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Un lasergame au SCD de Limoges

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La démarche

Une grande session de Laser Game s’est tenue le 17 février 2017 à la Bibliothèque de droit et sciences économiques du SCD de l’Université de Limoges. Cet événement est venu récompenser la promotion d’étudiants qui a le plus répondu à l’enquête de satisfaction Libqual menée à l’automne dernier.

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Photo : SCD de l'université de Limoges

Le SCD a piloté le projet dans toute sa réalisation et a travaillé en collaboration avec différents services de l’Université et partenaires extérieurs, afin de mettre en place cet événement, exceptionnel par sa nature et le lieu où il devait prendre place.

Le groupe de travail a d’abord réfléchi à la bibliothèque la plus adaptée pour accueillir ce type d’événement. La BU de droit, située en centre-ville de Limoges, dotée de grands espaces et facilement accessible, a été retenue. Nous avons ensuite contacté le service du patrimoine bâti de l’Université afin qu’il se rende sur les lieux et que nous listions ensemble les dangers potentiels liés à ce type de jeu (risque de se cogner aux rayonnages, de tomber de la mezzanine, etc.), mais également ses atouts.

Une fois leur accord donné, sous réserve d’adapter certains espaces, nous avons demandé l’autorisation au responsable de sécurité du lieu.

Parallèlement à ces démarches administratives et de sécurité, nous avons contacté les différents prestataires de lasergame à Limoges. Un seul a répondu rapidement à notre demande et est venu repérer les lieux potentiels de jeu : techniquement, il était possible de jouer à la BU et d’utiliser les espaces et le mobilier présent. Le potentiel ludique était évident.

L’organisation de la soirée

Une fois les autorisations accordées et les problématiques techniques levées, nous avons préparé cet événement en plusieurs étapes.

Les nécessités administratives

Nous avons élaboré un dossier de sécurité de manifestation indispensable afin qu’il soit étudié par la mairie de Limoges. Nous l’avons envoyé début décembre, soit deux mois et demi avant l’événement. Anticipant les questions de la commission, nous l’avons détaillé au maximum.

Les contraintes du lieu ont demandé une concertation nécessaire avec la Faculté de Droit Sciences Economiques, puisque la BU se situe en son sein. Prévoyant une fermeture à 22h au lieu de 20h habituellement, nous avons anticipé le financement de personnels de sécurité supplémentaires et la fermeture du parking du bâtiment à l’heure habituelle.

La préparation de la soirée

Après avoir accepté le devis du prestataire du lasergame, il nous a semblé évident que nous allions devoir contrôler l’entrée à la BU. Les parties sont prévues pour vingt joueurs à la fois, et nous attendons une centaine d’inscriptions. Comment accueillir toute une promotion et la faire patienter ?

Le hall de la faculté précède la bibliothèque et dispose d’espaces suffisamment grands pour imaginer des divertissements annexes ainsi qu’un buffet.

Aussi, pour ces animations et leur articulation avec le lasergame, nous avons étroitement travaillé avec le vice-président étudiant et une association d’étudiants (la Fédération Léa, pluridisciplinaire). Nous avons également signé une convention avec la ludothèque de Limoges et avons emprunté des jeux « géants » type Puissance 4, Jenga, chamboule-tout afin que les équipes qui patientent participent à une olympiade menée par le vice-président étudiant. Dans le même temps, les deux équipes qui s’affrontent tour à tour au lasergame dans la bibliothèque cumulent également des points. A la fin de la soirée, les gagnants obtiennent un lot.

Cet événement étant une première en France, nous avons choisi de mobiliser un nombre d’agents important entre 17h et 22h. Il s’agissait à la fois d’anticiper les éventuels débordements des étudiants, notamment lorsque nous avons su qu’une promotion de médecine avait gagné, et de gérer les flux de personnes entre le hall et la BU.

Nous avons informé les participants environ trois semaines avant la date. Il n’y a pas eu d’autre forme de communication ou publicité. Nous avons demandé aux étudiants de s’inscrire afin d’évaluer le nombre de présents et d’avoir une liste nominative des joueurs. En effet, si le hall de la faculté est ouvert à tous, nous avions décidé de fermer la BU et d’en contrôler l’accès avec la liste des inscrits et leur carte d’étudiant en main. Sur 107 inscrits (la promotion étant de 150 personnes), il y a eu 5 absents. Le hall, accessible à tous, était cependant relativement désert ce 17 février, jour de début de vacances scolaires.

Du côté des personnels, nous avons lancé un appel à volontaires dans tout le SCD, avec en contrepartie une compensation en récupération, et une partie de lasergame à la fin de la soirée. Nous avions estimé les besoins à dix agents présents simultanément entre 17h et 22h. Finalement, six personnes auraient suffi. Outre la surveillance, nous avons eu besoin de deux personnes pour gérer les flux entre le hall et la BU, une personne qui faisait signer les autorisations de diffusion en deux exemplaires, du renfort pour préparer les lieux mais également ranger et nettoyer par la suite.

La communication

Si nous ne souhaitions pas communiquer en amont sur cet événement, nous avons néanmoins prévu de le faire largement dès le début de la soirée et les semaines suivantes. Cette première en France nécessitait de la prudence mais nous a enthousiasmés dès le départ.

Du côté de l’Université, nous avons travaillé avec « CanalSup », notre webTV. L’équipe est venue filmer la soirée et nous a proposé cela sous la forme d’un clip promotionnel pour le SCD et l’Université.

Nous avons également contacté le service communication, qui a relayé les différentes vidéos le soir même sur la page Facebook de l’Université. Nous leur avons également envoyé un article et quelques photos qui paraîtront dans le prochain journal destiné à la communauté universitaire.

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Photo : SCD de l'université de Limoges

De plus, nous avions invité le journal local « Le Populaire » à  relayer l’événement.

Notre prestataire, Laser League Limoges, a également diffusé des « live Facebook » tout au long de la soirée.

Les étudiants se sont bien emparés des réseaux sociaux, notamment Facebook et Twitter, pour poster leurs vidéos et leurs photos.

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Photo : SCD de l'université de Limoges
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Photo : SCD de l'université de Limoges

Bilan

Comme toute organisation d’événement, celle-ci a été ponctuée de nombreux obstacles, mais l’anticipation dont a fait preuve l’équipe a permis de réagir rapidement. La contrainte majeure de cette soirée a été le cadre de son organisation : elle est une récompense à la promotion qui s’est le plus mobilisée pour répondre à notre enquête Libqual. Il a été compliqué de faire comprendre à nos répondants que la taille de la promotion n’entrait pas en jeu puisque nous comptions en proportionnelle. De notre côté,  nous craignions néanmoins que les gagnants soient une toute petite promotion… ce qui n’aurait pas donné la même ampleur à l’événement.

