
Bibliothèque de l’Ecole de Technologie supérieure, et son espace 3C

Bibliothèques de lecture publique
Bibliothèques publiques de Montréal
Dont
Bibliothèque de Parc Extension
Bibliothèque Frontenac
Bibliothèque Père-Amboise
Bibliothèque Le Boisé

Bibliothèques et Archives Nationales du Québec (BAnQ)
Ecole de bibliothéconomie et des sciences de l’information (EBSI)
Librairie Olivieri

 

Octobre 2013. Quelques jours à Montréal pour des visites de bibliothèques. Juste quelques impressions de voyage, très subjectives, histoire de faire part de mes étonnements, de mes découvertes, sans parti pris.  
Un aperçu de différentes bibliothèques canadiennes donc. Des bibliothèques globalement similaires aux nôtres, avec les mêmes questionnements, bien sûr. Les bibliothèques visitées sont un peu anciennes, avec une architecture maintenant datée, mais néanmoins n’oublient pas la convivialité, l’efficacité.

 

Bibliothèques très utilisées, des files d’attentes organisées devant les banques d’accueil.

bib_udemBibliothèque Udem. Vue sur les banques d’accueil

 

 

Un affichage souvent humoristique, parfois surprenant, avec des idées simples, mais qui ont le mérite d’être explicites.

Bibliothèque Udem
(Université de Montréal)
Bibliothèque de l’ETSBibliothèque Udem
 
Bibliothèque Uqam
 
Bibliothèque UqamBibliothèque Udam
 
Bibliothèque Uqam
 
BAnQBAnQ
 

 

 

Focus sur une signalétique très fonctionnelle, les toilettes, appelées ici Salle de bain !

Bibliothèque FrontenacBibliothèque du BoiséEt la salle d’allaitements du Boisé, a-t-on cela en France ? (remarquez la neutralité de la signalétique, homme et femme sont susceptibles de nourrir les bébés – bébé lapin ?)

 

 

Au détour d’un couloir, rappel de l’activité des services virtuels de questions-réponses. N’oublions pas l’importance du français pour nos cousins, pas question de parler de chat, le terme usuel est ici celui de Clavardage.

Bibliothèque Uqam

 

 

Des facilités pour les doctorants, qui peuvent bénéficier de bureaux isolés, sur de longue durée.

Bibliothèque Udem. Signalétique d’un bureau pour doctorant.Bibliothèque Udem. Un bureau pour doctorant, avec son doctorant inside

 

 

Et puis, plein de documents d’aide aux usagers disponibles. Simples et fonctionnels.

Bibliothèque UdemBibliothèque Udem

 

 

Surprise, à l’Udem, de découvrir, à côté des salles de numérisation, mises à disposition des lecteurs, des réserves de documents pour des supports qui semblent maintenant désuets, ainsi que les matériels de lecture idoines, conservés eux- aussi.

Bibliothèque UdemBibliothèque Udem
Bibliothèque UdemBibliothèque Udem
Bibliothèque Udem, lecteurs de microfiches, magnétoscopesBibliothèque Udem, classement des supports en réserve

 

 

Et pour finir, quelques clichés sur la circulation et le retour automatisé des livres à la bibliothèque du Boisé à Montréal...

BAnQ. Retour semi-automatisé, les lecteurs déposent sur le tapis, le tri s’effectue à la main derrière.BAnQ : automate de prêt-retour.
Bibliothèque Père AmboiseRetour automatisé Bibliothèque du boisé

 

 

Et voici ce que cela donne en vidéo

 

 

Pour suivre encore un peu plus Charlie dans les bibliothèques de Montréal, cliquez ici...

 

Pour retrouver Charlie dans Montréal, c'est par là...

 

 

Perceptions des bibliothèques publiques européennes

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Retour sur "L'Enquête paneuropéenne destinée à évaluer les perceptions des utilisateurs à l’égard des avantages liés aux technologies de l’information et de la communication dans les bibliothèques publiques". Quick, Prior, Toombs, Taylor et Currenti (2013)

 

Conduite en 2012 par TNS-Sofres pour la Fondation Bill et Melinda Gates et coordonnée en France par la Bibliothèque publique d'information (BPI), avec le soutien du Service du livre et de la lecture (SLL, ministère de la Culture et de la Communication), une  enquête  conduite dans 17 pays européens a été l’occasion d’interroger 17000 personnes afin d’évaluer leur perception des bibliothèques publiques et l’usage qu’elles en font. Une série de rapportsa été publiée dans la foulée ainsi que des journées de restitution. En France, dans le cadre du cycle Partager les savoirs, faire société : les bibliothèques dans la cité, piloté par la BPI, le pôle Culture du CNFPT-INSET de Nancy et la Bpi ont organisé une journée de présentation des résultats de l’enquête.

 

Lorsqu’on s’intéresse à des territoires aussi vastes pour en mesurer les performances, on obtient des constats impressionnants : « En 2012, près d’un adulte sur quatre, environ 100 millions d'Européens, ont fréquenté une bibliothèque, 24 millions d'adultes ont participé à des formations en bibliothèque, 4,6 millions d'adultes ont utilisé Internet, pour la première fois de leur vie, en bibliothèque ». La situation française est proche de la moyenne puisque le nombre de personnes de plus de 15 ans ayant fréquenté une bibliothèque publique au cours des 12 derniers mois est estimé à 13,6 millions, soit environ un quart des Français de plus de 15 ans (26 %), comparé à un peu moins d’un quart (23 %) de l’ensemble des adultes en Europe[1].

Texte alternatif pour l'image
% des adultes qui ont fréquenté une bibliothèque publique au cours des 12 derniers mois et du dernier mois

Lorsqu’on ajuste la focale pour permettre aux territoires de révéler toute leurs diversités, on obtient des photographies contrastées comme le montre, au niveau de chacun des 17 pays enquêtés, le graphique ci-dessus.

 

Ces travaux recèlent une mine d’enseignements et permettent de revenir sur des clichés. Ainsi, ce n’est pas pour une question de latitude ou de température que l’on trouve beaucoup d’usagers dans les bibliothèques de Finlande et du Danemark : « De manière générale, les pays qui investissent le plus dans les bibliothèques par habitant enregistrent les taux de fréquentation les plus élevés. Ainsi, les répondants de Finlande et du Danemark fréquentent plus facilement les bibliothèques (respectivement 67% et 57%) que ceux des pays du Sud et de l’Est de l’Europe, qui ont un taux de fréquentation nettement plus faible, en particulier la Grèce (9%), le Portugal (12%), la Bulgarie (12%), l’Italie (14%) et la Roumanie (16%). »

 

Autre idée reçue à combattre : ce n’est pas uniquement parce qu’on ne dispose pas d’ordinateur à la maison et que le pays est mal équipé en haut débit que l’on utilise les ordinateurs de la bibliothèque : « En Finlande (19%) et au Danemark (19%), le recours à un ordinateur mis à la disposition du public est très élevé, alors qu'en Bulgarie, en Pologne, au Portugal, en Italie, en France, en Grèce et en Allemagne il est nettement plus bas : 1 à 2% de l’ensemble des adultes pour chaque pays ». Cependant, les auteurs insistent sur le fait que, globalement, on compte seulement 4% de l’ensemble de la population adulte européenne qui ont utilisé un ordinateur mis à la disposition du public dans les bibliothèques au cours des 12 derniers mois (2% en France), avec de fortes disparités sur cet indicateur d’un pays à l’autre et selon les tranches d’âge (les plus jeunes, 15/24 ans, y ayant plus recours que les plus âgés). Le rapport estime que dans l’ensemble, le nombre d’utilisateurs d’ordinateurs en bibliothèque n’ayant aucune autre possibilité d’accès à Internet, ou d’y accéder gratuitement, est estimé à 80 000 personnes en France.

 

On comprend donc l’importance de ce service car, au-delà des performances moyennes nationales, il apparaît que « certains groupes traditionnellement exclus sur le plan numérique ou social, tels que les Roms, les minorités ethniques, les migrants et ceux qui ont arrêté leurs études à temps complet à un âge relativement jeune forment un noyau dur d’utilisateurs réguliers et semblent particulièrement dépendants de ce service » qu’ils plébiscitent notamment en raison de sa gratuité. Ce sont là principalement des usagers qui n’ont que cette possibilité pour accéder à Internet, car souvent pas ou plus équipés chez eux. Le rapport souligne donc l’importance du rôle que jouent les bibliothèques dans l’accès à l’utilisation de l’informatique et celui des bibliothécaires en matière d’initiation et de formation aux TIC : « Environ la moitié des répondants [européens] qui ont eu recours à un ordinateur mis à la disposition du public ont indiqué qu’un membre du personnel de la bibliothèque les avait aidés ou leur avait montré comment réaliser une activité». Sans surprise, c’est d’abord à des activités liées à la recherche d’emploi et à la formation que se sont consacrés ces utilisateurs (on rappelle que la population étudiée a plus de 15 ans).

 

Interrogés sur la perception qu’ils ont de l’utilité d’une liste de services que rendent les bibliothèques, les européens interrogés classent en tête – comme dans toutes les études qui posent cette question - « Lire / emprunter des livres ». Les services intitulés « Accès gratuit à des ordinateurs » et « Accès gratuit à Internet » se placent en 4ème et 5ème rangs (devant « lire des journaux et des magazines ») avec une différence notable pour la France qui situe ces propositions en 7ème et 5ème place, privilégiant les services plus traditionnels en tête de classement.

 

Au final, ce ne peut être que le constat de l’utilité de ces équipements et de ces services gratuits que les auteurs peuvent faire : « les impacts les plus couramment cités sont l’économie de temps et d’argent, mais également  des impacts plus spécifiques ayant trait à l’éducation, à l’accès à des services gouvernementaux et à l’accès à des ressources et compétences nécessaires pour trouver du travail ». On touche là aux multiples bénéfices induits par la présence d’une bibliothèque dans un quartier sur le « bien être », l’éducation et la formation de sa population tout au long de sa vie, que les indicateurs traditionnels sont impuissants à mesurer et que les audits sociaux[2] tentent d’appréhender. A l'heure où la vague du BYOD[3] tend à se répandre dans les bibliothèques universitaires outre-Atlantique, et ne manquera pas de toucher, un jour ou l'autre, les bibliothèques de ce côté-ci de l'océan, il convient de ne pas oublier que si le fossé numérique se réduit globalement en France, il demeure persistant dans certaines catégories de population[4] auprès desquelles les bibliothèques ont un rôle à jouer.

 

Le rapport propose en conclusion une évaluation plus générale de la perception des bibliothèques - et de leur utilité- dans les 17 pays étudiés. Il est important pour la communauté des bibliothèques françaises de réaliser que les niveaux d’adhésion exprimés par le panel des usagers français est un des plus faible de l’échantillon (voir tableau ci-dessous), et particulièrement sur la question de la qualification du personnel (25% sont tout à fait d’accord vs 43% en note générale) !

Texte alternatif pour l'image
Perceptions des bibliothèques publiques - "Tout à fait d'accord"

Ce rapport nous apporte donc des éléments de comparaison importants avec d’autres pays avec lesquels nous avons l’habitude de nous comparer ou qui figurent souvent comme modèles (Que n’a-t-on pas écrit dans la littérature professionnelle sur les pays du Nord de l’Europe et leurs bibliothèques !). On peut lire dans les résultats de cette étude paneuropéenne un déficit notable d’image – et de notoriété - pour les bibliothèques françaises et leurs bibliothécaires. Leur lecture montre, comme l’ont déjà souligné de multiples études, qu’il conviendrait d’aller plus encore vers les publics, de leur proposer, plus encore, des formations (y compris aux publics éloignés et en particulier, puisque le rapport les cite : « les jeunes, les personnes âgées, les femmes qui reviennent sur le marché du travail et les populations migrantes ou issues de la communauté Rom »), de développer ce que les auteurs appellent « l’apprentissage informel et non formel », et de donner enfin de ces lieux une image innovante et moderne, conviviale et accueillante, compétente et qualifiée !  C’est un vaste chantier, mais bien des bibliothèques se sont déjà attelées à la tâche.

 

[1] Ce chiffre de 26% de fréquentant est relativement proche de celui de 28% fourni par le Département des études, de la prospective et des statistiques (pour la tranche d'âge des 15 ans et plus). Ministère de la Culture et de la Communication.. Voir DEPS/MCC. Chiffres clés  2013 : Statistiques de la culture. Bibliothèques. 2013 En ligne :

[2] Lire sur le sujet : Buchanan, Steven, McMenemy, David, Rooney-Browne, Christine, « L'évaluation des services d'information des bibliothèques publiques », BBF, 2010, n° 4, p. 30-35

[3] BYOD est l'acronyme pour l'expression Bring your own device. Cette tendance tend à se répandre dans les bibliothèques universitaires américaines. Lire sur le sujet : Public Libraries online. Is Your Library Ready for BYOD? par Melanie A. Lyttle et Shawn D. Walsh le 6 juin 2013

[4] Voir Régis Bigot et Patricia Croutte. La diffusion des technologies de l'information et de la communication dans la société française. Crédoc, 2012.  " S’il est vrai que l’accès à internet se démocratise, l’usage d’internet reste, quant à lui, extrêmement dépendant des caractéristiques sociales des individus (âge, diplôme et, dans une moindre mesure, revenus du ménage)".

Design et bibliothèque

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Si les Musées ont pris l'habitude d'intégrer à leurs projets une dimension de fabrication collaborative de prototypes et de création numérique (Fablab), les bibliothèques commencent à peine à se lancer dans cette démarche innovante rassemblant des designers, des webmestres, des graphistes, des artistes et des experts sur site pour une durée courte afin d'imaginer ensemble des scenarii plus ou moins transposables dans la réalité de refonte d'espaces et des services sur place et à distance. Les projets de Muséomix (pour Remixer les Musées) se sont ainsi répétés ces dernières années dans les établissements patrimoniaux internationaux, et ce mouvement s'est largement élargi et diversifié, atteignant désormais les bibliothèques, comme ce fut le cas notamment à Grenoble, et à Vienne (38) entre novembre et décembre 2013.

Contexte et projet : Demain, la médiathèque

Les bibliothèques de Vienne ont connu l'ouverture d'une médiathèque municipale en 2012, au sein d'un pôle culturel regroupant aussi un conservatoire et une salle de spectacle (Le Trente, 3000 m2 au total), une forte affluence des publics du territoire (un passage de 3 000 à 8 000 abonnés, presque 9000 en 2014) et la mise en place d'un projet culturel privilégiant le Réseau, l'innovation numérique et l'accompagnement des publics dans un contexte de crises économiques et idéologiques structurelles.

 

 

 

 

 

 

 

Le Trente - façade © Andy Parant.com                  Le Trente - médiathèque © Andy Parant.com

 

Un partenariat a ensuite été rapidement noué avec le Pôle supérieur de Design de Villefontaine et avec le DSAA Design de produit et Design interactif (Diplôme Supérieur des Arts Appliqués, équivalent Master 1) qui y est rattaché afin de préparer un workshop de 5 semaines autour du thème Demain, la Médiathèque piloté par les équipes pédagogiques et professionnelles du DSAA et les bibliothèques de Vienne, et dont on trouvera la présentation détaillée dans un document pilote.

Après une réunion de présentation du lieu et des enjeux locaux et nationaux auxquels sont confrontés les bibliothèques, la vingtaine d'étudiants 1ère année du Diplôme supérieur d'arts appliqués ont ainsi enchaîné le travail de terrain et la création, en groupe de 2 ou 3, d'objets et de projets touchant à ce thème avec un angle anthropologique fort.

Au final, sept projets ont émergé de ce partenariat, aboutissant au rendu d’un article synthétique et d’une cartographie formalisant la démarche suivie. Si certains étudiants se sont basés sur les problématiques exposées par le comité de pilotage (mise en œuvre d'une bibliothèque numérique libre de droit, scénographie pour relier les espaces et les documents entre eux, rapprocher les publics et les bibliothécaires), d'autres ont émergé des études menées auprès des usagers d'après leurs besoins ou leur pratique des espaces.

Texte alternatif pour l'image
Cartographie retracant les étapes de travail sur le projet Boussole

Le workshop a donné lieu à une restitution à la médiathèque le 12 décembre 2013 en présence des membres du comité de pilotage du projet, des bibliothécaires du réseau et de professionnels, designers ou informaticiens. Parmi les projets proposés au final, un ou deux seront achevés, améliorés et poursuivis d'ici à 2015 dans le réseau des bibliothèques en lien avec les étudiants les ayant conçus.

Sept propositions pour se réapproprier la médiathèque

Voici maintenant une présentation synthétique des différents projets travaillés, qui se recoupent sur la notion de parcours alternatifs proposés aux lecteurs afin qu'ils puissent mieux découvrir et se réapproprier la médiathèque. Chacun d'entre eux a débuté par une recherche anthropologique de terrain (design anthropology) donnant lieu à l'établissement de personae (profils synthétiques tirés des entretiens avec les publics) et d'une problématique. Les étudiants ont ensuite initié des prototypes qui ont été testés dans les espaces de la médiathèque avant d'être modifiés et adaptés aux résultats et réactions rencontrées au niveau des équipes et des publics sur place.

 

Projet 1 / OSEREZ-VOUS ?

Noémie Nicolas, Cindy Gross et Lise Bernard

 

Ce projet d'application numérique a suivi la problématique suivante : faciliter l’accès à l’informa­tion, proposer une expérience unique pour faire finalement évoluer le lieu « Médiathèque » vers plus de lisibilité et d'attraction pour les publics, quels qu'ils soient. L’application imaginée permet aux utilisateurs d’accé­der plus facilement à toutes les ressources de la médiathèque, mais surtout d’y parvenir différemment. L’application « Oserez-vous ? » propose 4 entrées différentes, correspondant aux différents désirs/attentes des usagers de la médiathèque : partager, découvrir, participer, apprendre. En plus de proposer une arborescence construite non par l’institution mais par l’expérience attendue, les étudiants ont souhaité proposer un ton décalé, interpellant l’utili­sateur. « Oserez-vous les abordez ? ». « Oserez-vous vous y mettre ? ». « Oserez-vous l’annoncer ? ». « Oserez-vous prendre le temps ? ». Il s'agissait de proposer une manière simple et surprenante de découvrir les ateliers, les livres ou encore les formations proposées dans ce lieu de culture et d’accueil. Les étudiants ont intégré au cœur de cette application une plate-forme de petites annonces et d’entraide. Avec ce service, la médiathèque pourrait tendre plus vers un lieu de rencontre, permettant par exemple à un étudiant de venir partager ses compétences en mathématiques ou à des co-voitureurs de se donner rendez-vous. L’application « Oserez-vous » se place enfin dans une démarche plus globale et souhaiterait investir plus de lieux hors de la média­thèque, pour des démarches de communication et d'affichage innovantes pour renforcer l'identité de la médiathèque à l'extérieur.

Texte alternatif pour l'image
Projet Oserez-vous - application d'accès aux ressources et services

 

Projet 2 / BOUSSOLE

Corentin Allardet , Paul Lequay et Vincent Ricard

Texte alternatif pour l'image
Projet Boussole, dispositif numérique de déambulation dans les collections

Le projet Boussole se propose de développer l'individuation des lecteurs à travers les apports sociaux et culturels mis en place par les différents services de la médiathèque. Il suggère de changer ses habitudes, de se tourner vers les nouveautés par l'intermédiaire du « pas de côté », qui est la valeur forte du projet. Elle va permettre aux publics réguliers empruntant des ressources et aux publics flânant dans les rayonnages de pouvoir être guidés par un dispositif numérique – smartphone, tablette – les invitant à suivre une piste découlant d'un choix préalable lié à un de leurs intérêts. A côté du parcours ou de la routine classique des publics dans la médiathèque, la Boussole va permettre de construire, grâce à un système de bouche à oreille intégré, la possibilité de découvrir des documents et des ressources différentes en contraste avec les choix effectués au départ. Ce système est alimenté par les publics, qui donnent leur avis sur la ressource empruntée au moment du retour sur l'automate dédié – grâce à un scanner plus rapide-, laissant libre cours à l'expression de leur avis. Cet avis est complété par les bibliothécaires, qui sélectionnent des ressources en fonction de leur expertise ou des thématiques abordées dans la médiathèque. On se retrouve donc au final avec un système immersif de suggestion, qui propose en direct des ressources permettant d'ouvrir les champs d'intérêt de la médiathèque et de guider les publics vers des découvertes culturelles sur un mode ludique.

 

Projet 3 / OUADI

Hélène Casado et Nicolas Schmitt

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Projet Ouadi, dispositif audio-lumineux pour une zone "calme"

Ouadi est un anagramme d’audio ; de plus, l’homonyme de « Wadi » signifie « le flux » en arabe. A travers cet objet simple (et élégant), les étudiants ont proposé une solution concrète aux lecteurs qui se disent parfois gênés par les nuisances sonores perçues dans la médiathèque. Constitué d’un bandeau lumineux bleu, il signale une zone de calme et de travail. Il s'allume lorsque le lecteur passe la main au-dessus de lui et souhaite communiquer aux autres publics de la médiathèque le besoin de se mettre en retrait pour un temps de calme et de concentration. A cette lumière s'ajoute la diffusion d'un bruit blanc, un voile sonore qui permet au cerveau d'ignorer au mieux les bruits alentour. Ce son représente la somme de toutes les fréquences audibles par l’oreille, portées à la même intensité. Il s'agit par ailleurs d'un prototype facile à construire et peu coûteux, symbolique aussi, qui peut être distribué sur demande par les bibliothécaires aux lecteurs. Ouadi permet en fin de compte d’améliorer le confort à l’échelle personnelle dans les espaces pour mettre l'accent sur le vivre ensemble à la médiathèque.

 

 

 

 


                                Elaboration du projet Ouadi : de l’esquisse au prototype

 

Projet 4 / COLIBRI

Sabrina Vigil, Jean-Pierre Traveaux et Nicolas Fayard

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Projet Colibri - une bibliothèque en libre partage

Le projet Colibri tente de répondre à la question suivante : et si demain tous les ouvrages culturels d’une médiathèque devenaient numériques, que proposerait elle encore d’exclusif ? La réponse des étudiants se tourne vers le libre de droit et sur la création d'un étage virtuel pour la médiathèque. Colibri est ainsi envisagé comme un service cogéré par les utilisateurs et les personnels de la médiathèque. Il proposera de la musique, des livres et films tombés dans le domaine public que chacun pourra récupérer ou partager sur place. Des bornes interactives seront placées à tous les étages de la médiathèque autour d'un point central situé dans le hall indiquant à chacun la démarche à suivre pour pénétrer dans ce nouvel espace. Il conviendra aussi de penser l'accès à des bornes à l'extérieur du bâtiment au même titre que les boîtes retour déjà en place dans l'établissement. Les artistes, les associations et tous les partenaires locaux de la médiathèque pourront aussi apporter leur pierre à l'édifice culturel, disponible au sein même de l'établissement et pas en dehors. Cette communauté créée pour l'occasion proposera des services et des documents culturels personnalisés, devenant par définition les exclusivités de la médiathèque « de demain ». Elle s'appuiera sur les valeurs de gratuité, de désacralisation du savoir et des biens culturels, sur la participation et l'appropriation de la médiation par les publics, sur le libre-échange de documents en lien avec les bibliothécaires qui co-conçoivent l'étage virtuel repli de collections et de services.

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Projet Colibri - un nouvel étage virtuel

 

Projet 5 / SERENDIPITY

Marie Siau, Aymeric Muletier et Maxime Antremont

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Projet Serendipity - interface de recherche intuitive dans les collections

Serendipity se présente comme un nouveau type de recherche de documents dans une médiathèque autour d'un objet étonnant, une table numérique faisant défiler en boucle des mots-clés liés à des documents présents dans la médiathèque. Les mots-clés seront élaborés en préalable par les lecteurs et pourront être choisis au hasard pour emmener les lecteurs vers des choix différents et surprenants d’œuvres disponibles. Ce projet de recherche aléatoire casse le côté institutionnel de la classi­fication de Dewey et des choix mis en avant pour présenter les collections de la médiathèque. Il invite à la flânerie, au superflu, il valorise l'autonomie des participants. L'usager devient véritablement acteur des collections, il peut entrer des mots-clés après avoir posé un document sur l'écran tactile ou bien se laisser accompagner en choisissant des mots parmi ceux qui tournent continuellement, ces derniers le conduisant à un choix documentaire nouveau. Si ce principe de sérendipité peut dérouter à première vue et déranger parfois des usagers qui ont du mal à se laisser guider ou perdre dès l'entrée de la médiathèque, il permet l'échange et la discussion autour des mots-clés choisis et des œuvres taggées. Le design de la table a un rôle très important, qui doit jurer aussi avec le mobilier de la médiathèque pour isoler le projet comme un espace propre, vraiment collaboratif, et pourquoi pas éphémère.

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La médiathèque de demain

 

 

Projet 6 / THEMATHEQUE

Ségolène Badier, Lara Bourrel et Alienor Fernandez

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Projet Thématèque - une approche thématique des collections

Les étudiants ont tiré de leur étude de terrain une indication selon laquelle les usagers de la médiathèque se restreignent généralement à leur parcours habituel au sein de l'établissement, sans se soucier assez de la diversité des ressources qui peuvent être offertes aux différents étages du lieu. Le but du projet Thémathèque est d'accomplir un glissement sur le parcours habituel de l'usager en lui suggérant le contenu des différents étages par l'intermédiaire d'une thématique définie et d'un mobilier ad hoc, de type étagère. Le dispositif est installé à chaque étage auquel correspond une couleur propre. L'étage où se trouve l'usager est symbolisé par une strate où les livres sont tangibles, et empruntables directement par les lecteurs. Accompagnés de puces RFID, la manipulation des ouvrages permet de détecter le mouvement et de lancer un son qui éveillera l'application. Lorsque l'ouvrage est reposé, l'appli­cation se mettra en mode veille. Ces puces ont également un rôle de gestionnaire. En effet, une fois empruntée, la ressource disparaîtra des suggestions d'emprunts. L'étagère comporte ensuite deux écrans pour représenter les étages manquants. L’écran révèle ainsi le contenu virtuel des étages supérieurs ou inférieurs. Les documents peuvent aussi être réservés puis empruntés grâce aux comptes abonnés des lecteurs via le SIGB de la médiathèque. Cette application intuitive permet à l’usager d’entrer facilement dans un catalogue de contenu suggéré par les bibliothécaires. Le dispositif comprend également une interface pour les bibliothécaires, outil qui leur permet de gérer le contenu et d'archiver le travail et les collections constituées sur des thématiques précises.

 

Projet 7 / PILE OU FACE

Léa Slimani, Pauline Andru et Adrien Chatelain

 

Ce projet propose de valoriser le statut du bibliothécaire auprès des publics en le présentant comme un conseiller expérimenté et accessible permettant une médiation numérique et un lien pérenne entre les lecteurs et l'établissement. Il se décline dans une combinaison de deux dispositifs. Des affiches en format A2 d'abord représentant le ou la bibliothécaire en gros plan. Elles comprennent des précisions sur leurs compétences, passions et proposent une sélection de livres à disposition en lien avec leurs profils, dont un ouvrage physique mis en avant sur une petite étagère collée aux affiches. Celles-ci sont complétées par une puce numérique qui permet de scanner l'ouvrage avec sa carte de bibliothèque et de se voir envoyer directement le document par messagerie électronique. Les documents empruntables devront ainsi être disponibles en libre de droit afin de permettre une mise en œuvre rapide et peu chère du dispositif. Enfin, les affiches et les petites étagères devront être disposées dans des lieux de passage de la médiathèque, si possible éloignées des rayonnages et où des visites sont menées à proximité pour favoriser un accès à des flux les plus importants possibles de lecteurs et les surprendre aussi par la scénographie choisie et les photographies mises en avant. Il est aussi envisagé de créer une application mobile en liaison avec ce service nouveau et innovant pour les publics.

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Projet pile ou face - la sélection du bibliothécaire

 

Petit lexique de la démarche de design en bibliothèque

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Petit lexique de la démarche de design en bibliothèque

Médiathèques et Facebook

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Le réseau social Facebook a été créé le 4 février 2004 à Harvard par Mark Zuckerberg[1]. Appelé Thefacebook à l’origine pour mettre en lien les étudiants, le réseau connaît un succès immédiat[2]. Son ou ses fondateurs[3] souhaitaient mettre en contact les étudiants de leur faculté. En 2005, il fût ouvert aux étudiants des grandes écoles et il faudra attendre 2006 pour que le réseau soit ouvert à tous. La facilité, l’aspect réactif et convivial en ont fait rapidement un phénomène. Sa devise est : « Facebook's mission is to make the world more open and connected. La mission de facebook est de rendre le monde plus ouvert et connecté. »

Il faut savoir qu’aujourd’hui « 2,7 milliards de personnes dans le monde ont accès à Internet[4] ». Actuellement plus d’un milliard de personnes utilisent le réseau social[5], créant sans doute la plus grande communauté au monde. On dénombre plus de 665 millions d’utilisateurs actifs au quotidien en mars 2012[6], dont 28 millions de français. En juin 2013, il est avéré que « Huit internautes français sur dix sont inscrits sur un réseau social. Plus de 10 milliards de messages sont envoyés chaque jour sur Facebook (janvier). »[7].L’influence du réseau social est notable, les agences de publicité travaillent sur ce média activement, engrangeant des bénéfices[8]. Nos comportements sont étudiés. Ils semblent évoluer avec l’utilisation intensive de ce réseau. Ils seraient également influencés par la fonction « j’aime » disponible sur le réseau social : « Le professeur Wats, du service recherches de Microsoft, a été interrogé par le New York Times sur cette étude et confirme que, en ligne, la popularité est un quitte ou double. Quelle que soit la qualité intrinsèque d'un produit, d'un texte ou d'un commentaire, c'est l'approbation qui déclenche l'approbation, et le "silence" virtuel qui entraîne la disparition ou l'échec[9].» L’actualité, le suivi, l’approbation sont des marques « d’existence » sur facebook. Des dépressions toucheraient même certains[10] : « Ainsi, le psychologue social de l’Université du Michigan, Ethan Kross a expliqué qu’en ˝surface, Facebook semble offrir une ressource inestimable permettant de combler les demandes de liens sociaux. Mais plutôt que d’améliorer la sensation de bien-être, nous avons trouvé que l’utilisation de Facebook déclenche le résultat opposé, il l’affaiblit ˝»[11]. Coupés du monde réel, certains utilisateurs, en mal de reconnaissance, sombreraient dans la dépression.

C’est bien sûr dans un tout autre esprit que les médiathèques, soucieuses d’apparaître sur ce réseau, sont elles aussi, peu à peu, entrées dans ce système. Il était tentant, en effet, de rejoindre un réseau aussi utilisé et facile d’accès[12]. Cependant il n’en demeure pas moins qu’elles restent encore relativement peu nombreuses à s’être emparées de ce nouvel outil de communication[13].

Plusieurs raisons ont motivé les structures culturelles à être présentes sur le réseau social le plus utilisé. Changer d’image peut être l’une des raisons mais elle n’est pas la seule. Facebook apparaît comme le moyen de communiquer autour des actions menées au sein de la médiathèque auprès d’un large public. Il apparaît également comme un outil de valorisation des compétences, une mise en valeurs des collections. Le bibliothécaire via facebook apparaît, au travers de notre enquête, comme ayant le souci constant d’être à l’écoute et dans l’interaction avec son public, tout en se plaçant dans la dynamique des réseaux sociaux, au cœur du monde multimédia.

Le réseau social s’adresse également à un public de « digital natives » pour lesquels cette forme de communication est, pour beaucoup, un outil quotidien. Les médiathèques rejoignant le réseau peuvent plus aisément, pensent-elles, toucher ce public, être réactives dans leur mise à jour, susciter des réactions, des avis parfois. L’interaction du web 2.0 paraît alors effective.

Les médiathèques, municipales et départementales, utilisent les réseaux sociaux depuis quelques années. L’enquête menée, lancée sur facebook mais également relayée par Lorenzo Soccavo et par le site de l’Agence Régionale du Livre, la Languedoc-Roussillon Livre Lecture[14] avait pour objectif, certes de quantifier, mais surtout de saisir les usages et les motivations de l’utilisation d’un compte facebook par les médiathèques. Pourquoi en effet les médiathèques ont-elles pris le parti de s’adresser à leur usager par le biais du réseau social ? Le questionnaire proposait des questions ouvertes pour permettre à la structure d’exprimer son point de vue sur le choix de ce mode de communication. L’enquête offrait aussi des questions fermées telles : votre médiathèque a-t-elle un compte twitter ? Propose-t-elle un ou des flux RSS ? Avez-vous un portail ou un site ? Proposez-vous des ressources en ligne ? Ces questions attendaient  une réponse positive ou négative et laissaient, à la structure, la possibilité de développer. Volontairement ces questions sortaient de la stricte utilisation du réseau social pour capter une photographie plus précise des usages de la médiathèque et de son rapport au multimédia au sens large. Sur environ quarante-cinq médiathèques sollicitées, une dizaine ont répondu. Il s’agit donc d’une première représentation, non exhaustive, des usages des médiathèques à un moment donné.

Temporalité

Il ressort de l’enquête que les médiathèques se lancent sur le réseau social entre 2009 et 2011 pour la plupart. Par exemple la médiathèque Pontanézen à Brest a été extrêmement réactive puisqu’elle s’inscrit dans la dynamique du réseau début 2009 afin « d’être être au plus près du public ». Même si cette activité peut être chronophage, au moment où le réseau social prend de l’ampleur, au vu de sa facilité de gestion, au regard d’un site ou d’un portail, plusieurs médiathèques relèvent le défi. En janvier 2009, Mark Zuckerberg annonce le passage à 150 millions d’utilisateurs de facebook dont la moitié utilise le réseau quotidiennement[15]. Certaines médiathèques, avec l’aval de leur tutelle politique, décident alors d’utiliser ce nouvel outil de médiation. Le phénomène va connaître une ampleur certaine. Tandis que se développent les portails de bibliothèques avec la notion de plus d’interactivité avec l’usager, le réseau social est intégré dans le fonctionnement de la médiathèque comme une approche originale, quasiment marketing, pour gagner un nouveau public, fidéliser l’existant, tout en s’emparant de l’image « cool » associée au réseau. Les médiathèques espéraient peut-être aussi gagner un public d’adolescents, difficiles à accrocher. Aujourd’hui, cette image « cool » est dénoncée par son propre fondateur Mark Zuckerberg. L’impact planétaire est tel que le premier succès du réseau, qu’il compare au succès de l’électricité, ne peut plus véhiculer la même image qu’à ses débuts[16]. En effet, en septembre 2013, le réseau compte « 1,15 milliard d'amis », succès que le fondateur compte bien étendre « aux deux tiers de Terriens non encore connectés à l'Internet[17] ». Ainsi les médiathèques se sont emparées de ce nouvel outil de communication, surfant sur son succès, avec effectivement l’idée de changer d’image et en tous cas de communiquer différemment.

Changer d’image

Majoritairement, il ressort de notre enquête, que les médiathèques, adoptant ce nouvel outil, souhaitent avant tout changer leur image auprès du public[18]. L’utilisation de facebook « rajeunit l'image et rapproche la bibliothèque de ses lecteurs » répond la Bibliothèque Communale Hannut (Belgique). D’autres reconnaissent que, faute de moyens pour ouvrir un blog ou une newsletter, ce moyen simple et gratuit d’utilisation, offre une belle opportunité de visibilité. La médiathèque Pontanezen à Brest souligne que « cela montre un coté moins institutionnel ». Changer d’image est ainsi le leitmotiv. Lorsqu’on sait tout le travail entrepris, pour la plupart invisible au public, cette motivation ne paraît pas étonnante[19]. Certains sociologues, telle Véronique Le Goaziou enquêtant auprès d’adolescents, nous informent du fait que l’image du bibliothécaire est souvent austère[20] même si les jeunes investissent le lieu[21]. Les bibliothécaires sont parfois même comparés à des gendarmes[22] ou à des vieilles filles à lunettes ! L’image du bibliothécaire est, pour certains, peu sympathique dans les représentations comme le souligne Sonia Mourlan-Mazarguil dans son mémoire pour l’ENSSIB au titre volontairement provocateur « Les bibliothécaires, ennemis de la bibliothèque ? » : « Le bibliothécaire est, selon les propos recueillis, « la dame ou le monsieur qui aide et conseille » mais il est aussi le « gendarme de la bibliothèque », celui qui fait respecter le silence et les règles « sans chercher à comprendre » et « qui nous fait comprendre que l’on n’est pas chez nous ».[23] »

L’enquête de Bruno Maresca[24] semble confirmer cette mauvaise image dans la mesure où elle montre que peu ou pas de lecteurs osent demander des renseignements aux bibliothécaires : 41 % d’inscrits demandent rarement des renseignements ou des conseils, et, parmi les non inscrits 37.1 %. Par ailleurs, 18.6 % de non inscrits[25] ne demandent jamais de conseils, et 9% d’inscrits[26]. Cette enquête démontre aussi que nous touchons de plus en plus de non inscrits dans nos structures culturelles. Au final, les usagers s’adressent aux bibliothécaires mais beaucoup ne le font pas, par souhait d’être autonome, ou par crainte du regard des professionnels.

Par conséquent, Facebook apparaît comme une opportunité pour toucher un public « invisible », soit parce qu’il ne vient pas à la médiathèque, soit parce qu’il est présent mais ne demande rien aux bibliothécaires. Le bibliothécaire souhaite son lecteur autonome mais a également  pour mission l’accueil de tout public, son confort vis-à-vis des informations toujours plus nombreuses mises à sa disposition : imprimés mais aussi livres numériques, jeux… La médiation est un mot qui revient sans cesse dans les missions, de plus en plus nombreuses, du bibliothécaire dans le monde du web 2.0 : lutte contre l’illettrisme, « l’illectronime[27] », les fractures sociales…

Facebook semble abolir l’obstacle du rapport physique au lieu et à l’équipe de bibliothécaires. Virtuel, le bibliothécaire via son lien facebook, devient curieusement plus proche, accessible, ancré dans son temps : « À l’opposé de la méfiance, l’invisibilité peut également avoir pour certains usagers un effet désinhibant, favorable à leur implication et donc à l’intensité des relations en ligne. » nous informent Adeline Hérault et le professeur Pierre Molinier[28]. Effectivement l’internaute aura sans doute plus de facilité pour communiquer avec sa médiathèque via facebook. Pour la bibliothèque de Valenciennes à la question : Pensez-vous qu’il (le réseau social facebook) change l’image de votre médiathèque ? En quoi ? Celle-ci répond :

« Il la rend plus "proche" (nous sommes une bibliothèque classée un peu classique), participe de l'effort d'accueil et de convivialité entrepris dans tous nos services, favorise la circulation des informations. Il donne l'image d'un lieu où il se passe plein de choses. »

L’image du temple de la culture, obstacle ou source de découragement pour certains lecteurs ayant peur de ne pas être à la hauteur du lieu, se fissure grâce à cet accès direct aux informations véhiculées par la médiathèque. L’information courte, les images, voire les vidéos contribuent à ce rajeunissement de l’image des médiathèques et de leurs bibliothécaires. En ce sens, à l’encontre de l’image « intellectuelle » des bibliothèques, la médiathèque de Juilly, outre les informations concernant leur structure, s’est illustrée par la valorisation d’images attrayantes de lecteurs, de livres, de librairies ou de bibliothèques du monde entier[29].

De plus, désormais les bibliothécaires n’hésitent plus à se filmer de façon parodique, sur Youtube par exemple, pour parler de leur métier et désacraliser l’image des médiathèques[30] ou proposent des jeux avec humour, la bibliothécaire portant forcement un chignon et des lunettes[31] !

Valoriser les actions menées en touchant le plus grand nombre

Concernant l’utilisation de facebook par les médiathèques, une autre raison ressort de l’enquête : la nécessaire valorisation des actions menées auprès du public. Les animations sont nombreuses dans les médiathèques et, souvent, « trop d’informations tue l’information ». Un atelier d’écriture succède à une rencontre d’auteur, suivi d’un accueil pour les bébés lecteurs, un spectacle, sans compter le vernissage d’une exposition… Ces informations sont la plupart du temps relayées par un support écrit, distribué au sein de la structure : bimensuel ou mensuel par exemple. Cette manne d’informations va, cependant, toucher toujours le même public : usagers réguliers, lettrés. Le public des animations est souvent un public conquis. Facebook apparaît comme le moyen de valoriser, à l’extérieur de l’établissement, la somme des animations proposées. A ce titre, le facebook de la médiathèque « les Quatre-Chemins » à la Trinité (Provence-Alpes-Côte d’Azur) renvoie vers leur blog qui, lui-même, donne le programme des animations de la médiathèque. L’information pourrait se trouver directement sur le réseau social, mais il s’agit d’une volonté claire de valoriser le blog développé par la structure. De nombreuses bibliothèques, à l’instar de la médiathèque de Perpignan, utilisent les deux canaux d’informations : l’information sera directement placée sur facebook classée par évènement et un lien est également proposé vers calaméo[32] ouvrant le programme bimensuel des animations. Il est à supposer que les usagers se retrouveront sur le facebook de leur médiathèque. Cependant, via le réseau social, la couverture médiatique prend alors de l’ampleur touchant un plus large public.

Lorsque le guichet des Savoirs, système virtuel d’interrogations à distance[33], a débuté à Lyon, des études ont été menées pour savoir qui venait poser des questions aux bibliothécaires. En 2005[34], outre les usagers, il est apparu que les cadres et les professions libérales étaient majoritaires en ce domaine à laisser des questions (37 %, contre 21 % pour les employés, ouvriers). Les horaires des bibliothèques pouvaient leur paraître trop restreints pour assurer leur présence au sein de l’établissement[35]. 42 % des personnes utilisaient le guichet des Savoirs de la France entière, voire d’autres pays (pour 9 %), attirées par cette nouvelle aventure.

De la même façon, il est probable que l’utilisation de facebook par les médiathèques, attire aussi un autre public que celui des usagers, même si aucune étude quantitative ne semble exister sur le sujet. Comme pour le guichet des Savoirs, le réseau social offre probablement une couverture médiatique plus large, cette forme de communication n’étant pas liée à un déplacement physique au sein de l’établissement. Pour le profil sociologique des « amis » de la médiathèque sur le réseau social, il est à supposer que des bibliothécaires sans doute mais également des curieux de littérature, des personnes n’ayant pas de bibliothèques importantes à proximité, des personnes empêchées pour diverses raisons dont leur profession (professions libérales, cadres..), etc. consultant de France ou de l’étranger se retrouvent sur les pages du réseau.

En effet Facebook assure une visibilité accrue pour les médiathèques touchant plus largement un public différent du public cible de la structure culturelle. Le site ou le blog d’une bibliothèque véhiculent souvent des informations pratiques, telles les horaires ou l’accès au catalogue de la structure culturelle. Le public cible de ces ressources en ligne est l’usager. Il peut aussi toucher le nouvel arrivant, l’usager futur. A contrario le réseau social est proposé comme complément sur d’autres missions à destination, certes du public cible, l’usager, mais pas seulement. Comme le rappelle le slogan de facebook précédemment cité, il s’agit de s’ouvrir au monde même si cela peut sembler présomptueux, le public cible sur le réseau social sera national, à défaut peut-être d’être international, ne serait-ce que pour la barrière de la langue.

Mettre en avant un savoir faire

«L'objectif était de diffuser l'information de manière dynamique auprès des lecteurs et de promouvoir la lecture et l'échange » souligne la Bibliothèque Communale Hannut.

L’une des missions des médiathèques comporte la valorisation des auteurs, de leurs œuvres. Le réseau social reflète cette valorisation. Ainsi, la médiathèque de Bagnolet par exemple, via facebook, présente ses derniers romans, ses coups de cœur, tandis que la médiathèque du Grand Troyes offre, pour sa part, son patrimoine écrit et son salon du livre pour la jeunesse. De même, la médiathèque Voyelles Charleville Mézières met-elle en avant ses expositions, la bibliothèque multimédia de Saint Germain en Laye, ses sélections pour les adolescents, la médiathèque départementale d'Ille-et-Vilaine, une sélection de romans à télécharger pour les 10-14 ans, la médiathèque de Perpignan, outre des sélections, propose des vidéos retraçant, par exemple, des ateliers menés avec des enfants ou la mise en place d’expositions... La médiathèque Bellevue à Brest incite les internautes à partager leurs coups de cœur.

Par conséquence, les pages facebook des médiathèques sont riches d’un savoir-faire valorisé. Si l’usager n’ose pas toujours demander un conseil aux bibliothécaires, le réseau social va mettre à sa disposition des ressources pour lui permettre de trouver au mieux le livre, disque, jeu… qui trouvera grâce à ses yeux. Cela touche un public à l’aise avec les nouvelles technologies et capable de chercher, sur le net, d’autres ressources telles un blog littéraire, un site spécialisée en littérature jeunesse, en bandes dessinées… Ces valorisations sont le reflet du travail quotidien des bibliothécaires au sein de la médiathèque.

En définitive, chaque médiathèque présente sur facebook a à cœur de présenter son travail, de mettre en avant la médiation envers son public, ainsi que les outils à sa disposition. De plus en plus, des vidéos valorisent les actions menées : atelier de création avec les enfants, rencontres littéraires ou avec un artiste. Cette forme de médiation est plébiscitée par un public jeune mais séduit également tout public. Les médiathèques espèrent, là aussi, gagner un autre public, attiré par la diversité de l’offre et la qualité des actions proposées.

La présentation graphique constitue également un enjeu sur le réseau social. Les photographies exposées valorisent la structure même de la médiathèque, présentée à son avantage. Il faut donner envie à l’internaute de venir découvrir « sa » bibliothèque. S’il est loin physiquement, la photographie de la structure ajoute une plus-value à la représentation positive d’une bibliothèque. Dans l’inconscient collectif cette bataille de l’image est importante : un lieu attractif, coloré, rempli de collections intéressant l’usager potentiel attirera, donnera envie. Une forme de marketing est déployée dans le graphisme du réseau social. Par ailleurs, de nombreuses photographies seront ajoutées soit directement liées à la communication sur des évènements, soit relayant d’autres informations, sur d’autres bibliothèques par exemple. La photographie prime sur le texte sauf à « créer un évènement » auquel cas le texte sera plus long. Il y a ainsi une forme particulière d’écriture sur facebook : concise, accrocheuse. Peu de mots sont utilisés sinon ils disparaissent du cadre, un clic de souris est nécessaire pour lire la suite, ce que peu de personnes font en définitive. Le graphisme, la communication verbale ont donc leurs codes, leur nécessité sur cet outil. Une certaine forme d’appauvrissement du contenu au détriment du packaging peut être déplorée. L’idée du bibliothécaire est de renvoyer vers son site, ou son portail, et surtout vers la bibliothèque, pour approfondir tous sujets abordés.