La deuxième contrainte a été de clarifier les paramètres de réponse à l’enquête avant son lancement : comment compter et diviser les différentes disciplines et les différents niveaux afin de pouvoir définir facilement qui avait gagné ? Notre Université étant pluridisciplinaire, nous avons eu un travail important à faire en amont.

Une fois ces participants déterminés (mi-janvier), nous les avons contactés afin qu’ils s’inscrivent. Nous leur avons laissé jusqu’à début février pour le faire, c’est-à-dire que nous ne savions pas combien nous aurions de présents à quinze jours de la soirée ! Cette inconnue a rendu les préparatifs plutôt lourds à gérer et a demandé une réactivité importante puisque nous avons tout fait durant les deux semaines restantes.

Par ailleurs, outre le scepticisme des personnels sur le bien-fondé d’un tel événement dans une bibliothèque, et leur méconnaissance de la nature du jeu, nous ne savions pas dans quelle mesure les étudiants allaient se l’approprier.

Nous avions prévenu les inscrits que nous serions intransigeants sur les conditions de sécurité et la présence d’alcool dans les locaux. La soirée commençant à 18h, la plupart sont venus à la sortie des cours et étaient dans une dynamique tout à fait positive. Nous n’avions pas perçu à quel point le jeu dans ce lieu symbolique et silencieux qu’est la bibliothèque les intriguait. Tous souhaitaient démarrer en même temps, étant impatients d’utiliser la BU pour jouer, courir, écouter de la musique…enfreindre, le temps d’une soirée, les règles, symboliques et écrites, de leur lieu d’étude.


Une salle d’anatomie à la BU lyon 1

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Sur les 45 000 étudiants que compte l’Université Claude Bernard Lyon 1, plus de 11 500 sont inscrits dans les filières de santé sur le site de Lyon Est, et fréquentent assidument la BU Santé Rockefeller, située dans le bâtiment principal du campus. Ces étudiants, et particulièrement les 2 300 PACES (Première Année Commune aux Etudes de Santé), sont rapidement confrontés à l’étude de l’anatomie humaine, discipline difficile à appréhender et source souvent importante d’échec pour ces étudiants.

Etudiants en santé (site Lyon Est) à l’Université Lyon 1 - Effectifs 2015/2016
Faculté de Médecine Lyon Est : 7 672 étudiants
Institut des Sciences Pharmaceutiques et Biologiques : 1 945 étudiants
Institut des Sciences et Techniques de Réadaptation : 1 336 étudiants
Faculté d’Odontologie : 628 étudiants

Si l’Université proposait déjà depuis 2009 des ressources innovantes en anatomie (site Anatomie 3D), elles semblaient davantage utilisées par les étudiants de STAPS, voire par des étudiants extérieurs à Lyon 1. Les besoins des étudiants en santé, très présents à la BU, restaient donc à couvrir pour les accompagner au mieux dans l’apprentissage de cette discipline.

Une demande forte des étudiants en santé

Le projet spécifique de salle d’anatomie à la BU Lyon 1 remonte à 2014, dans le contexte d’un projet beaucoup plus large : celui de la réhabilitation de la BU Santé Rockefeller. Un groupe de travail interne à la BU était alors chargé de préparer la réouverture de la bibliothèque autour de deux axes : l’accueil du public et l’offre de nouveaux services.

Une enquête en ligne, intitulée  « Votre BU, vous la voulez comment ? », avait ainsi été réalisée auprès des étudiants de santé pour connaître leurs souhaits et leurs priorités en matière de nouveaux services dans leur future bibliothèque. La proposition d’une salle consacrée à l’apprentissage de l’anatomie (inspirée par le mémoire de DCB de Raphaëlle Moatti)  avait été très favorablement accueillie : près d’un tiers des étudiants indiquaient en effet qu’il s’agissait pour eux d’un service prioritaire, parmi lesquels 59% de PACES !

Un projet confié aux bibliothécaires stagiaires

Le groupe de travail ayant déjà un périmètre d’étude très étendu, il lui paraissait trop ambitieux de prendre en charge à lui seul le projet de salle d’anatomie.

En parallèle, l’enssib réorganisait la maquette pédagogique de la formation initiale des bibliothécaires d’Etat, et notamment le module de gestion de projet. L’objectif était de faire travailler simultanément plusieurs groupes  d’élèves sur un projet concret leur permettant de mettre en perspective les enseignements reçus et de se confronter à la réalité d’un travail sur le terrain. Un même projet serait ainsi soumis à plusieurs groupes d’élèves bibliothécaires qui développeraient chacun non pas plusieurs scenarii, mais une seule proposition concrète.

Sollicité pour proposer un sujet à l’attention de la nouvelle promotion, le SCD Lyon 1 a donc formulé en avril 2015 un sujet intitulé « Etude de faisabilité pour la création d’une salle d’anatomie à la BU Santé Rockefeller ».

Ce sujet ayant été retenu par l’enssib, il a d’abord été présenté à l’ensemble de la nouvelle promotion de bibliothécaires stagiaires début octobre, puis a été suivi d’une visite générale de la BU Santé Rockefeller en deux groupes dans les jours suivants. A l’issue de ces présentations, le projet a finalement été confié à trois groupes de 5 bibliothécaires dans le cadre de leur module de gestion de projet.

Ces groupes avaient pour mission de :

  • Dresser un panorama de salles similaires qui existeraient dans d’autres bibliothèques de  santé (en France ou à l’étranger)
  • Entrer en contact avec les étudiants demandeurs de cet espace (PACES= Première année commune aux études de santé,   ISTR = Institut des sciences et techniques de réadaptation, et tuteurs), afin de connaître plus précisément  leurs attentes et leurs besoins
  • Interroger les enseignants d’anatomie afin de recueillir leurs préconisations
  • Formuler des propositions pour ce nouveau service en termes d’espaces, de collections, d’organisation et de communication.