A la question posée lors de l’enquête : Diriez-vous qu’aujourd’hui c’est un outil incontournable ? La plupart des médiathèques interrogées répondent par l’affirmative, tout en nuançant leur réponse car d’autres formes de communication sont déjà utilisées par le bibliothécaire. Il s’agit d’un média de plus, avec d’autres spécificités, un outil miroir.

Interaction avec le public

Facebook permet l’immédiateté des réactions des internautes, usagers ou non, de la médiathèque. Cependant certaines médiathèques se contentent de proposer un espace non ouvert aux remarques. A contrario, d’autres prennent le risque d’ouvrir au dialogue, voire de susciter les réactions, comme la médiathèque de Bellevue à Brest souhaitant recueillir les coups de cœur des internautes ou encore la médiathèque de Suresnes demandant avec humour comment aménager son espace multimédia. Adeline Hérault et Pierre Molinier, dans leur article « Les caractéristiques de la communication sociale via Internet », remarquent que : « Dans le même ordre d’idées, l’usager peut juger que l’invisibilité est un atout qui place tous les interlocuteurs potentiels en position d’égalité, effaçant ou estompant les marqueurs sociaux et culturels (âge, sexe, ethnie, accent, etc.) qui sont autant de sources de discrimination dans les échanges de face-à-face, et serait donc une porte ouverte à des relations plus riches, avec des interlocuteurs plus variés[36]. » L’interaction sera alors d’autant plus facile. Libérés des jugements de valeurs présumés des bibliothécaires, l’internaute aura sans doute plus de facilité à intervenir sur la page facebook de sa médiathèque.

Etre au cœur du monde actuel

Les médiathèques ont à cœur d’être au plus près de l’innovation, répondant ou devançant la demande politique. Intégrer, dans leurs pratiques, la révolution numérique fait partie des objectifs des bibliothécaires. Les réseaux sociaux sont l’un des aspects de cette révolution. Comme le souligne la bibliothèque municipale Max Rouquette à Clermont l’Hérault quant à facebook :  « Il fait partie des outils de communication courants de notre époque, il est utilisé par un très grand nombre de nos adhérents. La bibliothèque, lieu de lien social ne peut rester à l’écart de ce qu’on nomme les réseaux sociaux[37]. » Etre au cœur de la révolution numérique, proposer de nouvelles technologies, proposer des ressources nouvelles, virtuelles, apprendre à utiliser ces nouvelles ressources font partie des missions du bibliothécaire web 2.0.. Les bibliothécaires interrogés s’avèrent sensibles à cet aspect du métier. Ils proposent, pour certaines, des ressources numériques, des liseuses, des tablettes, ou bien des flux RSS et/ou un compte twitter. Les médiathèques s’ancrent dans le monde contemporain. La bibliothèque Max Rouquette ajoute que c’est « une  façon de montrer que la bibliothèque évolue avec la société, que c’est un lieu vivant ». Le réseau social devient le miroir d’un travail de fond sur le cœur du métier de bibliothécaire.

Les pratiques culturelles des français changent, comme le montrent les enquêtes du sociologue Olivier Donnat[38]. Les bibliothécaires adaptent leurs pratiques à ces nouvelles formes de « consommation » de la médiathèque. Par exemple, même si, en 2011, 98,5 % des bibliothèques ne proposaient pas encore de livres numériques comme le souligne l’Observatoire de la Lecture Publique (Ministère de la Culture, Service du Livre et de la Lecture[39]), il n’en reste pas moins que c’est pourtant une question centrale au cœur de l’action et du devenir du bibliothécaire et de ses collections. Les usagers/consommateurs demandent toujours plus d’offres numériques, au sein d’un espace agréable comme le sont les bibliothèques 3ème lieu. Les médiathèques n’échappent pas à une certaine pression marketing. Les bibliothécaires sont dans leur rôle lorsqu’ils luttent contre l’illettrisme, érigée grande cause nationale en 2013[40] et, à présent, contre « l’illectronisme » : « La définition du néologisme « illectronisme », qui transpose le concept d’illettrisme dans le domaine de l’information électronique, fut donnée par Élisabeth Noël : il s’agit d’un manque de connaissance des clés nécessaires à l’utilisation des ressources électroniques[41]. » Le bibliothécaire/médiateur met à disposition de son public des espaces informatiques mais, au-delà de cela, offre des formations afin que son usager puisse se repérer au milieu des nombreuses ressources électroniques proposées. Il s’agit d’ancrer le lecteur dans ce monde dématérialisé.

En revanche, les bibliothécaires interrogés reconnaissent le caractère chronophage de cette activité et, faute de temps, ne peuvent développer davantage leur présence sur le réseau social. Pour être visible sur facebook, « exister » comme source d’information, il faut quotidiennement pouvoir ajouter du contenu sur la page de la structure. La bibliothèque départementale de Rennes met en lumière le déclin progressif des sites institutionnels. Sa responsable souligne, dans l’enquête, que : « Cette page facebook peut, petit à petit, remplacer le site web actuel de la médiathèque dont les pages sont très peu consultées, à part la page d’accueil et le catalogue ». Un simple site n’attire plus. En revanche la page facebook d’une bibliothèque, du fait de l’interaction avec le public, de l’attractivité, du visuel et de la facilité du réseau, en font un outil important. Cependant, cela signifie un agent dédié à cette opération, tâche supplémentaire pour un résultat peut-être limité. Le réseau social s’ajoute à d’autres supports de communication comme le site ou le portail. Il signifie donc plus de temps consacré à cette forme de communication. Alors que le site ou le portail peuvent être alimentés de manière hebdomadaire, le réseau social est chronophage puisque tous les jours, voire plusieurs fois par jour, le bibliothécaire en charge devra donner des informations, parler d’expositions à venir, proposer des ouvrages… Finalement, contrairement à ce qu’il pourrait être attendu, les critiques d’ouvrages sont relativement rares, faute de temps pour les rédiger. Il est plus facile de mettre un lien vers le programme existant de la médiathèque, ou d’ajouter une vidéo d’atelier en ligne, une conférence… que d’écrire une critique. Le temps consacré à cette activité en constitue donc l’une des limites. Une présence forte pour un impact limité est ce qu’il semble ressortir : la plupart des petites et moyennes bibliothèques ont peu d’« amis » ou de personnes ayant aimé leur page. La médiathèque de Juilly, particulièrement active, a presque 5 000 « amis » mais fait figure d’exception, la moyenne haute se situant à 500. Il y a presque une dichotomie entre l’institution, qui a des fonctions pérennes, travaille pour les siècles futurs, avec notamment la conservation, et la nécessité d’alimenter en permanence l’hydre facebook.

Des exemples d’utilisation du réseau social dans d’autres pays

Pour quelques bibliothèques étrangères, nous retrouvons peu ou prou les mêmes comportements et utilisations sur facebook avec cependant quelques différences. Par exemple, aux Etats-Unis, la Bibliothèque Publique de New-York[42] met en valeur ses collections et renvoie systématiquement vers son site comme la bibliothèque DOK[43] à Delft[44] au Pays-Bas. Il s’agit alors d’incitations implicites à venir à la bibliothèque et à utiliser ses ressources. Le réseau social est utilisé comme un miroir, communication indirecte vers le site et le lieu physique de la structure. Par contre, les bibliothèques de Saint-Laurent à Montréal (Québec) proposent leurs nombreuses activités comme une séance d’initiation aux jeux vidéo pour les aînés, des groupes pour parler français directement sur le réseau social. L’internaute peut, grâce au réseau, avoir toutes les informations détaillées sur le lieu, le jour et le contenu de l’animation sans renvoi vers le site des bibliothèques[45] contrairement à la Bibliothèque Publique de New-York et à la bibliothèque DOK à Delft.

Aux Etats-Unis, la bibliothèque du Congrès à Washington[46], outre la mise en valeur de ses collections, propose dans le cadre du Festival National du Livre[47], du 21 au 22 septembre 2013, des interviews d’auteurs téléchargeables en mp3. Il est possible d’écouter directement ces entretiens en cliquant sur un lien. Depuis 2007, ces interviews sont proposées et audibles par l’internaute, avec des auteurs comme Terry Pratchett ou Joyce Carol Oates, témoignages importants sur le processus de création littéraire. Le réseau social devient une valorisation active des ressources du fonds existant mais également offre un regard sur la littérature en train de s’écrire, sur ses écrivains. Ces témoignages constituent ensuite un fonds unique au fur à et à mesure des années qui passent.

Sur le réseau social, la médiathèque publique de Brooklyn valorise ses collections. Elle met également, à disposition de son public, une application pour portable iPhone ou android, à télécharger, pour suivre l’actualité de la bibliothèque. Cette application permet de chercher dans le catalogue, de gérer son compte, trouver des informations locales comme le GPS ou des cartes, scanner un ISBN pour chercher un livre dans les collections[48]. Au Pays-Bas, à Amsterdam, l’OBA[49] (Openbare Bibliotheek Amsterdam) valorise ses animations, notamment ses débats. La langue utilisée sur le réseau social est alors le Néerlandais, avec une possibilité de traduction en français.

Les quelques exemples pris à l’étranger montrent la même envie de valoriser les fonds de la médiathèque, comme le savoir-faire des bibliothécaires présentant leurs multiples animations. Comme en France, le lien vers la structure physique apparaît important. Les bibliothécaires sont également très centrés sur les derniers apports technologiques et l’utilisent au mieux. Ils offrent par exemple la possibilité de télécharger en MP3 des interviews ou proposent une application pour iPhone ou Android pour rester connecter en temps réel à sa structure et pouvoir agir sur son compte à distance. L’information, la communication sont fondamentales pour le devenir des médiathèques, avec l’utilisation des outils technologiques les plus performants.

Les médiathèques se sont donc emparées de cet outil du XXIème siècle, porte ouverte sur le monde virtuel. Complément de l’architecture des médiathèques, de leurs collections, la présence sur le réseau social facebook modifie, ou devrait modifier, l’image du bibliothécaire. Apparaissant compétent, au fait des nouvelles technologies, la figure sévère du bibliothécaire stéréotypé semble peu à peu s’éloigner. La mise en valeur des actions menées, des collections ou du savoir faire des bibliothécaires, trouve naturellement sa place sur facebook. L’interaction avec le public semble se faire plus librement, sans obstacle physique ou psychologique, certaines médiathèques n’hésitant pas à solliciter directement leurs usagers ou followers. Au final, cet outil, que beaucoup considèrent comme incontournable, est un dispositif de plus à la disposition du bibliothécaire web 2.0. En phase avec son temps, il est plus que jamais dans la médiation pour faire connaître, toujours davantage, les médiathèques, ses collections, ses actions, dans une vision dynamique à l’opposé d’une image figée appartenant désormais au passé, du moins faut-il l’espérer. Aussi, malgré l’aspect chronophage de cette activité et les faiblesses inhérentes à cette forme de communication, il est probable que de plus en plus de médiathèques utiliseront le réseau social, rejoignant ainsi plus d’un milliard d’utilisateurs à travers le monde, contribuant peut-être « à rendre le monde plus ouvert et connecté » pour reprendre la devise de facebook.

 

[1] Pour en savoir plus sur la paternité du réseau social

[2]  The Facebook Effect : l’histoire du réseau social qui change le monde

[3] Histoire de la création de facebook  

[4]  Mark Zuckerberg veut que le monde entier ait accès à Internet

[5] Le 5 octobre 2012, le réseau annonce un milliard d’utilisateurs

[6] Facebook's Growth In The Past Year

[7] Le Monde, 22/08/2013, p.19.

[8] Voir l’article en anglais

[9] Influence du "like" : sommes-nous tous des "moutons du clic" ?

[10] Posting Too Many Facebook 'Selfies' Can Hurt Your Real-World Relationships, Study Says

[11] Facebook : L’utilisation du réseau social favoriserait la dépression

[12] “Facebook has connected the world in a way it has never been connected before. People can now see and read and listen to the creation of another in almost every part of the world.” Facebook a mis le monde en réseau comme jamais il n’avait été connecté auparavant. A présent les gens peuvent voir, lire ou écouter la création de quelqu'un de quasiment tous les lieux de la planète. » Voir ici

[13] Par exemple sur quarante-cinq médiathèques sollicitées pour l’enquête, une dizaine ont répondu.

[14] Enquête réalisée par l’envoi d’un questionnaire aux médiathèques via facebook mais également relayée par Lorenzo Soccavo  et par le site de l’agence régionale du livre, la Languedoc-Roussillon Livre Lecture. Je tiens à les remercier pour leur participation.

[15] “Today, we reached another milestone: 150 million people around the world are now actively using Facebook and almost half of them are using Facebook every day.” Voir ici

[16]   Pour Mark Zuckerberg, son cofondateur, Facebook n'est plus "cool"

[17] Ibid.

[18] La bibliothèque départementale d’Ille-et-Vilaine nuance ce changement d’image : « Aucune enquête précise, ne permet d’affirmer que ça a changé l’image de la médiathèque départementale auprès du réseau. Cependant je constate qu’en interne au sein du conseil général, la médiathèque départementale est à ce titre souvent considérée comme service « innovant » de par cette utilisation des réseaux sociaux. Le service communication, fait régulièrement appel à deux agents de la médiathèque départementale dont elle a repéré les compétences sur le sujet pour contribuer aux groupes de réflexion. »

[19] Pour en savoir plus sur l’évolution du métier de bibliothécaire : « Bibliothécaire à l’ère du numérique » article paru dans la revue ONISEP Plus (Orientation et découverte du monde professionnelle), n°23 Février 2013, p.8.

[20] Voir l’article plein d’humour pour « relooker » le bibliothécaire :  et aussi cette analyse de la représentation du bibliothécaire

[21] « En effet, la bibliothèque est un lieu dont l’entrée est gratuite, chauffé et où l’on peut avoir accès à des toilettes. Même si l’idée nous semble exagérée, il est vrai qu’aucun autre lieu public n’offre aux jeunes de se retrouver dans un cadre aussi confortable sans débourser le moindre sous. Ainsi donc ils vont en bibliothèque pour se retrouver, discuter, mais assez peu souvent pour lire. » Véronique Le Goaziou, Rencontre en région du SNE Montpellier, 26 avril 2012 Table-ronde « Les adolescents et la lecture en milieu défavorisé »

[22] « Les gendarmes de la bibliothèque » Enquête de Virginie Repaire sur le public des 11-18 ans

[23] Les bibliothécaires, ennemis de la bibliothèque ?

[24] MARESCA (Bruno), Les bibliothèques municipales en France après le tournant internet, Attractivité, fréquentation et devenir, Paris, Bibliothèque Publique d’information/Centre George Pompidou, 2007.

[25] Les non inscrits sont des personnes fréquentant la médiathèque, utilisant ses ressources mais ne possédant pas la carte de la médiathèque.

[26] D’autres facteurs bien sûr peuvent venir en ligne de compte, certains usagers par exemple préférant circuler en toute autonomie dans leurs médiathèques.

[27] Voir infra.

[28] Pierre Molinier est directeur du Laboratoire d'Études et de Recherches Appliquées en Sciences Sociales (LERASS), et du Groupe de Recherche et d’Expertise en Communication Médiatisée (GRECOM). Voir « Les caractéristiques de la communication sociale via Internet » Adeline Hérault, Pierre Molinier ERES Empan 2009/4 - n° 76 pages 13 à 21. DOI : 10.3917/empa.076.0013.

[29] Médiathèque de Juilly

[30] Exemple1 et exemple 2

[31] Un p’tit jeu pour incarner une bibliothécaire (à lunettes et à chignon)

[32] « Calameo est le site pour publier et partager vos documents avec vos amis. Intégrez facilement des éléments multimédia (vidéos, animations interactives) dans vos publications. »  Ce système pratique et attrayant est utilisé par certaines médiathèques pour mettre en valeur leur programmation.

[33] Le guichet du Savoir dépendant du réseau des bibliothèques municipales de la ville de Lyon est un système de question/réponse, proposé sur le web,  inspiré du modèle anglo-saxon » ask and answer ».

[34] Les publics du guichet du Savoir Enquête de fréquentation en ligne, octobre 2005

[35] D’après les chiffres clés 2013, statistiques de la culture du Ministère de la Culture et de la Communication Secrétariat  général Département des études, de la prospective et des statistiques, les médiathèques municipales, au nombre de 3410, étaient ouvertes, en moyenne hebdomadaire, 16h45 en 2010. Il est à noter que le réseau des bibliothèques de la ville de Lyon offre des horaires plus étendues. Par exemple, la bibliothèque de la Part-Dieu est ouverte dans l’année (hors période d’été) 44 h hebdomadaire.

[36] « Les caractéristiques de la communication sociale via Internet » Adeline Hérault, Pierre Molinier, préced.cit..

[37] Lien vers leur facebook

[38] Olivier Donnat, Les Pratiques culturelles des Français à l'ère numérique, Enquête 2008, Ministère de la culture et de la communication / La Découverte, 2009.

[39]  98,5 % des bibliothèques municipales ne proposent aucun livre numérique)

[40] Lutte contre l'illettrisme, grande cause nationale 2013, enjeu majeur de la réussite éducative

[41]  Les bibliothèques contre l'« illectronisme »

[42] Voir le site du New York Public Library et leur page Facebook

[43] « DOK « library concept center » » Voir sur le site de l'ABF 

[44] Voir le site de la Dok et sa page Facebook

[45] Voir le site des bibiothèques de Montréal  et la page Facebook des bibliothèques de Saint-Laurent

[46] The Library of Congress

[47] Voir le podcast

[48] Bklyn Public Library

[49] Voir le site de la OBAet sa page Facebook

Bobcatsss 2014 à Barcelone

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Depuis mon arrivée à l’ENSSIB, l’on m’a dit beaucoup de bien du congrès Bobcatsss et je reconnais qu’avant d’avoir la chance d’y assister, je rêvais d’y aller depuis des mois. Je n’ai pas été déçue… Voici, concisément, ce que je retiendrai de mon premier congrès.

Tout d’abord, le thème de l’année, « Library (r)evolution : promoting sustainable information practices » m’a tout de suite enchantée. Cela annonçait des sujets originaux, hors des sentiers battus, ce qui n’a pas manqué. J’ai découvert avec enthousiasme tout un pan des sciences de l’information que j’ignorais, tourné vers l’écologie et le développement durable, et dont l’organe le plus représentatif est sans doute le groupe IFLA ENSULIB (Environmental Sustainability and Libraries), créé en 2009. Les tables rondes « Green libraries coming up ! » de Petra Hauke (co-auteure de The Green Library[), « Green archiving ; archiving for a sustainable world » de Geert-Jan Van Bussel et « Towards a greener library » de Harri Sahavirta m’ont particulièrement plu. J’en retiens que les initiatives « vertes » au sein des bibliothèques sont de plus en plus nombreuses et inventives, mais sont encore trop peu pensées dans un esprit global. On ne peut pas encore parler d’un « mouvement » mondial des bibliothèques vertes. Le groupe ENSULIB pourrait peut-être, à terme, contribuer à une homogénéisation des bonnes pratiques. Des publications sont à venir, en particulier en français, qui permettront de faire le point sur ces « Green libraries ».

D’autres interventions ont spécialement retenu mon attention, en particulier la table ronde traitant de l’identité problématique du curateur, organisée par Anna Maria Tammaro, ainsi que le retour d’expérience d’Eszter Csorba-Simon au sujet de l’atelier de bibliothérapie qu’elle a mis en place dans une prison. D’une manière générale, peu d’interventions m’ont déçue par leur manque de contenu et/ou de préparation.

Les posters présentés étaient de qualité inégale, mais la diversité des thèmes et l’originalité de certains ont rattrapé les défauts des moins bons. En toute objectivité (mais non sans un poil de patriotisme enssibien), je soulignerais le beau travail de mes camarades Marine Peotta, Solenne Billard-Nichele et Morgane Desard. Leur poster, dont la particularité était d’inviter ses lecteurs à participer au débat, a été salué et couronné d’un prix. Bravo à elles !

Una conferencia alegre y amable

Toutes ces graines (bio) de savoir, que j’ai essayé de retranscrire au maximum sur le vif, ne me seraient sans doute pas si précieuses si je n’avais pas par ailleurs ressenti une si belle émulation parmi les professionnels et étudiants en SIB. Difficile de ne pas se laisser conquérir par cet enthousiasme, favorisé par les régulières pauses dédiées aux échanges informels, les visites de bibliothèques et (last but not least) une superbe soirée de gala. S’imprégner de la culture catalane, entre architectures, « châteaux humains »[4] et autres tapas, mais aussi des cultures des autres participants (Suédois, Hongrois, Tchèques, Québécois, Indiens, Américains…) a été un réel plaisir. Le rythme soutenu du congrès ne permettait certes pas d’escapade purement touristique, toutefois les trajets effectués à pied entre les différents sites (l’université de Barcelone, la faculté de bibliothéconomie, le palais de la musique catalane, le collège d’architecture, la bibliothèque de la Sagrada Familia…) ont pu nous permettre de régaler nos yeux.

Un bémol cependant : certaines décisions ont été prises pour que le congrès lui-même soit écoresponsable, mais toutes n’ont pas été mises en œuvre. Par exemple, à la cérémonie de fermeture, un des organisateurs nous a appris que nous n’avions pas bu d’eau provenant de petites bouteilles en plastique (alors que, j’en suis sûre, l’on nous en a distribué deux midis de suite). On pourrait également reprocher aux organisateurs les instructions vagues et trop peu visibles sur les poubelles de recyclage installées à la faculté de bibliothéconomie pour l’occasion et qui n’ont donc pas été remplies de la manière la plus adéquate. Toutefois, ces maladresses ne doivent pas éclipser les autres initiatives, notamment un soin particulier apporté aux menus végétariens, la prise en compte des personnes intolérantes au lactose et au gluten, la distribution de café équitable et de cahiers en papier recyclé…

Bref, j’ai adoré Bobcatsss, et si vous me cherchez en janvier 2015, je serai sans doute à Brno, où se tiendra le prochain congrès. Vous ne connaissez pas Brno, la deuxième plus grande ville de République Tchèque ? Laissez-vous donc séduire par cet alléchant teaser[5]… et peut-être à janvier prochain !

Numérisation, pour une nouvelle approche de la qualité

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Le premier marché de numérisation de masse mis en œuvre par la BnF s’est achevé au début de l’année 2011. Il a permis de traiter 410 000 documents, 37 millions de pages numérisées et océrisées, dont 15 millions de pages en haute qualité, et de saisir 650 000 pages de table et index avec leurs liens.

Il a impliqué autour de 600 personnes à la BnF et en sous-traitance. Le personnel de la BnF pour sélectionner 130 000 volumes et 30 000 microformes a manipulé, vérifié, analysé 1 million de volumes et de bobines.

Ces opérations de production se sont étalées entre juillet 2008 et septembre 2010 avec un rythme hebdomadaire de va et vient des documents entre la BnF et le prestataire :

  • Chaque semaine, environ 2000 volumes partaient des magasins, 2000 autres étaient réceptionnés en retour avec leurs images sur disques durs soit environ 450 000 pages.
  • Chaque semaine, environ 3000 documents numériques étaient mis en ligne deux semaines après leur réception.

Le traitement de ces volumes et de ces flux a été, pour la BnF, un défi méthodologique et organisationnel majeur, mais aussi un défi technique et documentaire. Il s’agissait de lier deux chaînes distinctes, l’une logistique et l’autre dématérialisée, des objets et des fichiers, avec le minimum d’intervention humaine, tout en gardant comme priorité une exigence de qualité sur chaque document numérique. C’est cette démarche de gestion de projet tachant de faire coexister des objectifs quantitatif et qualitatif ambitieux qu’il s’agit ici de présenter.

1.La fluidité comme principe

Le contrôle unitaire de la production est la méthode naturelle et spontanée quand il s’agit de vérifier la qualité d’un travail. Pour contrôler chaque document reçu, étant donné les volumes concernés, il aurait fallut mettre en place une équipe importante. La qualité ne pouvait donc s’envisager par un contrôle unitaire, document par document. Jusque-là, la BnF pratiquait un contrôle basé sur la norme ISO 28590. Celle-ci mesure la qualité par échantillonnage sur des lots considérés comme homogènes et comparables. Chaque document d’un lot faisait l’objet d’un contrôle sur un échantillon de pages. Si l’échantillon dépasse dans un lot le seuil d’erreurs tolérées, l’ensemble du lot est rejeté.
Comme on le constate, le contrôle se positionne en fin de cycle de production. A cette étape, plusieurs autres lots sont déjà en fin de réalisation chez le prestataire, alors que commencent les premiers contrôles. Les erreurs n’étant pas connues du prestataire, le nombre de documents à revoir concernerait plusieurs lots, ceux produits et contrôlés et ceux en cours de production pendant les contrôles.

Le contrôle par échantillon utilisé jusque-là par la BnF pour des marchés de moindre volume, ne peut plus être utilisé dans ce cadre :
Par son positionnement en fin de cycle, par le temps trop long nécessaire au contrôle, par l’effet démultiplicateur des rejets par lot, cette organisation paralyserait le travail du prestataire comme celui de la BnF. Les documents à retraiter atteindrait des niveaux tels qu’ils auraient engorgé la production.

Une autre approche était nécessaire parce que la nature même du projet était en contradiction avec les principes de cette norme : la norme ISO 28590 précise que « ces procédures sont principalement destinées au contrôle de séries continues de lots »[1]. Dans l’organisation prévue, les lots contiennent toutes sortes de documents donc de contraintes et de risques non reproductibles. Les lots recouvrent des supports et des documents divers et variés (microfilms de périodiques juridiques du 19° siècle, libelles de deux pages des 17° et 18° siècles,  thèses de médecine ou armoriaux etc.).

Les fonds n’étant pas sélectionnés au préalable pour l’ensemble du marché, des lots homogènes ne sont pas réalisables. Les lots de livraisons sont des lots artificiels mélangeant toutes sortes de documents, donc de contraintes et de risques d’erreurs non reproductibles sur d’autres documents du même lot. Dans ces conditions la norme ISO 2859 n’est plus pertinente.

Différents éléments ont guidé les choix sur une démarche qualité autour du principe de fluidité :

  • Les objectifs quantitatifs du marché,
  • Une alimentation en continu,
  • Le lissage de l’activité durant plus de deux ans, impliquant une continuité de la production pendant 52 semaines par an.

La fluidité s’imposait donc à différents niveaux de l’organisation de la production :

  • Fluidité de la sélection documentaire, à la préparation des caisses à envoyer, jusqu’aux livraisons des documents numériques
  • Fluidité de la mise en ligne sur Gallica,
  • Fluidité des rejets et de leurs corrections

Pour garantir la qualité de l’ensemble et prévenir les rejets massifs à cause d’anomalies traitées tardivement, il fallait absolument éviter que des stocks de documents en cours de production chez le prestataire ne s’accumulent, dans différentes étapes, sans possibilité d’identifier les erreurs.
La maîtrise de la qualité est la garantie pour assurer la fluidité d’une numérisation de masse.
Elle nécessite un parfait partage entre les équipes du prestataire et celles de la BnF afin que chaque acteur puisse identifier à son poste, les risques que soulèvent un document ou un ensemble documentaire, pour les étapes suivantes. Ce partage permet d’identifier les risques en amonts, de partager les contraintes,  et donc de lever les difficultés ou de les contourner.

Pour garantir la fluidité, plusieurs outils étaient à disposition et stipulés dans le marché :

  • un planning des enlèvements exprimés en page, définissant de façon mécanique le nombre de pages livrées à l’issue du cycle de production. Il était détaillé par filière (microfilms, microfiches, par départements BnF et filière des bibliothèques partenaires.)
  • un planning de production, fixant les objectifs de livraisons du prestataire, semaine après semaine, prenant en compte un délai de production après l’envoi des documents physiques. Ce délai a été évalué à 6 semaines par le prestataire dans un document contractuel.

Pour surveiller l’avancement de ce cycle, le prestataire envoyait contractuellement à la BnF chaque semaine les indicateurs suivants :
Le nombre de documents en entrée et en sortie de chaque atelier
Le nombre de pages entrées et sorties de chaque atelier

  • Ces indicateurs permettaient de voir les engorgements, et dans la phase de lancement du projet, de réguler les départs de documents pour que l’accumulation soit rapidement régulée.
  • Ces indicateurs permettaient aussi d’identifier rapidement les étapes problématiques et d’analyser les causes de ces engorgements.

Contrairement aux hypothèses élaborées aux débuts du marché avec le prestataire, ce ne fut pas l’étape de numérisation qui posa des difficultés de cet ordre. Ce fut principalement la maitrise des flux dans les étapes de transformation en mode texte.

Cette supervision contractuelle a permis d’étudier régulièrement et si besoin de façon approfondie  avec le prestataire la qualité des procédés de production pour garantir au mieux la qualité unitaire des documents numérisés, avec comme premier facteur d’alertes les problèmes de fluidité dans la production et les contrôles.

2.La qualité produit comme objectif

Si le contrôle unitaire et l’application de la norme ISO 28590 ne sont pas adaptés, en revanche la préoccupation de la qualité de la production demeure prioritaire. L’exemple qui suit décrit la méthode employée pour maitriser la qualité :

Le marché entre autre prestation demandait la livraison d’un fichier xml reprenant les tables et index des ouvrages afin de proposer sur Gallica une navigation par les entrées de la table et des index, et aussi une indexation des mots saisis par le moteur de recherche. L’enjeu est bien expliqué par Alban Cerisier dans les annexes du rapport Tessier[1]. La qualité de ces fichiers xml est donc essentielle au référencement dans Gallica et à la navigation dans le document.

  • Pour un ouvrage en un seul volume la résolution des liens, c'est-à-dire, la transformation en un lien hypertexte des numéros de pages saisis dans la table se fait en reliant les images de chaque page à la numérotation de la page.
  • Quand la table des matières porte sur un périodique et donc sur plusieurs fascicules ou années de publication, la résolution des liens de la table ne peut se faire aussi facilement. Pour limiter le travail humain, l’outil informatique de résolution des liens de base réalise d’abord les liens automatiques puis pour les liens manquants, la liaison est effectuée manuellement après recherche du bon document de la série. Cette organisation a donné des résultats efficaces et satisfaisants.

Durant l’été 2010, lors d’un contrôle habituel (40 documents chaque semaine), la BnF a constaté que  les liens hors volume étaient non résolus donc inactifs. Comme l’organisation du projet le prévoyait, l’anomalie a été signalée immédiatement au prestataire et les documents contrôlés en erreur par la BnF furent rejetés. L’analyse du problème a montré que, suite à une mise à jour du logiciel, un bug s’était produit et le système sautait l’étape de résolution manuelle des liens non résolus. Il a été alors facile d’identifier les seuls documents touchés par le bug soit quelques dizaines, sur l’ensemble des documents en cours chez le prestataire ayant une table des matières, soit quelques dizaines au lieu des milliers de documents. Ayant travaillé aussitôt sur la correction du processus, tous les documents produits étaient de bonne qualité, après seulement trois semaines écoulées entre le signalement de l’erreur et sa correction.

Cet exemple illustre la logique de travail mise en place : une connaissance partagée des processus permettant d’identifier rapidement une erreur et son origine dans la chaîne. Combinée à une fluidité des livraisons, cette méthode limite les rejets et favorise le maintien de la qualité et la maitrise des niveaux de risque.

La limitation des rejets participent de la fluidité et créé ainsi un cercle vertueux. Plus la production est fluide plus les anomalies sont identifiées rapidement, limitant ainsi le nombre de documents concernés. Plus le prestataire et la bibliothèque partagent  leur organisation et leurs contraintes et plus il est facile d’analyser les anomalies et de corriger rapidement les étapes de travail concernées.
L’expérience acquise précédemment par la pratique du contrôle par échantillon (norme ISO 2859) nous a permis de relever un autre écueil dans la gestion de la qualité du document :

Un échantillon de contrôle n’est pas constitué d’un document parmi d’autres mais d’une sélection aléatoires d’images parmi tous les documents. Le contrôle par échantillon ne permet pas de rejeter les erreurs si elles ne sont pas présentes dans l’échantillon et pourtant observées par les contrôleurs. Pour respecter la norme, ces erreurs ne peuvent pas être signalées au prestataire.

Cette méthode fait reposer la responsabilité du contrôle qualité entièrement sur les équipes client qui doivent effectuer des contrôles systématiques dans une posture de sanction et le prestataire assurant seulement les corrections mentionnées par celles-ci. Le prestataire n’est, de fait, plus responsable de la qualité de son travail.

La capitalisation de toute cette expertise nous a permis de construire une nouvelle méthode :

  • Pour appréhender la qualité du document, il faut que l’échantillon de contrôle contienne tous les éléments qui composent un document (toutes les images, métadonnées, éléments de la table des matières) : en travaillant sur un nombre restreint de documents il nous était possible d’examiner de façon détaillée et exhaustive le résultat et ainsi de voir si le prestataire remplissait sa mission.
  • La qualité de la production est de la responsabilité du prestataire, qui assure ses contrôles de production et fournit chaque semaine ses rapports : nous étions donc informés des taux de rejets, des causes de rejets, et de leurs proportions. Cela permettait de partager les analyses pour améliorer les résultats et aussi de régler les incompréhensions entre les différents agents de la BnF et les employés du  prestataire.
  • Un échantillon doit permettre de vérifier si le produit fini correspond aux attentes clients : la BnF constituait un échantillon de quelques documents choisis pour balayer les différentes typologies et contraintes dont l’analyse limitait les risques et alimentait le dialogue avec le prestataire.
  • Le contrôle de l’échantillon client doit être réalisé au plus tôt pour pouvoir remonter au plus vite les anomalies constatées et corriger immédiatement les problèmes de la chaîne de production : La BnF s’est appuyée sur l’expertise capitalisée par l’équipe contrôle pour répondre à cet objectif contraignant.
  • En amont de ce contrôle par échantillon, un contrôle technique exhaustif doit garantir un niveau standard de qualité  (défini au Plan qualité) : La BnF a mis un place une chaine informatisée assurant les contrôles d’entrée sur chaque document. Ces traitements d’entrée garantissaient que les documents valides étaient propres et conformes à la consultation sur Gallica, et à un accès via le catalogue.

Nous avons eu une approche quantitative et qualitative au sens des études statistiques :

  • Avec les contrôles du prestataire qui assuraient une observation sur un échantillon important et pertinent du point de vue statistique,
  • Avec la vérification faite par les équipes de la BnF sur un panel plus resserré et pertinent du point de vue documentaire
  • Avec la vérification technique exhaustive
    La complémentarité de ces approches a permis de piéger très tôt toutes les anomalies et dérives qualité avant qu’elles ne prennent des proportions importantes et ne risquent de paralyser le système.

Cette méthode a permis d’identifier des anomalies imprévisibles comme la présence de légers traits noirs verticaux de quelques pixels de haut sur certains documents. Après analyse de notre échantillon, il s’est avéré que ces documents étaient tous passés par le même scanner (l’information du scanner est dans les tags du fichier image) consacré aux petits formats à ouverture réduite. Avec ces informations, le prestataire a pu cibler rapidement la cause. Il s’agissait d’une pièce usée sur cet appareil. Le problème n’a duré en production que 4 semaines et sur un nombre limité de documents.

Nous avons aussi pu constater que certaines pages illustrées, numérisées sur un scanner couleurs particulier, pouvaient de temps à autre être oubliées. L’opérateur traitait ces pages couleurs une à une et pouvait parfois en sauter. Si ces planches n’étaient pas paginées, l’erreur était indétectable. Ce risque a rapidement été identifié, et les contrôles de certains départements de collections se sont particulièrement attardés sur ces documents disposant de planches couleurs. La stratégie des contrôles assurés par la BnF ciblait notamment les documents dont les spécificités étaient mal maitrisée par le processus de production.

On voit à travers ces exemples l’importance de la connaissance partagée des étapes et des contraintes pour identifier les risques et les analyser. Cette connaissance s’appuie sur la documentation systématique et détaillée des processus de travail. Ce principe s’inscrit dans un cadre plus large, celui du management de la qualité.

3.Le management qualité comme moyen :

Recherchant la fluidité sur l’ensemble de la chaîne et la qualité du document produit, les outils et normes définis par le management de la qualité ont été retenus pour la mise en œuvre de ce projet. Si les normes ISO 9000, 9001 et 9004 ont été utilisées dans l’organisation du projet, la certification n’a jamais été une finalité. A cela nous avons privilégié l’efficience et pris ces normes comme un ensemble d’outils à utiliser selon nos besoins et pour servir nos objectifs. Evidemment ces modalités de travail sont définies très tôt dans la chronologie du projet. Dès l’appel d’offre, il est demandé aux candidats de rendre un mémoire qualité adapté au projet.
De plus la chronologie décrite au cahier des charges du marché était organisée en trois étapes permettant de structurer, de valider, et de renforcer la démarche qualité :

  • Une phase de test pendant laquelle la BnF et le prestataire définissent non seulement les modalités de travail, la qualité du document numérique mais également toutes les règles de fonctionnement. En phase de production cette documentation constitue le socle du plan d’assurance qualité au sens de la norme ISO 9001 : identification des indicateurs de surveillance, définition partagée des zones de risque…
  • Une phase de galop d’essai qui permet de valider dans un contexte de production limitée, sous contrôle renforcé, les hypothèses effectuées en phase de test, et de mettre à jour le Plan d’Assurance qualité (PAQ) en fonction des constats pendant cette période.
  • Une phase de production à grande échelle où s’applique la qualité telle que définie dans le PAQ validé en galop d’essai. Il est possible d’adapter, d’enrichir le PAQ en fonction de nouvelles situations non prévues.

Tout au long du marché une démarche qualité continue, fondée sur un dialogue constant entre la BnF et le prestataire est poursuivie. Une certaine transparence sur les modalités de travail de chacun est pratiquée. Il faut souligner que le premier défi dans ce type projet est de construire et de maintenir la confiance mutuelle entre les équipes projet de la BnF et du prestataire. C’est une condition essentielle à la gestion d’un projet fondé sur une démarche qualité.

Les instruments de cette démarche qualité sont :

Les instances de gouvernance du projet (comités de projet et de pilotage),
Les indicateurs,
Les audits.

Leurs règles de fonctionnement sont définies au préalable dans le Plan d’assurance qualité.

Le PAQ et la documentation

Dans ce cadre, le plan d’assurance qualité a pour objectif de définir dès le début du projet les engagements mutuels des contractants, les règles de gestion concernant les aspects de production, de pilotage et de management de la qualité. Il s’agit de définir comment la production est organisée et suivie par le prestataire, et d’aborder la manière de gérer les cas non prévus par les règles de gestion initiales.

Les règles nominales relatives aux résultats attendus pour le traitement des documents envoyés par la BnF sont rédigées étape de traitement par étape de traitement (voir en annexe). Il s’agit de décrire non seulement le résultat attendu mais aussi les moyens mis en œuvre pour y parvenir.

Etant donnée la masse de documents à numériser, la documentation du projet ne pouvait pas tout définir et tout prévoir à priori. Les règles initiales doivent permettre de régler au moins 90% des cas de figures. Il convient aussi de définir comment régler les cas non connus. Les normes ISO 9001 et 9004 ont guidé notre démarche :

  • quand un cas non prévu est identifié, il faut dans des délais définis :
    • retirer le document du circuit de production
    • signaler le cas pour analyse et résolution
    • définir la nature du traitement approprié
    • alimenter le système documentaire pour appliquer la règle dans les cas similaires.

Ce processus enrichi la documentation, et permet d’organiser l’amélioration continue des processus.
Ce travail associé à une planification de la production, sécurise une montée en charge progressive et doit permettre de rester dans des volumes d’anomalies maitrisées tout au long du projet.

Les deux facteurs de risque, la variété des documents et la multiplicité des traitements se combinent et multiplient les possibilités de paralysie de la production. Pour éviter ces embuches, les règles de dialogue sont définies en début de projet et la diversité documentaire bien décrite et connue des acteurs. Cette documentation sert à un dialogue encadré entre les partenaires.

La rédaction d’une documentation sous cette forme est lourde. Elle peut cependant s’adapter au contexte de marché de moindres ampleurs dans une forme plus allégée.

La gouvernance du projet et les indicateurs

Les circuits de décision opérationnels et stratégiques sont essentiels au succès d’un projet d’ampleur.

Il importe de bien dissocier le niveau opérationnel (qui concerne entre autre les règles de traitement d’un document particulier ou les délais de réponses, etc.) des questions véritablement stratégiques qui décident des grands équilibres documentaires, qualitatifs, et de production.

Certaines questions opérationnelles ne peuvent être résolues sans un arbitrage de niveau stratégique. Il importe qu’un organe de décision légitime et officiel soit identifié dès le lancement du projet pour pouvoir être saisi rapidement des questions.
Ces deux niveaux comité de projet et comité de pilotage sont classiques dans la gestion en mode projet. Une attention particulière doit être portée dans le choix des acteurs pour qu’ils puissent répondre de façon pertinente à l’ensemble des questions opérationnelles et stratégiques.

Les réunions régulières de ces comités permettent d’informer de l’avancement du projet de répondre aux questions bloquantes. L’examen en comité de projet des points opérationnels a permis d’affiner et d’ajuster des indicateurs de suivi du projet définis dans le PAQ. Ils complètent les indicateurs de suivi de la fluidité cités précédemment (par exemple : le nombre moyen de pages de table des matières par document, la répartition des formats de document par lot et globalement, la répartition des pages numérisées en niveau gris ou couleur etc.)

L’analyse des indicateurs a permis :

  • d’en valider la pertinence,
  • de diagnostiquer des situations anormales
  • de comprendre les causes
  • d’expliquer aux équipes notamment bibliothéconomiques, les liens entre ces indicateurs et les difficultés documentaires

Ainsi, à mi- projet, les indicateurs de production communiqués chaque semaine et analysés à chaque comité de projet (deux fois par mois à cette époque) ont permis de constater de forts ralentissements au cours de la première étape de traitement OCR (segmentation). Ces ralentissements ont pour origine une forte proportion de documents de type presse, a priori exclu du projet, plus complexes et plus lourds à traiter pour les moteurs OCR que les documents habituels. Les équipes en charge des sélections documentaires ont identifié l’origine des documents et modifier rapidement leur flux d’envoi. Comme on peut le constater, ces indicateurs sont des outils d’alerte sur les processus du prestataire mais aussi sur le travail de la BnF.  Ces compteurs communs entre le prestataire et la BnF, tout au long de la chaîne de traitement, permet d’identifier très tôt les anomalies et ainsi de les résoudre. Ces indicateurs transverses, déjà évoqués pour la maitrise de la fluidité, sont non seulement des outils de supervision opérationnels et stratégiques, mais aussi des outils qui favorisent un dialogue serein entre les différents acteurs de la chaîne. Ils permettent de cibler le nœud des difficultés sans ambiguïté et ainsi de les résoudre au plus vite.

Les audits

Dans le prolongement de la démarche qualité la BnF a voulu que ces marchés puissent bénéficier d’une plus forte implication de la Bibliothèque dans les processus assumés par le prestataire. Une démarche d’audit du prestataire par le commanditaire est définie. Cette démarche est habituelle dans le cadre d’entreprise de sous-traitance. Les audits n’ont pas été pensés comme un simple outil de contrôle du prestataire mais comme un outil d’accompagnement et d’amélioration de la qualité.
Les audits, et guides d’entretien sont préparés par le responsable qualité du projet de la BnF. Cette personne chargée depuis le début du projet, du suivi qualité du marché, est un élément indispensable de ce projet et de cette démarche :  

  • en début de projet, il supervise de très prés la rédaction du PAQ, des chartes et des procédures réalisées par le prestataire,
  • en production, il vérifie, par des échantillons de contrôle adaptés, le respect de ces chartes.
  • Dans les cas difficiles, le prestataire est alerté grâce à la veille qualité pour mettre en place les mesures correctives

En apportant au prestataire une méthodologie connue (les audits), un regard métier approfondi, une implication forte du client dans les processus de production, il s’agit de créer un outil de dialogue, un rituel d’examen des processus de production. Ces audits sont susceptibles de porter sur tous les processus apparaissant dans le plan qualité (voir annexe).
Les processus métiers ont été privilégiés : numérisation et traitement d’image, création du document numérique (exemplarisation), OCR et saisie des tables des matières sont examinés au moins deux fois, sur les deux ans et demi de durée de production du marché.
D’autres audits de processus comme la livraison des documents numériques (qui en apparence a peu d’enjeux métiers ou qualité) ont permis d’anticiper des difficultés et de limiter ainsi certains problèmes techniques en fin de marché.

Les audits étaient organisés en lien étroit avec le prestataire. Un audit nécessite l’implication des équipes concernées et ne peut se faire qu’avec l’accord et l’appui de l’équipe projet du prestataire.
Les points d’audits et la méthodologie sont décrits dans le PAQ en début de projet, afin de s’assurer que tous les processus soient examinés une voire deux fois pour les processus métiers importants. Les points d’audit pouvaient être ensuite corrigés en fonction des difficultés constatées. Les audits étaient donc à la fois un outil permettant de vérifier l’ensemble des processus mais aussi d’aider le prestataire sur des difficultés identifiées et restées sans réponses dans les méthodes habituelles.

L’audit consiste en une série d’entretiens avec les chefs d’atelier (responsable d’une équipe en charge d’un processus dans la chaine de traitement) et des entretiens plus courts avec les opérateurs de l’atelier afin de vérifier que la documentation était connue, respectée et que celle-ci permettait de répondre aux attentes de la BnF.
L’audit est un outil d’approfondissement qui va permettre d’examiner les difficultés, de déterminer le processus en cause et d’étendre l’analyse, si besoin est, sur les processus en amont et en aval. A la fin de l’audit qui peut durer deux ou trois jours, une séance invitant l’ensemble des personnes concernées, permet de faire la synthèse, de donner un premier retour, d’indiquer les premiers résultats et d’effectuer des améliorations sur des points identifiés. Dans un délai assez rapide (deux semaines idéalement), le chargé d’audit rédige un compte rendu qui va servir de base au prestataire pour mettre en place un plan d’action et parfois de programmer des améliorations dans certains processus.
Ce rapport est communiqué aux membres des comités de pilotage et de projet. Le plan d’action va leur permettre de suivre l’avancement des améliorations identifiées et les conditions de faisabilité de leur mise en œuvre. Parfois, des points identifiés comme pouvant être améliorés sont après instruction abandonnés car l’amélioration implique des développements et des travaux démesurés au regard du résultat. Ce travail d’analyse et d’instruction documente le processus, instruit la réflexion et aide à la décision.