Les 15 étudiants ont été accueillis simultanément fin octobre par la pilote du projet pour une présentation plus approfondie du sujet, de son contexte et des attendus : un retour détaillé sur l’enquête de 2014, une présentation des personnes ressources au sein du SCD mais aussi à l’Université, les coordonnées de professeurs d’anatomie et d’étudiants s’étant manifestés comme intéressés par des modèles anatomiques (squelette, mâchoire…), sans oublier les instances partenaires incontournables à consulter (le tutorat de médecine Lyon-Est, l’Institut de Formation des Masseurs-Kinésithérapeutes Déficients Visuels…).

L’encadrement des groupes

Les bibliothécaires ont  alors bénéficié d’une journée par semaine dédiée au projet, de fin octobre à mi-mars. Ils ont dans l’ensemble profité de ce temps pour travailler sur place à la BU ou pour caler leurs rendez-vous. Les trois groupes se sont littéralement emparés du sujet ; ils ont mis en place rapidement leur organisation interne et leur méthodologie de travail, et ont très régulièrement sollicité la pilote du projet.

Au cours des deux mois précédant le premier comité de pilotage (Copil), le rôle de cette pilote a été de faciliter le travail des stagiaires : trouver des espaces où travailler correctement, répondre aux questions posées par mail par les responsables de communication au sein des groupes, leur rendre visite lors de leur présence dans la bibliothèque pour répondre à leurs questionnements au fur et à mesure de l’avancée de leur réflexion (analyse, travail).

Par exemple, une boîte à idées déposée à l’accueil de la BU aurait-elle des chances de récolter des réponses de la part des étudiants ? Ou bien tel emplacement dans la BU serait-il un espace envisageable pour l’implantation de la salle d’anatomie ?  Ou bien encore le personnel de la bibliothèque accepterait-il telles modalités de fonctionnement du nouveau service ? Ces modalités demanderaient-elles trop d’implication des personnes en situation d’accueil du public ?

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Projet Faire corps : Communication autour de la boîte à idées

Premier comité de pilotage

Le comité de pilotage s’est réuni une première fois  en décembre 2015 pour la soutenance des rapports d’étape. Les trois groupes se sont alors succédés pour présenter leur rapport intitulé « Définition de la prestation », et comprenant :

  • une analyse fouillée du contexte,
  • des compte-rendus d’entretiens avec les personnes ressources 
  • et les résultats  de la veille opérée

A ce stade, les groupes n’avaient pas à proposer des solutions, il s’agissait de se mettre d’accord sur le périmètre du projet, sur la méthodologie  et sur le « livrable » du projet : en cela, cette réunion était engageante pour les deux parties.

Composition du comité de pilotage :
la Directrice du SCD Lyon1
la pilote du projet, responsable des services aux publics en Santé
la responsable du processus "Ecoute usagers" pour la démarche qualité
la responsable de l’équipe des magasiniers Santé
la responsable du processus "Fournir des Espaces" pour la démarche qualité
la responsable de la BU Santé Lyon Sud
le responsable des collections de Santé
un étudiant de médecine responsable de l’anatomie au sein du tutorat

Les exposés lors de ce comité de pilotage ont confirmé ce qui ressortait à la lecture des rapports : des dossiers instruits avec sérieux, très documentés, montrant la richesse de la réflexion et faisant souvent preuve d’inventivité dans les outils utilisés ou les pistes à explorer.

Le Copil a par exemple été séduit par un panorama des salles d’anatomie existantes présenté sous forme de blog ou encore par l’utilisation de Pinterest pour réaliser des enquêtes auprès des tuteurs. La qualité du benchmarking a été remarquable en règle générale.

A l’issue des trois soutenances, le Copil a globalement validé les axes de travail et le livrable exposés. Il a parfois demandé des réajustements lorsque certaines pistes envisagées ne lui semblaient pas adaptées. Enfin, il a été confirmé aux  groupes qu’ils pouvaient poursuivre leur travail en s’affranchissant de contraintes budgétaires.

Anatolab’, Faire corps et Anatomie box

De retour de stage en février, les trois groupes se sont alors investis avec une grande énergie, en passant  de longues journées à la BU pour construire leur projet : visites,  rendez-vous, animation de focus group, entretiens à poursuivre de visu ou à distance, finalisation d’enquêtes, demandes de devis aux entreprises et fournisseurs, demandes de validations diverses auprès d’enseignants, établissement de budgets, de plannings prévisionnels, de plans de communication internes et externes, de plans de formation pour le personnel et les usagers… Les dernières semaines ont été denses !

Le rapport final de chaque groupe, assimilable à un cahier des charges fonctionnel, comprenait ainsi une analyse du contexte, une réponse au projet soumis, des éléments de planification et de chiffrage, des éléments de communication. Ces rapports ont été soutenus lors d’une 2ème réunion en mars 2016 devant les membres du Copil.

Faisant suite à des rapports d’étape déjà très prometteurs,  les trois projets exposés se sont révélés être d’une grande richesse et d’une grande variété :

- L’un des projets, intitulé « L’Anatomie Box, une salle d’anatomie mobile à la BU Santé Rockefeller » défendait le concept original et séduisant d’un module sur roulettes pouvant être déplacé dans et hors de la BU. Cette idée inspirée des Ideas Box de Bibliothèques Sans Frontières permettait un usage collectif, sur réservation d’une salle de travail en groupe. Concrètement, l’Anatomie Box, composée d’une ou deux armoires aux portes vitrées était placée dans le hall de la BU pour être visible de tous. Elle contenait les différentes ressources utiles à l’apprentissage de l’anatomie (manuels, modèles, planches). Cette Anatomie Box pouvait également être utilisée en amphi, par les tuteurs ou les enseignants d’anatomie, pour une présence des ressources de la BU hors ses murs.

- Le  projet « Anatolab’ » proposait, lui, un espace dédié (une salle de travail en groupe de la BU) avec pour les pièces anatomiques, des casiers transparents fermés à clé contenant du matériel à prêter aux étudiants : modèles, ipads, lunettes anatomiques. Il comprenait également l’acquisition d’une table de dissection virtuelle pour les étudiants ainsi qu’une balance de précision à l’attention des bibliothécaires pour faciliter la vérification des modèles anatomiques en plusieurs pièces. L’idée de transparence du mobilier était particulièrement  astucieuse pour valoriser les ressources proposées aux étudiants.

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Projet Anatolab’ : visualisation de l’espace en 3D

- Quant au projet « Faire corps », il préconisait une salle en libre accès sur le mode de l’autogestion, équipée de casiers à verrouillage électronique pouvant s’ouvrir avec la carte d’étudiant. Ce service pouvait ainsi fonctionner sur toute l’amplitude horaire de la bibliothèque. Ce projet comprenait une liste de ressources (modèles, planches et ressources électroniques) validée et commentée par trois enseignants et deux étudiants du tutorat de Médecine Lyon-Est. Il insistait également sur la nécessité de la création d’une page thématique  Anatomie sur le site Web de la BU.

Le Copil a apprécié le travail très complet de chacun des trois groupes et les propositions relatives aux espaces, aux mobiliers et équipements, aux modèles anatomiques, aux collections imprimées, aux ressources électroniques ainsi qu’au fonctionnement. Il a été particulièrement séduit par de nombreuses  fiches « clé en main » faciles à réutiliser ou bien encore par la qualité des plans de communication proposés.

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Projet RockAnat : proposition de logo

De l’arbitrage à la mise en œuvre

A l’issue de cette présentation, les membres du  Copil se sont réunis pour arbitrer parmi les propositions faites par les bibliothécaires-stagiaires. Deux principes structurants ont ainsi été retenus : l’autonomie de l’usager, qui doit pouvoir utiliser la salle en auto-gestion sans intervention des bibliothécaires, et  la souplesse de fonctionnement en interne. L’aspect esthétique des projets, notamment pour la partie mobilier, a également été décisif. Ont ainsi été déterminés : l’espace où serait installée la salle d’anatomie, le mobilier, et la typologie des ressources à proposer. Le calendrier prévisionnel et le chiffrage (incluant l’équipement informatique et la signalétique) ont également été établis, à partir des éléments très détaillés fournis par les bibliothécaires-stagiaires.

Au total, un budget de 60 000 € était nécessaire pour mener à bien ce projet, dans le périmètre défini par le Copil. Le SCD a pu contribuer à hauteur de 20 000€ environ, et un  montant complémentaire de 40 000€ a alors été sollicité auprès de l’Université Lyon 1, dans le cadre d’un Plan de Développement Concerté. La gouvernance de l’Université, sensible à l’aspect innovant de ce projet et à sa contribution à la réussite des étudiants de santé dans l’apprentissage de  l’anatomie, a accepté de co-financer la création de cette salle.

La mise en œuvre proprement dite a donc pu démarrer, dans un calendrier relativement resserré. Au total, cinq réunions en interne ont été nécessaires entre juillet et décembre 2016 pour :

  • Commander le mobilier (casiers en plexiglas sur mesure) et l’articuler avec un système de réservation en ligne (Affluences)
  • Préciser le fonctionnement de la salle : accès à la communauté Lyon 1, rédaction du règlement de la salle (voté en conseil documentaire de décembre 2016), horaires d’ouverture… 
  • Arrêter le calendrier des travaux et solliciter les services concernés (peinture, réseau, pose de cimaises)
  • Elaborer le plan de formation de l’ensemble des collègues (atlas en ligne Visible Body, modalités de réservation des places et des modèles)
  • Définir le plan de communication

La responsable de la logistique de la BU Santé et les deux référents désignés de cette nouvelle salle ont été particulièrement mis à contribution pour le suivi de ces dossiers, en particulier auprès des fournisseurs les dernières semaines avant l’ouverture.

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Photo d’étape : les casiers en plexiglas, réalisés sur mesure, partiellement équipés de serrures à codes

Ouverture de la salle d’anatomie

Un travail étroit avec le Tutorat s’est alors engagé : les tutrices chargées de l’anatomie ont été consultées pour valider les ressources achetées (sélection des modèles les plus adaptés aux PACES), puis pour les tester. Toujours en collaboration avec le Tutorat, les référents de la salle ont élaboré des notices explicatives de montage et démontage à mettre à disposition des étudiants.  En parallèle ont eu lieu les différents tests et paramétrages du système de réservation en ligne des modèles anatomiques et des places de la salle, puis le déploiement dans l’application Affluences et sur le site Web de la BU Lyon 1.

L’ouverture de la salle d’anatomie a eu lieu en janvier 2017, au moment où commençaient les cours d’anatomie pour les étudiants de 1ère année. Ouverte 7 jours sur 7, cette salle  propose à tous les étudiants de Lyon 1 des ressources de différents types sur l’anatomie :

  • 29 modèles et 2 squelettes grandeur nature, qui couvrent l’ensemble des parties du corps humain
  • des atlas récents de référence
  • 4 planches anatomiques sur le cœur humain, le système nerveux, les muscles et le squelette
  • un atlas électronique en 3 D : Visible Body, pour tester l’anatomie en 3D, visionner plus de 4 000 structures anatomiques, naviguer par vue régionale ou système corporel, découvrir les structures couche par couche de la tête aux pieds
  • une sélection de ressources en ligne sur l'anatomie (notamment le projet Anatomie 3D de Lyon 1), consultables sur un poste informatique à écran tactile disponible dans la salle.
Une salle ouverte 7/7
La salle d’anatomie est accessible aux horaires d’ouverture de la BU Santé Rockefeller :
8h à 22h du lundi au vendredi
9h à 20h le samedi
10h à 20h le dimanche

Le fonctionnement retenu favorise l’autonomie des étudiants, qui peuvent sur toute l’amplitude horaire de la BU (91 heures / semaine) réserver un modèle ou une place dans la salle d’anatomie simplement  via leur smartphone.

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Photo : Bibliothèque universitaire Lyon 1

Premier bilan

Les 1ères statistiques d’utilisation de cette salle, après quelques semaines d’ouverture, sont très encourageantes et montrent une bonne prise en main par les étudiants de cet espace qui leur est dédié : en deux mois, 270 réservations ont déjà été enregistrées, par 116 étudiants différents. Il est intéressant de noter également que ces réservations se répartissent sur l’ensemble de la semaine, week-end compris : le choix de mettre ces ressources à disposition sur toute l’amplitude d’ouverture de la bibliothèque se révèle donc pertinent.

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Modèles réservés / jours de la semaine

Si les planches semblent encore relativement peu utilisées, les modèles anatomiques connaissent un vrai succès : les crânes arrivent en tête des réservations, suivis par le cœur, le torse, le cerveau et la colonne vertébrale. Cela correspond assez bien aux exigences des programmes de première année  notamment, comme en témoignent deux étudiants : « Avant les épreuves de PACES, on va réserver encore le crâne et aussi le cœur. Les deux sont les plus difficiles à visualiser ! ».