Conclusion

Ce projet a permis par son ampleur, son approche renouvelée, d’ancrer la numérisation des collections patrimoniales dans le fonctionnement de l’établissement, de partager en différents lieux, dans différentes cultures métiers une même préoccupation, un même objectif avec la démarche qualité comme outil. En outre, la production d’une documentation importante nécessaire au projet et à la démarche qualité a servi de base de travail facilitant la mise en place des nouveaux marchés, le transfert de savoirs faire, la mise en place de référentiels, autant d’outils bénéficiant aux projets de numérisation qui ont suivi.
De plus, à l’heure de l’automatisation grandissante des conversions à des fins de signalement, d’une dématérialisation grandissante des contenus, des projets de ‘big data’, cette méthode adaptée aux traitements automatisés en masse trouve d’autres champs d’applications dans le monde du patrimoine et des bibliothèques, tant pour la maitrise de la diffusion des données et donc de ses collections, que pour garantir les conditions de préservation numérique.  La maitrise des processus permet une maitrise de la qualité et donc des risques qui permet en retour des traitements automatiques à grande échelle et des corrections manuelles petite échelle.

Texte alternatif pour l'image
Récapitulatif des procédures et audits

[1] http://www.iso.org/iso/fr/home/store/catalogue_tc/catalogue_detail.htm?csnumber=1141 en date du 26 novembre 2012.

[2] http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/104000016/0000.pdf p. 49 et suiv.

Image et réalité des BU : d’un centre de ressources à un lieu de travail convivial

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Les axes d’évolution des BU sont connus et identifiés depuis longtemps. D’une part, les étudiants, en premier cycle surtout, considèrent de plus en plus la BU comme un lieu de travail et utilisent assez peu les ressources électroniques proposées[1]. D’autre part, la possibilité de trouver sur le web des documents et des informations entraîne certains d’entre eux à se contenter de ce qu’ils peuvent trouver en ligne sans utiliser les fonds imprimés ou électroniques mis à leur disposition[2]. Deux enquêtes menées auprès des étudiants et des personnels des BU de  l’Université de Lorraine permettent de préciser cette mutation du rôle et de l’image des bibliothèques universitaires. La première a été menée en 2012 sous la forme d’un questionnaire remplis par 213 étudiants issus de différents campus et complétés par 15 entretiens semi-directifs. La seconde a pris la forme de l’envoi d’un questionnaire avec réponses anonymes à l’ensemble des personnels des BU de l’UL (soit environ 200 personnes) en 2013, 74 personnes y ont répondu (37 % des personnes interrogées).

Un lieu de travail agréable, proche mais pas totalement indispensable pour les étudiants

Comme cela a déjà été dit[3], les étudiants utilisent avant tout la BU comme un lieu de travail. Ceci étant dit qu’est-ce que cela signifie exactement ? D’abord que le critère géographique va être déterminant : les étudiants sont rarement multi-fréquentants pour les bibliothèques universitaires. Cela n’est pas lié qu’à la spécialisation des fonds (un étudiant en médecine trouve peu d’intérêt aux fonds de la BU de droit) mais tient surtout à des considérations de proximité géographique. Les étudiants vont dans « leur » BU, celle qui est située sur leur campus ou leur école. Les cas de multi-fréquentation qui ont été observés tiennent à d’autres proximités : par exemple des étudiants habitant près de la BU de Médecine viennent y travailler ou y emprunter des fonds récréatifs. La BU de Droit, située au centre-ville de Nancy, est fréquentée par les étudiants qui  résident dans ce quartier. C’est ainsi que le personnel doit gérer, en période d’examen, des conflits naissants entre étudiants en L1 Santé (très nombreux et « squattant » les places pour réviser, surtout donc, en centre-ville) et des étudiants de droit (qui considèrent que les premiers n’ont pas à occuper ainsi leur BU). Les étudiants travaillent donc dans les BU situées sur leur lieu de travail et/ou de vie, mais pourquoi vont-ils travailler à la BU ? La raison principale est qu’ils n’ont pas beaucoup d’autres possibilités sur leur campus. Ceux qui travaillent habituellement chez eux sont ceux qui viennent le moins en BU.  En revanche, ceux qui souhaitent travailler dans un lieu plus « universitaire » ne disposent guère d’autres choix. Les salles de cours sont fermées ou occupées, les cafétérias sont pleines et bruyantes, seule demeure la BU. De ce fait découlent deux conséquences. La première est que les étudiants demandent une BU conviviale, ils se plaignent quand elle est mal chauffée, quand l’éclairage est trop cru. Ils aiment y trouver un endroit de détente où ils peuvent boire un café, s’asseoir sur un canapé en lisant une BD.. En bref, ils veulent pouvoir travailler et prendre de petites pauses. Le lieu souhaité doit donc être convivial mais cette convivialité même doit respecter certaines limites. La BU n’est pas ressentie comme un lieu culturel. La présence d’animations n’est pas particulièrement souhaitée, voire même peut ne pas plaire car celles-ci peuvent troubler la quiétude recherchée et inciter à la distraction. La BU troisième lieu ? Pas forcément, les étudiants entendent se socialiser ailleurs que sur leur lieu d’étude. « Ça reste une bibliothèque, quoi, donc pour se sociabiliser c’est pas le meilleur endroit, enfin.. .c’est vraiment un espace de travail, mais oui, on s’y sent bien » nous a dit une étudiante de L1 culture et communication.

Donc les BU sont, pour eux, des lieux de travail, de refuge, sur leur campus. Ainsi, si les bibliothèques doivent rester fortement liées à leurs études, elles peuvent, doivent, le faire en ajoutant un facteur de confort, de soutien, qui n’est pas forcément attendu ailleurs. On souhaite ainsi des BU la fourniture de services qui ne sont pas disponibles ailleurs : des salles de silence absolu, des pièces permettant le travail en groupe, des cafétérias.. « C’est bien la cafét, ça permet de faire une pause quand on fait des révisions, on descend prendre un café, un chocolat chaud.. » dit un étudiant en L2 sciences.

Et les fonds ? Là encore, notre enquête reste classique dans ses résultats : les étudiants de sciences humaines et sociales, lettres, langues, art empruntent plus de  livres que les autres. D’une manière globale, plus un étudiant est un gros lecteur de livres plus il fréquente les BU et emprunte de documents. Concernant les ressources électroniques, celles-ci sont peu utilisées hormis par ceux qui en ont véritablement besoin : les étudiants en master, doctorat et les enseignants chercheurs. Une bonne appréhension et une bonne utilisation d’une partie de ces ressources serait un plus même pour les étudiants de premier cycle. Mais leur position quant aux formations dispensées est des plus ambivalente : ils souhaitent des formations mais n’y assistent pas ou seulement quand celles-ci sont obligatoires dans le cadre d’un cours. Ainsi, ils ressentent bien la nécessité d’être formés à la recherche documentaire mais ils ont « la flemme » d’aller aux formations volontaires. C’est seulement quand ils se retrouvent dans la nécessité de connaître ces techniques qu’ils deviennent plus volontaires. La présence de Google et la possibilité de toujours trouver quelque chose quand une recherche est nécessaire, sans prendre réellement en compte la qualité de la chose, décourage la volonté d’un apprentissage plus sérieux.

Nous leur avons demandé de qualifier leur BU, c’est-à-dire de choisir parmi une liste d’adjectifs, en sachant qu’ils disposaient d’un choix multiple. Les résultats sont positifs voire très positifs :

Utile : 94.4 %
Propice au travail : 87.8 %
Agréable : 83.6 %
Bien conçue : 80.8 %
Indispensable : 64.8 %
Chaleureuse : 70 %
Austère : 12.7 %
Mal aménagée : 10.8 %
Non réponse : 2.3 %
TOTAL : 100 %

 

Une constatation s’impose néanmoins : les BU ne semblent pas totalement « indispensables ». Cela peut laisser perplexe puisqu’ils pensent du bien de leurs bibliothèques et qu’ils les jugent avant tout « Utiles ».  Les entretiens ont permis de préciser cette notion qui n’est, finalement, pas si étonnante : la BU est un lieu de travail avant tout, on peut toujours travailler chez soi même si c’est moins bien. Les informations et les documents on les trouve avant tout en ligne, donc… « J’ai beaucoup besoin d’internet, donc j’ai pas forcément besoin de me déplacer. Je travaille chez moi. Après quand je sens que je sature, parce que j’arrive moins à me concentrer chez moi, là, je vais aller travailler à la BU de droit. Parce que, c’est un bon cadre de travail et.. j’sais que j’arriverai mieux à me concentrer. Après, euh, les mercredis ben j’ai cours à la fac de lettres, donc j’viens travailler à la BU de la fac de lettres. » nous a dit un étudiant en M2 d’histoire médiévale.

Mais que pensent-ils des bibliothécaires ? Là encore le jugement est globalement positif.

Non-réponse : 13.6 %
A votre écoute : 57.7 %
Aimable : 56.3 %
Distant : 31.9 %
Compétent : 63.4 %
Pédagogue : 28.2 %
Autoritaire : 28.2 %
Passif : 27.2 %
Rébarbatif : 16 %
TOTAL : 100 %

 

Les étudiants perçoivent bien que le personnel des BU est à leur service. Ils sont en demande de services très pratiques, d’aide et estiment généralement la trouver. « J’aime aller à la BU. Pourquoi ? Parce que c’est calme, parce que le personnel est compétent quand on a besoin de quelque chose. En tout cas ici, ils sont vraiment très accueillants, donc moi j’y vais avec plaisir » dit un étudiant en LP commerce.

Lors des entretiens, certains étudiants semblaient étonnés, surpris, de la compétence et de la gentillesse du personnel en réponse à leur demande…

Une évolution nécessaire du métier de bibliothécaire

Le monde des bibliothèques a été marqué par de nombreux changements. D’abord, d’une manière générale, un mouvement profond va des fonds vers les usagers[4]. Cela concerne l’ensemble des bibliothèques, municipales, départementales et universitaires. Notre enquête montre une forme d’ambiguïté sur ce sujet. Ainsi, quand on demande aux personnes interrogées quel est, selon elles, le rôle principal d’une BU, 100 % disent « fournir des informations et des documents pertinents », 73% ajoutent « Etre un lieu de travail, d’étude, agréable et adapté aux besoins du public » et 47.3 % « aider/former les usagers dans leur recherche d’information et de documents ». Cela peut être interprété comme une bonne appréhension de ce que les étudiants pensent des bibliothèques universitaires. Bien sûr, une BU reste, avant tout, une bibliothèque c’est-à-dire un lieu où l’on trouve des documents mais c’est aussi un lieu de travail avant même d’être un lieu d’aide et de formation. Ce premier résultat est à nuancer par la réponse à une autre question, celle de savoir ce que devrait représenter une BU. En effet, dans une vision plus prospective, les bibliothécaires ont conscience de l’évolution nécessaire puisque la notion de service rendu aux usagers domine celle de « réservoir de connaissances » mais savent aussi que ce changement n’est pas encore totalement opéré. Nous pensons que cette ambivalence est probablement due à certaines résistances liées aux représentations mêmes du métier ainsi qu’à la difficulté pour certains de faire évoluer leur pratique professionnelle (peur d’être mis en difficulté dans ces nouvelles modalités relationnelles, peur de la rapidité du changement tant au niveau des compétences techniques requises qu’au niveau de la conception du métier en lui-même).

Un lieu où l’on peut demander de l’aide, être formé : 60 - 81 %
Un service public, au service de ses usagers : 59 - 79.7 %
Un lieu de travail : 52 - 70.3 %
Un réservoir de connaissance, des fonds : 48 - 64.9 %
Un lieu chaleureux, agréable où l’on vient aussi par plaisir : 45 - 60.8 %
Un centre d’expertise pour tout ce qui touche à l’information : 31 - 41.9 %
Un lieu culturel : 28 - 37.8 %
TOTAL : 74 - 100 %

 

Et, que pensent-ils de leur BU ? Comment la qualifieraient-ils ? Les adjectifs les plus retenus sont positifs : utile, agréable, vivante, dynamique, accueillante. Les adjectifs proposés à connotation négative sont retenus par moins de 10 % des répondants (8% trouvent leur BU vieillotte et à peine 5% la trouve froide). L’analyse que l’on peut en faire est intéressante car, s’il est vrai que les bibliothécaires n’ont aucun intérêt à dégrader l’image de leur BU, la valorisation de ce lieu par ses acteurs internes contribue fortement à en valoriser l’image à l’extérieur.

Et le bibliothécaire que doit-il représenter ?

L’aide, le soutien : 64 - 86.5 %
Un médiateur culturel : 35 - 47.3 %
L’expertise : 34 - 46 %
Une oreille attentive : 30 - 40.5 %
TOTAL : 74 - 100 %

 

La réponse à cette question vient corroborer ce qui précède : l’expertise de la connaissance technique de la gestion des documents est « supplantée » par un travail d’accompagnement au service des usagers. La relation (savoir-être) semble en tout cas compléter fort justement la pure expertise technique professionnelle (savoir et savoir-faire).

Finalement, les deux visions coïncident, étudiants et bibliothécaires partagent une vision commune de la BU. Ce que l’on peut noter surtout, c’est peut être une sorte de timidité réciproque. Les étudiants n’osent pas toujours demander, ils se sentent « un peu bêtes ». Les bibliothécaires n’osent pas non plus toujours proposer leur aide. Finalement, comme nous l’a dit un des conservateurs « entre eux et nous il n’y a qu’à briser la glace ».

Et cette relation n’est pas toujours facile à mettre en œuvre : les représentations respectives des uns et des autres ont la vie dure et les évolutions nécessaires nécessitent un changement des comportements et des pratiques, qui s’il n’est pas nié, reste difficile à appréhender par les acteurs.

Comme le montrent ces deux enquêtes, il faut que cette communication se développe dans le sens d'une aide accrue apportée aux usagers, une aide personnalisée, peu formalisée afin d'aboutir à la « BU idéale » dont nous ne sommes, déjà, pas si éloignés." Car si 93 % des bibliothécaires interrogés disent qu'ils aiment renseigner, les modalités pour le faire, l’accueil réservé à l’étudiant traduisent parfois un décalage entre les attentes des deux interlocuteurs.

Nous insistons ici à nouveau, comme nous l’avons déjà fait dans un précédent article[5], sur la nécessité d’une prise de conscience et d’une formation des bibliothécaires à ces évolutions communicationnelles. La qualité de l’accueil, l’aisance des personnels dans la relation aux usagers sont des éléments clés d’une bonne communication au sein des BU mais également des vecteurs essentiels de l’image des BU à l’extérieur.

BIBLIOGRAPHIE

Appel, V, Lacôte-Gabrysiak Lylette. Bibliothèques universitaires et concurrence ou comment la communication devrait venir aux bibliothèques. In BBF, n°4, Dossier : la bibliothèque en concurrence, juillet 2012, pp. 44-48.

Epron, Benoît. La documentation numérique en premier cycle : quels usages ? in BBF, 2013-1.

Jung, Laurence. La bU vue par les étudiants. Bulletin des bibliothèques de France [en ligne], n° 6, 2010 [consulté le 19 mai 2014]. Disponible sur le Web : <http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-06-0006-001>. ISSN 1292-8399.

Lacôte-Gabrysiak, Lylette. Les sites des services communs de documentation en France : contenus et perspectives in Documentation et Bibliothèques, n° 54, 2008. pp. 265-272.

Poissenot, Claude. La nouvelle bibliothèque : contributions pour la bibliothèque de demain. Voiron : Ed. Territorial, 2009. 88 p.

[1] Epron, Benoît. La documentation numérique en premier cycle : quels usages ? in BBF, 2013-1.

[2] Lacôte-Gabrysiak, Lylette. Les sites des services communs de documentation en France : contenus et perspectives in Documentation et Bibliothèques, n° 54, 2008. pp. 265-272.

[3] Jung, Laurence. La BU vue par les étudiants. Bulletin des bibliothèques de France [en ligne], n° 6, 2010 [consulté le 19 mai 2014]. Disponible sur le Web : <http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-06-0006-001>. ISSN 1292-8399.

[4] Voir à ce sujet : Poissenot, Claude. La nouvelle bibliothèque : contributions pour la bibliothèque de demain. Voiron : Ed. Territorial, 2009. 88 p.

[5] Appel, V, Lacôte-Gabrysiak Lylette. Bibliothèques universitaires et concurrence ou comment la communication devrait venir aux bibliothèques. In BBF, n°4, Dossier : la bibliothèque en concurrence, juillet 2012, pp. 44-48.


Ouvrir pour faire société : la bibliothèque reprogrammée

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La pétition Ouvrons + les bibliothèques2 focalise le projecteur sur l’ouverture des bibliothèques samedi et dimanche soit au moins 70h par semaine. C’est un véritable enjeu de société car, discrètement, les bibliothèques répondent plus aux problèmes sociétaux qu’elles n’en posent. Cette pétition connait un certain écho médiatique au-delà de la presse professionnelle3. Elle s’est invitée dans la campagne des élections municipales de Paris. Elle a déclenché une réaction en chaîne comme en témoigne la Lettre ouverte aux candidat(e)s aux élections municipales de l’ABF4. La clôture des élections municipales n’annule pas l’actualité de la question.

L’ouverture moyenne hebdomadaire est actuellement entre 30 et 40 h pour les BM selon leur importance, vers 60 h pour les BU, entre 56 et 61h pour la BNF. L’Inspection générale des bibliothèques dans son rapport 2012-005 L’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques : progrès et obstacles5 recommande l’extension des horaires et la refonte de la conception du métier.

Heureuse surprise, donc, que cette pétition car la volonté d’extension des horaires d’ouverture serait le marqueur fort d’une volonté de reconquête d’un espace que la bibliothèque aurait graduellement perdu et qu’on lui contesterait.

Heureuse surprise, car elle apparaît rarement sur l’écran des radars médiatiques. La récente polémique sur le livre pour enfants Tous à poil6et les pressions subies par les bibliothèques et les bibliothécaires7 pour le retirer des rayonnages renforce encore l’éclairage médiatique. Elle rappelle la polémique bien oubliée de Ecrits pour nuire8 et l’épisode sombre en termes de libertés publiques, dénoncé dans le rapport du doyen de l’IGB sur la bibliothèque municipale d’Orange9 et dans le BBF10.

Bibliothèque et bibliothécaires seraient-ils des enjeux de pouvoir ? Ils nous sembleraient plutôt faire partie des Invisiblesà qui Pierre Rosanvallon11 veut donner la parole. Un ouvrage récent12 dénombre 70 bibliothèques incendiées entre 1996 et 2013, sans que l’on s’en soit ému outre mesure. On assiste à une vague de fermeture de bibliothèques pourrestrictions budgétaires13 en Grande Bretagne, au Canada et aux USA, sans révolte majeure.

Qu’est-ce qu’une bibliothèque en 2014 en France ?

C’est d’abord un lieu permettant d’accéder à un ensemble raisonné de ressources documentaires. Le développement technologique favorise un développement exponentiel de la quantité d’information disponible14. La production des ressources documentaires a suivi ce rythme effréné, emphatisée par la règle du publish or perish15 qui s’adapte aux scientifiques mais aussi à toute personne aspirant à une notoriété respectable. De nouveaux supports numériques, dont la diversité et la multiplicité pourraient donner le vertige16 et dont la pérennité ne semble pas encore aussi assurée que le bon vieux livre imprimé sur du papier, apparaissent en flux continu. Techniquement la bibliothèque les a intégrés mais pour autant s’y est-elle adaptée en termes de pratique sociétales ?

Les différents modèles de bibliothèques, Bibliothèque Nationale de France, Bibliothèque Publique d’Information, Bibliothèque des Grands Etablissements, Bibliothèque universitaire, Bibliothèque départementale de prêt, Bibliothèque municipale (à vocation régionale ou non), BCD et CDI scolaires17, permettent de desservir tous les publics. Elles forment un réseau implicite assez faible en raison de l’absence de politique nationale concertée.

Fondées sur l’import de ressources imprimées sur papier dont elles assuraient la conservation perpétuelle pour une mise à disposition des lecteurs via une signalisation rigoureuse dans un catalogue, les bibliothèques sont passées à un système d’export où elles distribuent des ressources en ligne, quand elle ne les créent pas. Elles fonctionnent désormais selon des normes et des réseaux mondialisés et sous des systèmes informatisés qui sont autant de systèmes d’information, complémentaires de l’information diffusée par les médias et des savoirs transmis par les pédagogues. Par contre leurs politiques documentaires et d’acquisition, comme nous le verrons plus loin, sont durablement déstabilisées par les nouveaux modèles économiques rendus possibles et nécessaires en raison de l’évolution numérique. L’exemple le plus remarquable est le big deal18 mis au point par l’éditeur Elsevier.

Selon l’importance de leur surface (au moins 1500m²) et de leur modernité, BU et BM offrent des bouquets de services assez complémentaires : prêt de documents multimédias, multi-support, de liseuses, de PC, prêt numérique, salles de travail collectif ou individualisé permettant de pratiquer toutes les facettes du travail académique et culturel et de la lecture loisir, plaisir ou érudite, espaces d’exposition, auditorium multimédia et partagent une partie de leurs publics.

La BNF, dont la modernisation fut réalisée à marche forcée de 1988 à 1995, illustre les contradictions, les dilemmes et les futurs de la bibliothèque actuelle. Tiraillée entre ses différents publics, au grand dam de son public originel d’érudits, elle reste organisée autour d’une césure, digne de l’Ancien Régime et de la Querelle des Anciens et des Modernes, entre Haut-de-jardin dédié au Tiers-Etat et Rez-de-jardin réservé à la Noblesse et à la Robe. Bibliothèque-musée de conservation mais aussi de diffusion en ligne, organisatrice d’expositions et de conférences, éditrice et protectrice des droits de propriété intellectuelle, elle est un phare mais n’est plus vraiment une tête de réseau en mettant en sourdine ses relations avec les pôles associés19

La formation des professionnels

Les professionnels des bibliothèques (magasiniers, bibliothécaires spécialisés, professeurs certifiés de documentation, conservateurs) bénéficient d’une bonne formation initiale, dispensée pour les conservateurs par l’Ecole nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques de formation20, qui sélectionne par voie de concours des étudiants issus de l’université ou de l’Ecole nationale des Chartes21. La formation continue est assurée par les 7 Unités régionales de formation à l’IST22 et des centres de formation23. L’inspection générale des bibliothèques, instance de contrôle, produit une réflexion globale à travers ses rapports et expertises. La bibliothèque numérique24 de l’ENSSIB est aussi une source précieuse d’information et de formation. Certaines associations professionnelles25 organisent leurs manifestations autour des problématiques du jour26. Cerise sur le gâteau, la ministre de la Culture a décrété 2014, année des bibliothèques.

Crise mondiale du modèle « bibliothèque » ou exception française ?

A écouter certains augures, la bibliothèque serait devenue trop chère et inutile « parce qu’on trouve tout sur internet ». En numérisant « tous » les livres, Google nous offre une bibliothèque gratuite et l’encyclopédie libre en ligne Wikipédia répond à toutes les questions. La lutte au couteau pour conquérir des temps de cerveau disponible27 la majordomisation de toute recherche par Google, les multiples services internet, l’interactivité des réseaux sociaux mèneraient-ils à une deserted library28.

La bibliothèque a-t-elle encore une place dans la société de l’information et de la connaissance ? Faudrait-il comprendre la discrétion de la bibliothèque comme un aspect de l’exception culturelle française ou comme le signe d’une crise mondiale du modèle de la bibliothèque ? Ou comme la conséquence de la diversification et donc de la concurrence de l’offre des produits culturels et du desserrement progressif du lien livre / bibliothèque ? Ou comme le manque de lisibilité du rôle de la bibliothèque comme lieu de travail et de formation, complémentaire du lycée, de l’université et du monde professionnel ? Google soutient-il ou colonise-t-il la bibliothèque ?

Les bibliothèques numériques altruistes29 rappellent que Google n’est pas encore le tuteur unique de nos activités intellectuelles, d’autant que les erreurs dues à une numérisation automatisée massive sont nombreuses. Les bibliothèques ont peut-être déjà gagné cette bataille, d’après Robert Darnton30, historien spécialiste de Lumières et directeur du réseau des BU de Harvard

A considérer l’enquête récurrente, menée par le Ministère de la culture et de la communication31, la bibliothèque, comme d’autres institutions, est affectée par l’évolution technologique et les nouvelles pratiques des usagers. Elle montre l’érosion de la lecture des journaux et des livres, et le développement (1973-1997) puis l’essoufflement (2008) de l’inscription en bibliothèque. Sur 100 français de plus de 15 ans, 20% en 1997 et 18% en 2008 sont inscrits dans une bibliothèque et l’ont fréquentée durant les 12 derniers mois. Les femmes (23 puis 22 %) et les jeunes de 15-24 ans (35 puis 31%) contribuent fortement à ce résultat. Le récent sondage IPSOS/LivresHebdo32 confirme la tendance d’un recul de la lecture papier non compensée par la lecture numérique.

La bibliothèque ne représente pas un référentiel pour le système politique français comme c’est le cas aux USA où la liberté d’expression, affirmée dès 1791 dans le 1er amendement de la Constitution, est défendue, entre autres, par la mission de la Bibliothèque du Congrès “The Library's mission is to support the Congress in fulfilling its constitutional duties and to further the progress of knowledge and creativity for the benefit of the American people”.

En Europe, les nombreuses bibliothèques-musées témoignent d'une époque où le prince temporel ou spirituel s'admire et se rassure dans l'édification de l’image de son savoir supposé.

En France, depuis la Bibliothèque royale de François Ier jusqu’à la BNF François Mitterrand, elle représente une institution régalienne recevant le dépôt légal. Il est piquant de noter que le monde entier a copié ce qui au départ était un acte de censure. La IIIème République fait de la bibliothèque un instrument de l’Instruction Publique, la IVème République un instrument de l’éducation populaire. La Vème République légifère avec ardeur pour organiser le monde de l’éducation33 avec un succès mitigé démontrant qu’en la matière les pratiques pédagogiques fondent aussi la légitimité de la loi. La création d’un nouveau type de bibliothèque reste le fait du prince, de la BPI par Georges Pompidou à la TGB/BNF par François Mitterrand. Cette même BN, principale bibliothèque de recherche de France, fut transférée en 1983 par décret34 et par l’entregent de Jack Lang du ministère de l’Education à celui de la Culture. Décision autoritaire mais sans doute bénéfique car la BNF fit partie des Grands Travaux35. Sur le fond, il n’y a pas d’appropriation de la bibliothèque par le peuple citoyen, sauf sous la Convention et la Commune. Elle est octroyée par le Très Haut avec les contradictions afférentes. Michel Serres dans un entretien avec Libération affirme on a construit la Grande Bibliothèque au moment où l’on inventait Internet !36 se montrant à juste titre plus indulgent à l’égard des pratiques de la jeunesse qu’à l’égard de celles des gouvernants.

Les bibliothécaires portent une responsabilité dans cette désaffection. Comme tous les métiers remis en cause par les effets conjugués de l’évolution technologique, des nouvelles pratiques, du manque de reconnaissance de leurs efforts d’adaptation, de l’incapacité de l’Etat à moderniser et à adapter les statuts de ses personnels, ils ont eu tendance à répondre par un certain repliement obsidional. L’informatisation, la gestion prudente, des idéaux de qualité, honorables mais irréalistes et déconnectés de la demande des publics et des logiques économiques, servent souvent de rempart à cette frilosité. Ils cachent les nombreuses réalisations développant une vision dynamique et prospective37. La pétition Ouvrons mieux les bibliothèques38, qui subordonne à de nombreux préalables l’extension des horaires d’ouverture, illustre cette posture défensive. Elle reste minoritaire au vu des signataires 10 fois plus nombreux en faveur de l’extension des horaires d’ouverture.

Le danger serait l’instauration d’un modèle de bibliothèque à 2 vitesses, Janus bifrons variante de la fracture numérique, avec d’un côté une bibliothèque républicaine dédiée à l’élite et de l’autre une bibliothèque populaire dédiée au citoyen de base, parfois àl’intérieur d’un même bâtiment. Etrangement, et à l’inverse des Archives, la bibliothèque ne bénéficie pas de l’onction d’une loi d’orientation. Le débat sur son opportunité39 illustre la culture très théologique des bibliothèques. En attendant cette hypothétique loi, le référentiel pour s’affirmer en tant qu’institution reste le Manifeste de l’UNESCO40. Même dans la dimension tragique de la spoliation des livres et des bibliothèques sous l'occupation nazie, la valeur symbolique du livre est inférieure à celle des oeuvres d’art41.

Ou crise du modèle économique « bibliothèque » ?

A la modification des pratiques des usagers et des modes de signalement, d’accès et de diffusion des ressources documentaires, se rajoute l’émergence de nouveaux modèles économiques et de nouveaux modèles de diffusion et d’évaluation des résultats de la recherche dans un contexte mondialisé de compétition très rude.

Mais le modèle bibliothèque est-il vraiment en cause ? Elle semble parfois prisonnière de la vision que s’en font ses usagers. Remarquable exemple d’appropriation, voire de privatisation au bénéfice exclusif d’un groupe social, d’un équipement public. Ainsi les usagers traditionnels, chercheurs en tête, ont obtenu l’annulation de la rénovation de la New York Public Library42. Les étudiants de l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales) exigent un accès prioritaire à la BULAC (Bibliothèque universitaire de langues et civilisations) par rapport aux autres institutions universitaires qui la cofinancent43. Au moment où l’on observe une tendance à la restriction budgétaire voire intellectuelle du champ de la bibliothèque, ses usagers se révoltent. Les mouvements Save the library44 ou The Library Campaign45 illustrent ce phénomène typiquement américain et insistent sur le rôle sociétal de la bibliothèque.

L’ouverture en octobre 2013 d’une bibliothèque grand public entièrement numérique et sans livre papier46à San Antonio de Bexar au Texas reste pour le moment unique.

La pétition le coût du savoir47 relayée par l’appel de l’Université de Harvard48 révèle une autre facette de la situation. Les bibliothèques ne peuvent plus souscrire aux abonnements de revues scientifiques dont le prix est devenu exorbitant, alors que ce sont les chercheurs qui fournissent gratuitement ou en les payant leurs articles aux éditeurs ! La réplique immédiate proposée est le boycott. Mais à long terme seuls les mouvements altruistes49 font évoluer les modèles économiques de la publication. La reconquête et la maîtrise par le monde académique et ses tutelles des publications comme des systèmes d’évaluation est indispensable, si possible dans un cadre européen. L’université de Liège, qui oblige ses chercheurs au dépôt de leurs publications dans son archive ouverte50, est exemplaire. Sa bibliothèque en est l’opérateur. Le retour sur investissement51 des ressources électroniques par rapport à leur usage est étudié par le consortium Couperin avec une équipe de recherche. L’action de l’ABES52 et de Couperin53 sont à ce titre remarquable car ils mutualisent des compétences et des services en faveur de très nombreuses bibliothèques.

La dernière et non la moindre des causes de la crise des bibliothèques en France est celle des ressources humaines et budgétaires qui leur sont affectées. Elles restent, d’une manière constante, inférieures de 1 à 3 ou 5 à celles des pays nord-européens. Elles ne représentent jamais le premier poste de dépenses alors que leur fréquentation est souvent en-tête parmi toutes les institutions culturelles et sportives. Cette situation est connue et décrite dans de nombreux rapports54. Bien plus grave, en ce moment les bibliothèques luttent pour ne pas devenir une variable d’ajustement budgétaire de la collectivité qui devrait les défendre. Ainsi dans les BU la priorité est donnée aux ressources en ligne au détriment des ressources sur support papier, ce qui est antinomique avec la pédagogie de la réussite car les étudiants de licence ont besoin de manuels. La crise financière est si forte que certaines sont contraintes à désabonner des revues scientifiques.

La question des modes de financement est posée. Gratuité ou contribution des utilisateurs, le cas échéant selon plafond de ressources ? Débat nécessaire car la gratuité n’est pas valorisante et reste un système de transfert du pauvre vers le riche.

L’anomie de la société de l’information (ou de la désinformation)

L’éloignement progressif entre une République fabrique des élites devenue leur conservatoire et une Démocratie, s’exprimant volontiers sur le modèle du « storytelling » impacte aussi la fonction sociétale de la bibliothèque. Deux essais illustrent bien ce contexte : Le sacre du présent55, avec un être humain sans projet, prisonnier du seul présent et d’une société de satisfaction immédiate et Storytelling : La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits56, avec une société du conte (parfois à dormir debout), de la communication narrative, endormant et formatant le citoyen. La polysémie de la compréhension de l'écrit et de l'oral nous renvoie parfois au plus vieux média du monde, la rumeur. Le citoyen se trouve plongé dans un système dont il n’a plus les clés, dans une société d’anomie où le désordre a remplacé l’ordre antérieur. Corriger la communication écrite s’avérait un exercice complexe avant le web, alors que corriger la communication orale était plus facile, d’autant qu’après elle pouvait être oubliée. La lutte contre les désordres de la société de l’information a suscité de nombreux contre-feux tels que le fact checking57 ou les décodeurs58. Les whistle blowers59 dénonçant les programmes d’écoute généralisée représentent une autre tentative de lutte, nettement plus militante. L’un des prix Pulitzer 201460 vient de récompenser, dans la catégorie service public la plus importante et la plus signifiante, l’action du Guardian US et du Washington Post sur ces sujets.

Verba volant, scripta manent61. La bibliothèque, dans le maelstrom informationnel ambiant, devient un des lieux de la confrontation entre l'écrit et l’oral, de la lutte contre un présent permanent devenu immanent. Longtemps gardienne et prisonnière du Livre, la voilà qui s'évade de son coffre par la grâce d’internet et du numérique. Au risque d’ouvrir une boîte de Pandore ?

La crise du modèle français de transmission des connaissances.

La bibliothèque a peu de place dans le modèle français de transmission des connaissances. Il fonctionne encore largement sur le modèle de la tragédie classique : unité de lieu (classe ou amphi), unité de temps (1, 2 ou 3 h), unité d’action (le maître parle et l’élève écoute). Prémonitoire, le rapport Miquel dénonçait la culture du cuit, asservissant les étudiants à la récitation de cours appris par coeur et nécessitant des photocopilleuses infatigables face à une culture du cru, favorisant l’autonomie et la créativité des étudiants et nécessitant des bibliothèques encyclopédiques.

Quand le ministère de l’Education nationale parle de maîtrise de la lecture62, de lutte contre l’illettrisme63, de socle commun des connaissances, de compétences et de culture64 la bibliothèque n’apparaît jamais au coeur du dispositif. Cela renvoie à la question plus globale de l’adaptation de l’enseignement et de la pédagogie illustrée par les difficultés du conseil supérieur des programmes65à fabriquer du consensus66. De même nul ne semble encore avoir pensé le rôle de la bibliothèque comme soutien de la réforme des nouveaux rythmes scolaires67

Dans ce contexte, l’enseignement et la pédagogie intègrent mal la culture informationnelle68, qui permet de mieux appréhender la complexification actuelle des relations entre l’enseignement, l’éducation et l’information, liée au développement exponentiel des technologies numériques. Les résultats positifs de son enseignement sur la réussite académique commencent à être connus, dans les cursus scolaires et universitaires, mais il tarde à être intégré dans les maquettes et ce malgré le dynamisme des organismes en charge de son développement. La pédagogie universitaire ne saurait accepter que les étudiants réduisent leur capacité de recherche à Google ou à Wikipédia.

Faiblement reconnue en tant qu’objet ou sujet de recherche, la bibliothèque brasse pourtant des savoirs et des disciplines comme l’histoire, la sociologie, la psychologie, les sciences de l’information, la pédagogie, la linguistique, l’informatique. La matrice anglo-saxonne de library and information science69 n’a pas un réel équivalent en France sous la forme de sciences de l’information et des bibliothèques70. La réflexion reste trop souvent centrée sur la bibliothéconomie71 en d’autres termes les aspects techniques ou fonctionnels des métiers des bibliothèques. Elle prend peu en compte la demande des acteurs et les perspectives académiques. Elle fonctionne dans des enceintes dédiées et pour l’essentiel l’ENSSIB. L’enjeu politique et sociétal représenté par la bibliothèque demeure encore trop souvent le champ de quelques sociologues ou historiens et de quelques revues de réflexion.

De même, le développement des MOOCs72, lancé en 2001 par le MIT73, interpelle toute la communauté académique. Tardivement, la France, documentée par le rapport sur l’université numérique74, a commencé à se mobiliser en lançant le 2 octobre 2013 un plan de développement en faveur du numérique dans l’enseignement supérieur grâce à la plateforme FUN75

La remise en cause des modalités de transmission des connaissances

Elle est particulièrement brutale et douloureuse pour un système de formation devenu progressivement bancal. L’école laïque et obligatoire, pilier de la IIIème République, s’est progressivement encalminée dans le primat du statut de chaque protagoniste. Or la carte à jouer est celle de la mutualisation, du travail d'équipe, qui favorise l’irrigation du disciplinaire par l'interdisciplinaire. Le cloisonnement et l’étanchéité des mondes professionnels, de l’organisation fonctionnelle des ministères, et partant les corporatismes qui en découlent, freinent les évolutions. On pourrait raisonnablement douter de la sincérité76 de cette nouvelle vague en faveur des cours en ligne : le risque de les réduire à un simple phénomène de conformisme, à une mode, pour ensuite les marginaliser, est réel. En effet le passage aux cours en ligne, leur intégration dans la pédagogie, implique une nouvelle scénarisation de l’ensemble des anciens cours. La pédagogie inversée77, où la place du cours magistral et des TD et TP est intervertie, est une bonne stratégie pour intégrer harmonieusement les cours en ligne et la bibliothèque en est un partenaire idéal.

Le citoyen sait qu’il n’est qu’au début de la révolution numérique. Il navigue entre l’allégresse de l’acquisition de nouveaux produits dopés par un marketing planétaire et la lassitude de la vitesse. Il est conscient de l’impossibilité de s’approprier la colossale mine à ciel ouvert de l’information. Il est en manque face à l’exigence démocratique de compréhension, de relativisation et de contextualisation des événements.

La couverture du rapport d’activité 2012 de la bibliothèque de Sciences Po Paris78 affiche "travailler moins pour lire plus" et son introduction précise « Pour l’enseignant, l’enjeu est donc bien de repenser son enseignement au travers des sources qu’il va mobiliser et de la variété des lectures et des types de lecture qu’il va solliciter et encourager ».

Le concept Slow Science79, inventé en même temps dans plusieurs pays80 exprime clairement la demande de donner du temps au temps, lequel permettrait aux nombreux protagonistes de la société de l’information et de l’intelligence de découvrir et de théoriser leurs complémentarités compétitives.

Le bouleversement par les réseaux sociaux et les cours massifs en ligne des modalités de transmissions des connaissances et des savoirs oblige le monde académique, atteint de vertige face à ce maelström, à s’adapter. La création des savoirs n’est plus depuis longtemps le fait d’un individu. De même la transmission des savoirs devient progressivement un acte collectif et interactif mobilisant des ressources distantes et plusieurs protagonistes dont l’apprenant. Cette évolution est sur les rails : la pédagogie, qui fait de l’enseignement non plus un art mais une science, redevient une composante matricielle de la transmission d’un savoir disciplinaire et l’interdisciplinarité s’impose dans les formations universitaires. L’échec de la mastérisation81 projetant sans formation pédagogique les nouveaux enseignants vers leur métier et stigmatisée par la Cour des Comptes, a mené à la modeste refondation des IUFM dans les ESPE.82Le rôle de l’enseignant reste plus que jamais indispensable mais dans une position nouvelle, plus gratifiante, de chef d’orchestre de cette culture du cru, chère à André Miquel.

L’avenir de la bibliothèque : descente au tombeau ou transfiguration ?

Le concept de bibliothèque troisième lieu83,inventé aux Etats-Unis dans les années 1980, distingue un premier lieu, sphère du foyer, un deuxième lieu, domaine du travail et un troisième lieu, dédié à la vie sociale de la communauté, qui se rapporte à des espaces où les individus peuvent se rencontrer, se réunir et échanger de façon informelle. Il a inspiré de nombreux architectes qui ont su le traduire. Sans doute dans leur théologie placent-ils la bibliothèque au ciel, ce ciel qui nourrit la terre ? De manière plus factuelle, la bibliothèque est affirmée comme protagoniste d’un urbanisme qui mène à l’urbanité. Elle gagne sa lisibilité par sa proximité dans le réseau des transports en commun. Un arrêt de bus, de tramway, de métro en face d’une entrée de bibliothèque densifie le flux des usagers. Elle signale à la fois les territoires de l’élu, des usagers et des bibliothécaires. Point d’accès au village planétaire, elle intègre le territoire dans les réseaux. Elle construit un terroir amical susceptible de nous apprivoiser, nous les indigènes, et de nous donner des clés pour maîtriser le réseau. Elle contribue à l’émergence d’une citoyenneté à l’âge du numérique. L’ouvrage Bibliothèques d'aujourd'hui. À la conquête de nouveaux espaces84, le palmarès 2014 du concours USA d’aménagement intérieur de bibliothèque85 et le Grand Prix Livres Hebdo des bibliothèques francophones86 documentent bien ce sujet.

Les différents « modèles » de bibliothèques françaises relèvent le défi. Elles ont inventé des outils de mutualisation rendant leurs activités plus lisibles. Couperin, consortium de négociation et d’expertise des ressources documentaires, fédérant l’ensemble des établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche pour négocier des conditions acceptables auprès des éditeurs, en est un exemple achevé. Il développe une veille et une expertise en matière de système d’information documentaire et en publication en libre-accès. De même, l’ABES, Agence bibliographique de l’enseignement supérieur, initialement programmée pour unifier le signalement des documents est devenue un opérateur de référence pour l’accès aux documents, dont les thèses, pour la gestion des ressources en ligne et le support de la Bibliothèque Scientifique Numérique87 structure nationale de coordination informelle pour l’accès à l’IST. Il y a un vrai savoir-faire mais hélas pas de pilotage unique.

A ce point de notre exposé, la bibliothèque française nous apparaît comme un fidèle reflet de mon cher vieux pays88. Connaissance de la situation, des réformes et évolutions à réaliser mais répugnance à les concrétiser sous une forme apaisée de négociation contractuelle. Le vaudeville palinodique autour des rythmes scolaires en est une illustration.

Réforme de l’Etat : en attente du Grand Soir

Le besoin d’un Etat moderne, état modeste89, d’un état stratège, est flagrant. La réforme de l’Etat90, le regroupement des politiques publiques dans un petit nombre de ministères favoriserait les complémentarités compétitives et les initiatives. Ceci est nécessaire pour les finances publiques mais aussi pour intégrer les évolutions sociétales engendrées par le développement du numérique.

Les termes du dialogue entre les demandes et les pratiques du citoyen et celles de l’état démocratique - l’adjectif qualificatif étant dans ce cas aussi important que le nom - sont à refonder. Cela touche tous les secteurs d’intervention de l’état dont celui de la formation initiale et continue. L’enquête PISA91 du système scolaire français devrait inciter nos décideurs à plus d’énergie pour définir les partenariats avec les protagonistes de la transmission des savoirs. Ainsi les actions des ministères de l’Education, de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de la Culture, devraient fusionner en un ensemble unique, dans le cadre d’une autonomie pensée et contrôlée et non point laissée au fil de l’eau des acteurs de terrain. L’actuelle situation où les différents organismes documentaires et de l’IST92 fonctionnent en toute autonomie, malgré la démarche fédérative de la BSN, n’est plus tenable à long terme. Dépendants de structures développant leurs logiques spécifiques, donc divergentes, ces organismes doivent mutualiser leurs moyens, voire fusioner, pour leur permettre des économies d’échelle et donner de la lisibilité à leur action. Plus regrettable, le Centre national de formation à la fonction publique territoriale93 envisage de créer sa propre filière de formation assurée jusqu’à présent par l’ENSSIB. Nul n’est coupable mais tout le monde est un peu responsable de tous ces capharnaüms. D’autant que l’Etat dispose d’un corpus de réflexion avec les recommandations des diverses inspections générales et de la BSN.

Le détonateur : l’ouverture évidemment !

En attendant ce Grand Soir quelle serait l’action simple et peu coûteuse, carburant d’une bibliothèque prête à tourner à plein régime ?

L’extension des horaires d’ouverture peut servir de catalyseur pour fabriquer du consensus sur les nouvelles missions de la bibliothèque. En effet, passé un certain niveau d’ouverture elle change de nature et devient un moteur d’animation et d’intégration de la vie étudiante dans la ville et au final un signal de la vitalité du tissu urbain. Partout où la pratique est lancée les chiffres de fréquentation explosent94. Le seuil se situe, entre 10 h et 12h par jour soit entre 70 et 84 heures par semaine, 7 jours sur 7, au moins durant la partie utile de l’année (36 semaines) mais la bibliothèque ne doit jamais fermer complètement pour assurer à l’usager la quiétude de toujours disposer au moins d’une bibliothèque ouverte. Il ne s’agit pas d’ouvrir toutes les bibliothèques mais au moins deux, BU et BM, dans toute communauté d’agglomération de plus de 30 000 habitants.

L’objection du manque de personnel est dilatoire. Les professionnels qualifiés restent indispensables au bon fonctionnement d’une bibliothèque. Le recours à l’emploi étudiant, ou plus largement à l’emploi jeune, pour des fonctions basiques d’accueil, d’orientation, de tutorat et de surveillance, toujours encadrées par des professionnels, est une manière élégante et bienveillante de former la génération montante à la réalité du monde du travail et de leur assurer un complément de revenu. Il ne s’agit pas de donner un métier mais d’y préparer, d’accompagner, d’initier, de responsabiliser. Les services nécessitant une forte qualification professionnelle restent la colonne vertébrale des activités durant des plages horaires définies (par exemple 10h-18h). La réponse présentielle est complémentaire des services de réponse en ligne95.

Cercle vertueux

La bibliothèque reste un des lieux de transformation de l'information en savoir. La corrélation entre bibliothèque et réussite des études est décrite dans plusieurs travaux de recherche96. Denis Varloot97, fin connaisseur de la société de l’IST, créa en 1983 7 Unités régionales de formation à l’IST pour former les enseignants du supérieur et les professionnels de la documentation. Mais avec 20 personnes pour toute la France, les laboureurs de l’IST ont encore bien des sillons à creuser !

La création d’un cercle vertueux - reconnaissance des « sciences de l’information et des bibliothèques » comme discipline éligible au doctorat / obligation de la thèse pour accéder aux grades supérieurs des conservateur des bibliothèques (conservateur-en-chef ou général) / enseignement de la culture informationnelle - faciliterait le comblement de cette lacune de notre système. La bibliothèque et les bibliothécaires s’appuient sur une culture scientifique et technique très forte. Ils maîtrisent la gestion des données et des métadonnées, indispensables à la signalisation des documents, à leur accès en ligne et au développement de nouveaux services. Car les usagers sont des consommateurs indifférents à nos boites noires et à nos capacités d’ingénieurs. Ils veulent des services permanents simples, rapides, gratuits, interactifs et tout cela avec le sourire. Et ils ont raison ! Le métier ne peut se réduire à des compétences techniques. Les bibliothécaires restent d’abord des médiateurs pour la formation initiale et continue, particulièrement dans l’exercice de la citoyenneté numérique. Ils développent des compétences pour transmettre les connaissances, pour être les relais des enseignants, pour défendre la propriété intellectuelle des auteurs, pour mettre en ligne la production académique et pour soutenir le mouvement du Libre Accès qui promeut la libre-circulation des résultats de la production académique.