Sollicités pour une première évaluation de la salle d‘anatomie, les tuteurs confirment que « les modèles proposés sont cohérents avec le programme d’anatomie des trois premières années de médecine » et que « la représentation en 3D et la manipulation sont importants pour concrétiser des notions abstraites ». Les tuteurs ont déjà utilisé la salle d’anatomie pour leurs séances d’accompagnement de petits groupes, et souhaitent renouveler ces expériences de manipulation, très efficaces pour l’apprentissage de la discipline. Ils ajoutent que les « livres présents dans la salle » (atlas, manuels) sont « très complémentaires » des modèles et des ressources 3D.

Les étudiants en PACES interrogés sont eux aussi très enthousiastes, et plébiscitent à la fois les modèles, le confort de la salle, et son utilité indéniable pour les aider à comprendre l’anatomie :

  • « La salle d’anatomie, c’est bien, on y est au calme. C’est surtout les modèles qui nous intéressent, on y va quand on a besoin de toucher. C’est un plus d’avoir aussi les livres et les logiciels. »
  • « Avant que la salle ouvre, on imaginait ce qu’on pourrait y trouver… Il y a beaucoup plus de pièces que ce qu’on croyait. »
  • « Ici, je me sens bien pour travailler. Les modèles, ils nous servent à visualiser. Dans les QCM, on a beaucoup de questions sur la position, l’espace, comment sont placés les éléments : postérieur, antérieur, latéral, etc., et ce n’est pas facile en deux dimensions dans les atlas. Et les notices sont utiles pour repérer. Les ressources en ligne et les planches, on n’a pas le temps, mais plus tard ! »
  • « Les modèles sont trop pratiques, on arrive à comprendre ce qu’on n’arrive pas à visualiser dans l’abstrait. »
  • « Cette salle, c’était une très bonne idée car ça nous fait gagner du temps. Les étudiants regardent sur internet pour comprendre, mais c’est compliqué à trouver. Là on a directement  ce qu’on cherche. C’est beaucoup plus pratique. »
  • « On est en première année, on ne comprend pas. On prend le buste, on l’ouvre et on comprend tout ! »
  • « Cette salle, on l’attendait, on avait vu qu’il y avait des travaux. Mais c’est encore mieux que ce qu’on attendait ! »

Enfin, les étudiants de santé expriment leur fierté de pouvoir disposer de cette salle : « Fierté car une des seules en France, en tout cas de cette qualité ! » ; cette fierté est bien évidemment partagée par le personnel du SCD Lyon 1, qui s’est investi avec une grande énergie dans la mise en place de ce projet, en s’appuyant sur les propositions de grande qualité élaborées par les trois groupes de bibliothécaires-stagiaires. Une réussite collective au service des étudiants !

Anatomie Box
Emilie Liard, Isabelle Milleret, Pauline Laurent, Juliette Quarini (jusqu’au 13/11/2016), Hélène Virenque

Faire corps
Tania Comaills, Jonathan Perrin, Sophie Robert, Aline Théret, Marjorie Werner

Anatolab’
Jehanne Ducros-Delaigue, Mathilde Gallet, Elise Meyer, Orianne Vye, Fatna Ziani

A Saint-Etienne, les bibliothèques universitaires ont expérimenté un cours d’outils documentaires entièrement en ligne

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Un projet innovant en BU

Les bibliothèques universitaires de Saint-Etienne et de Roanne proposent un cours entièrement en ligne depuis la rentrée de septembre 2016. Celui-ci s’adresse aux plus de 2 500 étudiants de Licence première année, toutes disciplines confondues. Auparavant, ce cours était dispensé en présentiel par 22 bibliothécaires sous un format TD. Obligatoire depuis 2004 et intégré aux maquettes de formation de l’Université, ce cours « Outils documentaires » donne lieu à un examen qui permet de valider le premier semestre d’études.

Cependant, si le format entièrement en ligne est récent, de 2011 à 2015, un exercice était déjà proposé en ligne et accessible par les étudiants via leur ENT (Espace Numérique de Travail). L’examen final se déroulait en présentiel mais sous un format numérique depuis 2004. Satisfaisant au regard de la sensibilisation effective des étudiants à la problématique de la recherche documentaire et à la connaissance des BU, ce cours a évolué en 2016 suite à la conjonction d’un faisceau d’éléments.

Pourquoi un cours en ligne ?

En 2015, les chiffres sont sans appel : plus de 2 500 étudiants de L1 à former, par 22 formateurs, dans trois bibliothèques différentes sur trois mois seulement. De là découle une organisation logistique lourde et très contraignante. Dans chacune des trois bibliothèques, il faut contacter les services scolarités des facultés, trouver des créneaux horaires de 2h pour le cours dans les emplois du temps des étudiants, et faire coïncider le tout avec la disponibilité des salles et des formateurs.

En outre, d’autres formations au niveau Licence 3, Master 1 et 2 et Doctorat avaient lieu dans certaines disciplines, en fonction des demandes des enseignants ou de certaines scolarités, sans être généralisées. Il semblait donc important pour les bibliothèques universitaires de parvenir à intégrer la « recherche documentaire » de façon plus officielle et organisée dans l’ensemble des Licences, Masters et Doctorats de l’Université.

A effectif de formateurs constant, il fallait rationaliser l’offre de formation la plus chronophage : celle des étudiants de première année.

Les maquettes des formations de Licence devant être modifiées pour la rentrée 2016, c’était l’opportunité pour les bibliothèques de faire évoluer le format du cours. La directrice du SCD, Mme Brigitte Renouf, a rencontré tous les doyens de facultés au cours de l’année 2015, et tous ont confirmé leur attachement à ce cours. Selon eux, celui-ci s’était révélé très important pour l’intégration des étudiants et leur réussite à l’Université. Ces formations devaient impérativement se dérouler au 1er semestre, pour toutes les filières.

L’Université a porté au même moment à la connaissance des responsables de formation l’utilisation à la rentrée 2016 de la nouvelle plateforme « Claroline Connect » et l’obligation d’y faire migrer les cours déposés sur la plateforme précédente. La nouvelle version proposée devait permettre de dépasser le simple dépôt de documents et de construire un véritable cours en ligne.

La décision a donc été prise par l’équipe de direction du SCD de créer un cours entièrement à distance pour la rentrée 2016 et destiné à tous les étudiants.

Mobilisation de différents partenaires en BU et à l’Université

Une équipe de 8 bibliothécaires-formatrices intéressées par la pédagogie et nommée les « formatrices expertes », est créée sur décision de la Direction du SCD en novembre 2015. Celles-ci donnent déjà des cours de façon régulière en Master et Doctorat dans les différentes bibliothèques du Service Commun de la Documentation (bibliothèques universitaires et bibliothèques associées). Elles ont une expérience de la formation et de la pédagogie et ont également pu suivre des formations données par la cellule SUP (Soutien Universitaire à la Pédagogie) ainsi que par la DSI (Département des Systèmes Informatiques) de l’Université Jean Monnet-Saint Etienne.

Chacune a ainsi suivi une formation à l’utilisation avancée de la plateforme Claroline Connect avant le lancement du cours et a pu développer ses compétences depuis septembre 2016, en suivant des modules consacrés à la pédagogie inversée, à la pédagogie à distance, à la création de vidéos, etc. Ces apports seront mobilisés dans l’évolution du cours pour septembre 2017.

L’ingénieure pédagogique de l’Université a conseillé l’équipe et apporté son expertise tout au long du projet. Plusieurs rendez-vous ont jalonné ce parcours. Elle a notamment aidé à construire l’architecture du cours.

Le responsable de la plateforme Claroline Connect à la DSI a apporté son soutien pour le côté technique. Sollicité à de très nombreuses reprises, par téléphone, courriels et lors de rendez-vous, il a toujours été d’une grande disponibilité et a pu trouver à chaque fois des solutions pour les questions des exercices, de la préparation des examens, de l’inscription des étudiants au cours, de l’attribution des badges, de l’export des résultats, etc. Cette collaboration a débuté en 2004, bien avant le projet de cours en ligne, et se poursuivra dans les années à venir avec l’évolution de la plateforme Claroline Connect.

En début de projet, sept enseignants de toutes les Facultés, intéressés par le numérique et l’innovation pédagogique ont été rencontrés. Ils connaissent bien les étudiants de tous niveaux d’étude et ont apporté leurs compétences pédagogiques. Leurs conseils de placer le cours dans les emplois du temps des étudiants ou d’avertir ces derniers en début d’année de l’importance de ce cours en ligne et de ses modalités, ont été suivis. En réalité, ils ont insisté sur l’accompagnement des étudiants et leurs préconisations ont été prises en compte.

Retours d’expériences aux ACCU 2016

En 2015, cette « Conférence annuelle des utilisateurs Claroline Connect »[i] avait eu lieu à Saint-Etienne et plusieurs bibliothécaires avaient assisté à une journée. Les retours d’expériences de l’utilisation de la plateforme avaient été particulièrement intéressants au regard du projet de cours en ligne.

Le thème 2016, dévoilé en septembre, était « Claroline Connect au cœur des apprentissages ». Les ACCU se tenant fin novembre à Aix-en-Provence, Mme Barbara Bürgel, responsable des formations pour les BU et pilote du projet « cours en ligne » a proposé de présenter un retour d’expérience

Fin novembre, le cours était ouvert depuis un mois et demi et les examens étaient en préparation. La proposition a été rapidement acceptée par la hiérarchie et par les organisateurs des journées.

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La présentation du travail aux ACCU 2016 (Barbara BÜRGEL)

Claroline Connect et les nouvelles contraintes d’un cours en ligne

Le souci premier était de rendre ce cours visuellement attractif pour des étudiants arrivant juste à l’université, avec des images, du graphisme, éventuellement des avatars évolutifs, etc. Le groupe chargé du projet a très rapidement réalisé que la plateforme Claroline Connect n’offrait pas de grandes possibilités. Il a  juste été possible de jouer sur des couleurs de bandeaux différentes, l’insertion d’images à côté du texte et sur l’organisation des parties du cours.

Au fur et à mesure de l’avancée du projet, plusieurs problèmes techniques se sont posés :

  • Le dépôt direct de vidéo était impossible (une fois le son était présent, une autre fois l’image mais pas les deux en même temps). Il a fallu passer par Youtube[ii] pour obtenir le format adéquat et pouvoir placer les vidéos dans les widgets appropriés[iii].
  • Le souhait était qu’apparaissent sur la même page toutes les parties du cours, sans utilisation de l’ascenseur de la fenêtre ouverte. Il a fallu travailler sur la disposition des différentes parties sur l’ensemble de l’écran pour obtenir la meilleure ergonomie possible.
  • Certains exercices ne fonctionnaient pas ou très mal, notamment les exercices graphiques : impossible de définir une zone de réponse précise. Les exercices de « relation » par exemple étaient irréalisables : les liens entre deux réponses s’effaçaient lors de la réponse suivante.

Le problème le plus important a été celui du repérage des étudiants. En effet, les 2 500 étudiants des 15 filières concernées sont tous inscrits au même cours. Il est intéressant pour les scolarités et pour les bibliothèques de savoir quel étudiant a suivi le cours, ou quel autre s’en est dispensé. Or il n’était pas possible d’extraire des listes d’étudiants par filière : pour connaître, au minimum, le nombre d’étudiants qui avaient suivi le cours, un « badge » a été créé. Il était attribué à chaque personne ayant ouvert une fois les deux exercices proposés.

Pour les examens, bien que les étudiants entraient tous sur le même espace, il fallait pouvoir attribuer les notes par filière. Mais, seuls les étudiants de SHS pouvaient passer l’examen SHS, par exemple. Cela a donc nécessité un travail très fastidieux sur l’attribution des droits et la gestion des examens : 26 questionnaires différents ont été créés (2 examens par filière : un « classique » et un autre pour les étudiants bénéficiant de temps supplémentaire). Mais grâce à celui-ci, les notes ont pu être récupérées par filière et donc les moyennes, médianes et autres statistiques ont pu être établies.

Malgré tous ces problèmes techniques, les mises à jour régulières de la plateforme ont permis (et permettront) de corriger de nombreux problèmes : sur les exercices et sur l’adaptation de la plateforme à différents écrans. Le travail et les remarques des BU de Saint Etienne et de Roanne ont également été à l’origine d’améliorations de la plateforme qui profiteront à l’ensemble de la communauté pédagogique qui utilise Claroline Connect.

A l’avenir, il serait encore souhaitable que la future version permette de suivre plus finement les étudiants lors de leur progression dans le cours.

Déroulement du cours sur l’année

Si nous avons jusqu’ici montré les différentes contraintes et cadres précédant la mise en place du cours en ligne, il faut aussi noter que le calendrier ne fut pas la moindre des contraintes.