Dans les démocraties chaque génération est un peuple nouveau98.L’Etat démocratique doit s’adapter dans ses pratiques constitutionnelles et institutionnelles à l’ère du numérique. Tout comme il garantit et organise la tenue d’élections libres, pluralistes et transparentes, il est redevable d’institutions cadrées par la loi, favorisant la responsabilité, la liberté de pensée et non le conditionnement du citoyen. Le musée, le théâtre, l’opéra, la salle de concert, de cinéma, de sport, la bibliothèque en font partie.

Ouvrir plus largement la bibliothèque procède de cette logique et représente l’acte I de sa transfiguration, de sa reprogrammation. Alma Mater de la société de l’information ?

1 - Titre inspiré par l’article The library reboot (le redémarrage de la bibliothèque) de Richard Monastersky in : Nature du 27/03/2013
2 - Ouvrons + les bibliothèques
3 - In : Livres-Hebdo du 09.01.2014
4 - Lettre ouverte aux candidat(e)s aux élections municipales
5 - L’extension des horaires d’ouverture des bibliothèques : progrès et obstacles
6 - Tous à poil de Claire Franek et de de Marc Daniau, Editions du Rouergue, 2011
7 - In : Livres Hebdo du 11/02/14
8 - Ecrits pour nuire : littérature et subversion de Marie-Claire Monchaux, UNI, 1985 et in :BBF n°2, 1987
9 - In : la Documentation française Mission d’inspection de la BM d’Orange
10 - In : BBF n°6, 2004 Aux armes citoyens ! Les bibliothèques publiques françaises face à l’extrême droite
11 - In : Blog culture du Monde du 9/01/2014
12 -Pourquoi brûle-t-on des bibliothèques ?de Denis Merklen, Presses de l’enssib, 2013
13 - In : enssib : brèves actualités du monde de l’information et des bibliothèques
14 - Qualifiée parfois d’infobésité
15 - Publier ou périr : concept selon lequel tout intellectuel doit publier pour développer sa notoriété et sa carrière. Dans les faits, l’invention de la bibliométrie, analyse quantitative des publications, a favorisé la surproduction d’articles de qualité inégale.
16 - In : Wikipédia disques optiques numériques, portails, blogsbase de connaissance, cloud computing
17 - Bibliothèque Nationale de France (BNF François Mitterrand), Bibliothèque Publique d’Information (BPI du centre Georges Pompidou Beaubourg), Bibliothèque des Grands Etablissements (comme le Muséum ou le Quai Branly ou l’Observatoire), Bibliothèque universitaire, Bibliothèque départementale de prêt, Bibliothèque municipale (à vocation régionale ou non), BCD et CDIscolaires
18 - Littéralement la belle affaire ! Consiste à offrir l’accès en ligne au catalogue ou à un bouquet de revues par un éditeur contreun engagement pluriannuel de souscription. Voir aussi : Rapport du comité IST présidé par Jean Salençon et blog Marlène’s corner du 9/05/2013 Les effets des big deals
19 - BNF réseau national e coopération
20 - ENSSIB
21 - ENC
22 - URFIST
23 - Par exemple Médiadix ou Mediat
24 - Enssib bibliothèque numérique ou plus précis travaux universitaires
25 - ABF Association des bibliothécaires français ou ADBUassociation des directeurs
26 - Pratiques et services numériquesouNouveaux métiers, nouvelles compétences
27 - Citation en 2004 de Patrick Le Lay, PDG de TF1
28 - En français une bibliothèque délaissée, abandonnée, Terry Weech lors du colloque Horizon 2019 : bibliothèques en prospective ?
29 - Par exemple Europeanaou HathiTrust
30 - In : France culture et Arte Apologie du Livre de Robert Darnton, Gallimard, 2011
31 - Les pratiques culturelles des Français et Olivier Donnat, Pratiques culturelles, 1973-2008
32 - In : sondage IPSOS/LivresHebdo Alerte sur la lecture
33 - In : Les politiques de l’éducation en France par Lydie Heurdier et Antoine Prost, La Documentation française, 2014
34 - Décret n° 81-646 du 5 juin 1981 relatif aux attributions du ministre de la culture à ce sujet et rapport d’information 2007 du Sénat Quatre établissements culturels et leurs tutelles
35 - Grandes opérations d'architecture et d'urbanisme de François Mitterrand
36 - In : Libération du 3/09/2011Petite Poucette : la génération mutante
37 - In :Livres Hebdo du 21/03/2014 Dossier municipales : Sept villes pour le livre
38 -  Ouvrons mieux les bibliothèques
39 - In BBF 2011, n°2Une loi sur les bibliothèques : ni pour ni contre (bien au contraire) de Danielle Oppetit et Matthieu Rochelle
40 - Manifeste de l’UNESCO sur la bibliothèque publique
41 - In : Le Monde du 14/03/2014 N’oublions pas les livres spoliés ! de Martine Poulain
42 - In : Livres Hebdo du 8/05/2014
43 - In : Livres Hebdo du 6/05/2014
44 - En français Sauve ta bibliothèque signalé par l’ALA American Library Association
45 - En français Campagne en faveur des bibliothèques The Library Campaign
46 - BiblioTech et in : enssib brèves Une bibliothèque sans livres est-elle encore une bibliothèque ?
47 - Pétition The cost of knowledge
48 - Faculty Advisory Council Memorandum on Journal Pricing et in : Le Monde du 25/04/2012
49 - Comme SPARC, PLOS, Open Access, Persée ou revues.org
50 - ORBI Open repository and bibliography
51 - Ressources documentaires électroniques en milieu universitaire : retour sur investissement
52 - Agence bibliographique de l’enseignement supérieur
53 - Consortium unifié des établissements universitaires et de recherche pour l’accès aux publications numériques
54 - Rapport Miquel sur les BU, Documentation française, 1990 etBU le temps de mutationsdu sénateur Jean-Philippe Lachenaud et Etudes et rapports de l’Inspection générale des bibliothèques, passim
55 - Le sacre du présent de Zaki Laïdi, Flammarion , 2000
56 - Storytelling : La machine à fabriquer des histoires et à formater les espritsde Christian Salmon, La Découverte, 2007
57 - En français, vérification des faits
58 - In : Le Monde « les décodeurs » du 10/03/2014 Charte des décodeurs
59 - En français, lanceurs d’alertes
60 - In Le Monde du 14/04/2014 et Wikipédia prix Pulitzer
61 - Proverbe latin les paroles s’envolent, les écrits restent
62 -  La maîtrise de la lecture à l’école
63 - La prévention et la lutte contre l’illettrisme à l’école, grande cause nationale 2013
64 - Le socle commun des connaissances, de compétences et de culture
65 - Conseil supérieur des programmes
66 - In : Le Monde du 5/09/2013 L’enfer des programmes scolaires
67 - Rythmes scolaires
68 - En anglais information literacy
69 - In Wikipedia library and information science
70 - In Wikipedia sciences de l’information et des bibliothèques
71 - In Wikipedia bibliothéconomieet in : BBF 1998, n°2 Peut-on définir la bibliothéconomie ? de Bertrand Calenge-
72 - MOOC massive open online course, en français cours en ligne ouverts et massifs
73 - Massachusetts Institute of Technology,
74 - Rapport Isaac, 2008
75 - France Université Numérique
76 - In : Le Monde du 3/04/2014 La MOOCmania qui déferle sur la France.
77 - In : innovations éducation La pédagogie inversée
78 -Rapport d’activité 2012
79 - Slow Science
80 - In : Le Monde du 23/09/2011 Slow Food, Slow City, Slow Science
81 - In : Le Monde du 10/02/2012 Mes élèves sont les vrais perdants de la réforme de la mastérisation
82 - Ecole supérieure du professorat et de l’éducation
83 - In : BBF 2010, n°4 Les bibliothèques troisième lieu : une nouvelle génération d’établissements culturels par Mathide Servet
84 - In BBF 2011, n°3 Bibliothèques d'aujourd'hui. À la conquête de nouveaux espaces par Michel Melot
85 - Library interior design award
86 - In : Libres Hebdo du 28/11/2013 Palmarès du Grand Prix Livres Hebdo des bibliothèques francophones
87 - BSN
88 - Reprise d’un propos du Général de Gaulle, discours, 1960, Archive INA
89 - En référence à l’essai de Michel Crozier, Etat moderne, état modeste, Fayard, 1986
90 - In : Vie publique Qu’est que la réforme de l’Etat ? et Le Monde du 18/1/2012 Après la fin de la RGPP le gouvernement sort sa MAP
91 - Enquête réalisée par l’OCDE et in : Le Monde du 3/12/2013 Classement PISA : la France championne des inégalités scolaires
92 - Information scientifique et technique et BBF 2000, n°2 CR de Histoire de l’IST
93 - CNFPT
94 - Par exemple Université de Nice Sophia Antipolis
95 - Tels que Interroger un bibliothécaireou Guichet du savoirou ubib ou BiblioSésame
96 - Le métier d’étudiant par Alain Coulon, PUF, 1997 et critique par Martine Poulainin : BBF, 1998, n°1 et BU de Toulouse Emprunt en BU et réussite en licence
97 - Ancien directeur de la DBMIST et in : Urfist Info et BBF 2013 n°1 Trente ans de politique IST par Elisabeth Noël
98 - Alexis de Tocqueville

At a Tipping Point: Education, Learning and Libraries

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Un nouveau rapport réalisé par l’OCLC en juin dernier présente l’impact de la diffusion du « e-learning » (ou formation en ligne) et des Moocs[1] dans l’univers de l’apprentissage non seulement auprès des primo-étudiants mais également auprès des internautes américains en général qui, selon les résultats de l’étude commentée, sont très nombreux à se rendre sur les sites d’apprentissage en ligne, pour y trouver des ressources dans le domaine du développement personnel ou de l’éducation continue tout au long de la vie.

La présentation de la progression de l’usage de ces supports d’apprentissage en ligne dans le contexte américain est édifiante. C’est en mesurant l’importance de ces changements, voire de cette révolution, que les chercheurs lancent un appel aux bibliothèques afin qu’elles réfléchissent à leur positionnement stratégique, principalement en terme d’offre et d’image.

Nous présentons ici principalement les analyses très éclairantes qui sont faites sur l’impact de cette révolution pour les bibliothèques laissant volontairement de côté les nombreuses données sur la pénétration du e-learning dans la vie de l’internaute américain qu’on pourra consulter en ligne.

Dans un premier temps, les auteurs du rapport rappellent l’évolution de la pénétration de l’Internet, des connexions haut débit, des appareils nomades et des réseaux sociaux auprès de leurs concitoyens. Devant profiter de cette dynamique, la diffusion du e-learning et des Moocs était également annoncée comme « massive ». L’étude menée par l’OCLC montre que 48% des américains connectés âgés de 16 ans et plus ont déjà bénéficié du e-learning sous des formes diverses et pour des apprentissages variés. Le cas particulier des Moocs est un peu en retrait puisque 22% (seulement ?) de la population décrite ont déjà suivi un cours en ligne en vue de l’obtention d’un crédit universitaire et que le taux de complétion d’un cours serait inférieur à 10% des personnes initialement inscrites. Globalement, les bénéficiaires du e-learning sont satisfaits de leur expérience. Pour 51% d’entre eux c’est le caractère pratique[2] de ces enseignements qui en fait l’intérêt vient loin derrière la possibilité de développer ses connaissances (17%) puis d‘apprendre à son propre rythme (16%). Les résultats de l’étude évoquent un avenir radieux pour le e-learning qui devrait s’implanter durablement dans les pratiques des internautes de demain.

A la suite de ces considérations encore difficilement transposables au contexte français, le rapport se penche sur la perception qu’ont les usagers des bibliothèques et sur la construction de l’image ou de la « marque » bibliothèque. Sujet que les équipes de l’OCLC étudient depuis longtemps dans des rapports toujours passionnants, citons principalement :

De Rosa, Cathy; Cantrel, Joanne and Carlson, Matthew. Perceptions of Libraries:  Context and Community. OCLC, 2010.
De Rosa, Cathy; Cantrel, Joanne and Cellentani, Diane. Perceptions of Libraries and Information Resources. OCLC, 2005.

Dans le chapitre 3 du rapport intitulé « Libraries : The Brand », les auteurs s’interrogent sur le paysage concurrentiel des bibliothèques bouleversé par l’arrivée – massive, on l’a dit – du e-learning dans les pratiques quotidiennes des internautes.  Premier constat, l’image des bibliothèques reste profondément associée aux livres. En 2005, 69% des internautes américains déclaraient que la première image à laquelle ils associaient les bibliothèques était « les livres »[3]. Cette part est montée à 75% en 2014. Il semblerait que, paradoxalement, plus s’étend l’océan informationnel des ressources numériques, plus l’image des bibliothèques se cristallise autour du livre (papier !) et ce, malgré les budgets croissants consacrés à l’acquisition des ressources numériques : les bibliothèques publiques et académiques ne bénéficient nullement de cette évolution de leur offre.

Parallèlement à cette cristallisation, qu’on pourrait aussi décrire comme une crispation, les auteurs du rapport ont mesuré un changement de l’attachement sentimental des usagers aux bibliothèques, notamment chez les plus âgés, et d’un certain dédain, notamment chez les plus jeunes. Ainsi, alors qu’en 2005 l’idée d’une bibliothèque d’abord associée aux livres est prégnante, les jeunes évoquent aussi dans leur discours la poussière, l’ennui, le silence. Il semblerait que les jeunes interrogés lors de l’étude de 2014 citent toujours les livres comme première image, mais associée cette fois aux espaces, à un lieu où il fait bon lire et travailler. Parallèlement, les plus âgés qui exprimaient un fort attachement nostalgique aux livres en 2005, délaissent la mélancolie pour évoquer – eux aussi – la bibliothèque comme lieu. Ce rapprochement des perceptions des plus jeunes et des plus âgés est bien illustré par ce schéma :

Texte alternatif pour l'image
Youth and seniors : converging sentiments

Chez les étudiants, s’associe à cette idée de bibliothèque comme lieu, celle d’un endroit où on peut faire ses devoirs : “A place where you can get books, or do work on the computers.” “A quiet place to study up for major exams.” “A place where you can go to check out books, do research, study and read.”

Forts de ces constats, les auteurs insistent sur le hiatus qui risque de s’installer entre des internautes s’essayant de plus en plus à l’apprentissage en ligne et des bibliothèques perçues comme des réservoirs à livres …La marque « bibliothèque » perd ainsi de plus en plus de sa pertinence dans un environnement concurrentiel en plein bouleversement.  Finalement, être associées aux livres  est-il encore un concept porteur pour les bibliothèques? Ne faut-il pas – à tout prix – changer d’image avant que la marque « bibliothèque » ne soit déclarée complètement obsolète, notamment pour les armées d’e-apprenants que l’étude nous promet ?

Le chapitre suivant est consacré à la perception des bibliothèques dans le contexte de la vie universitaire et de l’offre de services présente sur les campus américains. Une carte heuristique est proposée à la suite d’une enquête menée auprès de parents d’étudiants et d’anciens étudiants.  Dans cette carte mentale qui cartographie l’ensemble de l’offre présente sur les campus (voir page 62 du rapport), nous nous focalisons ici sur la place des bibliothèques. De façon significative par rapport au reste des services offerts, ces dernières sont l’endroit qui facilite le plus la réalisation des travaux universitaires, celui qui fournit l’accès à des outils et des équipements permettant de réaliser ces travaux universitaires et, enfin, la bibliothèque universitaire fournit une information actuelle et pertinente ainsi que l’accès à de la documentation historique.

Texte alternatif pour l'image
Perception des bibliothèques dans le contexte de la vie universitaire et de l’offre de services présente sur les campus américains

Cette analyse propre au contexte des campus américains est intéressante et mériterait d’être menée dans le contexte hexagonal.

Suivant l’objet de leurs travaux, les auteurs du rapport se sont demandés quelle était la place des BU pour les e-apprenants.  14% des étudiants sont allés en bibliothèque pour accéder à des ressources de e-learning, 28% y ont accédé via le site de la bibliothèque et 12% se sont adressés à un professionnel pour y parvenir, enfin, 7% ont fait appel à un service de référence en ligne proposé par la bibliothèque. En conclusion de ce chapitre, on apprend que les e-apprenants aimeraient que les bibliothèques soient le lieu où ils puissent trouver de l’information sur et des accès aux enseignements en ligne.

En conclusion, il est rappelé que les e-apprenants reconnaissent aux bibliothèques la capacité qu’elles auraient à les accompagner dans l’identification et l’accomplissement de leurs objectifs pédagogiques. Or les perceptions que les usagers ont de la bibliothèque font l’impasse sur cette offre de service qui est bien souvent oubliée. Pourquoi les e-apprenants ne font-ils que très rarement appel aux services de la bibliothèque pour accéder aux cours en ligne ? Simplement parce qu’ils n’y pensent pas « It didn’t cross my mind.”

« La pertinence d’une offre tient à la perception que les usagers en ont, pas au produit lui-même » répètent à l’envi les auteurs en conclusion en incitant les bibliothèques à tout faire pour changer leur image. Elles n’ont pas un problème de produit, elles ont un problème d’environnement ! Pour les auteurs, les bibliothèques bénéficient d’une situation stratégique idéale qui leur permettrait de se positionner dans l’écosystème en construction de l’apprentissage en ligne. Il faut en saisir dès aujourd’hui l’occasion en communiquant sur l’offre et l’expertise des bibliothèques en matière d’accès et de facilitation vers les ressources pédagogiques en ligne car la demande est forte et ne fera que croître dans les années à venir.

Ce rapport est précieux à plus d’un titre. Même s’il présente un contexte relativement éloigné du contexte français et de l’appétence actuelle des internautes et des étudiants à avoir recours aux Moocs et autres sites d’apprentissage en ligne, il présente des tendances que l’on perçoit déjà dans l’hexagone dont il est important dès à présent de se saisir. Le rapport de 112 pages, richement illustré de graphiques et d’infographies séduisantes enchaîne état des lieux, constats, résultats d’études et vision prospective de l’avenir en concluant sur des solutions concrètes à mettre en œuvre pour replacer les bibliothèques au cœur de la mêlée dans un environnement concurrentiel en plein bouleversement.

 

[1] Mooc, en anglais : massive open online cours. Une traduction française a été proposée : formation en ligne ouverte à tous (FLOT)

[2] En anglais « convenience »

[3] Dans une étude récente publiée par B. and M. Gates Foundation : La perception des avantages offerts par les TIC dans les bibliothèques publiques en France : le point de vue des usagers, « lire/emprunter des livres » est considéré comme le service le plus important par 96% des répondants français âgés de 15 ans et plus (94% des répondants de l’UE).

[4] Dans une étude récente publiée par B. and M. Gates Foundation : La perception des avantages offerts par les TIC dans les bibliothèques publiques en France : le point de vue des usagers, « lire/emprunter des livres » est considéré comme le service le plus important par 96% des répondants français âgés de 15 ans et plus (94% des répondants de l’UE).
http://www.bpi.fr/modules/resources/download/default/Professionnels/Documents/FRANCECross-EuropeanLibrariesSurvey.pdf

Bibliothèque en évolution ?

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Le fil des récentes dépêches les plus lues deLivresHebdo[1] dessine mine de rien une réflexion sur l’avenir des bibliothèques.

D’un côté Jacques Attali fustige la vision rétrograde des gens du livre qui ont transformé le projet de TGB numérique en une BNF antédiluvienne et mal commode[2]. Sa vision de l’évolution du petit monde de l’édition en France est stimulante. Mais rien sur le rôle de la bibliothèque dans la publication en Accès ouvert[3] (la réussite de Couperin me semblait pourtant notoire !), dans la formation des élèves et des étudiants et dans l’accès universel à des ressources documentaires sur tous supports neutres et pluralistes. Etrange paradoxe : la partie de l’élite académique qui voulait tant « sa » bibliothèque, sans doute la même qui reste scotchée au cours magistral[4], à la culture du cuit contre celle du cru[5], se rue vers un numérique mal maîtrisé où la bibliothèque n’aurait plus qu’une place résiduelle, façon CDI. Sur le fond, on pourrait penser que l’appropriation de la bibliothèque par le peuple, politique suivie avec une constance cahotante depuis 1945, en a fait une institution obsolète pour cette partie de l’élite qui estime, péremptoire, que tout est sur le net.

De l’autre explose la colère des bibliothécaires français participant au congrès de l’IFLA orphelins de leurs (trop ?) nombreux ministres de tutelle[6]. Légitime en termes de savoir-vivre institutionnel, elle révèle aussi, qu’ils restent collectivement, malgré des initiatives individuelles remarquables, encore trop dans l’attente, voire dans l’ombre, d’une prescription de l’Etat, des collectivités voire des syndicats, qu’ils pourront par ailleurs contester. Or c’est la prescription des usagers, qui doit guider leur action. Les bibliothécaires doivent anticiper une hypothétique réforme de l’Etat qui n’aura pas la bibliothèque comme centre d’intérêt premier et donner un libre cours bien plus grand à leur capacité d’initiative qui est sans doute l’une des formes que prend la liberté d’entreprendre dans la fonction publique

Notre précédente contribution Ouvrir pour faire société : la bibliothèque reprogrammée[7] développe de manière plus approfondie le rôle de la bibliothèque, institution pilier d’une société démocratique à l’ère du numérique. L’extension des horaires samedi et dimanche et au moins 70h par semaine représente le premier pas d’une reconquête de publics disparus ou orphelins, corroborée par l’annonce de l’ouverture des musées 7 jours sur 7[8]

La campagne pour la large ouverture des bibliothèques doit se poursuivre et ne pas tomber dans les oubliettes du conformisme de l’obstacle insurmontable de la technostructure. Mais les bibliothécaires ne sauraient se contenter de cette modeste avancée. Affirmer avec force et constance le bibliothécaire dans le rôle de médiateur, de décodeur, de décrypteur de la culture informationnelle constitutive de la citoyenneté à l’ère du numérique et ouvrir le débat sur le modèle économique et la gratuité de la bibliothèque nous semblent des priorités. Ces thèmes pourraient faire l’objet de prochaines contributions

L’avenir de la bibliothèque dépend beaucoup de celles et ceux qui l’animent, usagers comme professionnels

[1] In : LH du 23/08/2014

[2] In : Blog de Jacques Attali Amazon, et après ?

[3] In : Blog Marlene’s Corner Quels changements pour les BU quand l’OA primera ?

[4] In : Le Monde du 28/08/2014 La classe résiste magistralement

[5] In : Rapport Miquel sur les BU, Documentation française, 1990

[6] In : Livres Hebdo Des bibliothécaires en colère

[7] In : Contributions BBF en ligne du 17/06/2014 Titre inspiré par l’article The library reboot  (le redémarrage de la bibliothèque) de Richard Monastersky  in : Nature du 27/03/2013

[8] In : Le Monde du 25/07/2014

Numalire

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Introduction et contexte

Les moyens dont disposent les bibliothèques pour conduire leurs programmes de numérisation du patrimoine qu’elles conservent, sont rarement à la hauteur des enjeux. Dans ces conditions, faire appel aux ressources financières des internautes peut sembler être une solution opportune. Certaines bibliothèques dans le monde font déjà appel à leur travail, à leurs connaissances, à leurs compétences, ou à leur créativité pour indexer (folksonomie), numériser (Europeana 1914-1918, par exemple) ou corriger l’OCR (projet TROVE de la Bibliothèque Nationale d’Australie, projet Ozalid entre la Bibliothèque nationale de France, Orange, Jamespot, Urbilog, I2S, ISEP, INSA Lyon, Université Lyon 1 - LIRIS, Université Paris 8 etc.). On parle de crowdsourcing, c’est à dire d’externalisation de certaines tâches bibliothéconomiques auprès de la foule des internautes. En retour de leur participation, les amateurs bénéficieront de développement personnel, de distraction, de jeu, d’autopromotion, ils pourront satisfaire leur soif d’altruisme ou, parfois, recevoir des gratifications sous la forme de cadeaux ou d’argent, obéissant tantôt à des motivations intrinsèques, tantôt à des motivations extrinsèques (Andro, 2014). Le crowdfunding, ou financement participatif, est une forme de crowdsourcing qui fait plus spécifiquement appel à la générosité des internautes. Mais, bien loin de s'adonner à une mendicité institutionnelle (Ayres, 2013), il s’agit, pour les bibliothèques, de s’inscrire dans un nouveau modèle de collaboration avec leurs publics et de centrer leurs politiques documentaires non plus exclusivement autour de leurs collections mais autour de leurs usagers individuels appelés à participer à la valorisation du patrimoine et à mieux faire vivre les collections, la bibliothèque numérique devenant ainsi une co-construction.

La numérisation à la demande grâce à des financements participatifs permet aux bibliothèques ne disposant pas de service de reproduction numérique d’en offrir un, de qualité professionnelle, à un public élargi et de lui permettre d’accéder, en particulier, à des documents difficilement accessibles. Elle peut permettre aussi de moderniser ou de remplacer des services de prêts entre bibliothèques vieillissants. Au-delà de la demande d’un simple soutien financier, les bibliothèques offrent ainsi un service nouveau sans avoir à en supporter le coût, enrichissent leurs bibliothèques numériques, et ouvrent, au grand public, leur politique documentaire d’identification et de sélection des ouvrages qui, au sein du patrimoine documentaire qu’elles conservent, méritent d’être numérisés. Ainsi, les bibliothèques s’ouvrent également à des possibilités de collaborations avec des mécènes ou des investisseurs qui pourraient être intéressés par la possibilité de financer la numérisation de tel ou tel titre susceptible de générer, en retour sur investissement, un trafic web parfois important. Ainsi, l’argent public pourrait davantage se concentrer sur la numérisation de documents d’intérêt scientifique ou patrimonial non susceptible d’être prise en charge par le grand public et par les entreprises. D'après (Chamberlain, 2010), 91,8% des universitaires de Cambridge sondés dans le cadre d’une étude sur la faisabilité de la mise en place d’un service de numérisation à la demande, seraient intéressés par un tel service et 65,5 % d’entre eux le seraient également par un service d’impression à la demande.

En France, dès 1997, une expérimentation a été lancée, en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France sous le nom de “Le livre à la carte” (Libris Editions) afin de proposer la réimpression d’ouvrages sous la forme de fac-similés. Elle généra 140 commandes sur 3 mois. Deux ans plus tard, la société Librissimo (devenue Phénix Editions lors de son intégration par Alapage, France Telecom), en partenariat avec la Bibliothèque Municipale de Troyes et avec l’aide d’un atelier de numérisation in situ, proposera le même service pour un coût de 3 à 4 francs par page. Avec cette initiative pionnière qui engendra une centaine de commandes par mois début 2001 (Delcourt, 2011), la prestation de numérisation restait indissociable de celle de l’impression d’un fac-similé. Quelques années plus tard, Juan Pirlot de Corbion, fondateur de Chapitre.com expérimenta, avec la Bibliothèque nationale de France, l’export d’une grande partie de son catalogue sur un portail commercial afin de permettre la numérisation à la demande de tel ou tel document par les internautes. Mais ce projet a finalement été abandonné, victime de son succès : le nombre de demande de devis et de descriptions matérielles de documents était très important et coûteux en temps de travail pour un trop faible taux de demandes de devis qui se concrétisaient par la commande de numérisations, les internautes ayant parfois changé d’envie ou d’avis à la lecture du devis. Enfin, plus récemment encore, en mars 2011, les Amis de la Bibliothèque nationale de France ont remis en place ce type de service sur la base de listes de titres proposées par la BnF et par des internautes, avec une moyenne de plus de 7 numérisations par mois pour un prix moyen de 196 €, après déduction fiscale[1].

En dehors des initiatives américaines Maine Shared Collections Strategy et de revealdigital.com visant à permettre le financement de la numérisation des trésors cachés des bibliothèques, à l’échelle européenne, le réseau européen Ebooks on Demand (EOD) piloté par la Bibliothèque universitaire du Tyrol propose un service mutualisé de numérisation à la demande moyennant une cotisation annuelle des bibliothèques de 1000 € environ pour la coordination, l’administration, l’OCR, l’assistance, l’accès à la plateforme de paiement et sa maintenance. En France, la Bibliothèque Inter-Universitaire de Santé (BIUS) et la Bibliothèque Nationale Universitaire de Strasbourg (BNUS) y participent parmi 40 bibliothèques de 12 pays d’Europe. Les bibliothèques participant au réseau peuvent ajouter des boutons dans leurs OPAC vers EOD. En France, elles peuvent désormais également le faire depuis leurs notices dans le catalogue national SUDOC. La numérisation est généralement réalisée par les ateliers internes des bibliothèques. Entre 2007 et 2011, d’après S. Gstrein en 2011, près de 5000 livres ont ainsi été numérisés, 1 million de pages scannées, pour près de 2500 lecteurs dans le monde. Les bibliothèques les plus importantes bénéficient ainsi de 250 à 350 livres numérisés par an chacune, soit environ une commande par jour de travail. Le prix moyen est d’environ 50 €. En général, la commande coûte 10 € forfaitaires auxquels s’ajoute une somme de 0,15 à 0,30 € par page. La majorité des commandes oscillent entre 20 € et 49 € par livre. Seulement 20 % d’entre elles dépassent 50 €. D’après (Mühlberger, 2009), pour un livre de 250 pages, le prix de la numérisation d’un livre peut osciller entre 30 € et 130 €. Le prix moyen d’un livre en 2009 était de 53 €. Ces coûts relativement compétitifs peuvent s’expliquer par le fait que les bibliothèques qui financent les ateliers de numérisation, ne répercutent pas aux usagers l’intégralité des coûts, notamment en personnel. Si la bibliothèque en a fait le choix, les livres électroniques sont envoyés vers Amazon Boosurge accompagnés de métadonnées et d’ISBN afin de pouvoir être commandés sur Amazon sous la forme de Print on Demand (POD).

L’impression à la demande obéit à une philosophie voisine de la numérisation à la demande dans la mesure où elle replace le public au centre de la politique des bibliothèques et où elle favorise une collaboration entre intérêts publics et privés. En effet, ces dernières années, les éditeurs comme les imprimeurs ont constaté une tendance à la baisse du nombre de tirages. Dans le même temps, et en particulier depuis 2002, est apparu un nouveau modèle économique : le Print on Demand. Ce modèle économique consiste à imprimer en flux tendu en fonction de la demande et quasiment en temps réel. Il permet de ne plus avoir à prévoir à l’avance de nombre d’exemplaires qui devraient être vendus, de limiter ainsi les risques de surproduction, de ne plus connaître d’invendus, et surtout de ne plus avoir à gérer des stocks coûteux en personnel, en conservation et en loyers mais aussi les coûts liés aux transports et à la logistique de la chaîne du livre. Comme le signale très justement S. Klopp en 2014, “pour le secteur de l’édition dont le modèle économique traditionnel est basé sur un modèle « juste au cas où » (constitution de stocks selon l’anticipation de la quantité de ventes attendues), le passage au « juste à temps » par le biais de l’impression à la demande constitue un bouleversement en profondeur”.

Le coût de production d’un exemplaire avec le Print on Demand demeure supérieur à l’impression traditionnelle Offset, mais il ne faudrait, d’après W. C. Dougherty, que 2 jours pour obtenir 30 000 exemplaires quand il faudrait 2 semaines selon un mode de production plus traditionnel. Le Print on Demand permettrait aussi de mieux satisfaire les besoins de populations parlant des langues variées, dans le cadre de sociétés de plus en plus multiculturelles. D’après W. C. Dougherty, la production de livres selon le mode traditionnel a connu une croissance de seulement 1 % en 2007, soit 276 649 nouveaux titres. Pour sa part, la production de livres sous la forme de Print on Demand est passée de 21 936 titres en 2006 à 134 773 en 2007. Entre 2002 et 2007, selon ce même auteur, la croissance des titres selon le mode traditionnel n’a été que de 29 % tandis qu’elle a été de 313 % pour le Print on Demand. Et, pour la première fois, aux USA, davantage de livres imprimés ont ainsi été produits avec ce modèle.

Ce modèle économique devait nécessairement rencontrer les préoccupations des bibliothèques en matière de numérisation. Les oeuvres libres de droit ou orphelines de tout ayant droit, notamment indisponibles[2], vont pouvoir ainsi, après avoir été numérisées, c'est-à-dire après avoir été converties du support papier au support électronique, « ressusciter » sur support papier et être à nouveau vendues comme des fac-similés brochés. La vente en ligne sous la forme de Print on Demand a aussi pour vertu d’accroître la visibilité des collections sur le web, de générer du trafic web et est donc susceptible d’en augmenter le nombre de ventes. Dès le 23 mars 2009, un partenariat a ainsi été conclu entre Amazon BookSurge et la bibliothèque de l’Université de Cornell (USA). Ce partenariat porte sur la possibilité offerte par Amazon de produire et de commercialiser des imprimés brochés à la demande à partir des livres numérisés par la bibliothèque en échange du versement d’une part des bénéfices réalisés. En février 2010, la Bristish Library annonçait, quant à elle, que 65 000 livres numérisés du domaine public seraient vendus sous forme de Print on Demand sur Amazon BookSurge. En octobre 2010, la Bibliothèque du Congrès en annonçait 50 000. En France, en mars 2011, la Bibliothèque nationale de France signait un accord pour l’impression à la demande de près de 15 000 livres libres de droits avec le groupe Hachette Livre. L’impression à la demande en bibliothèque pourrait également se développer via l’Espresso Book Machine (EBM) largement déployée dans les bibliothèques américaines. Il s’agit d’une machine créée en 2006, commercialisée par la société OnDemandBooks, et qui permet d’obtenir un fac-similé sur place, en 5 minutes, parmi environ 8 millions de livres numériques provenant de Google Books, Internet Archive, Hathi Trust, Lightning Source, Gallica ou encore d’une bibliothèque numérique locale. Elle permet aussi d’obtenir une impression brochée de son propre fichier numérique, mémoire ou thèse par exemple. La production d’un livre imprimé de 400 pages coûterait moins de 10 € (Chamberlain, 2010), un coût bien inférieur à celui du prêt entre bibliothèques. Ainsi, tout en offrant un service nouveau à ses lecteurs, les bibliothèques pourraient bénéficier d’une nouvelle source de financements.

Présentation de l’expérimentation

La société YABé, fondée par Filippo Gropallo et Denis Maingreaud et soutenue par le Labo de l’édition, a lancé en 2013 une expérimentation de huit mois qui visait à numériser et rééditer à la demande des documents libres de droits conservés dans huit bibliothèques parisiennes[3] en proposant un partage du coût de la numérisation entre les internautes. Dans les prémices du projet, le retour sur investissement devait se faire à partir de la vente d’EPUB. Mais, au fur et à mesure des discussions avec les bibliothèques, la société YABé a finalement décidé de réaliser sa marge sur la numérisation et la vente de print on demand. Les documents numérisés par le crowdfunding ne sont donc pas vendus mais diffusés sous la marque du domaine public. L’idée de cette expérimentation était de tester ce modèle économique avant de l’étendre en France et à l’international si l’expérience obtenait de bons résultats.

L'expérimentation a commencé le 7 octobre 2013 avec le lancement du site web www.numalire.com, qui permet à un internaute de se procurer un exemplaire (numérique ou papier) d’un document indisponible sur le marché traditionnel et libre de droits. En recherchant sur internet un document, l’internaute aboutit sur le site www.numalire.com où sont agrégées des parties des catalogues des huit bibliothèques participantes au projet - au total, 500 000 notices de documents. Les internautes peuvent aussi accéder aux documents qui les intéressent à partir des catalogues ou sites web des bibliothèques ou encore via le moteur de recherche interne de Numalire. Une fois le document repéré, l’internaute s’authentifie et fait une demande de devis. Yabé retransmet la demande de devis à la bibliothèque concernée qui l’examine en analysant les points suivants : état matériel du document, complétude du document, possibilité juridique de le numériser au regard des droits d’auteurs, inexistence d’un exemplaire déjà numérisé en ligne…. En fonction de ces éléments, la bibliothèque valide ou non la demande de l’internaute dans les 48 heures et apporte une description matérielle du document : nombre précis de feuillets, format et angle d’ouvertures. Yabé transmet, le cas échéant, un devis à l’internaute. Une souscription s’ouvre ensuite sur le site de Numalire. L’internaute propose alors, en s’appuyant sur ses réseaux sociaux (Facebook, Twitter etc.), de partager le coût de la numérisation. Une fois le financement obtenu, Yabé engage le processus technique de numérisation en s’appuyant sur un prestataire spécialisé répondant au cahier des charges fourni par chacune des bibliothèques. Au terme du processus, un fichier est remis à chaque souscripteur ainsi qu’à la bibliothèque qui peut alors le diffuser sur ses supports de diffusion et l’archiver de manière pérenne. L’internaute peut aussi demander un fac-similé papier du document numérisé s’il le souhaite sous la forme de Print on Demand.

Avec cette expérimentation, Numalire a permis aux bibliothèques participantes de répondre de manière innovante à une demande réelle du public qu’elles ne pouvaient satisfaire faute de moyens financiers suffisants et de canaux de reproduction. Ce service gratuit pour les bibliothèques est doublement avantageux pour elles : il leur permet de compléter leurs bibliothèques numériques en faisant l’acquisition des fichiers financés par les internautes ; par le biais du commissionnement, chaque bibliothèque bénéficie d’un bon de 15 % du volume des pages numérisées à utiliser sur des opérations de numérisation ultérieures. Numalire permet également aux bibliothèques de découvrir des documents uniques dans leurs collections dont elles ne soupçonnaient pas l’existence. Enfin, c’est un moyen pour les bibliothèques de cerner la demande réelle du public et de pouvoir, à terme, réorienter leurs axes de numérisation.

Résultats

Durant les 8 mois de l’expérimentation, le site numalire.com a généré un trafic de 70 000 utilisateurs et de 115 000 pages vues. Parmi ces visiteurs 55 899 provenaient de France. Au total, ⅓ des visiteurs provenaient de Paris, ⅓ des autres régions de France et ⅓ de pays étrangers. Parmi ces pays, on trouve notamment la Belgique, le Canada, la Suisse, l’Italie, les USA, l’Algérie, l’Allemagne, le Maroc, l’Espagne… 91 % des visiteurs sont arrivés sur le site via un moteur de recherche, seulement 5 % via un lien direct, 3 % via les sites et les catalogues des bibliothèques et 1 % via des réseaux sociaux. Le trafic web a connu un pic de consultation en novembre 2013, puis une chute significative à partir de la mi-décembre, suite à un moins bon référencement par les moteurs de recherche, mais cette diminution n’a pas eu d’impact trop important sur le nombre de commandes. A compter du mois de janvier 2014, le taux de transformation (nombre de visites / nombre de numérisations) s’est d’ailleurs fortement amélioré.

En complément, Numalire a également mené une enquête de satisfaction auprès de ses utilisateurs en juin 2014. Cette enquête a été envoyée à 380 personnes avec un taux de réponse de 31 % (soit 118 réponses). Il s’avère que 70,59 % des répondants étaient des hommes, généralement de catégories socio-professionnelles supérieures (enseignants chercheurs, étudiants, cadres supérieurs, juge, universitaire, professeur, verrier). 51,43 % des répondants ont demandé un devis dans le cadre de leur travail. 72 % des internautes ont connu le site via un moteur de recherche et seulement 9,09 % via le site de leur bibliothèque.

Ce bilan très positif au regard de l’intérêt à la fois du public et des internautes - 97 % des personnes interrogées estimant que le service est utile ou très utile - est à modérer en raison du faible taux de devis ayant débouché sur une numérisation. En effet, sur 414 demandes de devis seuls 36 devis ont abouti au financement d’une numérisation, soit 11 % des devis traités. Bien que 25 % des demandes aient été déclarées non numérisables par les bibliothèques (documents déjà numérisés, sous droits, trop fragiles, incomplets ou manquants), ce nombre de demandes de devis aboutissant à une commande de numérisation reste trop faible au regard du temps de travail investi par les agents des bibliothèques. A raison en moyenne d’une demi-heure de traitement par demande de devis,  207 heures de travail collectives réparties sur l’ensemble des bibliothèques ont été investies dans cette expérimentation depuis le mois d’octobre 2013. Ce temps de travail, parfois considéré comme relativement ingrat, aurait toutefois été fourni dans le cadre de préparation de programmes de numérisation.

Les demandes de devis ayant donné lieu à transformation en commande réelle ont concerné principalement des documents ayant un petit nombre de pages et ont été prises en charge par un seul souscripteur, ce qui semble indiquer que le coût unitaire de la numérisation est trop élevé et que la logique participative qui devait permettre la réduction de ce coût par souscripteur fonctionne encore assez mal. Ces financements collectifs ne représentent, en effet, que 14 % du total. Il apparaît donc nécessaire de mieux communiquer sur cette logique participative pour espérer sa mise en œuvre ou y renoncer, et ainsi réduire nettement le coût unitaire de numérisation. Cet inconvénient est confirmé par les chiffres de l’enquête ménée par YABé puisque 48 % des répondants estiment que le coût de la numérisation est trop élevé. Parmi ces personnes, 66,67 % jugent que le coût de la numérisation est trop élevé pour une personne seule ou doutent de l’issue de la souscription, 16,67 % jugent qu’il est trop cher pour ce que c’est et 16,67 % qu’il est trop cher par rapport au prix des bouquinistes où l’original papier peut être acheté. Parfois, les internautes qui sont invités à souscrire par un premier souscripteur comprennent mal le fonctionnement du service : le partage de la souscription est jugé trop compliqué pour près de 20 % des répondants. Les résultats encore insuffisants du nombre de partages de souscriptions s'expliquent par le caractère innovant de ce type de service. Les internautes doivent encore s’approprier le mode de fonctionnement de Numalire avant de tester des fonctionnalités[4] plus avancées de partage de souscriptions par des communautés d’intérêts qui n’ont pas encore été suffisamment touchées dans le cadre de l’expérimentation.

Afin de compléter le bilan de son expérimentation, YABé a souhaité recueillir l’avis des bibliothèques participant au projet. Au lancement du projet, les réticences ont été assez nombreuses. “Il reste peu à numériser”, “Il n’y aura pas de demandes”, “Ce projet n’est pas prioritaire”, “N’y a-t-il pas un risque à ce que le privé se substitue aux bibliothécaires et aux financements publics ?” : voici quelques-unes des phrases qui sont souvent revenues lors des entretiens téléphoniques de juin 2014. Mais, face au manque de budget et d’atelier de numérisation, sous l’impulsion parfois de leur hiérarchie, les bibliothèques sollicitées par YABé ont fini par se dire qu’elles n’avaient “rien à perdre”, et, par se lancer dans l’expérimentation. Au cours de celle-ci, les avis ont évolué et maintenant, certains bibliothécaires proposent ce service à leurs lecteurs !

Tout en pointant les échecs et limites rencontrés (peu de financements collectifs, prix trop élevés, délais assez longs pour obtenir les fichiers, concurrence d’autres projets de numérisation à la demande…), la plupart des bibliothèques souhaitent continuer à participer à ce projet surtout si des perspectives d’évolution sont envisagées.

Conclusion et perspectives

Dans un contexte où l’identification de documents méritant encore d’être numérisés devient plus difficile après les campagnes de numérisation de masse lancées par de grandes institutions et de grandes multinationales, et alors que de nombreuses bibliothèques ont été contraintes, faute de moyens, ou ont fait le choix d’externaliser la numérisation de leur patrimoine à des prestataires, la mise en place d’un service de numérisation à la demande sous la forme de crowdfunding, c’est à dire via l’externalisation du financement auprès des internautes, est particulièrement opportune. L'ambition de Numalire est de doter chaque bibliothèque patrimoniale d'un outil structuré lui permettant de répondre favorablement à toute demande de reproduction d'un document libre de droits en le numérisant dans le respect du domaine public, c’est à dire, sous licence Public Domain Mark[5] afin d’en permettre le réutilisation la plus large et ouverte possible. La mise en place de cette collaboration entre bibliothèques, société privée et internautes, résulte d’une conduite du changement au sein des bibliothèques dont le personnel a progressivement été convaincu de sa faisabilité, de l’intérêt d’ouvrir leurs politiques de numérisation au public, et de collaborer avec des partenaires d’autres milieux socio-professionnels.

Afin de rendre la participation des bibliothèques au projet Numalire plus rentable au regard du temps investi par les agents, il apparaît toutefois important de trouver des solutions pour augmenter le ratio nombre de demandes de devis / nombre de commandes de numérisation. Pour augmenter ce ratio Numalire pourrait, par exemple, proposer un calcul automatisé du prix en se basant sur les informations bibliographiques contenues dans les notices des catalogues des bibliothèques - lorsque leur qualité le permet. Sur la base de statistiques tirées de l’expérimentation, la différence moyenne qui existe entre le dernier numéro folioté indiqué sur les notices bibliographiques conformément aux normes de catalogage et le nombre réel de feuillets pourrait être estimé, de la même manière que pourrait être lissés sur l’ensemble des commandes les sur-coûts liés aux ouvertures restreintes d’ouvrages. Ainsi, l’internaute saurait immédiatement quel est le prix de la numérisation et pourrait donc commander sans attendre un devis. Cette dernière étape ne consisterait plus, pour les bibliothèques qu’à donner leur accord, à vérifier la présence du livre en magasin et la possibilité juridique et technique de le numériser. Les coûts en temps de travail seraient donc considérablement réduits pour l’Etat et le ratio nombre de demandes / nombre de livres numérisés serait beaucoup plus élevé, ce qui améliorerait significativement l’intérêt du service.

Numalire pourrait changer de statut et adopter celui de fonds de dotation plus adapté à l'activité menée ce qui permettrait aussi une défiscalisation de 66 % à ses clients. Numalire pourrait travailler avec plusieurs prestataires pour bénéficier de conditions plus avantageuses. Il pourrait aussi être imaginé qu’un prestataire se déplace dans chaque bibliothèque avec son matériel portable de numérisation afin de permettre la numérisation in situ des documents non autorisés à quitter la bibliothèque. Le temps dévolu à l’opération de numérisation serait ainsi plus court et les documents à trop forte valeur d’assurance pour pouvoir être sortis des bibliothèques, pourraient ainsi être inclus dans le catalogue proposé par Numalire.

Afin de toucher un public plus grand, Numalire pourrait accroître son offre en s’ouvrant à d’autres types de supports (articles de périodiques dont la demande pourrait être forte et le prix de numérisation plus limité, manuscrits, estampes, sons, vidéos...), ainsi qu’à d’autres bibliothèques à l’échelle nationale et internationale dont les métadonnées, exposées et réutilisables de plus en plus librement, pourraient être moissonnées. Pour augmenter sa visibilité, Numalire pourrait être présent sur les catalogues en ligne des bibliothèques ou le catalogue national SUDOC à l’instar d’Ebooks on Demand.

Enfin, d’autres stratégies pourraient être développées par Numalire : solliciter des fondations et des mécènes ; mobiliser des communautés d’amateurs et d’érudits par une politique volontariste de community management ; associer les libraires qui, étant à la recherche de nouveaux marchés, pourraient se démarquer des enseignes web en suscitant des rééditions patrimoniales, en diffusant des souscriptions auprès de leurs clients et en mobilisant des communautés de lecteurs, renouant ainsi avec la tradition du libraire-éditeur autour de la réinvention de la souscription.

En mettant en oeuvre ces différentes stratégies, Numalire s’introduirait durablement dans l’éco-système du livre.

 

[1] D’après l’estimation calculée par les auteurs

[2] En droit français, un livre indisponible est un livre publié en France avant le 1er janvier 2001, qui ne fait plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur et qui ne fait pas l’objet d’une publication sous une forme imprimée ou numérique (Wikipédia)

[3] La Bibliothèque des Arts Décoratifs, la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, la Bibliothèque de l’Hôtel de Ville de Paris, la Bibliothèque Forney, la Bibliothèque de l’Académie nationale de médecine, la Bibliothèque Marguerite Durand, les bibliothèques de l’Institut National de la Recherche Agronomique et la Bibliothèque Sainte-Geneviève

[4] Pour information, ces fonctionnalités seront simplifiées dans une version ultérieure du service.

[5] http://creativecommons.org/publicdomain/mark/1.0

 

Bibliographie

1. Andro, M., Saleh, I. (2014). Bibliothèques numériques et crowdsourcing : une synthèse de la littérature académique et professionnelle internationale sur le sujet. Colloque International sur le Document Numérique, CIDE 17 (accepté, sous presse)

2. Ayres, M.-L. (2013) ‘Singing for their supper’: Trove, Australian newspapers, and the crowd. Paper presented at: IFLA World Library and Information Congress, 17 - 23 August 2013, Singapore. Traduit par Andro, M. (2013) “Faire appel à la charité” : Trove, les journaux australiens et la foule des internautes.

3. Chamberlain, E. (2010). Digitisation-on-Demand in Academic Research Libraries. 62 p.

4. Delcourt, T., Le More, H., (2001). Un nouveau service pour les lecteurs : la reproduction de livres à la demande à la bibliothèque de Troyes. Bulletin des Bibliothèques de France, 5 : 94-102.
5. Dougherty, W. C. (2009). Print on Demand: What Librarians should know. The Journal of Academic Librarianship 35(2):184-186.

6. Gstrein, S., Mühlberger, G. (2011). Producing eBooks on Demand - A European Library Network. 12 p.
7. Klopp, S. (2014). Numérisation et impression à la demande en bibliothèque : un panorama. Mémoire de Conservateur ENSSIB. 133 p.

8. Mühlberger, G., Gstrein, S. (2009). eBooks on Demand (EOD): a European digitization service. IFLA Journal 35(1): 35-43.

Médiathèque et médiation

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Interculturalité

Cet article[1] est le fruit d’une expérience d’une dizaine d’années au cœur de la communauté gitane. De par ma position de chercheur et de bibliothécaire, j’ai pu observer les évolutions du rapport de la communauté gitane sédentarisée de Perpignan avec une structure culturelle : la médiathèque.

« L’évolution qui se dessine dans l’approche de l’interculturel va dans le sens d’une mise en question de ces caractères d’universalité totale dans l’étude et la compréhension de l’humain. Structuré et constitué par les codes d’une culture, l’être ne peut être approché et compris que de manière biaisée à travers les modèles, les codes ... d’une autre culture. Il devient dès lors nécessaire de référer les phénomènes et les processus, non seulement à des lois et des caractéristiques universelles, mais aussi à des lois et des caractéristiques relatives à un contexte culturel. D’où une mise en relation de différentes sciences humaines avec l’ethnologie : ethno-psychanalyse, ethno-psychologie, ethno-sociologie ; ethnologie de l’éducation …[2] ».

Loin de l’ethnocentrisme, cette étude s’appuie sur l’ethnologie en ce sens qu’elle se fonde sur le recueil de données sur le terrain. Elle met en œuvre également les sciences de l’information et de la communication. Pour comprendre cette communauté, il convient dans un premier temps d’étudier l’historique de l’implantation de la communauté gitane dans le quartier. Nous situerons la médiathèque qui est au cœur de l’interculturalité. Puis nous nous attacherons à parler des structures d’accueil qui favorisent l’appropriation de l’écrit. Enfin nous évoquerons la médiation grâce aux nouvelles technologies.

Communauté gitane de Perpignan dans l’Histoire

Depuis le XVème puis le XVIème siècle, venus de Grèce ou d’Espagne, les Gitans s’installent dans le Roussillon[3].

« En 1788, Charles III meurt et, l’année suivante, commence la Révolution Française. C’est à ce moment-là que des familles gitanes en provenance de Barcelone et du reste de la Catalogne Sud des Pyrénées vont arriver à Perpignan[4]. »

Consécutivement aux mesures d’expulsion des Gitans de la Catalogne Sud, les « gitanos » investissent Perpignan et les alentours bien qu’en France ou « Catalogne Nord », ils soient également victimes de nombreuses « tracasseries administratives »[5]. En 1796 pour la première fois est mentionnée la présence de Gitans sédentarisés à Perpignan, la famille de Joseph Patrac. En 1814, la famille d’Antoine Baptiste s’installe. Les « Batista (devenus Baptiste) », les Cargol, les Ximenes sont déjà mentionnés alors, familles dont les descendants habitent toujours St Jacques aujourd’hui[6]. A partir du XIXème siècle, l’installation dans le quartier St Jacques à Perpignan est donc avérée mais également dans d’autres villes du département.

En 1898, on peut lire dans « Perpignan et le Roussillon » :

« Le marché aux bestiaux s’y tient les samedis. C’est, en conséquence, le rendez-vous des maquignons et des gitanos, très nombreux à Perpignan[7]. »

Au XXème siècle, la loi du 16 juillet 1912 impose aux gens du voyage, comme aux vagabonds, d’avoir un carnet anthropométrique. Ils doivent se signaler au départ et à l’arrivée d’une ville. Pendant la seconde guerre mondiale, cette situation empire : « Le décret du 6 avril 1940 interdit la circulation des nomades sur l'ensemble du territoire : les nomades doivent se déclarer à la gendarmerie et sont astreints à résidence. Vichy combat lui aussi le nomadisme[8]. » A partir de l’automne 40, les Tsiganes[9], nomades, vont être enfermés dans les camps notamment à Argelès-sur-Mer, Le Barcarès, Rivesaltes[10]. Certains seront déportés ou transférés dans d’autres camps[11].

Les Gitans de Perpignan ont connu pendant longtemps un semi-nomadisme de part et d’autre de la Catalogne en fonction des saisons et du travail. La population gitane sédentarisée depuis plus d’un siècle a d’abord travaillé en tant que « maquignons ou tondeurs d’animaux dans leur grande majorité[12] ». Puis, progressivement, les Gitans ont perdu ces emplois à mesure qu’ils disparaissaient. L’arrivée des minima sociaux a contribué également à la sédentarisation. La communauté, privée de travail, est paupérisée. Aujourd’hui, le taux de chômage est extrêmement élevé dans la région et la communauté gitane est majoritairement sans emploi[13]. Installés principalement sur deux lieux de la ville (cité du Nouveau Logis et quartier Saint-Jacques), les Gitans y vivent entre eux dans une identité forte revendiquée. Leur langue principale est le catalan, mâtinée de « kalò, d’origine indienne[14] ».

Médiathèque et médiation culturelle

La médiathèque[15] centrale de Perpignan se trouve en lisière du quartier St Jacques. Ce quartier, qui abritait jusqu’en 1980 environ[16], Catalans, Maghrébins et Gitans, accueille essentiellement aujourd’hui une forte communauté gitane même si les autres populations se retrouvent encore dans le quartier. Entre 1970 et 1980, un mouvement de départ a touché les non Gitans ou « paios » souhaitant obtenir de meilleures maisons. Puis, dans les années 90, une partie de la population maghrébine a quitté le quartier notamment car l’attente pour l’enseignement scolaire était grande, souligne le responsable des Actions Socio-éducatives, Stéphane Henry. Ce dernier travaille pour la Direction de l’Action Educative et de l’Enfance de la ville de Perpignan. Il connaît les habitants du quartier par leur prénom et appréhende parfaitement leurs différentes problématiques. Une autre raison de leur départ, rappelle-t-il, fut la recherche de maisons, le quartier ayant une forte densité de population et peu de possibilités de construction et donc d’agrandissement. La cohabitation avec les Gitans était également devenue difficile. Chaque identité et chaque culture étaient affirmées avec force.

La médiathèque implantée à la lisière du quartier travaille aujourd’hui avec ces populations. Il y a encore dix ans, il n’était pas rare de voir des provocations au sein de l’établissement. Les bibliothécaires se sentaient désarmés face à une communauté dont ils pouvaient méconnaître les codes. La population gitane, quant à elle, pouvait se sentir mal à l’aise avec les règlements et le fonctionnement d’une bibliothèque.

Les femmes, lorsqu’elles venaient au sein de l’établissement, apparaissaient parfois en chemises de nuit, comme elles peuvent se promener dans le quartier, et les enfants avec une culotte pour tout vêtement. Les toilettes servaient, à l’occasion, de salle de bain… Chacun toisait l’autre, le Gitan s’opposant aux « payous », celui qui n’est pas Gitan et le « payou » s’abritait derrière le règlement pour mettre le Gitan dehors.

En 2004, il m’a paru nécessaire de mettre en place un travail de médiation dans le quartier, dans une approche interculturelle dénuée d’ethnocentrisme. Il était capital d’analyser au plus près les besoins et les manques de cette population et de comprendre son mode de fonctionnement pour pouvoir l’accueillir dans les meilleures conditions à la médiathèque. Il fallait, pour ce faire, sortir des murs de la médiathèque, aller à la rencontre des habitants, des associations, du centre social.

Des entretiens que j’ai menés avec les habitants et les acteurs sociaux, il est ressorti un attachement fort pour ce quartier, une fierté d’appartenir à Saint-Jacques malgré les difficultés, notamment l’insalubrité de nombreux logements. Il s’est avéré logique de faire une exposition sur la mémoire du quartier car toutes les populations parlaient avec émotion du temps où les trois communautés vivant à St Jacques se côtoyaient sans difficulté. L’exposition « Mémoire du quartier St Jacques » a eu lieu du 19 mars au 15 avril 2005 à la médiathèque réunissant de très nombreux partenaires[17]. En effet, ce thème permettait de valoriser chaque culture, de la partager, de la faire connaître.

C’est grâce à l’intermédiaire du gardien de la médiathèque Robert Roca qui possède une excellente connaissance du quartier et de ses habitants, que j’ai pu rencontrer M. Gimenez dit « Boy », homme influent de la communauté gitane. Celui-ci convaincu de l’importance de cette exposition a donné son aval. Il était également conscient de la nécessité de faire découvrir la médiathèque différemment. « Boy » a ensuite parlé du projet à Mme Baptiste dite « Sant ». Nous en avons discuté ensemble. Puis les référents de la communauté ont parlé du projet autour d’eux, aux hommes pour « Boy », aux femmes pour « Sant ». Ce travail a duré six mois sur le terrain et n’aurait pas été possible sans l’accord de la directrice de la médiathèque Jocelyne Joussemet ni sans celui des personnes influentes de la communauté gitane M. Gimenez et son homologue féminin Mme Baptiste.

A l’occasion de l’exposition[18] qui s’en est suivie, des femmes gitanes conduites par « Sant » sont venues visiter la médiathèque et ont ainsi pu mieux appréhender le lieu en particulier l’espace jeunesse. Cette visite était primordiale. Elles pouvaient, par elles-mêmes, en prendre connaissance et décider ensuite, en faisant désormais confiance, de revenir avec les enfants ou de laisser les enfants venir à leur demande sans s’inquiéter. Des lectures à cette occasion ont été proposées aux mamans pour faire découvrir la salle du conte[19]. Elles ont été alors informées du fait que « l’heure du conte » était une pratique hebdomadaire. Nous leur avons signifié qu’elles étaient les bienvenues, seules ou avec leur famille, pour ce temps de lecture partagée.

Avait également été organisée, grâce à la Direction de l’Action Culturelle de la ville de Perpignan et à la directrice de la médiathèque, une exposition de photographies en noir et blanc de la communauté gitane de St Jacques par le photographe italien Giorgio Menegoni[20], au rez-de-chaussée de l’établissement, dans la salle d’exposition, attractive pour le public. A l’étage, ce sont des photographies confiées le temps de l’exposition par les différentes populations qui pouvaient également attirer, chacune se retrouvant au sein de l’établissement devenant ainsi le lieu de rassemblement de tous, le lieu de l’interculturalité. Des témoignages des habitants des différentes communautés avaient été également été recueillis et exposés sur l’histoire de St Jacques. A cette occasion, trois conférences ont été données par des spécialistes de la communauté ou de l’histoire du quartier[21] et un spectacle a eu lieu autour des Contes de Perpignan et d’ailleurs, contes lus par des habitants de Perpignan en français et en catalan. Un peintre gitan du quartier, Marcel Ville, lettré qui a constitué, à titre personnel, un dictionnaire du kalò, a été exposé. Ses tableaux reflètent la vie gitane, la tradition des gens du voyage mais également offrent un regard sur le paysage du Roussillon. Marcel Ville est régulièrement exposé dans d’autres villes de France.

Ce changement d’approche important a permis d’envisager un partenariat entre la médiathèque et la communauté gitane[22].

Le centre de préscolarisation

Les bibliothécaires de la section jeunesse interviennent désormais dans le centre de préscolarisation[23], structure passerelle vers l’école primaire mise en place à St Jacques et fonctionnant avec des animatrices gitanes ayant passé le BAFA[24]. Cette structure permet une « préscolarisation » pour les enfants gitans du quartier de trois à six ans. Reconnues par les familles, les animatrices sont fortement impliquées dans le travail auprès du tout-petit.

Il a été décidé que les enfants et leurs animatrices viendraient à la médiathèque, en section jeunesse, tous les quinze jours (sachant qu’un enseignant vient avec sa classe entre 4 et 5 fois par an uniquement car la demande est très importante). La régularité est fondamentale. De même, fréquemment, une bibliothécaire vient dans le centre de préscolarisation pour lire des histoires. La visite d’une bibliothécaire a aidé considérablement à sensibiliser les enfants et les animatrices aux livres et à la lecture. C’est ainsi qu’un climat de confiance s’est peu à peu instauré.

La traversée du quartier par les enfants peut être perçue comme compliquée pour les animatrices le rappelait Stéphane Henry. Il y a la peur du regard des autres, la peur d’une mauvaise rencontre, la peur de devoir mettre les enfants en rang et le « jugement » ensuite de la communauté car c’est une façon de faire « payou ». La venue d’une bibliothécaire sur le centre permet d’éviter ces problématiques bien présentes. Une carte collectivité[25] a été délivrée pour permettre le prêt de nombreux ouvrages pour une durée de trois mois. L’accès aux livres est ainsi facilité.

Tout ce qui est précieux étant souvent situé en hauteur dans la communauté, car les portes des maisons sont grandes ouvertes pour accueillir la famille, les livres prêtés étaient tout d’abord spontanément mis en hauteur par les animatrices, hors d’atteinte des enfants. Il a fallu les convaincre de mettre à disposition des petits les livres prêtés par la médiathèque. Il s’agissait pour les animatrices d’une grande marque de respect envers les livres et la structure culturelle. Dans les faits, l’enfant, quel qu’il soit, apprend rapidement, par mimétisme, à ne pas abîmer l’objet livre. Rassurées, les animatrices jouent désormais le jeu de la mise à disposition du livre.

Cette démarche vers le livre était une première étape difficile car le livre, l’écrit, représentent souvent un obstacle. En effet, la tradition gitane se transmet oralement. L’école est souvent considérée, en opposition à la culture gitane, comme le lieu de la culture « payou », éloigné de, voire contre, la tradition gitane[26]. La communauté vit en clan. Tout se fait en groupe (de la naissance à la mort). Les Gitans doivent se conformer à la règle implicite dictée par le clan.

Si une personne, puis deux, trois… approchent le livre, viennent à la médiathèque, la règle du clan peut évoluer, l’exception devenant la règle. Cependant l’oralité demeure importante.

De plus, la médiathèque est située à la lisière du quartier St Jacques. La notion de territoire, de frontière est très marquée par les animatrices comme par les enfants et l’ensemble de la communauté gitane. Aller jusqu’à la médiathèque est aussi une conquête de la frontière du territoire implicite de St Jacques. Le regard de la communauté rend cette frontière quasi tangible aux yeux de ceux qui la créent.

Projet d’école La Miranda : éducation interculturelle

« L’éducation interculturelle considère l’hétérogénéité comme une norme et non comme un handicap devant être compensé par des aides. De même, l’homogénéité, par la négation de la diversité ou par l’autoritarisme, peut être assimilée à de la coercition. (…) [L’éducation interculturelle] n’est pas un moyen pour compenser les inégalités, mais vise l’apprentissage de l’égalité dans la réciprocité. Elle permet de se décentrer pour éviter les préjugés inhérents à la différence culturelle et à son lien de causalité supposé avec l’échec scolaire. »[27] Forte de ce constat, l’école la Miranda va faire sienne cette éducation interculturelle suite à un événement dramatique survenu dans le quartier.

Le 22 mai 2005, un mois après la mise en place de l’exposition, un drame a bouleversé la ville. Un Maghrébin a été tué par une dizaine de Gitans suite à un acte de délinquance[28]. Les affrontements mettent alors la ville à feu et à sang pendant plusieurs jours[29]. Maghrébins et Gitans se sont alors opposés. Le 29 mai, les Gitans quittaient le quartier dans la nuit pour mettre fin aux hostilités.

Après ce regain de violence, une fois la paix retrouvée, l’école La Miranda a initié un projet d’école innovant. Aujourd’hui, il continue à être mené dans le quartier St Jacques, afin de lutter contre l’analphabétisme et l’illettrisme fort de la communauté gitane. La direction de l’école La Miranda et les enseignants sont volontaires dans cette démarche de transmission des savoirs à la communauté gitane et de son appropriation. La mise en place d’un projet en partenariat avec la Préfecture, l’ACSE[30] et la ville de Perpignan, ont permis de créer des postes à profil pour les enseignants, de constituer une équipe pluri professionnelle. Par exemple des animateurs peuvent intervenir en classe.

Le taux d’absentéisme de l’école était très fort, ainsi : « Sur l’année scolaire 2004-2005, ce taux oscille entre 50 et 80% le matin et 38 et 67% l’après midi[31]. »

Pour lutter contre ce phénomène, l’éducation nationale a décidé que les fondamentaux seraient enseignés matin et après-midi afin que les enfants ne venant que l’après-midi dans l’établissement ne décrochent pas du système scolaire. Il existe ainsi des classes de réguliers et d’irréguliers. Ce système, sans doute unique en France, s’adapte au mieux à la vie de ses habitants. La sur-occupation des logements, le chômage (les parents se couchent tard et peinent à se lever tôt) contribuent à l’absentéisme scolaire. Ce système de rattrapage l’après-midi permet de ne pas écarter l’enfant de l’apprentissage :

« Pour tendre vers ces objectifs nationaux, le projet scolaire doit non seulement considérer les réalités éducatives et linguistiques, mais doit de plus être perçu comme un facteur positif pour  l’identité et non porteur de sa disparition.

D’autant plus qu’un réel accès à l’écrit ne peut que générer des modifications profondes dans cette culture orale. »[32].

Depuis, des interventions sont également proposées aux parents au sein de l’école notamment sur le thème de la santé ainsi qu’un cours sur la nutrition, de nombreux problèmes de diabète touchant la communauté. La compétence des parents est aussi valorisée.

L’enfant est roi dans la communauté. Ses parents savent que son avenir est compromis. Sorti tôt du système scolaire pour se marier, le chômage étant aigu, le jeune adulte voit ses désirs arrêtés par une situation financière contraignante. Bientôt père, il doit à son tour s’occuper de ses enfants, cédant à leurs demandes pour les satisfaire dans ce court moment de l’enfance lié à l’insouciance[33].

Ainsi, au quotidien, il est parfois difficile aux mamans de refuser à leurs enfants ce qu’ils réclament comme par exemple un « kebab-frites » même à 10 h pour le goûter. Il est donc capital de travailler avec les mamans et les enfants sur la nécessité d’aller à l’école. A chaque rentrée scolaire, les parents sont conviés à venir dans l’école pour découvrir les locaux. Cette visite les rassure. Un ramassage d’enfants à pieds a été mis en place pour aider les familles qui le demandent et favoriser la scolarisation pour les enfants désireux d’apprendre. Mais avant tout, il faut que l’enfant en manifeste le désir :

« Au regard de ses capacités décisionnelles, la motivation de l’enfant sera déterminante dans sa fréquentation et son parcours scolaire. Elle tiendra donc grandement à la qualité de l’offre scolaire, mais aussi à la validation familiale et communautaire[34]. »

Un partenariat est né entre l’école la Miranda, école du quartier, et la médiathèque. Les accueils de classes sont plus nombreux. L’école demande, majoritairement, à la médiathèque des lectures en français. Il s’agit, en privilégiant la lecture en français, langue d’enseignement, de développer une meilleure approche de la langue et, ainsi, d’éviter le phénomène de ghettoïsation assez marqué. Les enfants, comme leurs parents, parlent un catalan loin du catalan normatif. Cependant les enfants gitans ne lisent pas le catalan. La médiathèque propose des lectures, comme des collections, en français ou en catalan.

Un élément important à prendre en compte est l’imaginaire. Le droit de fabuler est « mal vu » par les Gitans, le rêve, l’imagination peuvent être considérés comme du registre du mensonge. Les lectures, au premier abord, sont parfois perçues au premier degré, avec le risque que l’incompréhension s’installe.

Pourtant le plaisir du conte, des lectures des bibliothécaires, nourrissent l’imaginaire et sont source d’enrichissement du vocabulaire.

En dehors de l’école, la Casa des Petits située dans le quartier, est un lieu d’accueil parents-enfants. Les bibliothécaires de l’espace jeunesse peuvent être amenés à y faire des lectures. Des consultations avec une psychologue sont notamment proposées. A sa première visite, le clan a fait front, posant des questions, testant la psychologue. Depuis, elle reçoit régulièrement les personnes qui le souhaitent. Une deuxième psychologue a été engagée pour répondre à la forte demande.

Le travail avec le centre de préscolarisation, la Casa des Petits, avec l’école La Miranda puis enfin avec le collège Jean Moulin situé dans le quartier St Jacques favorise la médiation, la reconnaissance de part et d’autre. Les enfants, les enseignants, les bibliothécaires sont identifiés par tout un chacun. L’approche interculturelle favorise la confiance qui se bâtit peu à peu permettant d’aller plus loin dans l’échange.

Collège Jean Moulin : fin de la scolarité

Lorsque les enfants arrivent ensuite au collège du quartier, le collège Jean Moulin, il se produit alors un phénomène propre à la communauté : dès que l’adolescente est en âge de se marier, elle est retirée du système scolaire de peur qu’elle ne rencontre un « payou », de peur qu’elle ne perde sa virginité, crainte pour la réputation de la famille. Une jeune, même brillante, sera déscolarisée par sa famille et mariée selon les traditions gitanes[35]. Ce mariage intervient entre l’âge de 14 et 16 ans, la virginité avant le mariage est très importante. L’honneur de la famille est en jeu, sous le regard du clan. La cérémonie du « diklo » [36] perdure même si celle-ci, peu à peu, pourrait évoluer voire disparaître.

La crainte de l’exemple des « payas[37] », la crainte d’une relation qui romprait cette tradition de la virginité font que les chefs de famille retirent leurs filles du collège à l’âge de la puberté.

La médiathèque est utilisée parfois comme un lieu de rencontre discret entre Gitans adolescents, à l’abri du regard de la communauté, pour apprendre à se connaître, à s’apprécier comme n’importe quels adolescents loin du regard de leurs parents. Cependant le poids du clan est très fort, un individu ne peut exister sans le groupe et il doit, quelles que soient ses envies, respecter la tradition. Un garçon, de la même façon, aura du mal à continuer ses études. Il lui faut se conformer aux coutumes, aux règles du groupe, aussi se marie-t-il donc jeune. Ainsi, les jeunes Gitans décrochent rapidement du système scolaire pour respecter les codes du clan.

Il faut souligner également que la charge de travail au début de la 6ème peut effrayer certains enfants et les détourner du collège. La bande de copains, le rythme de vie, contribuent à l’éloignement progressif du collège.

D’une manière générale, la réussite scolaire fait peur car elle symbolise, dans les esprits, une possible réussite sociale qui éloignerait du clan. Or, l’important est de vivre avec l’ensemble de la famille, des enfants aux grands-parents. Il existe donc une forte « pression » sur les enfants pour qu’ils quittent le système scolaire afin qu’ils ne s’éloignent pas du clan.

Les questions de sexualité étant taboues dans la communauté, l’espace jeunesse de la médiathèque s’est doté d’un fonds documentaire important sur la sexualité et la maternité. Les jeunes filles deviennent mamans très tôt. A seize ans il arrive qu’elles aient déjà deux enfants. Dès qu’ils sont mariés[38], les jeunes gens doivent avoir des enfants pour cimenter le couple. Les documentaires choisis par les bibliothécaires de la section jeunesse sont illustrés pour permettre, si la jeune fille est illettrée, d’avoir néanmoins accès au maximum d’informations[39]. La réputation est très importante dans la communauté, le regard du clan est très présent. La médiathèque offrira des ouvrages pour se documenter sans avoir à demander à la famille.

Médiathèque aujourd’hui

A la médiathèque, depuis quelques années, le travail mené tant auprès de la préscolarisation, qu’à la Casa des Petits, à l’école de la Miranda, au collège Jean Moulin et bien sûr dans la structure culturelle porte ses fruits. La médiathèque est investie par la communauté gitane. Lorsqu’un papa vient à l’animation « bébés lecteurs[40] » par exemple, c’est une grande victoire pour l’équipe, les pères étant moins familiers que les mamans à la bibliothèque. Les pères sont souvent absents de la cellule familiale, le fait qu’ils viennent à la médiathèque est un grand changement dans les comportements.

De la même façon, l’espace jeunesse est largement investi. Des mamans gitanes viennent choisir leurs albums, une autre vient dessiner et nous offre ses dessins représentatifs de la vie gitane, d’autres viennent juste passer un moment au milieu de coussins en tissu en forme de bêtes colorées dans le coin pour les bébés.

Cependant il demeure des provocations pour tester les limites, se confronter à l’autre, à l’institution. Lorsque le gardien n’est pas là, cela se sait vite et des bandes d’enfants viennent défier les adultes, s’amusant dans ce grand terrain de jeu. Parfois, des jeunes mamans sont dans la provocation vis-à-vis de l’équipe. Munies d’un paquet de chips, un café à la main, ou le portable dans l’autre, parlant fort, elles cherchent l’affrontement. Manger, boire, ou téléphoner est interdit dans les sections mais possible sur les plateformes. Elles le savent. Il s’agit parfois d’une façon d’attirer l’attention pour des jeunes mamans en souffrance. Un relais auprès de l’assistante sociale ou de la psychologue de la Casa des Petits peut être fait pour qu’une écoute soit mise en place. L’équipe se trouve déstabilisée par ces situations, heureusement de plus en plus rares.

Informatique : un attrait fort

Les deux salles multimédia de la médiathèque, pour adultes et enfants, accueillent fréquemment un public en situation de grande pauvreté : des SDF de passage, des adultes au chômage depuis longtemps, des enfants n’ayant pas accès à un ordinateur et à internet à la maison. Les conflits sont fréquents dans ces salles. L’exaspération est latente. Les bibliothécaires doivent pacifier, apaiser, expliquer.

La mise à disposition de nombreux postes informatiques au sein de la médiathèque a constitué également auprès de la communauté gitane un formidable attrait. Pourtant souvent en difficulté avec la lecture, les jeunes et moins jeunes ont tout fait pour comprendre le fonctionnement de l’ordinateur et trouver des informations sur internet. Beaucoup recherchent par exemple des chanteurs aimés de la communauté, demandant une impression couleur de leurs idoles.

Des petits montrent fièrement les lettres sur le clavier de l’ordinateur démontrant leur situation d’apprentissage et leur volonté d’apprendre. Pour les enfants plus âgés, le jeu constitue une motivation pour se servir des ordinateurs comme n’importe quel autre enfant de leur âge. La maman accompagne parfois, avoue qu’elle n’y connaît rien comme souvent en matière de jeux n’importe quelle maman, et regarde son fils jouer. Maîtriser l’écrit, même un minimum, devient un enjeu pour se servir des ordinateurs.

Un Gitan du quartier, collégien brillant, fierté de sa professeur documentaliste, utilise régulièrement internet pour travailler. Des ressources en ligne comme « toutapprendre.com », par exemple, permettent de réviser le programme scolaire. Il subit cependant une forte pression de sa communauté pour sortir du système scolaire. La peur qu’il s’éloigne du clan est très forte.

Sinon le jeu, les vidéo en ligne, constituent, comme pour tout public, un attrait et un moteur pour gagner en autonomie, arriver à utiliser internet sans demander de l’aide, aller vers l’écrit autrement.

Depuis quelques temps, les familles gitanes se sont équipées en ordinateurs et en tablettes rendant la demande moins forte à la médiathèque. Ces équipements favorisent l’apprentissage de l’écrit tout en permettant de créer de nouvelles relations grâce à l’utilisation de réseaux sociaux.

Médiation à poursuivre

Cette recherche ethnologique en ce sens qu’elle est le fruit d’enquêtes menées sur le terrain, de nombreux entretiens, permet d’entrevoir la richesse et la complexité d’un territoire et la nécessaire démarche interculturelle pour pouvoir travailler sur une base de réciprocité. Le travail de médiation entrepris auprès de la population gitane sédentarisée de Perpignan est à la fois unique et enrichissant. En dépassant les frontières symboliques (portes de la médiathèque, structure culturelle, frontière du quartier), il a été possible d’entreprendre un travail de fond au sein de la structure comme de la communauté. Tout le travail entrepris n’aurait pu se faire sans une grande confiance mutuelle, ni l’accord des personnes influentes de la communauté, ni encore sans l’aide des personnes ressources, de leurs expériences auprès de la communauté gitane.

Peu à peu, nous voyons émerger les bénéfices du travail de fond entrepris. La scolarisation est un enjeu majeur sur le quartier. La préscolarisation, la Casa des Petits, la ludothèque, l’école La Miranda, le collège Jean Moulin travaillent dans cet objectif. L’alphabétisation se poursuit. La médiathèque est désormais vue comme un pôle ressource avec des livres certes mais aussi des animations, un accès à internet, des DVD. La communauté gitane se sent désormais plus légitime pour venir fréquenter la médiathèque, lieu identifié comme interculturel. Des mamans viennent prendre des livres, des enfants y passent leurs journées utilisant ses ressources, quelques papas fréquentent le lieu avec leurs fils, jeunes et moins jeunes utilisent internet. Une habitude s’est créée, une demande est née.

 

[1] Je tiens à remercier le professeur Pierre Molinier, en Sciences de l'Information et de la Communication, de l’Université Jean Jaurès à Toulouse et directeur-adjoint du LERASS (Laboratoire d'Études et de Recherches Appliquées en Sciences Sociales) qui m’a encouragée à écrire cet article.

[2] « Vers une problématique de l’interculturel » Claude CLANET, Maître-Assistant, U.E.R. des Sciences du Comportement et de l’Education, Université de Toulouse Le Mirail . in Homo, XXIV, Toulouse : Université Toulouse le Mirail, 1984, pp. 5-32

[3] Le livre des Gitans de Perpignan, Editions L’Harmattan, 2003, pp. 22-23.

[4] Id., p.22.

[5]«  En dépit des tracasseries administratives, la communauté gitane de Perpignan s’organise et donne son soutien aux nouveaux venus. » Id., p.30.

[6] Id., pp. 34-36.

[7] « Perpignan et le Roussillon » 1898 : Bulletin trimestriel du Syndicat d'Initiative du Roussillon

[8] http://aphgcaen.free.fr/cercle/tsiganes.pdf

[9] « Les dénominations attribuées aux Tsiganes et Voyageurs peuvent dénoter une origine supposée : c'est le cas en France de Bohémiens, terme apparu quand des groupes sont arrivés, porteurs de lettres du roi de Bohême. C'est le cas aussi de tous les termes dérivés d'« Égyptiens », comme le français Gitans, l'espagnol Gitanos, l'anglais Gypsies. Quant au terme Tsiganes, il est une étiquette – désignant, en Grèce ancienne, une secte hérétique de devins et de magiciens (Atsinganos) – qui a été collée au XIIe siècle sur des groupes nomades – les futurs « Tsiganes » – originaires de l'Est ; le terme Tsigane est sans doute le plus répandu dans le monde mais le moins chargé de connotations péjoratives (sauf en allemand, en raison de la stigmatisation qui, depuis la période nazie, s'attache au terme Zigeuner, ressenti comme péjoratif par les intéressés, qui lui préfèrent Sinto ou Rom). Dans la mesure où les groupes décrits n'ont pas de terme véritablement spécifique pour se désigner dans leur ensemble, on peut convenir d'utiliser celui de Tsigane. » http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Tsiganes/147588

[10]http://www.memoires-tsiganes1939-1946.fr/introduction.html http://memoire.du.camp.free.fr/page33.html

[11] « Les Tsiganes d'Alsace-Lorraine sont les premières victimes de l'Occupant qui les expulse, dès juillet 1940, vers la zone libre où ils sont progressivement internés dans les camps d'Argelès-sur-Mer, Barcarès et Rivesaltes avant d'être transférés en novembre 1942 dans le camp de Saliers (Bouches-du-Rhône) spécialement créé par le gouvernement de Vichy pour l'internement des Tsiganes. » http://depechestsiganes.blogspot.fr/2011/06/les-tsiganes-pendant-la-seconde-guerre.html

[12] Id., p.34.

[13] « Taux de chômage : 24,65% (moyenne nationale : 10,49%) » http://www.toutes-les-villes.com/66/perpignan.html ou 15,7 % dans les Pyrénées Orientales  http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=99&ref_id=t_0707D . « Complément d’enquête « Perpignan et les Gitans » sur France 5, le 25/11/2007, annonce le chiffre de « 80% de Rmiste, 80 % d’illettrisme ». Dans l’émission d’Irène Omélianenko « Sur les docks » sur France Culture, sur Perpignan et la culture, le 26.02.14, il est évoqué le chiffre de 28% de chômage selon les dernières données de l’INSEE. http://www.franceculture.fr/emission-sur-les-docks-%C2%AB-perpignan-la-culture-c-est-les-autres-%C2%BB-2014-02-26

[14] Le livre des Gitans de Perpignan, Editions L’Harmattan, 2003, p.149.

[15]  Le réseau des bibliothèques de la ville de Perpignan compte quatre structures.

[16] France culture « Les Gitanes de St Jacques » 11.09.2012. Reportage Inès Léraud, réalisation Delphine Lemer.

[17] Ont participé la ville de Perpignan avec différents services comme la Direction de la Culture, la Direction de l’Action éducative et de l’Enfance, le centre social Saint-Jacques, Saint Matthieu, La Réal et d’autres, l’inspection Académique (CASNAV-CDDP), le Collège Jean Moulin, l’Ecole La Miranda, l’Ecole Lavoisier, les associations tels l’AEFTI (Association d’Enseignement du Français aux Travailleurs Immigrés), l’ASET (Association de Scolarisation des Enfants Tziganes), l’Olympique Saint-Jacques/Champs-de-Mars, l’Association des Locataires des HLM du Puig, des Femmes de Saint-Jacques, le Club Cartophile Catalan, le Centre pluri-culturel perpignanais, la Casa Musicale , le Groupement des commerçants et artisans du quartier, l’Association Saint-Jacques Avenir, le Comité d’animation de la place du Puig, et enfin TV3, Jean-Paul Salles et Jean-Paul Escudéro, enseignants, Giorgio Menegoni, photographe, Marcel Ville, peintre, le Café Le Floréal.

[18] Exposition « Mémoire du quartier St Jacques » du 19 mars au 15 avril 2005.

[19] Salle fermée, ronde qui permet en section jeunesse de lire des histoires aux classes ou à tout public le mercredi après-midi, temps appelé « l’heure du conte ».

[20] Thème de l’exposition : « Les Rameaux à Saint-Jacques »

[21] « L’histoire de Saint-Jacques : de la paroisse au quartier » par Michèle Ross, directrice des archives de la ville, « Regard sur les musiques gitanes à Perpignan » par Jean-Paul Escudero philologue, spécialiste de dialectologie roussillonnaise et anthropologie linguistique, « La communauté gitane à Perpignan : données historiques et sociales » par Jean-Paul Salles, enseignant.  

[22] Aujourd’hui ce travail continue avec l’aval du nouveau directeur du réseau des bibliothèques de la ville de Perpignan, Denis Granier-Saez.

[23] « émergent à Saint Jacques et au Nouveau Logis des structures de pré scolarisation au début des années 90. » Cas d’école Scolariser les enfants gitans sédentaires de Perpignan, p.42.

[24] Le Brevet d'Aptitude aux Fonctions d'Animateur.

[25] Une carte collectivité est une carte permettant l’emprunt pour une collectivité d’un grand nombre de documents de la section jeunesse pour une période longue, trois mois à Perpignan.

[26] « Les relations parents/enfants, en termes de choix éducatif comme d’attitudes, sont fortement inscrites dans un mode de pensée dominant. L’absence de vécu de mixité culturelle, particulièrement en termes d’amitié, limite les possibilités de l’interroger. L’éducation paia est observée avant tout à travers les filtres médiatiques, essentiellement télévisuels. » Stéphane Henry in « Eléments de connaissance de la population gitane de langue catalane des quartiers Saint-Jacques et Nouveau Logis » Document interne Direction de l'Action Educative et de l'Enfance, mairie de Perpignan.

[27] http://ife.ens-lyon.fr/vst/DS-Veille/dossier_interculturel.pdf, p.12.

[28]http://www.leparisien.fr/faits-divers/meurtre-de-perpignan-reconstitution-sous-tension-08-08-2006-2007228295.php

[29]http://www.lepoint.fr/societe/perpignan-l-affaire-du-meurtre-a-l-origine-des-emeutes-de-mai-2005-devant-les-assises-14-06-2010-466382_23.php

[30]http://www.lacse.fr/wps/portal/internet/acse/accueil/!ut/p/c5/04_SB8K8xLLM9MSSzPy8xBz9CP0os3iTsGADI09LYwN3R39XA88ACyN_DzdfA29PM6B8pFm8AQ7gaEBAt59Hfm6qfkFuRDkAIvCDDg!!/dl3/d3/L2dBISEvZ0FBIS9nQSEh

[31] Cas d’école - Scolariser les enfants gitans sédentaires de Perpignan de Jérôme Huguet, Edition Les ateliers du Passeur, 2012.

[32] Stéphane Henry in « Eléments de connaissance de la population gitane de langue catalane des quartiers Saint-Jacques et Nouveau Logis ».

[33] « La recherche de satisfaction maximale des demandes de ses enfants, parfois y compris en tant que jeunes adultes, est une qualité demandée. De fait, les enfants obtiennent le plus souvent gain de cause, en termes de demandes matérielles comme de comportements. » Cas d’école - Scolariser les enfants gitans sédentaires de Perpignan, p.29.

[34] Stéphane Henry in « Eléments de connaissance de la population gitane de langue catalane des quartiers Saint-Jacques et Nouveau Logis » Document interne Direction de l'Action Educative et de l'Enfance, mairie de Perpignan.

[35] Le mariage gitan est l’union de deux êtres en dehors de toutes inscriptions aux registres de l’état civil (l’âge légal du mariage en France est de 18 ans). C’est engagement pour la vie est fort au regard de la communauté.

[36] Le « diklo » est le mouchoir. «  Ce qui n’a pas changé dans la vie de la femme gitane et ne changera jamais, c’est la virginité avant le mariage. Le jour du mariage, une Gitane âgée (il y en a une seule pour tout Perpignan) prend un mouchoir blanc et brodé de dentelle, avec lequel elle prouve la virginité de la future épouse. Le mouchoir doit être montré à tous les gens qui participeront à la fête. La tradition est restée la même. » Témoignage de Gilda Cargol, habitante du quartier St Jacques, in Le livre des Gitans de Perpignan, Editions L’Harmattan, 2003, p. 132.

[37] « Payas » ou femmes non gitanes.

[38] Le mariage gitan intervient avant l’âge de 18 ans.

[39] Le planning familial, implanté dans le quartier St Jacques, faisait également un travail d’information auprès des jeunes filles gitanes mais il a changé depuis peu d’adresse rendant désormais le travail plus difficile auprès de la communauté.

[40] Lectures individualisées pour les bébés de quels jours à 3 ans environ.

Le livre, un médium à fonctions multiples

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La mort programmée du livre traditionnel devant les (N)TIC a été prononcée depuis les années 80 : « en l’an 2000, quand sera implanté un réseau de communication interrogeable dans tous les points du globe et à même d’assurer à tous un accès rapide à une partie considérable des connaissances indispensables, les [livres] auront subi le sort des brontosaures ». [Girard, 1994]

Trente ans après cette promesse, la résistance du livre a déjoué tous les pronostics relatifs à sa survie et à sa viabilité, entraînant par la même occasion un changement de préoccupation : « […] le problème n’est pas de savoir si les [livres] vont disparaître, mais quand » [Lahary, 1994, p 78].

S’il en est ainsi, c’est parce que le livre bien qu’offrant des services semblables à ceux d’Internet, remplit d’autres fonctions spécifiques qui lui permettent de se positionner et de résister à l’invasion des NTIC. Mais aussi, l’expérience montre qu’en matière de média, il y a rarement exclusion d’un médium par un autre, mais plutôt superposition des différents médias ; d’où la tendance actuelle à la double édition : une électronique, suivie d’une impression à la demande. D’autre part l’édition électronique qui serait une menace pour le livre traditionnel, concerne surtout les revues scientifiques et les ouvrages de références [Girard, 1994]. Or, le seul exemple des Etats Unis montre que les romans représentent la part la plus importante des collections et des emprunts dans les bibliothèques publiques moyennes ; [Apostle et Raymond, 1987].

Cette communication qui prend la défense du livre traditionnel, tentera de démontrer l’inconvénient majeur de l’Internet par rapport à la mission principale du livre, avant de mettre en exergue les fonctions spécifiques de ce dernier qui fondent sa résistance face aux NTIC ; ensuite, elle s’attèlera à démontrer qu’en réalité, l’Internet n’est pas le vrai concurrent du livre ; les deux médias se complètent plutôt. Pour la promotion de la lecture, des orientations adaptées à la culture de l’oralité seront esquissées.

Quelques limites de la lecture sur Internet

L’Internet à n’en pas douter doit son succès à la fascination qu’exercent les NTIC sur les populations, notamment les jeunes.

Mais du point de vue pédagogique et didactique la lecture sur Internet est à beaucoup d’égards, critiquable, à cause notamment de l’hypertexte et de l’hypermédia qui caractérisent le net; en d’autres termes, c’est dans ses qualités qu’on retrouve les défauts d’Internet en matière de lecture : l’activité de lecture y est qualifiée de « butinage », de « surf » ou de « navigation », de « pseudo-lecture » par opposition à une lecture attentive et profonde, une lecture pédagogique, didactique que l’on pratique sur un livre imprimé [Baccino, 2011] . Sur le web, le lecteur balaie rapidement les titres, […] son attention est imparablement attirée par d’autres informations qui apparaissent en simultané et qui peuvent ou non avoir une pertinence pour lui…On passe d'une page à l'autre, d'un paragraphe à l'autre. On n'est plus dans des lectures linéaires et cumulatives, mais dans des lectures circulaires et itératives[1]

Quelques fonctions du livre traditionnel : la leçon des citations

Le rôle du livre est souvent réduit à celui de conteneur de l’information. Or, on lit à des fins d’édification (la bible), pour s’évader (roman policier ou énigme), pour s’instruire (un livre d’histoire grand public), pour des motifs professionnels (ouvrage sur les pratiques élémentaires de comptabilité), pour le simple plaisir de lire (dans sa position et son heure préférées)   : « je ne vois pas mes lecteurs le soir dans leur lit avoir des lectures virtuelles » déclarait une bibliothécaire [Diament, 1994, p 10]; dans certains cas le livre sert à décorer la bibliothèque du salon, comme le fait bien remarquer Mispelblom à propos du tracé peu convaincant de la frontière entre service et produit : « (…) on achète un livre moins pour le toucher que pour ce qu’on y lit, alors qu’une collection d’encyclopédie sert en général à orner une bibliothèque personnelle» [Mispelblom, 1995, p 122].

Pour mettre en évidence quelques fonctions spécifiques du livre et de la lecture, nous nous sommes servis pour l’essentiel de quelques citations distribuées à l’occasion de la 20e édition du Salon Francophone du Livre de Beyrouth de 2013, par les élèves des classes de seconde du Grand Lycée Franco-Libanais de Beyrouth aux visiteurs du salon[2].

Fonction esthétique et de valorisation sociale :

C’est le cas, quand une collection d’encyclopédies sert à orner la bibliothèque du salon ; mais aussi de l’intellectuel qui aime avoir sa bibliothèque de livres, compter le nombre de livres lus, être à côté de son patrimoine livre lors de prises de photos, d’interviews etc.

Fonction sociale :

La lecture en bibliothèque, contrairement à une idée admise, est certes un acte « individuel », mais pas un acte « solitaire » car elle se fait sous l’émulation attentive des autres lecteurs : les lecteurs qui manquent de courage, les étudiants esseulés ou qui cherchent à s’armer de courage en période de révision, fréquentent volontiers les bibliothèques ou autres lieux de rencontre pour apprendre et lire ensemble.

Pour illustrer cette socialisation par la lecture Jacques Salomé nous apprend qu’« un livre a toujours deux auteurs : celui qui l’écrit et celui qui le lit » Selon Marcel Proust, « chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même.» et que « la lecture est une amitié », ce que semble confirmer Tahar Ben JELLOUN : « une bibliothèque est une chambre d’amis ».

Fonction pédagogique :

« Le savoir que l'on ne complète pas chaque jour diminue » : proverbe chinois. Virgile, poète latin affirme : «   on se lasse de tout, excepté d'apprendre » et Jules Renard de dire : « chacune de nos lectures laisse une graine qui germe ».