En effet, placé au premier semestre, ce cours devait être validé lors de la première session d’examens, en décembre 2016. L’échéancier retenu pour placer le cours dans les agendas étudiants était donc très court :

  • ouverture du cours en ligne le 18 octobre 2016 ;
  • ouverture de l’examen en ligne du 12 au 19 décembre 2016 ;
  • envoi des résultats aux scolarités pour mi-janvier 2017 ;

Avant le cours, la préparation…

En amont, un important travail de construction des contenus a été fait par l’équipe des formatrices expertes.

Il a fallu définir clairement les objectifs pédagogiques du cours. Deux ont été retenus : connaître sa BU, et trouver un document à partir du catalogue. Une fois ce premier choix fait, des contenus adaptés à un nouveau format en ligne et non en présentiel ont dû être produits.

Onze tutoriels vidéo en captures d’écran ou à partir de documents PowerPoint animés ont ainsi été créés. Trois exercices d’apprentissage ont vu le jour et ont été testés (test de positionnement, exercice sur le catalogue, exercice sur la connaissance des BU). Les deux exercices en lien avec les objectifs comprenaient chacun une quinzaine de questions.

Après avoir conçu du contenu, il restait à construire l’interface de cours dans Claroline Connect. Comment utiliser les différents onglets proposés ? Combien de widgets mettre par onglet et avec quel contenu ? Du texte ? Des images ? Pour cette première interface, il a fallu rédiger beaucoup de textes d’accompagnement pour guider les étudiants dans leur appréhension de l’interface. Sept mémos imprimables permettaient de garder une trace des points à retenir et quelques visuels plus ludiques cherchaient à améliorer l’attractivité du tout.

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Le logo qui signalait aux étudiants que l'exercice doit être fait en BU

Cependant, pour les étudiants n’ayant pas encore l’habitude de suivre seuls un cours en ligne, un travail sur l’accompagnement du cours en présentiel et en distanciel a été mené. Celui-ci ayant paru avec le recul être très important : nous reviendrons plus en détail sur les choix effectués.

Pendant le déroulé du cours : un important dispositif d’accompagnement

L’équipe des formatrices expertes en avait l’intuition, et les entretiens avec les enseignants ont permis de confirmer qu’il fallait absolument un accompagnement du cours en ligne. Les étudiants n’en ont pas l’habitude et il fallait qu’ils trouvent de l’aide dans les bibliothèques et sachent à qui s’adresser.

Les 25 formateurs ne pouvaient pas être sollicités uniquement pour des relectures et des tests d'exercices. Les responsables des formations souhaitaient eux, depuis longtemps, que soit organisée une « journée de la formation dans les BU » afin de réunir les formateurs autour de questions de pédagogie : il fut rapidement décidé de l’organiser autour de l’accompagnement du cours en ligne.  

Cette « première journée de la formation dans les BU » s’est déroulée début juillet et fut animée par le SUP. Toute l’équipe a travaillé en participant à des ateliers. A la fin de la journée, l’ensemble du plan d’accompagnement (ou presque) avait émergé.

  • Les modalités du cours, son organisation et celles de l’examen ont été présentées aux nouveaux étudiants lors des réunions de rentrée ou pédagogiques. Les formateurs se sont déplacés dans les amphithéâtres ou salles de cours en septembre en octobre. Un diaporama commun a été projeté et des flyers récapitulant les informations importantes, distribués. Chaque présentation se faisait en 10 à 15 minutes.
  • Tout le personnel de bibliothèque, moniteurs compris, a pu tester les exercices, et voir le cours avant son ouverture. Il était ainsi prêt à répondre aux questions diverses et variées. Un mémo avait également était rédigé et était disponible dans chaque point d’accueil des bibliothèques.
  • Afin d’identifier le cours en ligne et de disposer de temps pour le suivre, des créneaux de 2 fois 2 heures ont été intégrés aux emplois du temps des étudiants. Ces créneaux leur permettaient également de venir en bibliothèque et d’y trouver de l’aide. Les responsables des formations de chaque BU ont ainsi collaboré avec chaque scolarité concernée.
  • Un alias permettait à un étudiant de poser des questions par courriel à un bibliothécaire. 10 personnes gérant chacune deux demi-journées (9h-13h et 13h-17h) pouvaient ainsi répondre quasi en direct aux demandes. Au démarrage, les mêmes questions revenaient régulièrement.
  • Une foire aux questions a alors été créée dans le cours lui-même.
  • Enfin, les 15 derniers jours où le cours pouvait être suivi, des stands de tutorat ont été mis en place. Tenus par un formateur, dans chaque bibliothèque concernée de 13h à 15h, ils ont permis de renseigner et d’épauler les étudiants lors de la dernière ligne droite.
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Le stand de tutorat mis en place en BU Tréfilerie pendant 15 jours : ordinateurs, flyers, et présence d’un formateur

Assiduité, examens et enquête d’évaluation

Ainsi, entre l’ouverture du cours et celle des examens, 1 825 étudiants ont suivi celui-ci en ligne (statistiques issus de Claroline Connect qui comptabilisent le nombre de badges[iv] attribués). Ceci représente près de 75% des inscrits en L1 à l’Université Jean Monnet pour 2016-2017 (2500 étudiants environ). Un quart des étudiants ne s’est donc jamais connecté à la plateforme de cours en ligne[v].

Dès le début, les étudiants ont été informés que l’examen se passait également en ligne. Les convocations leur sont parvenues par courriel et via l’affichage en scolarité. D’une durée de 15 minutes pour 6 questions, il a été réalisé cette fois par 2 360 étudiants, soit 535 étudiants de plus que ceux qui ont suivi le cours. Au total, 76 % d’entre eux ont validé l’UE « Outils documentaires ». Auparavant, lorsque le cours était donné en présentiel, ce taux de réussite était sensiblement identique puisque proche des 80%. Il semble donc que la dématérialisation de ce cours n’a pas nui à la réussite des étudiants.

Malgré toutes les précautions prises pour avertir les étudiants de la période d’examen et des points à valider avant de lancer la session, différentes réclamations sont parvenues en bibliothèque après clôture de l’interface ExamOnline. Pour cette année de test, cette gestion des repêchages a été lourde et devra évoluer vers plus de simplicité pour les années à venir. Les principales réclamations ont porté sur les déconnexions intempestives d’internet, mais également sur le fait d’avoir « oublié » de faire l’examen ou de ne « pas avoir eu l’information ».