« La lecture dissipe la sécheresse, active les facultés, déchrysalide l’intelligence et met en liberté l’imagination » selon Albalat Antoine, qui poursuit : « un livre qu’on quitte sans en avoir extrait quelque chose est un livre qu’on n’a pas lu ».

Quant à Jouhandeau, « un livre n'est excusable qu'autant qu'il apprend quelque chose ».

Le livre, source de vie et de bonheur :

Paraphrasant Descartes, « les auteurs publient, donc existent » :

«Mes livres sont là, ne sont que là. C'est le seul endroit où mon œuvre existe dans sa continuité. Dans les moments où je ne publie pas, je vais dans les bibliothèques pour me rassurer : là je suis vivant, là l'auteur ne meurt pas » témoignait un auteur [BORZEIX, 1998] 

Simone de BEAUVOIR  nous traduit le  bonheur lié au livre et à la lecture en ces termes : « je me disais que, tant qu’il y aurait des livres, le bonheur m’était garanti». Et Jules Renard de confesser : « quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire, j'ai la certitude d'être encore heureux ». Le bonheur que procure la lecture continue avec Gaston Bachelard  qui nous révèle que « le paradis, à n'en pas douter, n'est qu'une immense bibliothèque » ; alors que Cicéron, Jacques Attali et Alain (Emile-Auguste Chartier)  nous rappellent successivement que :

  • « si vous possédez une bibliothèque et un jardin, vous avez tout ce qu'il vous faut » ;
  • « contempler sa bibliothèque, c'est rêver qu'on ne saurait mourir avant d'avoir lu tous les livres qui la remplissent » ;
  • « …le bonheur de lire est tellement imprévisible qu’un lecteur exercé s’en étonne lui-même ».

Fonction de sécurité

Dans la pyramide de Maslow[3], le besoin de sécurité occupe une place importante dans l’échelle des valeurs.

Or, il est largement admis que l’information et/ou le document procure à son détenteur un sentiment de sécurité : « l’avoir » devient synonyme du « savoir ». Ce phénomène est perceptible dans le domaine de la photocopie ; on fait des copies que l’on stocke, en attendant de les jeter plus tard. L’information est identifiée à l’objet qui la véhicule c’est-à-dire le document, on confond la possession de la photocopie avec la connaissance que l’on souhaiterait avoir avec l’information. Un phénomène comparable apparaît avec les utilisations de l’information électronique en ligne, que l’on a qualifié de « syndrome de l’imprimante » [Varloot, 1983, p 586]. La plupart des utilisateurs d’un terminal d’interrogations de banques de données en ligne exigent d’avoir une imprimante de recopie d’écran pour garder une trace sur papier de l’interrogation effectuée, même s’ils demandent l’impression des références en différé[4].

Les écoliers se rendent compte après coup que le week end était trop court pour valoir la peine de s’encombrer de tant de livres et autres documents scolaires qu’ils n’auront finalement pas lus à la maison.

Fonction patrimoniale

Ma propriété « mon livre » est parfois plus valorisante que la nôtre (l’internet)[5].

L’amateur de beaux livres anciens qui veut se constituer une bibliothèque digne de ce nom aime passer du temps à découvrir, contempler, évaluer, prendre en mains les ouvrages précieux, les palper, humer l’odeur du papier, caresser les dos, entendre les petits sons en tournant les pages…c’est une véritable histoire d’amour qui le lie au livre.

Il s’agit autant d’une quête intellectuelle que d’un plaisir sensuel[6].

La fonction thérapeutique [7]:

Le livre renferme une véritable fonction thérapeutique comme en témoignent les citations suivantes :

  • « le temps de lire, comme le temps d’aimer, dilate le temps de vivre » disait Daniel Pennac,
  • « je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé » renchérit  Montesquieu, alors que pour  Paul Désalmand « la lecture comme l'amour est la pierre à aiguiser l'âme ».

Quant à Emmanuel Kant[8] « une lecture amusante est aussi utile à la santé que l’exercice du corps » ; pour  Claude  Le Roy[9] « la lecture est un vrai moment de respiration »

Pour la culture générale et la connaissance du monde :

Cette fonction est peut être la plus connue :

 « Toute relecture est une découverte. » affirme Calvino. « J’ai accompli de délicieux voyages, embarqué sur un mot» disait H Balzac. Bobin Christian  emploie la métaphore du papier de format A4 pour définir son pays : « mon pays fait vingt et un centimètres de large, sur vingt-neuf de long : une feuille de papier blanc ». Amélie Nothomb et François Mauriac d’affirmer respectivement : « on lit pour découvrir une vision monde » ; « la lecture, une porte ouverte sur un monde enchanté »

Le livre pour l’évasion et l’émotion :

L’association livre-lecture et évasion-émotion n’est plus à démontrer comment le prouvent les citations qui suivent :

  • « tant de pages, tant de livres qui furent nos sources d'émotion, et que nous relisons pour y étudier la qualité des adverbes ou la propriété des adjectifs! » s’exclamait Emil Michel Cioran.
  • Marcel Proust de nous rappeler : « Il vaut mieux rêver sa vie que la vivre».
  • Quant à Julien Green : « une bibliothèque, c'est le carrefour de tous les rêves de l'humanité » et qu’« un livre est une fenêtre par laquelle on s’évade».

Le livre et l’Internet, même combat

Les théoriciens de la concurrence ont longtemps attiré l’attention sur les difficultés à identifier les vrais concurrents d’une entreprise et d’une activité.

Le secteur du bâtiment a longtemps concurrencé le secteur de l’automobile avant que l’on ne s’en aperçoive ; de même la bicyclette a eu à concurrencer la lecture ; la combinaison : logement-voiture-mariage est souvent arrivée dans le désordre [10]; le cinéma est apparu un moment comme le concurrent de la lecture[11] etc.

En effet, il existe 2 sortes de concurrence :

  • la concurrence directe ;
  • la concurrence indirecte plus difficile à identifier.

Pour les pays africains, l’opinion s’accorde à reconnaître que l’oralité semble constituer l’un des défis majeurs à surmonter pour régler la question de la lecture et du livre[12].

Ces phrases qui suivent et de A Hampâté Bâ et de J P Sartre renseignent suffisamment sur le statut de la lecture et de la bibliothèque dans les contextes africain et européen :

« En Afrique quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle » disait Amadou H BA pendant que Sartre affirmait : « on me laissa vagabonder dans la bibliothèque […]. C'est ce qui m'a fait[13]. « Le livre n’est pas. La lecture le crée, à travers des mots créés, comme le monde est lecture recommencée du monde par l’homme »[14].

L’internet doit en partie son succès dans les pays à civilisation orale par ses caractéristiques qui riment avec les attributs d’une telle civilisation : culture de jeu, de groupe, de partage, de mutualisation, du collectif etc.

« La tradition communautaire est fortement ancrée dans la culture en Afrique. La télévision, le téléphone et même la presse écrite se sont développés sur ce mode ».[15]

L'Internet est un objet culturellement africain, tout à fait adapté au mode de vie africain, comme le faisait remarquer Jean-Michel Cornu, directeur scientifique de la Fondation Internet Nouvelle Génération (FNIG) en ces termes : "l'économie africaine, faite de débrouillardise et d'échanges, fonctionne en réseau, comme Internet". Et qui continue : (…) "pour moi,…les Américains, en inventant Internet, ont inventé un outil "africain". Non pas pour toucher tout le monde mais pour que tout le monde soit touché."[16]

C’est la raison pour laquelle, la lecture, qui extrait l’enfant de sa communauté, devient source de punition pour ce dernier qui par conséquent, tente de la fuir.

Transformer les menaces de la culture orale en opportunités

Si tant est que la culture orale constitue l’obstacle à la lecture, les spécialistes en stratégie nous apprennent qu’il faut apprivoiser les menaces et les transformer en opportunités. Pour cela, et à titre d’illustrations, choisissons deux faits : la communauté et les croyances religieuses qui caractérisent la culture orale.

La dimension communautaire pour promouvoir la  lecture

Romain Liane, dans Club de lecture pour les apprenants adultes : Guide à l’intention des intervenants en littératie des adultes[17] donne neuf raisons qui militent en faveur de la création d’un Club de lecture ; selon l’auteur, un club de lecture permet de:

  • Bonifier la lecture individuelle.
  • Pousser le lecteur ou la lectrice à franchir ses limites.
  • Revoir sa lecture en groupe.
  • S’identifier avec le livre.
  • Développer une meilleure compréhension du livre.
  • Mousser l’enthousiasme pour le livre.
  • Découvrir une variété d’auteurs et de genres littéraires.
  • Établir des liens avec les membres du club de lecture.
  • Développer le goût de la lecture.

Les croyances africaines

Le chameau, pour plusieurs raisons liées aux croyances, exerce sur les populations africaines un pouvoir d’attraction et de séduction. Son utilisation au Kenya a connu un réel succès pour la promotion de la lecture dans le réseau de lecture de ce pays.

Conclusion

Tout semble indiquer que le livre continuera d’exister encore à côté des TIC malgré les prévisions les plus alarmistes ; il est même apparu que souvent l’édition électronique et l’édition traditionnelle se complètent harmonieusement : une impression électronique, suivie d’une impression en papier à la demande.

Les raisons de cette résistance du livre traditionnel sont à rechercher entre autres dans ses fonctions spécifiques, mais aussi, l’expérience montre qu’un nouveau média ne chasse pas les précédents mais vient se superposer à eux.

La question du livre et de la lecture n’est pas liée dans les cultures orales à la concurrence de l’Internet, mais au rapport qui lie le livre à la société.

La prise en compte de cette dimension de l’oralité doit être  le crédo qui guide toute stratégie de promotion de la lecture dans le contexte des pays africains.  

 

[1] Entretien avec Sylvie octobre, sociologue chargée d’études sur les jeunes au DEPS, Royaume Uni [en ligne) :  (consulté le 10 décembre 2013)

[2] Diffusion de citation sur la lecture [en ligne].

[3] La pyramide de Maslow. In: Le sémioscope [en ligne]. (consulté le 27 décembre 2013)

[4] On retrouve de plus en plus à la fin des messages cette recommandation : « Merci de nous aider à préserver l'environnement en n'imprimant ce courriel et les documents joints que si nécessaire ».

[5] Essai de traduction littérale d’un proverbe wolof

[6] Camille Sourget, Livres anciens [en ligne] : (consulté le 10 décembre 2013)  

[7] Le wolof (la langue nationale la plus parlée au Sénégal) traduit le livre par « téré » lui-même traduit aussi par « gris gris » qui, en Afrique noire peut désigner une amulette fabriquée par un sorcier pour porter bonheur et conjurer les mauvais sorts

[8] http://evene.lefigaro.fr/citations/mot.php?mot=amusante (consulté le 10 déc. 2013)

[9] Entraîneur de foot ball qui a eu à gagner la coupe d’Afrique avec le Cameroun et qui a entraîné le Sénégal.

[10] L’idéal pour la plupart étant d’acquérir une maison, puis une voiture et ensuite se marier, du moins dans le contexte des PVD

[11] D’où l’idée en France, de prélever des taxes sur l’industrie cinématographique en faveur des livres

[12] Argument loin de faire l’unanimité

[13] Jean-Paul Sartre, Les mots [en ligne].  (consulté 11 déc. 2013)

[14] Edmond Jabès, Extrait de :« Le livre des questions » [en ligne].  (consulté le 10 décembre 2013)

[15] Laurent Raphael, Réseau à palabres (Dossier) [en ligne].   (consulté le 14 mai 2004)

[16] Ibid.

[17] Romain, Liane, Club de lecture pour les apprenants adultes : guide à l’intention des intervenants en littératie des adultes, [en ligne]. http://centrefora.on.ca/sites/default/files/documents/freeproducts/club_de_lecture_web.pdf (consulté le 13 déc. 2013)

 

Références bibliographiques

APOSTLE, Richard, RAYMOND, Boris. - Le paradigme de l’information. – Bulletin des Bibliothèques de France, tome 32, n°4, 1987, p 290-299

BACCINO, Thierry. -« Lire sur internet, est-ce toujours lire ? », BBF, 2011, n° 5, p. 63-66
[en ligne].  (Consulté le 15 novembre 2013) 

BORZEIX, Jean-Marie. - Rapport pour Cathérine TRAUTMANN sur la question du droit de prêt dans les bibliothèques (03. 09. 1998)

 DIAMENT, Nic. - Evolution des missions, évolution du métier : compte rendu du Carrefour 2 du Séminaire préparatoire de Clermond Ferrand de l’Association des Bibliothécaires Français. - Bulletin d’information de l’ABF, n°164, 1994 p 9-11

DIARRA, Mamadou. -  Les NTIC : opportunités ou menaces pour les professionnels des SID. Colloque international « Information, Démocratie et Développement », Ebad, Dakar, 8-12 juin 2001

GIRARD, Christine. - Savoir faire professionnel. – Bulletin d’information de l’ABF, n° 164, 3ème trim. 1994

JABES, Edmond. - Extrait de : « Le livre des questions » [en ligne].  (consulté le 10 décembre 2013)

LAHARY, Dominique. - Du profil de poste au métier. – Bulletin d’information de l’Association des bibliothécaires français, n° 164, 3ème trim. 1994, p 71-82

La lecture, passe–temps inavouable ? Entretien de Marion Cocquet avec la sociologue Sylvie Octobre [en ligne].  (Consulté le 15 novembre 2013)

LAURENT, Raphael, Réseau à palabres : Dossier [en ligne].  (consulté le 10 décembre 2013)

MISPELBLOM, Frederik. - Au-delà de la qualité: démarches qualité, conditions de travail et politiques du bonheur. – Paris: Syros, 1999. – 288p. – (Alternatives économiques)

ROMAIN, Liane, Club de lecture pour les apprenants adultes : guide à l’intention des intervenants en littératie des adultes, [en ligne].  (consulté le 13 déc. 2013)

SARTRE, Jean-Paul. - Les mots [en ligne]. (consulté 11 déc. 2013)

VARLOOT, Denis. – ‘’Du puits au robinet’’. – Bulletin des Bibliothèques de France, tome 28, n° 6, 1983, p 582-589

L’impression à la demande et les bibliothèques

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Introduction

Les possibilités offertes par l’impression à la demande ont fait couler beaucoup d’encre dans les bibliothèques étrangères, en particulier outre-Atlantique mais relativement peu en France. Un article de synthèse en français sur le sujet semble donc particulièrement opportun.

1- L’origine du modèle économique et son adaptation aux bibliothèques

Ces dernières années, les éditeurs et les imprimeurs ont constaté une tendance à la baisse du nombre moyen de tirages. Pour faire face à cette situation, et en particulier depuis 2002, est apparu un nouveau modèle économique : le Print on Demand (POD). Ce modèle économique consiste à imprimer en flux tendu en fonction de la demande et quasiment en temps réel. Originaire du japon où les échoppes avaient des difficultés, faute d’espace suffisant, à stocker plusieurs exemplaires d’un même produit, l’impression à la demande permet de ne plus avoir à prévoir à l’avance de nombre d’exemplaires qui devraient être vendus, de limiter ainsi les risques de surproduction, de ne plus connaître d’invendus, et surtout de ne plus avoir à gérer des stocks coûteux en personnel, en conservation et en loyer, et de diminuer significativement les coûts liés aux transports et à la logistique de la chaîne du livre. Avec ce modèle, la production, en flux tendu, est déterminée par la demande et non plus par l’offre. L’impression à la demande obéit donc à une logique assez voisine de celle de la numérisation à la demande puisqu’elle est actionnée directement par l’usager. Mais au lieu de convertir un document papier en document numérique, il s’agit, au contraire, soit de “ressusciter” un fac-similé papier à partir de son support électronique (ce qui implique une numérisation préalable du support papier original), soit d’offrir une première existence sur papier à un support nativement numérique (un livre auto-édité, par exemple). Particulièrement adaptée aux besoins de sociétés de plus en plus multiculturelles et multilangues, l’impression à la demande est l’application du modèle économique du “juste à temps” issu du monde de l’industrie au secteur de l’édition jusqu’alors basé sur un modèle “juste au cas où” (stocker pour anticiper les demandes).
Le prix d’un livre imprimé à la demande resterait 20 à 30 % plus cher, d’après un entretien de Luc Spooren au Nouvel Observateur publié le 9 juin 2009. Mais, si le coût de production avec le POD demeure supérieur, il ne faudrait, d’après (Dougherty, 2009) que 2 jours pour obtenir 30 000 exemplaires quand il faudrait 2 semaines selon un mode de production plus traditionnel.
D’après (Dougherty, 2009), la production de livres selon le mode traditionnel a connu une croissance de seulement 1 % en 2007, soit 276 649 nouveaux titres. Mais pour sa part, la production de livres sous la forme de print on demand est passée de 21 936 titres en 2006 à 134 773 en 2007. Et entre 2002 et 2007, selon ce même auteur, la croissance des titres selon le mode traditionnel n’a été que de 29 % tandis qu’elle a été de 313 % pour le Print on Demand. Aujourd’hui aux USA, d’avantage de livres seraient produits via ce modèle économique. En effet, les modalités spécifiques de l’impression à la demande en font un procédé de publication susceptible d’apporter de nouvelles perspectives économiques et de diffusion à certains secteurs de l’édition : l’autoédition en premier lieu, mais aussi la presse, les documents anciens, les ouvrages épuisés ainsi que les secteurs de niches ou très spécialisés tels que les presses universitaires par exemple.

2- Enjeux du POD pour les bibliothèques

Ce nouveau modèle d’édition imprimée devait nécessairement susciter des interrogations, trouver des applications et ouvrir des perspectives de changement dans le domaine des bibliothèques. Trois types d’enjeux peuvent être considérés.
Les bibliothèques numériques sont les premières concernées. Pour ces dernières, l’impression à la demande commence à être envisagée comme un prolongement naturel parce qu’il  représente un débouché économique, un retour sur investissement, même s’il est encore marginal. Les oeuvres libres de droit peuvent, en effet, après avoir été numérisées, c'est-à-dire après être passées du support papier au support électronique, être rééditées sur support papier et être à nouveau vendues comme des fac-similés brochés. On constate que les bibliothèques numériques bien installées, mutualisées ou non, proposent ce type de service (Gallica, réseau Ebooks on demand). Certaines associent même l’impression à la demande à l’expérimentation de nouveaux modèles (le financement participatif pour la plateforme Numalire).
En second lieu, le nouveau type de production imprimée issu de l'impression à la demande pourrait, dans les années à venir, interroger la gestion des collections en bibliothèque : comment  capter, évaluer et faire entrer cette nouvelle production imprimée, atypique parfois et dans tous les cas différentes, dans les collections de bibliothèques ?
Enfin, et c’est sans doute dans ce domaine que les initiatives les plus intéressantes se situent aujourd’hui, l’impression à la demande permet aux bibliothèques, universitaires comme publiques, d’offrir tout un panel de nouveaux services à leurs usagers : support à l’autoédition (Williamson County Public Library, Etat du Tennessee - Communiqué de presse Ingram, 2014), création de supports propres comme dans le cadre de l’initiative Je révise mon bac à la bibliothèque de la médiathèque de Romans-sur-isère qui utilise PédiaPress, le service de POD de Wikipedia (Coutagne, 2014), ou dans le cadre des “coursepacks” des bibliothèques universitaires anglaises grâce auxquels la bibliothèque devient un réel éditeur universitaire (Rowlinson, 2000). La modernisation d’un Prêt entre bibliothèques aujourd'hui vieillissant se voit aussi offrir des perspectives intéressantes grâce à ce nouveau modèle (Klopp, 2014).

3- Panorama de quelques expérimentations en bibliothèques

Les  éditeurs commerciaux partenaires des “grandes bibliothèques”

La forme la plus aboutie aujourd’hui de la pratique du POD en bibliothèque réside dans la conclusion d’accord public-privé entre les bibliothèques nationales ou les grandes bibliothèques universitaires et des éditeurs traditionnels ou des plateformes d’impression à la demande.
Le 23 mars 2009, un partenariat a été conclu entre Amazon BookSurge (branche POD d’Amazon) et la bibliothèque de l’Université de Cornell (USA). Ce partenariat porte sur la possibilité offerte par Amazon de produire et de commercialiser des imprimés brochés à la demande à partir des livres numérisés par la bibliothèque en échange de versement d’une part des bénéfices réalisés.
En février 2010, la Bristish Library annonçait que 65 000 livres numérisés du domaine public seraient vendus sous forme de Print on Demand sur Amazon BookSurge. En octobre 2010, la Bibliothèque du Congrès en annonçait 50 000.
En France, Chapitre.com a noué un partenariat avec la Bibliothèque nationale de France en mars 2011 pour l’impresssion à la demande de fac-similés de documents issus de Gallica. Les commandes depuis Chapitre.com sont imprimés par les Editions du Net et expédiées sous 4 jours pour un prix moyen entre 15 et 20 euros et pouvant osciller entre 6 et 40 €. Une partie des bénéfices est reversée à la BnF et à Chapitre.com qui pour sa part toucherait 25 % de la somme payée. Au début de l’opération, des chiffres de 5 à 6 commandes par jour ont été communiqués à la presse.
Hachette a également noué un partenariat avec la BnF en utilisant les services de la société Lightning Source. Ainsi, depuis le 31 juillet 2013, il est possible d’imprimer en noir et blanc 180 000 titres antérieurs à 1900 et 10 000 partitions de musique. D’après BnF-Partenariats, environ 20 000 livres imprimés auraient été vendus entre janvier et octobre 2013 via le partenariat Hachette (Klopp, 2014).
Les éditions The Book Edition et Edilivre qui, pour cette dernière, utilisent les services de la société So Book, sont également en partenariat avec la BnF pour la vente de documents imprimés à la demande.

L’Espresso Book Machine (EBM)

Cette machine, créée en 2006, commercialisée par la société OnDemandBooks et un temps, par Xerox, résulte de l’intégration d’un photocopieur et d’un massicoteur-plieur et brocheur dans une même machine. L’Espresso Book Machine permettrait d’imprimer des livres allant d’un format 11,4 x 12,7 cm à un format 21 x 27,3 cm, en 5 minutes pour un livre de 300 pages à 20 minutes pour des documents plus complexes (Anderson, 2010) pour un coût moyen de 10 $ (Dougherty, 2009) soit un peu plus de 7 €. Ce coût varierait de 6 $ pour un livre de 150 pages à 10 $ pour un livre de 151 à 450 pages (Geitgey, 2011). Il faudrait imprimer plus de 1000 livres par an pour que l’opération reste rentable (Chamberlain, 2010) et environ 60 000 livres par an pour maintenir un coût intéressant à l’unité (Wilson-Higgins, 2011), mais, en comparaison avec les coûts pratiqués par les services de prêts entre bibliothèques qui avoisineraient les 30 $, ce coût serait très compétitif. L’achat et l’installation d’une machine serait d’environ 92 000 $ (Wilson-Higgins, 2011), soit près de 68 000 € et nécessiteraient une maintenance technique pour les bourrages éventuels, les consommables, le papier, l’encre, la colle, et les cartons de couvertures… Récemment, une machine aurait été achetée près de 46 000 € par la bibliothèque de Toronto afin de mettre en place un service Asquith Press Book (Jost, 2014).

Installée dans un lieu public, une librairie ou une bibliothèque à forte fréquentation, elle permet à ses lecteurs d’acheter sur place sous forme d’imprimés brochés l’intégralité des livres numérisés disponibles sur son catalogue EspressNet qui contient 8 millions de titres et peut être complété par les livres numérisés par les bibliothèques partenaires. EspressNet contient une partie de Google Books (1 million de livres), archive.org (plus de 2 millions de livres), HathiTrust, Lightning Source et Gallica. En effet, le 27 septembre 2011, la Bibliothèque nationale de France annonçait que plusieurs milliers de livres de Gallica seraient accessibles pour du print on demand via l’Espresso Book Machine. Au delà de l’impression de documents numérisés, l’Espresso Book Machine est également et surtout utilisée pour l’autopublication.

En France, aucune Espresso Book Machine n’a encore été installée à ce jour. La Bibliothèque nationale de France n’a pas souhaité expérimenter une ouverture sur un métier qui n’est pas le sien et la Bibliothèque Sainte-Geneviève, après hésitation, n’a finalement pas concrétisé un partenariat envisagé sous la forme d’une concession avec la société On Demand Books (Andro, 2012).

Conclusions

L’impression à la demande, bien que peu expérimentée en France par les bibliothèques, leur permettrait d’offrir de nouveaux services tout en bénéficiant d’un retour sur investissement et d’une nouvelle source de revenu. Elle permettrait aussi aux bibliothèques de s’ouvrir à des collaborations avec des entreprises, des éditeurs ou des libraires en participant à créer de l’activité économique autour de leurs projets de numérisation, sous la forme de délégations de services publics, de locations, de franchises ou de concessions. L’impression à la demande pourrait également être utilisée pour ajouter des titres dans les collections des bibliothèques, multiplier les exemplaires des livres les plus demandés, remplacer des documents manquants, permettre l’impression de thèses, l’autopublication, l’édition de livres pour les événements, les congrès ou pour les entreprises, et last but not least, remplacer le vieillisant prêt entre bibliothèques (Geitgey, 2011). Ainsi, selon une étude de l’Université Virginia Tech, le prêt entre bibliothèque d’un livre coûterait 30 $ aux États-Unis quand le coût moyen d’impression d’un livre à partir d’une EBM ne serait que de 10 $ (Dougherty, 2009).
Pour les bibliothèques, il s’agirait néanmoins d’une évolution importante de leurs missions, les bibliothèques devenant éditeurs, imprimeurs et libraires, et même, avec l’acquisition d’Espresso Book Machines, des centres d’autoédition. Or, dans la mesure où les bibliothèques ne sont plus des lieux où se rassemblent un public nombreux, le résultat demeure moins certain que celui qui pourrait être obtenu dans des gares ou des aéroports, par exemple. Par ailleurs, jusqu’à aujourd’hui, les bibliothèques fonctionnent selon un modèle “juste au cas où”, c’est à dire qu’elles stockent pour anticiper les demandes de leurs lecteurs. Leur expertise repose, en bonne partie, de la connaissance de leurs publics qui fonde leurs politiques d’acquisitions (Klopp, 2014) et de la capacité à constituer des collections qui est au coeur du métier et fonde les politiques documentaires des bibliothèques. Le passage à un modèle économique du “juste à temps” pourrait donc, finalement, se présenter comme une remise en question importante du coeur de métier.
La première machine a ainsi été installée à la New York Public Library le 21 juin 2007. Depuis, des Espresso Book Machines ont été Installées à la Bibliothèque Publique de la Nouvelle Orleans, à l’Université du Michigan, l’Université de l’Utah Marriot Library, la librairie Blackwell  à Londres, la Bibliothèque Grace Mellman Community, l’Université de Pittsburgh Hillman Library, la bibliothèque de l’Université McGill, la Bibliothèque d’Alexandrie en Egypte, l’Université de New York, Abu Dhabi… Au total, en juillet 2012, des EBM ont été installées aux USA (27), au Canada (12), au Royaume Uni (2), aux Emirats Arabes (2), en Australié (2), mais aussi en Chine, en République Dominicaine, en Egypte, au Japon, au Pays Bas et aux Philippines dans 18 librairies commerciales et 17 librairies universitaires et 13 bibliothèques.

Bibliographie

Anderson, R. (2010). The Espresso Book Machine:The Marriott Library Experience. Serials, 23(1):39-42.
Andro, M., Chaigne, M., Smith, F. (2012). "Valoriser une bibliothèque numérique par des choix de référencement et de diffusion. L'expérience de la Bibliothèque Sainte-Geneviève". Les Cahiers du numérique 9(3): 75-90
Chamberlain, E. (2010). Digitisation-on-Demand in Academic Research Libraries. 62 p.
Coutagne S. (2014), Wikipédia et les bibliothèques françaises, mémoire d’étude DCB, ENSSIB,  p. 66.
Dougherty, W. C. (2009). Print on Demand:What Librarians should know. The Journal of Academic Librarianship 35(2):184-186
Geitgey, Terri (2011). The University of Michigan Library Espresso Book Machine experience. Library Hi Tech, Vol. 29, Issue 1, pp. 51-61
Jost, C. (2014). Imprimer son propre livre à la bibliothèque, c'est possible ! Archimag, le 05/08/2014
Klopp, S. (2014). Numérisation et impression à la demande en bibliothèque : un panorama. mémoire d’étude DCB, ENSSIB,  133 p.
Rowlinson C (2000)., «Supporting learning through on-demand and electronic services», Collection Building 19 (2), MCB University Press, p 56-60
Wilson-Higgins, S. (2011). Could print on-demand actually be the “new interlibrary loan”? Interlending & Document Supply, 39(1):5-8
Communiqué de presse du groupe Ingram «Tennessee Public Library Launches Publishing Program with IngramSpark Platform», [en ligne]


Le cas Accrodoc

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Mis en place en mars 2013 pour permettre aux étudiants de se former de façon homogène à la méthodologie de la recherche d’information, Accrodoc est un site d’autoformation géré par le Service commun de la documentation de l’Université Lyon 2.

Une arborescence simplifiée propose une trentaine de supports accessibles en ligne sans authentification : des tutoriels (screencast), des cours en ligne avec outils d’auto-évaluation, de petits films et des ressources externes.

Il est actuellement géré et alimenté par une équipe de 5 personnes (1,25 ETP).

Usages d’Accrodoc

Conçu notamment pour pallier aux difficultés rencontrées par les bibliothécaires pour intervenir lors des formations méthodologiques des étudiants en première année de licence, Accrodoc encourage un usage autonome de la part des lecteurs. Les statistiques confirment la réalité de cet usage personnel et pragmatique des supports de formation : on constate que les supports les plus consultés sont, dans les premiers mois de l’année universitaire, ceux qui permettent d’appréhender la recherche de documents (Trouver de la doc, Préparer mes recherches, le tutoriel Rechercher rapidement un ouvrage) ; dans un second temps, les consultations s’équilibrent en faveur de supports consacrés à des thématiques plus précises (Bibliographie, Thèses et mémoires, Evaluer un site web), et finissent par diminuer aux époques où les lecteurs étudiants sont a priori déjà acculturés et formés aux réalités documentaires de l’enseignement supérieur.

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Consultations 2014 Accrodoc
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Consultations 2014 des cours Accrodoc

Cet usage d’Accrodoc est corrélé à des besoins bien identifiables. Il semble confirmer que beaucoup de nos étudiants sont en demande d’informations méthodologiques complémentaires à leur formation universitaire. Il paraît essentiel que cet usage perdure et reste possible, notamment pour les étudiants n’ayant pas suivi un cursus complet dans la même université, et ayant dû appréhender in medias res tous les prérequis en termes de compétences informationnelles propres à Lyon 2.

Néanmoins, force est d’admettre que l’acquisition poussée de compétences informationnelles est encore le fait d’une minorité d’étudiants. Depuis plusieurs années, le Service commun de la documentation n’intervient plus dans les cursus de première année de licence à Lyon 2. Les composantes et facultés sont néanmoins tenues de maintenir un enseignement de méthodologie en première année de licence, sans que les mentions relatives à la documentation y soit systématiques, ni référencées. Accrodoc avait également pour objet de permettre aux chargés de cours de ces UE de posséder une base commune de connaissances, de ressources et de références pour les aider dans l’enseignement des aspects documentaires de la méthodologie.

Ce type d’usage est difficilement quantifiable par les statistiques du site. Proposition avait été faite aux enseignants par divers biais (lettre aux personnels, intranet, présentation en conseils) de contacter le SCD pour l’élaboration de supports spécifiques, supplémentaires, ou simplement pour un accompagnement dans la prise en main d’Accrodoc. Aucun retour n’a jamais eu lieu sur cette proposition.

Contexte de l’enquête auprès des enseignants

Après dix-huit mois d’existence, l’équipe Accrodoc a donc souhaité enquêter auprès des enseignants de l’université pour savoir comment ils percevaient cet outil, s’ils l’utilisaient, personnellement ou dans un cadre pédagogique, et comment ils concevaient le lien entre leurs pratiques méthodologiques et les outils que leur proposaient les bibliothèques universitaires.

Avec le concours du SESAP (Service des études statistiques et d’aide au pilotage) de Lyon 2, une enquête a été lancée auprès des enseignants de l’université en novembre 2014. Un courriel d’invitation et deux relances ont été adressés à 911 enseignants de tous statuts. 299 ont répondu à l’enquête de façon complète, ce qui nous a paru un taux de réponse relativement favorable de la part d’une population traditionnellement difficile à intéresser à ce type de dispositif.

 Les résultats de l’enquête ont confirmé un certain nombre d’hypothèses à partir desquelles nous travaillions.

Connaissance d’Accrodoc

Tout d’abord, elle établit clairement que très peu d’enseignants connaissent notre site d’autoformation à la méthodologie, puisque 84% des sondés répondent à la question « Connaissez-vous Accrodoc ? » par la négative. Sur les 44 réponses positives, 24 disent ne pas connaître de façon détaillée les supports pédagogiques qui y sont proposés.

Accrodoc a fait l’objet de plusieurs campagnes de communication, dont certaines spécifiquement en direction des enseignants. Cette réponse très nette établit une fois de plus que ceux-ci constituent un public difficile à informer. Comment toucher de façon certaine cette population segmentée, parfois volatile (chargés de TD, ATER) ?

Les suggestions faites par les répondants en texte libre donnent quelques pistes concernant cette question : améliorer encore la visibilité web d’Accrodoc, notamment sur les pages liées à la bibliothèque électronique, diffuser des documents de communication auprès des enseignants, lier de nouveau la formation, y compris par Accrodoc, aux maquettes universitaires.

La préoccupation méthodologique

La question de l’enseignement de la méthodologie universitaire dépasse largement les bibliothécaires, et notamment à Lyon 2 où les personnels du SCD n’interviennent plus que ponctuellement dans les UE de méthodologie. Aussi, il est assez difficile d’évaluer l’effort fait dans les facultés pour la formation des étudiants aux compétences informationnelles, et plus encore d’évaluer l’intérêt qu’y prennent les enseignants en tant que population.

Plusieurs questions visaient donc à situer les répondants par rapport à cette question. Il ressort que :

  • Plus d’un tiers des répondants enseignent eux-mêmes la méthodologie, et 15% évoquent plus particulièrement la méthodologie de l’information
  • Près de la moitié affirme donner aux étudiants des conseils de nature méthodologique relatifs à la façon dont ils peuvent se documenter

Ces taux indiquent à notre sens :

  • Que la préoccupation méthodologique est un biais de l’enquête. Les enseignants en méthodologie sont a priori surreprésentés dans les répondants, et on peut légitimement penser qu’ils se sont sentis plus particulièrement interpellés par l’objet de l’enquête. Il en est probablement de même pour les enseignants qui se sentent investis d’une mission pédagogique comprenant également l’apprentissage de compétences documentaires.
  • Qu’une population non-négligeable de chargés de cours de méthodologie et d’enseignants préoccupés par les questions liées à la recherche par les étudiants est présente à Lyon 2, élément sur lequel nous n’avions pas à proprement parler de certitude. Ces enseignants seraient notamment en mesure de conseiller à leurs étudiants la consultation d’Accrodoc, s’ils le connaissaient[i].

Néanmoins, les résultats de l’enquête mettent en relief le fait que si beaucoup d’enseignants sont; ou se sentent; investis d’une mission d’acculturation méthodologique, très peu en revanche connaissent suffisamment l’outil Accrodoc pour l’utiliser ou le conseiller en contexte.

Même parmi les répondants ayant connaissance d’Accrodoc, un grand nombre ne l’utilise pas, considérant essentiellement le site comme un outil d’autoformation (ce qu’il est au demeurant), déjà connu des étudiants et inadapté au contexte des cours.

Pistes d’évolutions

Les résultats de l’enquête ne pointent donc pas particulièrement de défaut dans le contenu de la plateforme Accrodoc, mais bien davantage deux points problématiques.

On sait, par les statistiques d’usages, que les étudiants utilisent bien la plateforme et ses supports, mais l’enquête nous confirme que c’est bel et bien dans une dynamique d’autoformation, et non parce que l’outil leur aurait été prescrit ou présenté par un enseignant.

 Il nous semble qu’au moins actuellement, il s’agit d’une limite de l’outil, car la faculté à s’informer de façon totalement autonome est inégalement partagée par nos lecteurs. Les supports Accrodoc sont conçus pour apporter des compétences, mais encore faut-il que les étudiants en aient connaissance. Or, le plus petit dénominateur commun entre étudiants reste l’enseignement, et donc les enseignants. Puisque les résultats de l’enquête établissent que la problématique de l’acquisition de connaissances en recherche d’information préoccupe un nombre important d’enseignants, nous pourrions considérer cette prescription d’Accrodoc par les enseignants comme possible, et même probable, à deux limites près :

  • La faible connaissance de cet outil par les enseignants : les bibliothécaires ont souvent l’occasion de le constater, les enseignants en université sont une population difficile à former et à informer. Accrodoc est un outil conçu en priorité pour les étudiants, et en tant que tel, ne fait pas partie de leur environnement familier et immédiat. L’effort de communication autour d’Accrodoc a beau être constant, il est surtout manifestement efficace sur les étudiants et extérieurs ; la communication ciblée (par présentation dans les conseils par exemple) ne touche qu’une faible partie de la communauté enseignante, et la communication par la Lettre aux personnels de Lyon 2 et l’intranet ne semble pas du tout toucher son but.
  • L’inadéquation formelle entre les supports,conçus pour l’autoformation des étudiants, et un usage en cours. Au-delà de ce constat, on remarque que la perspective qui suscite le plus d’approbation chez les répondants est celle de créer des supports plus spécialisés selon les disciplines, signe que malgré l’intérêt marqué pour la méthodologie d’un grand nombre de répondants, les enseignants restent des spécialistes. Or, Accrodoc ne traite actuellement pas d’exercices proprement disciplinaires.

Il n’existe pas de façon simple de résoudre le problème de la méconnaissance. Communiquer auprès des enseignants, c’est reprendre sans cesse le travail où on l’a laissé. Parce qu’une partie de cette population est volatile (chargés de cours et de TD, ATER), parce que beaucoup d’enseignants ne se sentent pas forcément ciblés par la communication institutionnelle, deux pistes sont à explorer : la recherche de partenariats et la rencontre d’interlocuteurs enseignants d’une part, l’inscription dans les cadres de l’enseignement à l’université (maquettes) d’autre part.

La relance de projets impliquant les composantes et les enseignants apparaît donc comme une nécessité. Alors même qu’Accrodoc a été conçu comme un outil indépendant, permettant l’autonomie, et émancipant les bibliothécaires formateurs vis-à-vis des enseignements en présentiel, on constate que ces caractéristiques s’opposent en partie à son appropriation par la communauté Lyon 2.

Ce paradoxe s’exprime, tout en offrant une piste de résolution, dans la question d’un accès par grandes disciplines d’enseignement aux supports d’autoformation. Aux origines d’Accrodoc, un accès thématique par discipline était prévu en complément des accès actuellement déployés (par niveau d’études et par objectif).

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Arbre de consultations Accrodoc

L’équipe Accrodoc s’est aperçue très rapidement que cela touchait aux limites de ses compétences : il était difficile de déterminer avec certitude ce qu’un enseignant de Lyon 2 préconiserait, par exemple, en termes de documentation pour un commentaire de texte littéraire. Cet accès a donc été désactivé. Nous sommes cependant bien conscients que pour l’autoformation, cet accès serait sans doute le plus efficace, la discipline représentant un point identitaire important pour les étudiants.

La logique d’autoformation elle-même nous ramène donc à la question des enseignements et du partenariat avec les enseignants.

La difficulté à mobiliser ces partenaires sur le long terme est une donnée bien connue des responsables de service de formation des lecteurs. A cet égard, il est important de noter que les outils d’autoformation ne permettent que partiellement de contourner cette difficulté.

Cependant, ce que nous retiendrons préférentiellement des résultats de l’enquête; c'est que les problématiques traitées par nos supports d’autoformation sont estimées pertinentes par les enseignants ; cet intérêt ne suffisant pas à ce que cet outil soit réellement connu des enseignants, il apparaît désormais qu’en sus de la fourniture de cet outil autonome, informel et pratique, la formation des usagers doit également passer par une forme de ré-institutionnalisation à l’intérieur de l’université.

La persistance de cet enjeu a conduit à proposer un projet qui, dérivant d’Accrodoc, relève toujours des problématiques de la formation à distance : le SCD souhaite soumettre à l’Université, dans le cadre des maquettes de licence, un dispositif combinant autoformation et cours en présence qui permettrait d’inclure la formation aux compétences informationnelles à l’unité d’enseignement méthodologique imposée aux étudiants de licence. De cette façon, un travail plus étroit pourra être mené pour et avec les enseignants visant à « normaliser » la présence de la documentation dans les enseignements  en s’appuyant sur les outils numériques pédagogiques.

Pour aller plus loin

Sur l’autoformation :

Debon Claude, « L'autoformation, avec ou contre l'enseignement supérieur ? », Distances et savoirs 3/ 2003 (Vol. 1), p. 435-439
URL : www.cairn.info/revue-distances-et-savoirs-2003-3-page-435.htm.
DOI : 10.3166/ds.1.435-439

Sur les initiatives liées à l’autoformation aux compétences informationnelles en bibliothèque universitaire :

http://www.netpublic.fr/2014/02/formation-en-ligne-recherche-documentaire-culture-numerique/

https://tribuneci.wordpress.com/2012/04/18/usage-de-la-plateforme-moodle-pour-une-collaboration-transversale-dune-equipe-de-formateurs-forum-cours-base-collaborative-de-questions/

https://tribuneci.wordpress.com/2014/09/29/accrodoc-un-outil-au-service-de-la-formation-des-etudiants-aux-enjeux-documentaires/

[i] Il est à noter que les statistiques de consultation d’Accrodoc n’ont pas été substantiellement impactées par l’enquête. C’est étonnant dans la mesure où on aurait pu estimer que les répondants, ne connaissant pas l’outil, auraient eu massivement la curiosité d’aller voir le site à cette occasion.

La liberté d’expression, du Québec à la France

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Lorsque Tocqueville voyage en Amérique du Nord, ses différentes ­escales l’amènent à rencontrer des Québécois, nous sommes alors dans la première moitié du XIXe siècle, et l’auteur de De la démocratie en Amérique rapporte les discussions qu’il a pu avoir sur les sujets qui concernent la liberté. « D. – Avez-vous la liberté de la presse ? [demande Tocqueville] R. – Liberté complète illi­mitée. [répond Quiblier, un ecclésiastique de Mont­réal] D. – A-t-on quelquefois essayé de la tourner contre la religion ? R. – Jamais. La religion est trop respectée pour qu’un journaliste se permît de l’attaquer le moins du monde 1», peut-on lire dans Tocqueville au Bas-Canada où sont réunis la plupart des textes que Tocqueville a écrits à ­propos du ­Québec et de l’Ontario. La discussion résonne bien entendu assez vivement aujourd’hui, à une époque où, après les attentats du 7 janvier, la liberté de la presse a été mise, une nouvelle fois, en conflit avec le respect des figures religieuses. Nous nous proposons ici d’aborder le problème à partir des po­tentielles différences entre les médias québécois et les médias français.

Quand je suis arrivé au Québec en août  2014, je n’avais pas d’idées précises concernant l’univers médiatique dans lequel ce pays évoluait. Je suis arrivé comme un Français du début du XXIe siècle, qui n’avait guère les relations et les talents d’un Tocqueville pour saisir une société dans son ensemble ; d’autant plus qu’aujourd’hui le Québec est sans doute plus divers qu’il ne l’a jamais été dans son histoire. Cependant, il m’apparut rapidement intéressant d’écrire sur cette différence de conception de la liberté entre la presse québécoise et la presse française ; l’intérêt grandit encore quand j’eus à vivre les événements du 7 janvier au Québec même. Comment décrire une telle différence, tout en parlant du problème central de la liberté d’expression ? C’était alors la manière qui devait être questionnée ; exprimer un sentiment ou tenter de saisir une réalité construite scientifiquement ? Comme souvent en science ou en philosophie, le sentiment est un départ pour la recherche de quelque chose de plus universel. Aussi le présent texte se construit de la manière suivante : un témoignage général sur l’impression que donnent les médias québécois par rapport à la France ; puis, une approche plus scientifique et plus nuancée qui essaie de saisir, à partir des rares travaux sociologiques, une base d’appréhension pour comprendre cette différence, qui, enfin, ouvre à discuter philosophiquement dans des termes plus généraux. Ce texte sera donc très humblement tocquevillien : il part d’un regard quotidien sur un pays, cherche à le vérifier dans la science de son époque, puis le discute d’un point de vue philosophique.

Différences dans la presse : du politiquement correct québécois bien compris

Quand on passe de l’environnement médiatique français à l’environnement québécois, la première chose que l’on a tendance à remarquer, c’est le discours beaucoup moins conflictuel dans lequel les médias québécois évoluent. Comme le remarquent souvent mes amis québécois qui suivent de temps à autre les débats français : ici, on ne pourrait pas se permettre d’attaquer aussi ouvertement des idées ou des individus. Il y a un politiquement correct québécois qui s’entend comme une attention à l’interlocuteur en vue de ne pas choquer ni brusquer ; chose qui à l’inverse m’a toujours semblé plutôt positive en France, comme si la transgression était, à défaut d’être souhaitable, au moins bienvenue pour faire bouger les positions ou attaquer les opinions trop établies. Cette première hypothèse de divergence m’est apparue se concrétiser en septembre 2014, alors que deux des grandes figures du cinéma québécois, l’actrice Anne Dorval et le réalisateur Xavier Dolan, passaient dans l’émission de débat On n’est pas couché et se confrontaient assez vivement avec Éric Zemmour. Au Québec, les premières réactions, face à ce qui est devenu une petite affaire médiatique, se voulaient choquées et s’offusquaient de la méchanceté de l’interlocuteur. Certains journalistes québécois avaient d’ailleurs exprimé leur opinion sur la manière dont les Français suscitent des débats virulents. Dans Le Journal de Montréal, un journal populaire, un important blogueur 2 a pu ainsi parler de « Français [qui] aiment s’escrimer », ce qui amène parfois à une « colère et une exaspération sincères ». Première idée qui me vint ainsi après quelques mois de lecture de la presse québécoise : celle-ci serait plutôt consensuelle tandis que la presse française serait conflictuelle.

Deuxième chose que l’on tend à remarquer à force de feuilleter les principaux journaux québécois : une ouverture beaucoup plus grande des médias sur la sphère privée. Sans même aller vers les journaux populaires – comme Le Journal de Montréal ou Le Journal de Québec –, Le Devoir ou La Presse entretiennent d’importantes sections concernant la cuisine, les figures médiatiques, le bien-vivre, etc. Plus récemment, des animateurs de télévision se sont retrouvés au cœur de polémiques pour des affaires de mœurs que les médias, même les plus sérieux, prennent très à cœur. Ainsi, le cas de Joël Legendre, qui fut récemment épinglé par Le Journal de Montréal pour avoir été arrêté pour des actes obscènes dans un parc. Non pas que l’affaire ne justifie pas un certain éclairage médiatique mais, contrairement aux médias français où, jusqu’à encore récemment, il semblait que les affaires de mœurs concernant des personnalités ne soient reprises que par une certaine presse à scandale, on a ici trouvé des articles et des débats dans la plupart des médias. D’autant plus que l’affaire portait sur un acte mineur qui n’a donné lieu qu’à une faible contravention – Joël Legendre, acteur et chroniqueur de radio, a été découvert par un policier en train de se masturber dans un parc connu de la communauté homosexuelle. L’affaire ne se finit que lorsque ce dernier démissionna de toutes ses fonctions médiatiques. De sorte que je forgeai ainsi une deuxième idée concernant les médias québécois : ils seraient plus axés sur le domaine privé que leurs homologues français.

Enfin, troisième chose qui me semble différente dans la presse québécoise : le traitement des sujets ayant trait à des phénomènes de société, notamment la religion. L’influence d’une culture du consensus – qui n’a pas la même connotation ici qu’en France – m’apparaît palpable : il s’agit de ne pas provoquer sur des sujets proprement dits « sensibles ». C’est en ce sens que la publication des caricatures de Charlie Hebdo, suite aux attentats du 7 janvier, et la réception même de l’histoire globale de l’hebdomadaire ont pu se trouver plus nuancées au Québec qu’en France. Néanmoins, il faut souligner que, si bien des journalistes canadiens ont choisi de flouter le dessin du prophète, Le Devoir, et plus généralement les médias francophones, ont quant à eux choisi de les publier. Comme le déclarait alors Tom Henheffer, directeur général de l’organisme Canadian Journalists for Free Expression, « au Canada, nous n’aimons pas heurter les gens. Notre paysage médiatique est également différent. Les Français vont à la jugulaire quand ils insultent le pouvoir. Nous critiquons aussi, mais pas de la même façon ». Si cela est moins vrai pour le Québec, des médias comme Radio Canada (radio bilingue) ont choisi de ne publier aucune caricature. De là, donc, une troisième idée sur les médias canadiens : ces derniers seraient dans une approche plus nuancée de la liberté d’expression que ne le sont les Français.

Des preuves scientifiques de ces divergences ?

De ces trois idées, qui n’en sont donc qu’au seuil de sentiments, de pré-notions, autrement dit d’hypothèses, peut-on tirer une vérité générale sur le positionnement des médias au Québec par rapport à la France ? Trouver un outil scientifique fiable pour identifier des degrés de politiquement correct ou de consensus et réussir à se mettre d’accord sur une définition opératoire d’un tel concept, sans même parler de sa pertinence, semblent des objectifs ambitieux et difficiles à concrétiser, surtout dans le champ spécifique d’une comparaison entre les médias québécois et français. Sans doute faudrait-il approcher différents journaux sous un angle linguistique et sociologique afin d’avoir une idée fiable concernant les habitudes langagières des différents pays, et ensuite analyser les résultats pour savoir si l’hypothèse d’une société québécoise qui serait plus consensuelle que la société française puisse être assumée et généralisée. Notre premier sentiment est donc plus que difficilement généralisable, l’hypothèse est trop vaste, il paraît impossible de réunir dans une analyse complète l’ensemble des tendances des médias ; la science actuelle n’a pas encore fourni de travaux d’envergure sur le sujet.

La seconde hypothèse se trouve à peu près dans une configuration semblable : pour savoir si les médias québécois sont plus orientés sur la vie privée que leurs homologues français, il faudrait réussir à établir une comparaison valable de différents médias, et cumuler les résultats dans des agrégats. Peut-être pourra-t-on envisager un jour avec les outils informatiques d’avoir une base de données répertoriant l’ensemble des thèmes abordés par des groupes de médias au cours d’une année, ce qui permettrait d’avoir une vision plus fiable de ce qu’ont été les priorités des journalistes ; mais pour le moment, nous devons nous contenter de travaux plus locaux fixés sur seulement quelques médias et sur des périodes courtes 3. D’autant que tout cela ne se résume en grande partie qu’à de l’analyse de contenus et laisse souvent de côté la pratique journalistique du point de vue du journaliste lui-même, qui n’est pas sans importance.

Ainsi, si les deux premières hypothèses semblent difficilement, voire quasiment, invérifiables à l’heure actuelle, la troisième, concernant les différences de conception de la liberté de la presse, a légèrement plus attiré l’attention des chercheurs. En France, les relations des médias à la question religieuse ont commencé à être étudiées sérieusement depuis une dizaine d’années 4. Cependant, les analyses comparatives sont là encore compliquées, bien que des ouvrages aient tenté la chose. Lélia Nevert – doctorante en communication à l’université du Québec à Montréal et en histoire à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris – a ainsi publié un ouvrage sur la réception des caricatures de Mahomet dans deux journaux représentatifs de la France et du Québec 5, Libération et Le Devoir. Ce travail part de la publi­cation des caricatures de Mahomet par le quotidien danois Jyllands Posten et étudie le phénomène médiatique qui s’ensuivit dans l’année, notamment en février 2006, lorsque l’affaire s’internationalise véritablement. Quel­ques-uns de ses résultats semblent bien aller dans le sens de l’hypothèse d’une liberté différemment comprise des deux côtés de l’Atlantique. Libération aurait ainsi couvert les événements avec plus de contenus et d’articles et aurait mis en avant de nombreux éditoriaux concernant la laïcité et la liberté d’expression, tandis que Le Devoir se serait avant tout interrogé sur la question de la cohabitation interreligieuse et sur le respect mutuel. Ce résultat, s’il ne suffit pas à généraliser l’hypothèse, semble tout de même lui donner une première existence à partir d’un événement d’envergure analysé sociologiquement.

Trois différends sur la liberté d’expression

Au-delà donc de l’approche scientifique, s’agit-il de voir, partant toujours de ces trois hypothèses, quels différends philosophiques ces dernières sous-tendent-elles ? Un différend est, dans son acception commune, un désaccord d’opinions ou d’intérêts. Jean-François Lyotard a néanmoins, dans les années 1980, exploré la portée conceptuelle du terme de différend 6 afin de saisir les réalités des affrontements langagiers contemporains. Le différend présente ainsi le problème majeur d’une société démocratique : des jeux de langage s’affrontent dans une agônistique générale ; comment alors faire justice à chacun ? Un jeu de langage est une pragmatique de discours qui fait valoir un ensemble de règles, de pratiques, de valeurs. Toute phrase s’inscrit dans un jeu de langage ; agir est phraser – le silence est aussi un acte signifiant, tout comme l’ensemble des actes humains. Le problème défini par Lyotard, et notre problème aujourd’hui dans les médias, me semble pouvoir alors se définir sous la forme de trois différends, ou de trois conflits entre des jeux de langage irréductibles les uns aux autres et défendables. Ces différends ne sont cependant pas des antinomies, car dans le champ des jeux de langage, il y a des gagnants et des perdants, des jeux de langage dont les coups s’imposent dans la langue commune (ainsi des concepts ou des expressions deviennent-ils populaires).

Les deux premiers différends renvoient à nos deux premières hypothèses. Le premier serait un différend entre, d’une part, le droit de chacun à s’exprimer et même à critiquer violemment le travail d’autrui et, d’autre part, le respect des autres. C’est un problème qui dépasse le simple champ médiatique : dois-je dire ce que je pense même si cela peut blesser quelqu’un ou dois-je me faire en partie hypocrite et tenir compte prioritairement des sentiments que mes paroles pourraient susciter ? Molière oppose ainsi Alceste et Philinte. Deux jeux de langage s’affrontent : d’une part, celui qui fait de l’honnêteté intellectuelle son référent et, d’autre part, celui pour qui le référent consiste dans le respect et le bien-être des individus. L’un et l’autre sont irréductibles : l’un parle du soi, de sa fidélité dans le jeu de langage existentiel de son individualité, l’autre parle de la réception, d’autrui, de ce qui sera ressenti par le destinataire. Mais plus grave encore, l’un des deux sera nécessairement victime de l’autre : si on met en avant l’individualité authentique, ceux qui posent le respect comme priorité seront victimes d’un tort, et, à l’inverse, si c’est le respect qui triomphe comme référent, le soi authentique s’éclipse, et subit à son tour un tort. Le différend n’est donc pas dépassable, on ne peut qu’attester du sentiment d’une victime d’être lésée.

Transposé dans le cadre d’une comparaison du Québec et de la France, il semble que le langage commun ait, dans ces deux univers médiatiques, plutôt tranché pour l’un que pour l’autre. La France mettrait en avant, pour résumer, le soi authentique du journaliste critique, tandis que le Québec se placerait du côté du respect d’autrui. De la même manière, on trouverait un différend concernant la vie privée, entre le discours qui met en avant le droit des individus au secret, hors de l’espace public, a contrario du journalisme de la transparence qui cherche à attirer l’attention sur les différentes facettes de toutes les personnes publiques ayant de l’influence. Cela est bien entendu plus à développer, mais c’est déjà suffisant pour saisir l’idée générale du différend.

Le troisième différend concernant la liberté d’expression et la religion est d’autant plus important qu’il résonnerait avec des problèmes politiques modernes et postmodernes dont on a vu une triste manifestation lors des attentats du 7 janvier. Ce différend pourrait se formuler entre, d’une part, le jeu de langage du droit et de la liberté, qui prend comme référent l’émancipation des individus et leur autonomie radicale de créativité, et, d’autre part, le jeu de langage du sacré, qui se fixe comme référent principal l’importance de la sacralité et le respect de celle-ci. En ce sens, la position française serait en faveur de l’émancipation tandis que les médias canadiens et québécois – surtout anglophones – mettraient l’accent sur le nécessaire respect des croyances de chacun dans une démocratie. Ici encore, la figure de la victime peut être assumée par chacune des deux positions : on fait tort au jeu de langage de la liberté en ne la tolérant pas ; ou on fait tort au sacré en ne le respectant pas.

Arrivés là, nous avons transformé nos trois hypothèses de base, tirées d’un sentiment, en des problèmes philosophiques assez complexes. La France comme le Québec seraient deux exemples de deux positions différentes concernant trois mêmes problèmes. Comment essayer alors de dépasser ces problèmes ? Comment cependant ne pas juger, ne pas prendre parti ? Bref, comment résoudre un différend ?

Différend de domination et différend d’extermination

Un différend ne peut pas être résolu facilement : la voie ouverte est celle du témoignage de la souffrance dans un idiome commun ; d’autant plus que les différends se superposent et se multiplient dans le grand déchaînement des jeux de langage de chacun en démocratie. Le différend n’est donc pas un recul sceptique ou relativiste pour ne pas affronter un problème : il porte en lui-même un programme politique, celui de trouver comment convertir le tort d’une figure de victime en un témoignage toujours à faire, et de transformer une partie de ce tort en un dommage qui puisse être dédommagé. Dans le cadre du différend sur la liberté d’expression, le politique se doit de témoigner de son choix pour l’un des deux jeux de langage sans omettre la victime. La France et les médias français doivent admettre que le sacré est victime d’un tort dans la République ; le sacré y sera toujours soumis à la liberté, y compris le sacré de la République elle-même. Ils doivent témoigner de la souffrance que cela peut impliquer pour ceux qui se réfèrent à ce sacré et dédommager chacun avec des conditions d’écoute. Le Canada, à l’inverse, quoiqu’il ne soit pas véritablement dans le jeu de langage du sacré mais plutôt dans celui du respect, se doit de témoigner du tort qu’il fait aux caricaturistes qu’il n’accepte pas de publier.

Pour conclure, il paraît important de distinguer, parmi les différends, deux cas. Le premier cas est celui du différend de domination où un jeu de langage en domine un autre et s’impose dans la langue commune comme ayant une valeur plus haute. Ce différend est acceptable et trouve sa seule résolution dans un travail perpétuel pour transformer le tort en dommage et témoigner de la position du jeu de langage victime. Le second cas est celui du différend de l’extermination où le jeu de langage de la victime est annihilé par le jeu de langage dominant. Ce différend impose son jeu de langage par l’extermination de celui qui lui oppose un autre jeu contradictoire ; il cherche à finir, à terminer définitivement la suite des jeux de langage. Les dessinateurs de Charlie Hebdo ont été victimes d’un tel différend : voilà deux terroristes pour qui les journalistes ne devaient plus pouvoir phraser, ne devaient plus avoir la liberté d’offenser le sacré, définitivement. Le meurtre est alors l’émanation du pire des différends dans une tentative de résolution brutale. Lyotard, lorsqu’il écrit Le différend, s’attache à l’extermination du jeu de langage des communautés juives européennes pendant la Seconde Guerre mondiale, et explique que le différend de l’extermination est un différend qui se dépasse lui-même en tant que concept, parce qu’il annihile la victime au point qu’il menace la possibilité même de trouver une langue commune pour se parler. Le SS et le juif n’ont rien à se dire tout comme les terroristes ne veulent plus rien avoir à dire aux journalistes.

Ces différends terribles et meurtriers, d’où viennent-ils ? Comment s’en prémunir ? La réponse de Lyotard elle-même n’est pas très optimiste. Un différend est le fait de jeux de langage qui s’entrechoquent. Le politique, l’intellectuel, l’artiste, sont des gardiens des différends, ce sont eux qui peuvent tenter de faire justice aux différends : dédommager et témoigner, encore, et encore. Mais encore faut-il le temps, encore faut-il un pays où l’on puisse prendre le temps d’entendre le témoignage, prendre le temps de concevoir les souffrances des victimes – de toutes les victimes. Or, ce temps le capitalisme a tendance à l’aspirer en affairant chacun à des tâches toujours plus soumises à la rentabilité – c’est-à-dire à maximiser son temps.

De la France au Québec, malgré les différences qui séparent ces pays, le problème est donc d’une particulière actualité et rejoint en définitive ce que fut sans doute l’œuvre de Tocqueville : comment témoigner des différends, comment prendre le temps de dire tout ce qui se cache dans la masse infigurable des jeux de langage qui traversent une société, comment accepter même cette tâche humble de parler des sentiments liés à des jeux de langage victimes ? Sans pouvoir apporter de réponse unilatérale, le présent texte tenait à faire partager ces questions complexes à partir des traits saillants de deux sociétés à la fois proches et différentes, la France et le Québec. Et ce faisant, il espère avoir participé en partie à ce projet de témoignage.

 

1. Alexis de Tocqueville, Tocqueville au Bas-Canada. Écrits datant de 1831 à 1859, datant de son voyage en Amérique et après son retour en Europe, Les Éditions du Jour, 1973.
2. Mario Asselin, « La belle colère de Anne Dorval », 5 octobre 2014.
3. On trouve de nombreux mémoires sur ce point, comme celui de Marie-Ève Carignan, La construction sociale de la réalité via les bulletins d’information télévisés en France et au Québec : le cas de TF1, France 2, Radio-Canada et TVA, 2008, mémoire présenté à l’université du Québec à Trois-Rivières.
4. Notamment avec Médias et religions en miroir, sous la direction de Pierre Bréchon et Jean-Paul Willaime, Presses universitaires de France, 2000, coll. « Politique d’aujourd’hui ».
5. Lélia Nevert, Les caricatures de Mahomet entre le Québec et la France, Presses de l’université du Québec, 2013.
6. Jean-François Lyotard, Le différend, Éditions de Minuit, 1983.

Twitter en bibliothèque

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Objet de l’enquête

Après une étude des pratiques et des statistiques de publication sur Facebook concernant essentiellement les bibliothèques de Paris en 2014 [1], j’ai souhaité réaliser le même travail sur Twitter. Créé en mars 2006, Twitter compte aujourd’hui 288 millions d’utilisateurs actifs dans le monde dont 6.6 millions en France. Twitter est un réseau social de micro-blogging où l’on poste des publications de 140 caractères maximum. Celles-ci peuvent s’enrichir de liens, de photos, de vidéos, d’informations de localisation. On y fait de la veille, on publie des informations, on commente, on débat... Après Facebook, c’est le réseau social sur lequel sont le plus inscrites les bibliothèques. Il existe aujourd’hui 224 comptes de bibliothèques françaises.

Malgré ses 9 années d’existence, Twitter n’a lancé sa fonction statistique (ou « analytics ») qu’en juillet 2014. Cette fonction évolue régulièrement et propose des indicateurs sur le nombre de vues des tweets, les impressions, sur le pourcentage de retweets, de mise en favoris, de clics sur les liens. Un taux d’engagement paramétrable jusqu’à 28 jours dresse la moyenne entre toutes les interactions possibles. Contrairement à Facebook, il n’existe pas actuellement d'études sur le taux d’engagement moyen sur Twitter [2].

Forme de l’enquête

Cette étude se voulait à la fois quantitative et qualitative. L’aspect quantitatif permet aux bibliothèques de se situer les unes par rapport aux autres sur des critères statistiques purs. L’aspect qualitatif doit faire ressortir les meilleures pratiques pour s’améliorer et resituer les données dans un contexte.

55 comptes de bibliothèques de lecture publique, universitaires et de grands établissements furent contactés directement via Twitter et 25 répondirent à l’enquête (taux de réponse de 45%). 7 furent d’accord pour répondre mais ne donnèrent pas suite malgré une relance. Un questionnaire google fut envoyé aux comptes qui acceptèrent de participer et je reçus également 1 réponse spontanée [3].

On peut légitimement s’interroger sur la capacité à réellement s’emparer de la plateforme et à  développer une animation de communauté sur Twitter de la part des 23 bibliothèques qui ne répondirent pas (parmi lesquelles de grandes institutions nationales…).

Un premier biais vint altérer le caractère pleinement scientifique de l’étude. En effet, Twitter ne communique les statistiques qu’à partir du moment où celles-ci ont été activées, c’est-à-dire après la première connexion au service. Plus des trois quarts des bibliothèques interrogées n’avaient jusqu’à présent jamais entendu parler de la fonction « analytics », montrant ainsi un déficit de veille sur l’évolution des plateformes sociales, élément pourtant primordial pour publier efficacement sur n’importe quel réseau social [4]. Si l’enquête fut lancée en février 2015, elle dut être prolongée jusqu’à début avril. Il a donc fallu accepter de comparer des périodes différentes pour les établissements, incluant parfois des vacances scolaires. Toutefois on peut estimer que les données transmises donnent une vision intéressante des pratiques de publication et de leurs résultats.

Engagement moyen et comparatif statistique

Deux variables essentielles permettent de mesurer l’impact des publications et les interactions créées sur un réseau social.

La première de ces variables est le taux d'engagement. Il permet de matérialiser l’intérêt des followers pour les publications. Cet intérêt se traduit concrètement par des retweets, des mises en favori, des réponses, des échanges,  et peut déboucher par des visites à la bibliothèque ou l’utilisation des services en ligne de leur portail. C’est tout le sens de l’entonnoir du marketing entrant (ou « inbound marketing ») où l’apport d’une réelle plus-value, le conseil personnalisé, l’empathie, le divertissement et la démonstration de l’expertise permettent d’attirer le public [5], générant ce qu’on appelle du « lead ».

Le taux d’engagement moyen pour les bibliothèques s’élève à 1.9%. Sur Twitter, ce taux est le ratio de toutes les actions sociales (clics sur les publications, le profil, retweets etc) rapportées au nombre d'impressions. Il diffère du taux d'engagement sur Facebook qui est la somme des interactions (likes, commentaires, partages) rapportée au nombre de fans. Cette moyenne masque des réalités assez dispersées allant de 3,5 % pour la BU de Lille 2 à 0,7% [6] pour la donnée la plus basse.

Pour Twitter, l’autre variable importante est constituée par les impressions, c’est-à-dire le nombre de fois que vos publications ont été vues sur les 28 derniers jours. Les scores  s’étalent de 2100 à 601 600 pour Gallica [7]. Statistiquement, Gallica est un modèle à suivre en termes d’interactions, de ton et de pertinence des publications pour ses followers.

On peut comparer ces données à celles issues d’institutions culturelles d’importance pour mieux situer la place des bibliothèques et leurs performances.

Ainsi, sur la période de l’enquête :

  • les Archives nationales ont généré  93 000 impressions pour 1.1% de taux d’engagement
  • le Centre des musées nationaux : 632 000 impressions pour 2.7% de taux d’engagement
  • le Musée de la Marine : 87 000 impressions pour 1.4% de taux d’engagement
  • le musée Carnavalet : 240 000 impressions pour 2.4% de taux d’engagement

Il convient cependant de garder en mémoire que d’après les animateurs de communauté contactés, ces chiffres peuvent être très variables selon les événements et les grandes expositions.

Avec 1.9% de taux d’engagement, les bibliothèques semblent dans la moyenne des institutions culturelles et présentent des interactions tout à fait correctes. Elles n’ont pas à rougir de la comparaison avec les musées, loin de là. Certaines dépassent même de grands musées, montrant qu’elles parviennent à briser leurs frontières territoriales et à avoir un impact hors-les-murs non négligeable. Toutefois, la chute rapide du nombre d’impressions pour les bibliothèques les plus vues, comparées aux musées, semble montrer un intérêt moindre à suivre une bibliothèque et une capacité inférieure, pour le panel interrogé, à générer des followers et des impressions.

Comme sur Facebook, le nombre de followers n’est pas la donnée la plus pertinente pour mesurer la réussite d’un compte. Trop peu de tweets publiés à des moments peu pertinents ou n’étant pas forcément bien écrits ni intéressants conduiront à des impressions faibles et à un taux d’engagement bas. Sur les 25 bibliothèques de l'enquête, on constate une modulation très importante du ratio impressions/followers, allant de 3,06 à 190,47. Concrètement cela signifie que chaque publication a été vue entre 3 et 190 fois selon les comptes avec une moyenne pour l'échantillon de 43,15. Quels enseignements tirer de ce ratio ? Soit les followers du compte consultent peu Twitter et repèrent ainsi peu les publications, soit celles-ci sont numériquement insuffisantes ou publiées à de mauvais moments. Cela risque d'entraîner à moyen terme un désintérêt pour le compte et une perte du nombre de followers. Si l'on croise cette donnée avec le taux d'engagement, on peut penser que les bibliothèques ayant un ratio impressions/followers et un taux d'engagement tous deux inférieurs à la moyenne publient trop peu et avec des publications perfectibles. Les bibliothèques dotées d'un ratio inférieur à la moyenne mais d'un taux d'engagement supérieur peuvent estimer que leurs followers sont plutôt des personnes moins présentes sur Twitter mais qui apprécient leurs publications.  Un ratio et un taux supérieurs, comme pour la BU de Lille 2 par exemple, montrent que le public cible est très présent sur Twitter et est plutôt séduit par les publications du compte.

Pourquoi tel ou tel établissement parvient-il à générer plus de followers qu’un autre ? La notoriété ou le bassin de public de l’institution (l'université, la collectivité) jouent-t-ils les seuls rôles ? Plusieurs facteurs émergent.

Une partie de l’étude consistait à quantifier le nombre de publications sur les 28 jours d’analyse, mais aussi les interactions sociales effectuées par la bibliothèque. Pour simplifier la tâche des interlocuteurs, je n’ai demandé que les retweets et les mises en favori. Il apparaît que ces actions sociales vont de 679 à 0. Sur les 5 bibliothèques qui en réalisent le plus (Forney, Bibstaps, BSA Lille 3, la BIU Santé et Gallica) 4 figurent parmi les bibliothèques générant le plus d’engagement. Il existe donc une corrélation évidente : l’interaction entraîne l’interaction, et plus l’on répond, commente, met en favori, retweete, plus on peut obtenir en retour du contact, de l’engagement, des nouveaux followers et de l’intérêt pour l’institution, ses collections et ses services. 

Le nombre de publications est plus marginal comme générateur d’engagement. Même si Gallica et Bibstaps font partie des deux ensembles, les 5 comptes générant le plus d’engagement ne sont pas les 5 publiant le plus. On ne peut pas se contenter d’un nombre de followers élevé pour asseoir la réussite de son action sur Twitter. Celle-ci passe par des publications régulières. Ainsi sur les 9 bibliothèques dépassant le millier de followers, 2 publient  1 à 2 fois par jour en moyenne, obtenant des impressions et des engagements parmi les plus bas de l’étude. Or, l'accroissement de l'activité de publication sur Twitter, jusqu'à un certain point, est génératrice d'un engagement et d'un intérêt supplémentaire [8]. Il convient donc d’organiser un rythme régulier de publications, à des moments particuliers et de bâtir celles-ci selon des techniques propres à intéresser les followers.

Parmi ces techniques on trouve la publication régulière de clichés, notamment issus des collections pour valoriser celles-ci, et démontrer la capacité du bibliothécaire à sélectionner des contenus, les produire et les mettre en valeur. Par exemple, 16% des publications du musée Carnavalet sont constituées d’images, 11.9% pour publications de Gallica, et plus de 20% pour la bibliothèque Forney. Une institution dotée d’un fonds patrimonial doit donc profiter de ses collections et de leur numérisation pour rebondir sur l’actualité, les éphémérides et mettre ainsi en valeur ses documents anciens.

D’autres stratégies existent comme le fait de signaler directement à d’autres comptes Twitter une publication qui pourrait les intéresser. On génère ainsi de l’interaction, on montre son expertise dans la sélection de contenus personnalisés (la curation). Bibstaps s’est fait une spécialité de ce genre de publications et parvient ainsi à créer, enrichir et fortement animer sa communauté de followers. Outre ces manières de bâtir des publications, la réaction à des hashtags populaires et récurrents (les « trending topics » ou TT) permettent de s’intégrer facilement à l’environnement du réseau social, de gagner des followers et d’être mieux vu. Citons par exemple #vendredilecture #mardiconseil, ou ceux liés à la sortie attendue d’un film comme le prochain Star Wars par exemple. Le ton compte également. Des publications trop sèches, informatives, sans empathie ni commentaire ou humour trouveront beaucoup moins leur public que les autres.

D’autres techniques éditoriales peuvent également être mises en œuvre.

Comparaisons qualitatives

Une organisation éditoriale est la première étape pour bien publier sur Twitter. Elle implique de déterminer qui publie, à quel rythme, en faisant ou non participer plusieurs membres d'une équipe. Elle doit mentionner les objectifs de l'activité sur Twitter : commenter l'actualité, faire du « SAV » (régler un problème lié à un emprunt, à l’accueil, réserver une salle etc), informer sur l'établissement et ses services, retransmettre de l'information... Elle doit également intégrer des éléments qualitatifs et statistiques : quels publics vise-t-on, notamment.

Généralement, plusieurs personnes publient sur le fil Twitter d'une bibliothèque (pour 2/3 des comptes étudiés, il s'agit de 2 à 11 personnes). Généralement un chargé de communication ou le chef d'établissement coordonne les publications.  Hormis quelques cas, la hiérarchie semble laisser les agents relativement libres de publier, selon une ligne éditoriale définie à l'avance [9]. Tous les répondants mentionnent également que leur hiérarchie ne semble pas leur imposer d'objectifs particuliers, hormis le respect des devoirs du fonctionnaire et le contenu de la charte éditoriale. Il faudrait mener des entretiens plus longs pour déterminer si cette absence d'objectifs est lié à une méconnaissance de la tutelle de ce que Twitter peut apporter, ou à une réelle conscience qu'il faut laisser les chargés de communication relativement libres pour être pleinement créatifs.  Un répondant signale par ailleurs que l'activité sur Twitter a permis de crédibiliser leurs projets auprès de leur hiérarchie et des élus. Cette réponse est particulièrement intéressante car elle doit servir d'exemple aux autres établissements. Comme on le ferait pour des emprunts, des visites, il convient périodiquement de signaler à la hiérarchie les principaux éléments statistiques issus des réseaux sociaux pour montrer leur utilité, et que la bibliothèque s'est professionnalisée. Cela permet également d’éviter d'être placé sous la tutelle d'un service de communication trop éloigné du terrain...

Seulement 4 bibliothèques sur 25 signalent n'avoir pas encore de politique éditoriale. 5 restent également sur un positionnement relativement descendant, en ne publiant que des informations liées à la bibliothèque, à ses collections, à ses animations. Il est donc très intéressant de noter que la majorité des bibliothèques (16 sur 25) ont compris qu'elles devaient étendre le champ de leurs publications, relayer les tweets d'autres producteurs de contenus qui peuvent intéresser leurs followers, éventuellement les retoucher, les commenter. Cela permet de valoriser leurs followers, de créer de nouveaux contacts, de nouvelles interactions, d'animer sa communauté de fans car Twitter est évidemment un réseau social où les gens échangent. Il serait intéressant de creuser la part des publications propres de chaque compte et la part des publications issues de la curation de contenus, mais c'est un travail beaucoup plus long à réaliser. Peu de bibliothèques cherchent en outre à créer des rendez-vous réguliers avec leurs followers contrairement à Bibstaps, à Gallica ou à la BU de Lille 2. Plus de la moitié affirment ne pas rechercher spécialement l'interaction avec les followers, ce qui limite fortement le potentiel d'engagement et l'émergence de nouveaux usagers.

Toutes les bibliothèques n'ont pas bénéficié de formations pour accompagner leurs agents à savoir publier sur Twitter. Sur les 25 réponses, 5 ont suivi des formations spécifiques, 4 ont suivi partiellement des formations ou se sont autoformés de manière volontariste, et 16 n'ont suivi aucune formation particulière. Si avoir suivi une formation spécifique n'est pas forcément un gage de performance, celles avec un comité éditorial élargi, avec des agents formés tirent clairement leur épingle du jeu.  On pourrait mettre en exergue le cas de la BU de Lille 2 dont l'animateur de communauté a suivi la licence professionnelle « animation de réseau et de communautés » à La Roche sur Yon et parvient à dégager le meilleur score d'engagement. A contrario, les établissements dont les personnels n'ont pas suivi de formations, ne se sont pas forcément autoformés peinent à dégager des résultats et à créer des publications autres que descendantes. La seule exception notable est celle de Gallica qui, sans formation spécifique pour ses agents, anime un compte de référence grâce à une très bonne compréhension de ce qu'il faut proposer sur un réseau social. Le recrutement de personnes ayant suivi une formation initiale consacrée au community management, ou le suivi de cycles de formations sur ce sujet, doublé de la création de postes spécifiques de community managers, peut permettre aux bibliothèques de perfectionner leurs techniques de publication et renouvelleront les interactions numériques et physiques avec leurs usagers.

Au final, la majorité des bibliothèques (15 sur 25) dresse un bilan positif de leur activité sur Twitter. Cela leur a permis de faire connaître des services qui pouvaient être un peu dans l'ombre, d'être réactives et de montrer leur établissement sous un jour beaucoup plus contemporain. Certaines témoignent également de réussites très concrètes pour valoriser leurs collections, notamment patrimoniales, contribuant à positionner pleinement leur établissement dans les pratiques culturelles contemporaines des Français. 3 néanmoins sont peu satisfaites de leur action et 7 sont dans une position attentiste.

Les bibliothèques sont des producteurs de contenus qui réussissent globalement plutôt bien sur Twitter. Certaines parviennent à créer de nombreuses interactions avec leurs followers, à rendre un service de conseil de grande qualité et peuvent être considérées comme des modèles. Néanmoins, encore trop de comptes sont relativement descendants dans leur manière de dialoguer avec leurs followers. Le reporting, la mesure de l'engagement et des impressions n'ont pas encore été non plus pleinement intégrés au fonctionnement courant. Une autoformation régulière, associée à la compréhension de ce que les gens viennent chercher sur les réseaux sociaux, le recrutement de personnels dédiés et formés pour cette activité peuvent permettre aux bibliothèques de perfectionner encore plus leurs activités. Elles pourront ainsi positionner pleinement leur établissement et leurs personnels comme des experts dans la sélection et la recommandation de contenus, ce qu’attendent les publics présents sur ce réseau social.

Conseils

  • Suivre en masse à l’ouverture d’un compte les twittos de sa ville, de son université.
  • Elaborer une politique éditoriale qui ne soit pas uniquement descendante mais qui intègre des publications sélectionnées pour leur intérêt, qui valorise les usagers actuels et potentiels.
  • S'organiser en équipe pour diversifier les sources de publication, et faire gagner ainsi en compétences les agents.
  • Proposer des publications apportant une réelle plus-value, créatives, drôles, décalées et divertissantes.
  • Connecter ses collections et ses services à l’actualité internationale, nationale, locale... via Twitter.
  • Publier un nombre minimal de fois par jour en équilibrant les publications produites et les publications « curationnées » (20 % / 80 % avec pour objectif 5 à 6 publications par jour réparties dans le temps) ; faire se compléter son compte Twitter avec ses autres comptes de réseaux sociaux comme Instagram, Flickr, Pearltrees, Scoop.it et son blog pour éviter les redites et gagner du temps.
  • Organiser ses publications avec des outils prévisionnels comme Hootsuite, Buffer ou Overgraph.
  • Répondre aux commentaires, solliciter les avis, poser des questions.
  • Signaler des publications à des personnes qui ont des centres d’intérêt similaires à vos spécialités.
  • Consulter des sources sur les techniques de publication sur Twitter.
  • Aller au bout des possibilités du réseau social et proposer des services types S.A.V pour résoudre les problèmes des usagers (mettre de côté un document, réserver une salle...).

 

[1] http://bibliotheques-de-pret.paris.fr/userfiles/file/Nouveautes/Canopee/livre-blanc.pdf p 19

[2] On peut trouver des études sur les publications de grandes industries et organisation comme celle-ci datant de 2013,  ce qui est déjà assez vieux dans le monde des réseaux sociaux !

[3] Je remercie vivement les établissements suivants d’avoir pris le temps de répondre : la BDIC, les bibliothèques d’Angers, de Beaune, la Bulle Mazé, de Montreuil, du Mans, de Sciences-po Paris, les bibliothèques et médiathèques Marguerite Durand, Marguerite Yourcenar, Marguerite Duras,  Forney et Václav Havel de la Ville de Paris, la bibliothèque universitaire Sciences-STAPS de Caen, la BIU Santé, miss média des bibliothèques de Metz, la BNU Strasbourg, la bibliothèque des Sciences de l’antiquité à Lille 3, la BU de Lille 2, de l’université Montaigne à Bordeaux, les BU de Nantes, la BULAC, les médiathèques de Cergy, Gallica à la BnF, et la médiathèque de Sarreguemines ; la liste des comptes est disponible au format Twitter

[4] Voir mon article dans Bibliothèque(s) n° 73  page 5

[5] Sur le marketing entrant ou « inbound marketing »

[6] Top 3 : BU Lille 2, bibstaps 3,3%, bibliothèque Forney 3,1% – Gallica étant quatrième avec 3%

[7] Top 3 : Gallica, bibstaps  avec 141 400 impressions et BSA Lille 3 avec 60 400 impressions

[8] Voir Joffrey Martin, juillet  2014

[9] Cette liberté de publication masque cependant la permanence d'un nombre certain de collectivités qui interdisent à leur bibliothèque de disposer de comptes Facebook ou Twitter. Ces interdictions peuvent être dues à une volonté municipale de centraliser toutes les publications d'informations  sur la page d'une agglomération ou d'une ville, ce qui est totalement contradictoire avec les pratiques des  gens sur les réseaux sociaux ou par la crainte exagérée de dérapages non maîtrisés...  Elles peuvent être dues également à la volonté plus ou moins affirmée de services de communication de garder la main sur les comptes pour justifier de leurs crédits, positionnement parfois entretenu par l'idée que les bibliothécaires ne « savent pas faire ».

La correction participative de l’OCR

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Les documents numérisés par les bibliothèques font très souvent l’objet d’une océrisation, c’est à dire d’un traitement informatique de reconnaissance optique de caractères (OCR) qui va chercher à identifier à quel caractère correspond la photographie de tel caractère. La finalité de cette opération est généralement de permettre la production de fichiers pour liseuses, l’indexation par les moteurs, la recherche en texte intégral, la réutilisation, l’exploitation scientifique ou encore la fouille de textes (text mining). Malheureusement, ce type de traitement génère de nombreuses erreurs. Ainsi, une disparité, une déformation, une décoloration, une tâche, un trou dans le papier, des annotations manuscrites, des typographies anciennes, originales, irrégulières ou mal imprimées ou encore une numérisation de mauvaise qualité vont cacher ou déformer l'aspect d'un caractère et tromper le logiciel qui identifiera un autre caractère que celui réellement présent. Les multiples erreurs générées par le logiciel OCR pourront être partiellement corrigées avec l’aide d’une confrontation des textes avec des dictionnaires de mots, mais un contrôle humain demeurera nécessaire car, à l’issue du processus automatisé, jusqu’à 20 % d’erreurs demeureront et seule une correction non automatique sera susceptible de réduire ce pourcentage, dans la mesure où les solutions logicielles ne sont pas encore capables de rivaliser avec les capacités humaines. En ce qui concerne les écritures manuscrites en particulier 1, l’OCR n’existe encore qu’à l’état expérimental (« Intelligent Word Recognition ») et il est fort probable qu’il le demeure encore quelque temps.

Pour toutes ces raisons, les bibliothèques externalisent aujourd’hui ce travail de correction manuelle de l’OCR auprès de prestataires qui font appel à de la main d’œuvre à bas coût, à Madagascar, en Inde ou encore au Viêt Nam. Une alternative à ces coûteuses et parfois critiquables prestations est de faire appel au crowdsourcing, c’est à dire d’externaliser ces opérations auprès de la foule des internautes en les engageant à corriger les textes numérisés volontairement (crowdsourcing explicite), contre rémunération, sous la forme de jeux (gamification) ou encore sans qu’ils en aient conscience (crowdsourcing implicite) 2.

A partir d’un panorama des principaux projets dans le cadre de bibliothèques numériques publiques ou privées, notre étude propose une taxonomie originale des grands types de projets et cherche à en évaluer le rendement en termes financiers.

Taxonomie des formes de crowdsourcing utilisées

Le crowdsourcing explicite

Les projets de correction participative de l’OCR comme de transcription participative de manuscrits, peuvent être qualifiés de crowdsourcing explicite lorsque les internautes bénévoles qui y participent le font volontairement.

La correction participative de l’OCR

Concernant la correction participative et volontaire de l’OCR, en particulier, nous pouvons évoquer succinctement des projets comme Distributed Proofreader (l’un des plus anciens projets de crowdsourcing dans le domaine de la numérisation et qui consiste à ce que les bénévoles produisent des ebooks pour le projet Gutenberg et pour Internet Archive) Wikisource utilisé en France dès 2008 par la Bibliothèque de l’Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse puis par la Bibliothèque nationale de France en avril 2010, l’Australian Newspapers Digitisation Program (TROVE) (l’un des plus importants projets de correction participative de l’OCR avec près de 130 millions de lignes corrigées en mai 2014), le projet California Digital Newspaper Collection (CDNC) et le projet FUI12 Ozalid porté par la Bibliothèque nationale de France.

La transcription participative de manuscrits

S’agissant de la transcription participative et volontaire de manuscrits, nous pouvons citer le projet Transcribe Bentham qui consiste à transcrire les manuscrits du philosophe utilitariste afin de pouvoir les publier, le projet What’s on the menu ? (WOTM) qui propose une transcription participative de 45 000 menus de restaurant depuis 1840, le projet Ancient Lives qui consiste en une transcription de papyrus égyptiens, le projet ArcHIVE de transcription de catalogues d'archives, le projet What’s the score (WTS) pour des partitions de musique, le projet Monasterium Collaborative Archive (MOM-CA), pour les manuscrits médiévaux ou encore le projet Citizen Archivist Dashboard pour les archives nationales des USA.

La correction classique dans le contexte répond bien aux besoins d’internautes qui souhaitent profiter de leur travail bénévole pour mieux prendre connaissance de textes qui les intéressent. Par contre, elle serait moins performante que la correction hors contexte qui permettrait d’obtenir des résultats optimisés comme proposé, par exemple, par le projet COoperative eNgine for Correction of ExtRacted Text (CONCERT) développé par IBM Israël :

Texte alternatif pour l'image
Capture d’écran de CONCERT (étape du “tapis”) d’après https://www.digitisation.eu. Certaines lettres ne correspondent pas à la lettre h et peuvent être facilement identifiées

Le “tapis” ci-dessus affiche toutes les occurrences d'un même caractère trouvé dans le livre et identifiés comme suspects par le logiciel OCR. Au lieu de corriger chacun de ces caractères indépendamment dans leur contexte, le système permet à l’internaute d’identifier très rapidement les caractères qui ne correspondent pas. Dans l’exemple ci-dessus, un caractère est illisible, on lit 4 caractères “t” et 1 caractère “n”, tous les autres sont bien des caractères “h”. A partir des résultats obtenus au cours de cette étape, le système va apprendre, grâce à l’usager, à mieux effectuer son OCR.

Le crowdsourcing rémunéré

Au lieu de faire appel au travail gratuit et bénévole des internautes, il est également possible de rémunérer leur travail. Des plateformes de crowdsourcing rémunéré comme l’Amazon Mechanical Turk Marketplace, leader sur ce marché, mais aussi Guru, crowdflower et, pour la France, FouleFactory, permettent ainsi à des institutions et à des sociétés de proposer aux internautes des microtâches rémunérées à accomplir. Généralement, il s’agit de tâches difficiles à automatiser avec des programmes informatiques comme l’indexation d’images, la classification, la transcription audio, la rédaction de résumés, l’identification d’images obscènes, l’ajout de « likes », de relations, d’avis ou de commentaires sur les réseaux sociaux et, parfois même, la correction de l’OCR.

Concernant l’utilisation de l’Amazon Mechanical Turk Marketplace au bénéfice de projets de numérisation du patrimoine des bibliothèques, une expérimentation de transcription de manuscrits aurait permis d’obtenir des coût de 60 $ pour la transcription de 200 pages de manuscrits quand cette prestation aurait coûté 400 $ avec un prestataire traditionnel 3

La gamification

Il est également possible de faire jouer les internautes au bénéfice des projets de numérisation en leur faisant corriger l’OCR brute grâce à des jeux avec une finalité (“games with a purpose”). Ainsi, la Bibliothèque nationale de Finlande, à travers le projet Digitalkoot, propose le jeu “Mole Hunt” (ou chasse aux taupes) qui consiste à ce que des taupes sortent de leurs trous pour exposer à l’internaute une image du mot et une proposition de transcription. L’internaute doit déterminer le plus rapidement possible si ce sont bien les mêmes mots en le validant ou en le refusant. Ce faisant, il corrige les résultats de l’OCR brut.

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Figure 1. Capture d’écran du jeu Mole Hunt

Le deuxième jeu “Mole Bridge” (ou pont des taupes) consiste à transcrire les mots images pour construire un pont et faire traverser une armée de taupes. A chaque bonne réponse, une brique du pont à construire s’ajoute aux précédentes. En cas d’erreur, une brique du pont explosera et les taupes risqueront de tomber dans l’eau. A l’instar de n’importe quel jeu d’arcades, les décors, les vitesses, les distances… changent en fonction des changements de niveaux, ce qui stimule les joueurs à poursuivre leur progression et à continuer de jouer.

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Figure 2. Capture d’écran du jeu Mole Bridge

Nous pourrions également évoquer TypeAttack, un jeu Facebook permettant de faire corriger l’OCR de textes numérisés par des internautes, le jeu Word Soup Game ou encore le projet COoperative eNgine for Correction of ExtRacted Text (CONCERT) précédemment mentionné, car il fait également largement appel aux ressorts de la gamification.

Le crowdsourcing implicite

Enfin, il est également possible de bénéficier des contributions involontaires et inconscientes des internautes sous la forme de crowdsourcing implicite.

Ainsi, reCAPTCHA dont le slogan est "Stop spam, read books" et dont la vocation première est de vérifier qu’il s’agit bien d’un humain et non d’un robot malveillant qui souhaite ouvrir un compte sur un site web a été astucieusement utilisé par le New York Times puis par Google Books et Google Street View afin de faire corriger les textes océrisés ou les numéros de rues par les internautes 4. Ces derniers ignorent bien souvent  qu’ils participent à corriger les textes de Google Books, alors qu’ils effectuent leurs saisies exclusivement pour des raisons de sécurité et non pour participer à un projet culturel, C’est la raison pour laquelle on parle de crowdsourcing implicite. Les mots océrisés dans le cadre de ces projets de numérisation et non reconnus par des dictionnaires sont alors soumis aux internautes pour correction. Ainsi, reCAPTCHA affiche aux internautes systématiquement 2 mots sous forme d’images distordues : un mot en OCR à corriger par l’internaute et un mot en OCR déjà corrigé afin de vérifier que l’internaute n’est pas un robot.

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Figure 3. Schémas explicatifs du fonctionnement de reCAPTCHA 5

Le même mot à corriger est soumis à 3 internautes différents dans le monde et avec des distorsions différentes à chaque fois afin d’éviter qu’elles génèrent les mêmes erreurs. Leurs saisies sont ensuite confrontées. Si elles sont identiques, le mot est alors considéré comme corrigé. Sinon, le mot est soumis à d’autres internautes, chaque humain comptant pour 1 vote et chaque identification d’OCR pour 0,5 vote, jusqu’à ce qu’une hypothèse obtienne le total de 2,5 voix. Il est possible, pour les internautes de demander à reCAPTCHA d’afficher un autre mot au cas où ils ne parviendraient pas à le lire. Si le même mot est rejeté 6 fois, il est considéré comme illisible.

 Calculs, bénéfices et coûts

D’après les statistiques de reCAPTCHA, 68 % des mots sont corrigés avec l’aide de seulement 2 internautes, 18 % en nécessitent 3, 7 % en nécessitent 4, 3 % en nécessitent 5, 4 % en nécessitent 6 ou plus. Le résultat obtenu est un OCR corrigé à 99,1 %. En 2012, chaque jour, près de 200 millions de mots reCAPTCHA auraient ainsi été saisis par les internautes qui y auraient consacré 12 000 heures de travail par jour et ce rythme, annoncé comme croissant, pourrait être bien supérieur aujourd’hui.

Si nous souhaitons calculer les quantités que reCAPTCHA évite à Google Books de dépenser en correction de l’OCR, nous pouvons proposer les calculs suivants :

  • Si 68 % des mots nécessitent 2 internautes, chaque jour 200 millions de mots x 0,68 = 136 millions de mots saisis permettent d’obtenir 136 millions de mots / 2 internautes = 68 millions de mots validés.
  • Si 18 % des mots nécessitent 3 internautes, chaque jour 200 x 0,18 = 36 millions de mots saisis permettent d’obtenir 36 / 3 = 12 millions de mots validés.
  • Si 7 % des mots nécessitent 4 internautes, chaque jour 200 x 0,07 = 14 millions de mots saisis permettent d’obtenir 14 / 4 = 3,5 millions de mots validés.
  • Si 3 % des mots nécessitent 5 internautes, chaque jour 200 x 0,03 = 6 millions de mots saisis permettent d’obtenir 6 / 5 = 1,2 millions de mots validés.
  • Si 4 % des mots nécessitent au moins 6 internautes, chaque jour 200 x 0,04 = 8 millions de mots saisis permettent d’obtenir 8 / 6 = 1,33 millions de mots validés que nous pouvons arrondir à 1,3 millions dans la mesure où ils nécessitent 6 internautes ou parfois plus.

Au total, nous aurions donc 68+12+3,5+1,2+1,3 = 86 millions de mots validés par jour.

Si nous considérons qu’il y a 75 000 mots en moyenne dans un livre de 300 pages comportant 250 mots par page, chaque jour, l’équivalent de 86 millions / 75 000 = 1147 livres seraient ainsi corrigés chaque jour à un taux OCR de 99,1 %.

Si Google Books semble désormais ralentir le rythme de son programme de numérisation, son programme n’est pas encore achevé et il dépasse déjà de beaucoup les objectifs de 15 millions de livres annoncés début 2005 et qui semblaient, à l’époque, irréalistes. Le nombre de livres numérisés par Google Books dépasserait aujourd’hui les 30 millions de livres. Afin de corriger l’OCR de ces 30 millions de livres, il faudrait donc 30 millions / 1147 livres corrigés par jour = un peu plus de 70 ans au rythme de 2008. Leonid Taycher, ingénieur chez Google, évaluait sur son blog le 5 août 2010, à 129 864 880 le nombre total de livres imprimés depuis le début de l’imprimerie. La correction de l’OCR de tous ces ouvrages imprimés prendrait quant à elle 310 ans toujours au rythme de 2008.

Néanmoins, ce rythme est sans commune comparaison avec celui de correction de l’OCR pratiqué par les bibliothèques et qui est effectué à la main par des prestataires faisant appel à des pays en voie de développement comme Madagascar, le Viêt-Nam ou l’Inde. Si, à l’instar des bibliothèques, Google faisait appel à ce type de main d’oeuvre au lieu d’utiliser le crowdsourcing implicite des internautes via reCAPTCHA, et s’il finançait la correction de l’OCR pour un prix à la page compris entre 1 € et 1,5 € soit entre 300 € et 450 € pour un livre de 300 pages, il lui faudrait payer entre 300 € x 1147 livres = 344 100 € et 450 € x 1147 livres = 516 150 €. On peut donc raisonnablement considérer que reCAPTCHA évite à Google de dépenser plus de 400 000 € par jour, soit 146 millions d’euros par an.

En complétant ces estimations avec celles de Panagiotis Ipeirotis 5, de Brian Geiger et Frederick Zarndt 6 et de Frederick Zarndt 7, nous avons évalué les coûts que les projets suivants auraient eu à dépenser pour la correction humaine de l’OCR s’ils avaient fait appel à un prestataire classique :

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Tableau 1. Estimation du coût non dépensé en prestations de correction de l’OCR par quelques projets de crowdsourcing

Ces coûts non dépensés doivent toutefois être relativisés et être rapportés aux coûts qui ont eux été dépensés pour développer les systèmes de crowdsourcing, les administrer, assurer la communication des projets, le community management des volontaires et, parfois, pour réintégrer les données produites par les internautes dans la bibliothèque numérique.

Communitysourcing plutôt que crowdsourcing ?

Force est de constater que si les projets de crowdsourcing explicite s’adressent en théorie à des foules importantes d’internautes indifférenciés et anonymes, en pratique, la majeure partie du travail est généralement l’œuvre d’une minorité de bénévoles motivés qui contribuent régulièrement aux projets, communauté de fidèles volontaires qui s’assistent mutuellement 8, 9

Une manière originale et intéressante d’illustrer ce phénomène est proposée par le projet de transcription d’observation météorologiques Old Weather porté par la Citizen Science Alliance. Dans ce graphique, la taille de chaque carré est proportionnelle au nombre de notices transcrites. Sur le 1,6 millions de notices transcrites par 16 000 volontaires, un dixième l’a été par seulement 20 contributeurs :

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Figure 4. Illustration graphique du fait que quelques internautes produisent la majeure partie des contributions (Brumfield 2012)

Les participants aux projets Trove, California Digital Newspaper Collection ou Cambridge Public Library sont, pour le majeure partie d’entre eux, des généalogistes, des retraités aisés s’intéressant à l’histoire locale 10. Dans ces conditions, il est donc préférable de parler, pour tous ces projets, de communitysourcing ou encore de nichesourcing plutôt que de crowdsourcing 11.

Conclusion

Crowdsourcing explicite, rémunéré, gamification ou crowdsourcing implicite, la correction et la transcription participatives peuvent prendre des formes variées.

Les limites du temps de travail bénévole susceptible d’être mobilisé par le crowdsourcing explicite semblent se profiler et, avec la disparition prévisible des générations de retraités passionnés de généalogie et d’histoire locale, et avec l’amélioration des capacités des logiciels de reconnaissance de caractères, la correction participative de l’OCR pourrait avoir atteint un seuil critique à partir duquel les possibilités offertes par le crowdsourcing explicite seraient en train de se resserrer. Ainsi, comme le constate Marie-Louise Ayres 12, malgré une croissance continue du nombre de textes dont la correction est proposée par l’un des plus importants projets de correction participative de l’OCR, le projet TROVE, le nombre de corrections a finalement cessé de croître depuis 2011.

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Figure 5. L’évolution du nombre de corrections sur TROVE, d’après (Hagon 2013)

Bien que moins enrichissant intellectuellement pour les internautes, le crowdsourcing implicite sur le modèle de celui mis en œuvre par reCAPTCHA semble avoir de beaux jours devant lui. Néanmoins, le 3 décembre 2015 Google a annoncé 13 son remplacement par “No CAPTCHA reCAPTCHA”, un système de sécurité faisant désormais plutôt appel à la logique humaine.

Le crowdsourcing implicite tient compte du fait que seule une infime minorité d’internautes participe à Wikipedia ou à d’autres projets de crowdsourcing explicite et philanthropique et qu’il est, par conséquent, plus astucieux et beaucoup plus efficace, de recycler l’énergie des internautes dans leurs activités courantes sur le web. L’utilisation de ce système de Captcha par d’autres grandes bibliothèques numériques comme Internet Archive 14 pourrait donc être prometteur et apporter des corrections complémentaires à celles obtenues via la voie plus classique du crowdsourcing explicite et volontaire. Mais il ne pourra s’adresser qu’aux programmes de numérisation de masse. Pour les bibliothèques numériques plus modestes à la recherche de solutions simples et pragmatiques, en dehors de l’étude précédemment mentionnée 15 le crowdsourcing rémunéré avec l’aide de l’Amazon Mechanical Turk Marketplace a encore assez peu été expérimenté. Il devrait faire l’objet de nouvelles expérimentations très prochainement.

 

1. Brokfeld, Jens. 2012. « Die digitale Edition der „preußischen Zeitungsberichte“: Evaluation von Editionswerkzeugen zur nutzergenerierten Transkription handschriftlicher Quellen ». Master Informationswissenschaften, 148 p
2. Andro, Mathieu, Saleh, Imad. 2014. « Bibliothèques numériques et crowdsourcing : une synthèse de la littérature académique et professionnelle internationale sur le sujet ». Colloque International sur le Document Numérique, CIDE 17, 10 p.
3. Lang, Andrew S. I. D., Rio-Ross, Joshua. 2011. « Using Amazon Mechanical Turk to Transcribe Historical Handwritten Documents ». Code4lib Journal, vol. 15, 10-31.
4. Von Ahn, Luis, Maurer, Benjamin, Mcmillen, Colin, Abraham, Davis, Blum, Manuel. 2008. « reCAPTCHA: Human-Based Character Recognition via Web Security Measures ». Science no 321, 1465-1468. doi:10.1126/science.1160379.
5. Ipeirotis, Panagiotis G. 2011. « Managing Crowdsourced Human Computation ». WWW2011 tutorial, 29 March 2011, 196 p.
6. Geiger, Brian, Zarndt, Frederick. 2012. « No tempest in my teapot: analysis of crowdsourced data and user experience at the California Digital Newspaper Collection ». http://fr.slideshare.net/cowboyMontana/20121105-no-tempest-in-my-teapot-dlf-forum-denver
7. Zarndt, Frederick. 2014. « Crowdsourcing family history, and long tails for libraries ». http://fr.slideshare.net/cowboyMontana/20140628-crowdsourcing-family-history-and-long-tails-for-libraries-ala-annual-las-vegas
8. Owens, Trevor. 2013. « Digital Cultural Heritage and the Crowd ». Curator: The Museum Journal, vol. 56, 121–130. doi:10.1111/cura.12012.
9. Carletti, Laura, Giannachi, Gabriella, Price, Dominic, McAuley, Derek. 2013. « Digital Humanities and Crowdsourcing: An Exploration ». MW2013: Museums and the Web 2013: The annual conference of Museums and the Web, April 17-20, 2013, Portland, USA. 18 p.
10. Hagon, Paul. 2013. « Trove crowdsourcing behaviour ». http://www.information-online.com.au/pdf/Tuesday_Concurrent_2_1125_Hagon.pdf
11. Causer, Tim, Wallace Valerie. 2012. « Building A Volunteer Community: Results and Findings from Transcribe Bentham ». Digital Humanities Queterly, vol. 6, no 2, 26 p.
12. Ayres, Marie-Louise. 2013. « ‘Singing for their supper’: Trove, Australian newspapers, and the crowd ». IFLA World Library and Information Congress. Singapore. 9 p.
13. http://googleonlinesecurity.blogspot.fr/2014/12/are-you-robot-introducing-no-captcha.html
14. Gary, Nicolas. 2013. « Exclusif : Un Captcha pour Internet Archive, concurrent de Google Books ». ActuaLitté. https://www.actualitte.com/usages/exclusif-un-captcha-pour-internet-archive-concurrent-de-google-books-45939.htm
15. Lang, Andrew S. I. D., Rio-Ross, Joshua. 2011. « Using Amazon Mechanical Turk to Transcribe Historical Handwritten Documents ». Code4lib Journal, vol. 15, 10-31.

 

Bibliograhie

« Sweeping the library »

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La bibliothèque de Sciences Po Paris est engagée depuis une dizaine d’années dans un processus continu d’évaluation de la satisfaction et des usages de ses – environ – 12 000 lecteurs actifs. Deux bibliothèques principales à Paris (une bibliothèque de recherche de 85 places et une bibliothèque d’étude répartie sur neuf niveaux d’environ 800 places et deux bâtiments) permettent à l’établissement de disposer d’une place en bibliothèque pour 16 étudiants. Ce ratio doit être compris dans un contexte d’extrême variation de l’occupation des places selon les mois, les semaines et les heures du calendrier pédagogique. On assiste ainsi à des variations du taux d’occupation (calculé régulièrement par comptage des personnes installées en salles de lecture) allant de moins de 10% les matins de juillet, à plus de 100% à 13h aux mois de novembre ou avril, au moment des révisions qui précèdent les examens.

Trois enquêtes Libqual+ ont été menées en 2009, 2011 et 2014. Elles ont permis de mesurer l’impact de l’ouverture d’une nouvelle bibliothèque ultra-moderne de 400 places sur la satisfaction des usagers en 2010. Cependant, cinq ans après son inauguration, l’effet « nouveauté » s’est érodé. La satisfaction des usagers  sur l’aspect « bibliothèque comme lieu » est en baisse, et principalement celle de la sous-population des masters dont le niveau d’attente sur ces questions est le plus élevé parmi celui des différentes sous-populations étudiées dans l’enquête.  A défaut de pouvoir améliorer rapidement ce problème de pénurie de places qui nécessiterait des travaux très lourds, difficilement envisageables dans le contexte d’une bibliothèque implantée au cœur du 7ème arrondissement parisien, la bibliothèque s’est engagée dans une expérimentation d’élargissement des horaires d’ouverture jusqu’à proposer une ouverture de 8 heures à 23  heures, 16 semaines par an au cours de la présente année universitaire. Cette mesure a bénéficié d’un excellent écho et d’une fréquentation soutenue au point qu’elle sera sans doute pérennisée tout au long de la période pédagogique dans les années à venir.

Les trois enquêtes Libqual+ nous ont permis d’avoir une mesure assez fine (par sous-population d’usagers) de l’évolution de l’usage des ressources sur place et à distance de la bibliothèque. Les graphiques ci-dessous confirment le basculement de la priorité de l’accès distant. Les répondants du premier cycle étaient 91 % en 2009 à déclarer consulter sur place les ressources de la bibliothèque au moins une fois par semaine, ils ne sont plus que 74% en 2014. Pour les masters et doctorants on est passé de 83 à 75%. Dans le même temps, les répondants du collège universitaire étaient en 2009 80% à déclarer consulter via Internet les ressources de la bibliothèque au moins une fois par semaine, ils sont 84% en 2014. Pour les masters et doctorants, on est passé de 82 à 84%.

La consultation des ressources qui se faisaient d’abord sur place en 2009, se fait d’abord via internet en 2014.

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Evolution de la fréquentation des ressources pour la sous-population des Masters/doctorants

La bibliothèque de Sciences Po bénéficie donc d’une fréquentation de plus en plus soutenue dans un contexte d’usage des collections imprimées en baisse (aussi bien pour le prêt que pour la consultation sur place mesurée au travers de semaines test de la consultation conduites régulièrement depuis 2007) mais d’un usage des ressources en ligne en croissance exponentielle.

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Évolution du prêt à Paris 2009/14

Alors que le prêt de documents sur les sites parisiens suivait la courbe présentée ci-contre, le nombre de visites dénombrées à la bibliothèque passait de 630 000 en 2009 à 1,2 million en 2014.

C’est dans ce contexte qui peut paraître paradoxal que nous avons décidé en 2014 d’explorer plus avant comment les usagers des bibliothèques du 27 et 30 rue Saint-Guillaume (qu’on appellera 27 et 30RSG) s’appropriaient les espaces offerts. En janvier 2014, la bibliothèque de Sciences Po Paris a donc initié cette enquête auprès de 2 400 établissements, d'abord par la réalisation d'une étude de faisabilité puis par la mise en œuvre effective de l'enquête dès la mi-février. L'enquête a été pilotée par la Mission Marketing de la bibliothèque, assistée en janvier d'une stagiaire de l'Enssib en formation initiale des bibliothécaires d’État, cosignataire de cet article.

« Sweeping the library » ou la bibliothèque au tamis

Dans ce  contexte de diminution des prêts et de baisse de la consultation sur place, plusieurs bibliothèques, à l'instar de Sciences Po, ont constaté que leur fréquentation ne suivait pas cette pente descendante, mais, au contraire, avait tendance à croître. Elles ont souhaité savoir quels étaient les « nouveaux » usages des lieux, la difficulté étant, qu’à la différence du prêt et du retour des documents, ces nouveaux usages sont difficiles d’une part à identifier et d’autre part à quantifier.

L’objectif général de cette méthodologie d’enquête appelée « Sweeping the library » (littéralement « balayer la bibliothèque »), que l'on pourrait traduire par « la bibliothèque au tamis », est de cartographier l’organisation physique de la bibliothèque et l’utilisation des espaces au moyen d'une grille d'observation des profils, matériels et activités des usagers installés dans la bibliothèque. Cette approche ethnographique, initialement utilisée par les aménageurs étudiant par exemple l’appropriation des espaces commerciaux par les clients, a ensuite été appliquée aux bibliothèques.

Les résultats de ce type d’étude peuvent être employés comme aide à la décision pour l’aménagement à court et à long terme des espaces, pour une meilleure adéquation des services aux attentes des usagers de la bibliothèque, ou pour remodeler l'espace des interactions sociales au sein de la bibliothèque selon les comportements d'utilisation des différents types d’usagers.

Étude de faisabilité de l'enquête à Sciences Po

                Benchmarking : les enquêtes « Sweeping the library » en France et dans le monde

La première phase du projet a consisté en l'étude comparée des enquêtes Sweeping déjà menées en France et à l'étranger par six bibliothèques municipales (ou réseaux) et dix bibliothèques universitaires, aux profils très hétérogènes. Les pays anglo-saxons (Canada, USA et Angleterre) et les pays scandinaves (Norvège et Finlande) ont expérimenté ce type d'enquêtes largement et dès 1999 pour les bibliothèques de Toronto et Vancouver. Dans les pays francophones, seule la Belgique et la France semblent s'y être essayées plus récemment mais de manière très marginale (une seule bibliothèque en Belgique, à Louvain, comme en France, à Toulouse Le Mirail). Cette recherche a été faite à partir de recherches menées sur le web et de l’étude des bibliographies et des références mentionnées dans les rapports trouvés et étudiés.

Bibliothèques étudiées

  • Bibliothèques municipales de Toronto et Vancouver (Canada)
  • Edmonton public library (Canada)
  • Réseau des bibliothèques municipales de Nova Scotia (Canada)
  • Bibliothèque municipale de Drammen (Norvège)
  • Li Ka Shing Library (Singapour)
  • Bibliothèque universitaire de Mount Royal (USA)
  • James A. Gibson Library, Brock University (Canada)
  • Bibliothèque de l'université catholique de Louvain (Belgique)
  • Goddard Library de la Clark University (USA)
  • Joyner Library de la East Carolina University (USA)
  • Krupp Library, Bryant University (USA)
  • Pilkington Library, Université de Loughborough (Angleterre)
  • Oslo University College Learning Centre
  • Bibliothèque universitaire de l'université de Tampere (Finlande)
  • Bibliothèque universitaire de l'université Toulouse Le Mirail (France)

L’étude des travaux publiés a permis de dégager des tendances et d'établir les premières préconisations méthodologiques pour une application de l'étude à la bibliothèque de Sciences Po. Les points observés ont été la durée et la période de l'étude, l'organisation des rondes d'observation, le personnel participant à l'étude, le mode de collecte ou les outils techniques utilisés, le nombre de personnes observées et la population de référence, l'utilisation d'autres enquêtes complémentaires, la communication mise en œuvre autour de l'enquête. Les grilles d’observation utilisées par les bibliothèques ayant expérimenté la méthode « Sweeping the library » ont également été analysées afin d’élaborer une grille d’observation applicable au contexte de Sciences Po Paris . On a ainsi relevé entre 15 et 25 activités listées par grille. Les effets personnels et le profil de l’usager sont renseignés dans la majorité des études et, si on observe de légers changements dans la formulation ou le niveau de détail des activités listées, celles-ci sont globalement similaires (lecture, écriture, utilisation d’ordinateur, de téléphone…)

A l'issue de cette synthèse, une première grille d'observation applicable à Sciences Po a été construite selon les préconisations suivantes :

  • Distinguer le lieu où se déroule l’activité (27 rue St-Guillaume, 1er étage, 30 rue St-Guillaume Rez-de-chaussée...) et le mobilier ou équipement où se trouve l'usager (table de travail avec ou sans ordinateur, fauteuil…) de l’activité elle-même (lire, écrire, consulter un ordinateur… : une liste de 20 à 25 activités a été établie).
    On entend par mobilier les pièces d'ameublement (tables, chaises, etc.) et par équipement le matériel à disposition (photocopieurs, automates de prêt/retour, ordinateurs, etc.).
     
  • Diviser la grille en cinq catégories : Profil, Lieu de l’observation, Mobilier & équipement, Effets personnels, Activités en cours de réalisation

Tests du questionnaire

Afin de vérifier sa pertinence et faire les modifications nécessaires, nous avons testé cette première grille d'observation avec un formulaire papier le jeudi 9 janvier 2014 au matin au cours duquel six personnes ont été observées. Un formulaire avec l'outil Modalisa (de la société Kynos) a ensuite été créé et de nouveaux tests ont été effectués sur le terrain, dans les deux bibliothèques, les 14 et 16 janvier 2014. Une tablette Ipad a été utilisée pour renseigner le formulaire en ligne. Ces deux phases de tests nous ont conduits à modifier et affiner la grille d'observation (elle le sera régulièrement jusqu'au début effectif de l'étude), par exemple en remplaçant le champ libre Age par deux options à cocher (18-25 ans et Autre). Nous avons également choisi de conduire les observations en binôme afin de diviser les tâches et de tendre vers une observation la plus exhaustive possible. Pendant qu'un des observateurs procède à l’observation uniquement, en circulant le plus discrètement possible près de la personne observée, sans tenir de tablette ni de formulaire papier susceptible d’attirer l’attention, le second observateur renseigne le formulaire dans l’Ipad, selon les informations transmises par le premier observateur, en se tenant un peu à l’écart de la personne observée. Avant de valider le formulaire, le second observateur fait une dernière observation rapide pour éventuellement compléter celle de son binôme.

Le benchmarking et les premiers tests d'observation sur le terrain ont confirmé la pertinence et la faisabilité d'une telle enquête à Sciences Po. La suite du projet s'est donc concentrée sur la définition de ses modalités pratiques et méthodologiques, à travers la cartographie des espaces et l'organisation des rondes d'observation.

Cartographie des deux sites de la bibliothèque

L'objet d'une enquête de type « Sweeping the library » est de déterminer les usages des publics en fonction des différents espaces de la bibliothèque afin de remodeler ces derniers pour une meilleure adéquation espaces / usages. Bien connaître les espaces, mobiliers et équipements des deux sites de la bibliothèque était donc un préalable indispensable.

Mise à jour des plans de la bibliothèque

En parallèle de l'élaboration de la grille d'observation et des premiers tests, un important travail de cartographie des espaces de la bibliothèque a donc été réalisé d’après les plans fournis par le département Support de la bibliothèque. Selon le site concerné, ces plans dataient de 2010 ou 2011 et n'avaient pas été modifiés en fonction des changements d'agencement, ajouts ou suppressions de matériels survenus depuis. Une comparaison entre les plans et les espaces réels a donc été effectuée sur le terrain afin de les mettre à jour. Un code couleur a été utilisé sur les plans papiers pour différencier les espaces avant une mise à jour des plans au format électronique qui ont ensuite été mis à la disposition du personnel de la bibliothèque sur le serveur des fichiers communs.

Inventaire des mobiliers et équipement

L’actualisation des plans s'est accompagnée d'un inventaire des différents équipements et mobiliers ainsi que du nombre de places assises dans la bibliothèque.  24 mobiliers et équipements différents ont été répertoriés.

Les deux sites de la bibliothèque disposaient selon ce comptage de 703[1] places dont 397 au 27SG et 306 au 30SG. Toutefois, il semble difficile de faire une estimation précise du nombre de places, celles-ci variant légèrement au gré des ajouts ou retrait de chaises, notamment les chaises pliantes (dites « flottantes »). Sans considérer ces chiffres comme absolus et officiels, ils donnent un ordre d'idée des places assises disponibles à la bibliothèque et de leur répartition au sein des différents espaces. C'est par exemple sur ce dernier point que les résultats de l'enquête peuvent influer afin de permettre un réajustement du type d'assise (fauteuils, chaises, canapés...) en fonction du type d'activité observé.

Zonage des espaces par étages

Après avoir cartographié les espaces et compté les places disponibles niveau par niveau, chaque niveau a été divisé en grandes zones permettant de circonscrire, outre le mobilier ou l’équipement utilisé par l’usager et l’étage où il se trouve, une zone plus précise au sein de l’étage. Selon les étages, trois à six zones ont été définies. L’objectif de ce zonage plus fin est de permettre de dégager des zones plus ou moins fréquentées ou favorisant un certain type d'activité, indépendamment du mobilier ou de l’équipement. En effet, certains mobiliers ou équipements pouvant se retrouver à différents endroits de l’étage observé (par exemple les tables de travail), ne renseigner que l’étage et le type de mobilier utilisé ne permet pas toujours de localiser exactement l’usager dans l’espace. En déterminant des zones pour chaque niveau, on peut ainsi, par exemple, déterminer si les tables de travail situées à droite de la banque d’accueil sont plus utilisées que celles situées à gauche.

Les zones déterminées comprennent les mobiliers et équipement mais également le sol qui se doit d’être cartographié comme un espace observable (notamment lorsque l’usager se tient debout ou assis sur le sol, sans utiliser d’équipement). On a toutefois choisi d’exclure les carrels (ou salles de travail en groupe) de l’étude car il y est impossible d’y faire des observations discrètes.

Organisation des rondes d'observation

Élaboration d'un circuit d'observation

A l'issue de ce zonage, un circuit d'observation décrivant l'itinéraire à emprunter par chaque binôme, niveau par niveau, a été établi. L'objectif d'un circuit précis à suivre est de s'assurer le plus d'objectivité possible dans l'observation. Tous les observateurs procèdent de la même manière selon une méthodologie précise, déterminée en amont. Suivre un circuit pré-déterminé permet également de s'assurer de balayer chaque zone et, dans chacune de ces zones, d’observer une personne sur chaque type de mobilier ou équipement. Quelques principes ont par ailleurs été définis :

  • Ne pas porter de signes indiquant son appartenance aux membres du personnel (badge)
  • En cas de faible affluence, observer au moins une personne dans chaque zone, voire une place occupée par des affaires si l’usager est absent.
  • En cas de forte affluence, il n’est pas possible d’observer chaque individu. On observe alors systématiquement la 3ème personne entrant dans son champ de vision dans chaque zone afin de limiter la subjectivité dans le choix des individus à observer.
  • A l’issue de chaque ronde d’observation, le binôme peut prendre des notes sur l’Ipad pour renseigner des observations générales sur le taux de fréquentation ou l’ambiance générale dans la bibliothèque. Par exemple, « ambiance particulièrement bruyante », « nombre important d’usagers assis par terre ».
  • L’Ipad est rangé à un emplacement prévu à cet effet où chaque binôme vient prendre la tablette, la ranger et la recharger avant et à l’issue de chaque ronde.

Planning de mise en œuvre de l’étude

Des réunions spécifiques ont eu lieu lors de la semaine du 27 au 31 janvier avec des membres du groupe de travail impliqué dans la Mission Marketing, notamment la responsable de l'encadrement des vacataires, afin de déterminer les modalités calendaires de déroulement de l'enquête, l'objectif étant de couvrir les différentes périodes d'affluence à la bibliothèque et d'atteindre un nombre suffisant de personnes observées pour pouvoir être représentatif[2].

Les modalités de mise en œuvre de l'enquête qui ont été choisies sont les suivantes :

  • Observations pendant le 2ème semestre, de février à septembre 2014, sur 9 semaines
  • Collecte couvrant tous les jours d’ouverture de la semaine, soit du lundi au vendredi ou samedi selon les semaines
  • Autant de rondes d’observation qu’il est nécessaire pour coller au mieux à la saisonnalité heures/jour/mois de la fréquentation de la bibliothèque soit 49 rondes au 30SG et 54 au 27SG pour un total de 103 rondes (une ronde pouvait durer de 30 minutes à 1H30)
  • En moyenne, 24 personnes observées par ronde (en situation réelle), soit 28 personnes au 27SG et 20 au 30SG
  • Base de 6 binômes d’observateurs, soit 12 observateurs
  • 49 rondes d'observation qui se déroulent simultanément au 27SG et au 30SG pour permettre une comparaison des observations selon le site et 5 observations supplémentaires dans la bibliothèque du 27SG plus fréquentée.
    Un binôme doublon est prévu par créneau en cas de désistement d’un ou des deux observateurs.

Semaines d’observation

Semaine 1 : 24 au 28 février (vacances)
Semaine 2 : 3 au 8 mars (retour de vacances)
Semaine 3 : 31 mars au 5 avril (cours)
Semaine 4 : 14 au 18 avril (cours)
Semaine 5 : 12 au 17 mai (examens)
Semaine 6 : 26 au 30 mai (oraux)
Semaine 7 : 16 au 20 juin (vacances)
Semaine 8 : 30 juin au 4 juillet (vacances)
Semaine 9 :  8 septembre au 13 septembre (rentrée)

Les semaines d'observation choisies couvrent l'ensemble des différentes périodes et permettent une représentation homogène de l'année universitaire.

A l'exception des deux premières semaines qui se suivent, on a choisi d'espacer les semaines de déroulement de l'étude afin de ne pas mobiliser les observateurs sur plusieurs semaines d'affilée et de permettre des pauses pendant l'enquête pour faciliter des phases d'analyse partielle des résultats en cours d'étude.     

Recrutement et formation des observateurs

A l'issue de la validation de ce calendrier en comité de direction, des observateurs volontaires ont été sollicités auprès de l'ensemble du personnel de la bibliothèque. Les observateurs se sont inscrits dans les créneaux de leur choix entre le 31 janvier et le lancement de l'enquête le 24 février dans un fichier mis à disposition dans l'outil Google Drive.

Le lancement de l’étude a été précédé d'une formation à l’utilisation du formulaire sur Ipad et au parcours de circulation dans les différents espaces. On a veillé également à bien expliciter les termes du formulaire pour éviter toute ambiguïté et une collecte des données différente selon les observateurs. Des phases de tests ont été réalisées par les observateurs afin qu'ils se familiarisent sur le terrain avec le formulaire et le parcours. Un Guide de l'observateur, reprenant les éléments méthodologiques nécessaires à l'observation (principes généraux, circuit d'observation, zones, calendrier) a été élaboré à cette fin.

Les résultats des observations

Il  convient de garder à l’esprit les limites induites par ce type d’observation. Un des biais est qu’il peut surreprésenter les activités qui se déroulent dans la durée (par exemple la rédaction) par rapport à des activités courtes (envoyer un sms). L’observation capture un cliché des activités auxquelles l’étudiant est occupé.  L’observateur ne s’arrêtant que quelques secondes ou minutes devant chaque étudiant, il paraît évident que les activités les plus engageantes dans le temps seront celles qui seront le plus fréquemment observées.

Au cours des 8 mois de l’étude, on constate que la présence des étudiants est forte tout au long de la période pédagogique, mais surtout en mars (période de cours) et jusqu’aux examens de mai, puis à la rentrée ; la présence des plus âgés est proportionnellement plus importante en juin et juillet ; les places fantômes sont significativement importantes lors des examens du mois de mai (9% du total des observations). C’est donc au moment où la pression sur les places est la plus importante que les étudiants « gardent » leurs places en y laissant leurs affaires pour pouvoir la retrouver à leur retour.

A l’issue des six mois d’enquête nous disposions de 2407 observations collectées dans tous les espaces, à toutes les heures de tous les jours de la semaine. Ces données, collectées avec l’outil Modalisa, ont pu être traitées et analysées par cet outil qui permet à la fois de définir des sous-populations et de croiser toutes les (39) questions possibles. Le champ de l’analyse qui s’ouvrait à nous était donc … vertigineux ! La première investigation a porté sur le portrait de l’usager …

Une bibliothèque fréquentée par les étudiants…

« Les premières impressions, c’était plus : il faut y aller parce qu’il faut travailler et il faut être sérieux. Et avec les années et l’apprentissage de comment travailler, par exemple, en deuxième année, je travaillais beaucoup plus chez moi et je venais à la bibliothèque que quand j’avais besoin de certains livres. Maintenant, en Master, c’est l’endroit où je travaille ».

L’usager observé est plutôt une fille – à 52% - (57% de jeunes filles sur le campus de Paris); 89% avaient l’âge d’être étudiant[3] . Les 133 personnes observées qui n’avaient plus visiblement l’âge d’être étudiantes, étaient à 72% des hommes, 15% avaient des documents sur leur table de travail, ils fréquentaient plus souvent la bibliothèque du 30 rue Saint-Guillaume, ils ont été plus significativement observés en juillet que le reste de la population observée, plus souvent sans ordinateur (à 47%), plus souvent engagés dans une opération de prêt/retour.

A contrario, les plus jeunes (identifiées dans notre grille comme faisant partie de la catégorie 18-25 ans) – soit 2136 individus – se distinguaient de la catégorie précédente comme étant plus souvent une femme, consultaient plus souvent Facebook, est plus souvent installé pour travailler en groupe, utilisaient plus souvent un smartphone, étaient plus souvent installé dans la bibliothèque du 27 rue Saint-Guillaume.
 

Texte alternatif pour l'image
Répartition des effets personnels observés auprès des usagers (2407 observations)

Ces deux populations ayant été décrites dans leurs différences distinctives[4], retenons que les caractéristiques générales de nos usagers, telles que l’observation nous les a montrées, sont les suivantes :

  • 84,5% sont installés pour travailler seuls
  • 41% disposent d’un ordinateur personnel  (dont 15%  sont installés à des postes avec ordinateur de la bibliothèque)
  • 35% ont un smartphone visible (ou en cours d’usage)
  • 28% ont des livres ou périodiques disposés sur leur table

…Qui étudient …

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Répartition de l’activité observée selon le type (2407 observations)

Répartition de l’activité observée selon le type (2407 observations)

Ce qui est frappant dans les observations est la prépondérance des activités scolaires dans lesquelles sont investis les usagers étudiés. Au moins les trois-quarts d’entre eux se consacraient à une activité scolaire. Dans une étude similaire menée en 2011 dans deux universités du Long Island, portant sur l’observation de 730 utilisateurs de la bibliothèque (où 90% des utilisateurs observés avaient moins de 25 ans) Lawrence Paretta[5] et Amy Catalano ont mis en lumière que 60% des observations concernaient des activités liées aux études (lecture/rédaction). Cependant, bien que les étudiants étaient engagés dans des activités académiques, ils consultaient également Internet pour des activités non scolaires[6].  Dans notre enquête, les 375 étudiants engagés dans une activité considérée comme « privé-ludique » plus souvent que le reste de la population étudiée téléphonaient (42/375), dormaient (21/375), avaient un smartphone (45/375) étaient dans le sas d’entrée, dans les escaliers ou encore dans les fauteuils rouges situés à l’entrée de la bibliothèque du 27, consultaient Facebook (88/375) ou Youtube (14/375). Si on distingue les usages selon les espaces, on constate que les activités privés-ludiques ont constitué 29% des observations faites dans les escaliers, le jardin ou les entrées mais 14% des espaces de travail.

…dans les espaces réservés à cet usage …

La grille d’observation que nous avons construite permettait également de creuser les rapprochements entre type d’usage et type de mobilier ou espace. L’outil Modalisa nous permettait également, comme dans l’exemple du tableau suivant de souligner les liens PEM et « d'estimer la force de l'attraction entre deux modalités ». Ci-dessous, la variation du vert clair ou vert foncé souligne les PEM significatifs dans un classement croissant : on voit ainsi que la banque Prêt/Retour ou les rayonnages sont fortement corrélés à un usage académique ou scolaire. Les zones de transit (escalier, ascenseurs) ou de détente (canapés alcôve, fauteuils rouges)   génèrent de façon significative des usages privés ou ludiques (ou simplement de repos ou de circulation). Certains types de mobilier, compte tenu de leur disposition, n’ont pas permis aux observateurs de spécifier l’activité de l’étudiant (par terre ou dans les canapés) : ils ont donc choisi la catégorie « Ne sait pas ».

SI ces résultats peuvent apparaître comme sans suprise, ils permettent de vérifier cependant que le choix de mobilier complémentaire, plus ou moins confortable, plus ou moins propice au travail a un réel effet sur l’appropriation qui en est fait par les étudiants et sur les usages de repos que s’autorisent ces étudiants soumis à la lourde pression du temps et du travail.

 

Texte alternatif pour l'image
Distribution des 2407 observations selon  mobilier ou l’espace occupés (en%) en fonction de la typologie de l’usage avec coloration des Pourcentage de l'Ecart Maximum (PEM) significatifs

Les activités ont été jugées bruyantes dans 7,3% des cas. 50 des 176 cas qualifiés de « bruyants » se sont déroulés dans les escaliers, 82/176 dans des espaces de circulation ou d’interaction avec le personnel de la bibliothèque. Cependant la variation de cet indicateur tout au long des huit mois de l’observation varie peu (10% d’activités jugées bruyantes pendant les examens de mai ou 10,6% pendant la période de cours de mars ; et 4 ou 5% pendant les mois d’été).

Si l’on regarde l’espace ou le mobilier qu’occupent les usagers, on constate que plus la bibliothèque est saturée, plus les usagers occupent l’ensemble des espaces et du mobilier offert. Par défaut, et en premier choix, ils utilisent les places sur table collective et les tables individuelles. C’est également – bien entendu – ce mobilier qui est largement majoritaire dans la bibliothèque (en nombre offert : 324 places de travail individuelles sans ordinateur / 253 places de travail individuelles avec ordinateur).

Le mobilier plus confortable qui a été proposé dans l’idée de diversifier les usages n’est largement utilisé qu’au moment où la bibliothèque est fortement occupée, comme le montre le graphique suivant qui rapproche la courbe des entrées par mois et le nombre d’observations d’étudiants faites sur ces fauteuils. Hors des périodes d’affluence, l’usage des mobiliers confortables reste minoritaire et réservé aux activités de loisirs.
 

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Distribution des 2407 observations  le mobilier occupé (de février à septembre) en rapport avec le nombre d’entrées à la bibliothèque

Certains espaces ne sont occupés que dans les périodes de saturation : il s’agit des bancs du sas d’entrée de la bibliothèque du 30RSG, le sol (les étudiants ont été vus installés à même le sol surtout en avril, mai et septembre), et, comme on vient de le décrire les sièges BLA[7], les canapés Alcôve, les fauteuils rouges et les fauteuils gris.

Selon la règle du cumul …

C’est donc un usage très convenu des espaces que font les étudiants observés, respectant, dans l’énorme majorité des cas, la norme du silence imposée par la pression des camarades installés pour travailler. Les auteurs américains cités précédemment se sont beaucoup intéressés à la place des réseaux sociaux dans le temps scolaire de ces étudiants de la génération Y que l’on dit hyper connectés[8].  Comme l’écrit également Sylvie Octobre[9] : « Le numérique a introduit une mutation du rapport au temps : les technologies permettent d’abolir la linéarité et la mono-occupation des temps culturels ». Notre époque est donc « marquée par une porosité croissante des temps privés, publics, scolaires ou professionnels, extra-scolaires ou extra-professionnels, et le brouillage des frontières. » C’est cette porosité « en régime de polyactivité et de sociabilité importante » qu’ont pu mesurer nos collègues américains dans les études précédemment citées. Il n’y a pas concurrence entre la consultation de Facebook et travail scolaire, les deux se font la plupart du temps en parallèle. Ce que nous avons constaté est que l’usage du téléphone pour envoyer des SMS, la consultation des réseaux sociaux constituent – éventuellement - des activités complémentaires au travail, rarement une activité exclusive. Ces résultats nous engagent à considérer ces activités comme non exclusives les unes des autres pour ces générations qui pratiquent le cumul systématique du temps privé et du temps scolaire. De là à penser les espaces des bibliothèques sur ce mode-là, c’est ce que font certains auteurs[10] qui décrivent le continuum d’activités privées et scolaires qui composent le temps de l’étudiant, à l’instar de  R. Applegate[11] "an effective library is one that addresses the entire spectrum of student needs, [and] does so as part of the entire student space-use ecology on a campus" (p. 345).

Dernier angle d’observation : les activités. La grille nous autorisait 29 activités. Un étudiant pouvait, bien entendu, être investi dans plusieurs activités simultanées (c’est d’ailleurs le cas pour  la majorité des observations) : ces 29 activités ont généré 322 combinatoires pour les 2407 observations. Les observateurs ont vu des usagers engagés dans les monoactivités suivantes :

  • Lit ;  5,4% des observations
  • Emprunte-rend un document  : 1,2%
  • Butine dans les rayonnages : 3%
  • Interagit avec le personnel : 1,9%
  • Utilise un ordinateur pour consulter les ressources hors Sciences Po : 6,2%
  • Rédige une note/un document : 5,4%
  • Utilise un ordinateur pour consulter les ressources de Sciences Po : 3,4%
  • Téléphone : 1,7%
  • Prend des notes : 1,4%
  • Se déplace dans la bibliothèque : 0,9%
  • Dort : 1%
  • Range ses affaires : 0,4%

Au total 38% des 2407 observations ont concerné un usager investi dans une seule activité. Les 1540 autres usagers observés faisaient plus d’une chose à la fois (au moment où on les a observés).

La distribution des activités en part du total (en faisant abstraction de ces combinatoires trop difficiles à présenter) est la suivante - la lecture (d’imprimés ou de ressources en ligne) arrive en tête des activités observées  avec 36% des usagers engagés dans une activité de lecture (en plus ou non d’autres activités) :

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Répartitions des observations en fonction de l’activité observée (par type d’activité / Ne sont pas représentées les multiactivités)

« Personnellement, je travaille à la bibliothèque presque tout le temps parce que, déjà, on n’a pas la place pour une table à la maison. Du coup, je fais ma vie à la bibliothèque. Mais je ne suis jamais à côté des collections qui m’intéressent. La plupart du temps, si j’ai besoin de quelque chose, je vais l’emprunter et ensuite, je vais travailler où je trouve de la place »

Au total, un minimum de 62% des activités observées individuellement l’une de l’autre peuvent être assimilées à des activités scolaires (en part du total). Cependant, ce pourcentage est sans doute supérieur si l’on totalise les pluriactivités.

L’observation des activités selon les mois du calendrier universitaire ne révèle pas de différence flagrante dans la hiérarchie des activités.

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Observation des activités selon les mois du calendrier universitaire

La lecture (d’imprimés ou d’écrans) demeure tout au long de l’année l’activité principale qui cède un peu le pas, au moment de la préparation des travaux à rendre, à la rédaction de documents qui  est alors  proportionnellement un peu plus souvent observée. La période estivale, période de plus forte présence des élèves qui préparent les concours, accueille plus d’usagers en situation de lecture.

Pour conclure

« Du coup, c’est moins les livres que l’espace de travail, le fait qu’autour, les gens travaillent, qui est important. C’est l’ambiance. Les livres, ça peut arriver quand j’en ai besoin. Mais je ne viens pas pour ça. Je viens vraiment pour trouver un endroit calme pour travailler. »

Jeffrey Gayton[12] d’une part, Francine May et Alice Swabey[13] d’autre part, évoquent ce qui selon eux est le plus utile et attractif pour les usagers des bibliothèques universitaires : des lieux qui encouragent l’étude et permettent une activité, certes solitaire et contemplative, mais en compagnie des autres étudiants plongés eux-mêmes dans cette activité studieuse.

A la lumière des premiers résultats de notre enquête menée auprès de 2407 étudiants et sous réserve de ce qu’ils pourront nous dire lors de prochains focus groups, il semble que nos étudiants cherchent d’abord un lieu pratique (non loin des salles de cours, de la cafétéria et du cœur du campus), où il pourront se plonger silencieusement dans une activité de lecture et/ou de révision et/ou de rédaction sans nécessairement consulter les ressources imprimées ou dématérialisées de la bibliothèque.

Ils cherchent le calme et la concentration, un lieu où l’on puisse imprimer, bénéficier du wifi, utiliser un ordinateur, jouir d’un espace lumineux, propice à l’étude, où il ne fait ni trop chaud, ni trop froid. Les tables de travail sont d’abord utilisées, avant les mobiliers confortables qui sont éventuellement réservés à des moments de pause, ou, quand la bibliothèque est saturée, jouent le rôle de place de travail comme une autre.

 

[1] Ont volontairement été retirés de ce comptage les 32 places disponibles dans les salles de travail en groupe, ainsi que les chaises disponibles dans le jardin.

[2] La bibliothèque de Mount Royal au Canada a observé 9 268 personnes pour une population de 41 000 étudiants ; celle de Louvain 2 692 personnes pour un effectif de 28 344 personnes …Le critère pour nous était de procéder à un nombre de rondes permettant de coller au mieux à la fréquentation annuelle de nos salles de lecture.

[3] On ne compte donc qu’une minorité d’enseignants dans nos murs, si cette conclusion peut être extrapolée des observations sur l’âge des usagers. Ils ne sont d’ailleurs que 35% à avoir déclaré lors de l’enquête Libqual+ fréquenter au moins une fois par semaine la bibliothèque.

[4] Modalisa permet de calculer le Pourcentage de l'Ecart Maximum (PEM) qui permet d'estimer la force de l'attraction entre deux modalités dans un tableau de contingence.

[5] Lawrence T. Paretta et Amy Catalano. What Students Really do in the Library: An Observational Study. The Reference Librarian.  Volume 54, Issue 2, 2013 : “The authors observed 730 collegiate students in the library and recorded their study (or non-study) activities. Approximately 60% of behaviors were study related. The most commonly observed behavior was reading print material (18.8%). The second most common behavior was the use of social media (11.4%)”.

[6] Les observations de cette étude menée par L. T. Paretta et A. Catalano ont permis de mesurer les usages suivants : The most frequently recorded primary behavior (Behavior 1) was reading print materials–school related (18.8%, n = 137), followed by typing or working on a document (12.3%, n = 90), Facebook/social media (11.4%, n = 83) followed by perusing non-educational websites/games (9.3%, n = 68) viewing online library materials (5.9%, n = 43), working collaboratively (5.6%, n = 41) and visiting educational websites (4.9%, n = 36). Other behaviors included sleeping (.7%, n = 5), reading news–online (2.6%, n =19), reading news–print (n = 24), and visiting YouTube (2.1%, n = 15).

[7] Il s’agit de  sièges pivotants avec tablette intégrée.

[8] Monique Dagnaud. Génération Y : les jeunes et les réseaux sociaux de la dérision à la subversion. Paris : Presses de Sciences Po, 2013

[9] Sylvie Octobre, « Les enfants du numérique : mutations culturelles et mutations sociales », Informations sociales 1/2014 (n° 181) , p. 50-60
URL : www.cairn.info/revue-informations-sociales-2014-1-page-50.htm. :  « En dix ans, entre 1988 et 2008, la part des 15-29 ans qui utilisent l’ordinateur tous les jours a été multipliée par onze, passant de 5 % à 55 %, d’après les enquêtes Pratiques culturelles des Français. C’est dire l’ampleur du mouvement en cours, d’une rapidité sans précédent dans l’histoire des pratiques culturelles depuis la seconde moitié du XXe siècle ».

[10] CUNNINGHAM, Heather V.; TABUR, Susanne. Learning space attributes: reflections on academic library design and its use. Journal of Learning Spaces, [S.l.], v. 1, n. 2, jun. 2012. ISSN 21586195. Available at: <http://libjournal.uncg.edu/index.php/jls/article/view/392/283>. Date accessed: 11 Apr. 2015.

[11] Applegate, R. (2009). The library is for studying: Student preferences for study space. Journal of Academic Librarianship, 35(4), 341-346

[12] Jeffrey T. Gayton, "Academic Libraries: 'Social' Or 'Communal?' The Nature and Future of Academic Libraries," Journal of Academic Librarianship 34, no. 1 (2008): 60.

[13] May , Francine et Swabey, Alice : Using and Experiencing the Academic Library: A Multi-Site Observational Study of Space and Place. En ligne : http://crl.acrl.org/content/early/2014/11/26/crl14-683.full.pdf

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