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Courte vidéo à visionner avant de lancer l'examen sous forme de check-list

Afin d’être conforme aux attentes des scolarités, des séances de rattrapage ont été organisées par les bibliothèques concernées par ce dispositif. Elles se sont déroulées entre avril et juin 2017.

En février, soit moins de deux mois après la fin des examens pour toutes les filières, un questionnaire d’évaluation a été envoyé à tous les étudiants concernés. Il portait à la fois sur le cours et sur l’examen. 860 questionnaires d’évaluation ont été remplis et ont donc pu être analysés. Les résultats de l’enquête vont permettre d’améliorer ce cours pour la rentrée 2017-2018.

Pistes pour 2017-2018…

Les pistes de travail et d’évolution du cours en ligne pour la rentrée prochaine sont nées de la conjoncture de différents éléments et points de vue :

  • enquête et évaluation auprès des étudiants ;
  • travail collaboratif avec l’ensemble du personnel des bibliothèques afin d’obtenir leur ressenti (personnel formateur ou pas puisque le nouveau format impactait également le renseignement en service public) ;
  • étude docimologique des examens afin de mieux comprendre la notation et les résultats ;
  • travail en interne avec l’équipe des formatrices expertes.

Il en est ressorti le besoin de donner un sens plus fort à ce cours. Trois points de progression vont donc être travaillés. Tout d’abord, une vidéo de présentation du cours et de ses objectifs va être réalisée. Faute de temps, elle n’avait pas été conçue en 2016 et un texte de présentation y était substitué, qui s’est avéré insuffisant au regard des retours recueillis.

Ensuite, le contenu du cours sera développé : la méthodologie de recherche aura une place plus importante et devrait devenir un troisième objectif du cours.

« Cette formation devrait encore plus être axée sur les modalités de recherche… pour permettre aux étudiants de mieux trouver les informations dans le cadre de leurs études… Il serait souhaitable que ce genre de méthode soit apporté dans ce cours. » (Verbatim extrait de l’enquête d’évaluation du cours en ligne, février 2017).

Ceci devrait permettre de mettre plus en valeur les compétences acquises lors de cet enseignement et de donner plus de poids à celles-ci au regard de la suite des études et de leur réussite.

Enfin, l’interface du cours en elle-même sera réorganisée pour plus de lisibilité. Les contenus textuels seront réduits et la navigation sera plus encadrée. L’étudiant sera encouragé à naviguer selon un parcours prédéfini : 1.objectifs, 2. à savoir avant, 3. apprendre : exercices, 4. à retenir, 5. test de positionnement.

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Le futur parcours des étudiants par objectif dans Claroline Connect : chaque étape représente un widget

Le futur parcours des étudiants par objectif dans Claroline Connect : chaque étape représente un widget

En outre, le cours sera pensé un peu plus « responsive design » afin de permettre aux étudiants de le suivre sur tablettes ou smartphones, usage relevé cette année de manière régulière et pour l’instant mal adapté à l’interface telle qu’elle a été conçue. Il faudra également actualiser tous les supports faits pour 2016-2017 car les services (notamment le catalogue et le site web) des BU ont évolués et le contenu du cours doit être bien évidemment maintenu à jour.

Le projet de modification du cours des Licences premières année et de sa gestion entièrement en ligne a mobilisé fortement les formateurs cette année. On le voit, avec le recul et l’expérience, des améliorations sont en cours. L’expérience reste cependant positive. Elle a permis d’alléger la tâche de formation en présentiel pour les bibliothécaires formateurs, tout en permettant de laisser une place pour développer des formations plus pointues les années suivantes. Ainsi, neuf cours supplémentaires ont pu être conçus et dispensés à partir de la L2 cette année déjà, et cette évolution ne devrait que se poursuivre à l’avenir, ce qui était un des objectifs initiaux de ce travail conséquent de conception pédagogique.

Références

Tutoriels du cours en ligne sur notre chaîne Youtube (playlist Formations BU) 
Vidéo des ACCU 2017
Claroline 
Site web des BU

Références bibliographiques 

DEPOVER, Christian. Le tutorat en formation à distance. De Boeck, 2011. 280 p.
PAPI, Cathia. Formation à distance : dispositifs et interactions. ISTE éditions, 2014. 284 p.
POMEROL, JC. Les MOOC : conception, usages et modèles économiques. Dunod, 2014. 142 p.
BERGE, Zane. Interaction in post-secondary Web-based learning. In : Educational technology, 1999, vol. 39, n°1, pp.5-11
DAELE, A. ; DOCQ, F. Le tuteur en ligne, quelles conditions d’efficacité dans un dispositif d’apprentissage collaboratif à distance ? In : 19e congrès de l’AIPU, Louvain-la-Neuve, 2002

 

[i] https://claco.univ-lyon1.fr/icap_website/82/214
[ii] Le choix de Youtube plutôt qu’une autre plateforme de diffusion vidéo a été fait en raison de l’existence antérieure d’un compte BU (chaîne) et de la facilité technique (connaissance de l’utilisation, possibilité de playlists, etc.).
[iii] Élément de base de l'interface graphique d'un logiciel : dans Claroline Connect, un widget est une petite fenêtre dont on peut définir la taille et qui peut contenir différents contenus (texte, multimédia, hypertexte, etc.).
[iv] Les badges sont attribués aux étudiants ayant simplement ouvert les deux exercices d’apprentissage sur la plateforme, sans condition de réussite.
[v] Il reste possible que certains aient travaillé à plusieurs sur une seule session, mais nous ne pouvons pas avoir pour l’instant de retour fiable sur les pratiques des étudiants autour de ce cours en ligne.

Lutter contre le plagiat académique en formant les doctorants par la pratique

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Plagiat inconscient : la silencieuse pandémie

Si les supercheries des experts du plagiat focalisent l’attention lorsqu’elles sont rendues publiques, les pratiques des « plagiaires malgré eux » représentent un danger tout aussi redoutable dans la mesure où le plagiat inconscient fait son lit dans l’infra-ordinaire de la recherche, ainsi que le souligne D. Truchet : une collecte lacunaire des références bibliographiques, une absence de cohérence dans la manière de citer ses sources, une paraphrase maladroite ou encore un versionnage hasardeux de fichiers mettent profondément à mal le principe de traçabilité des sources. Il devient impossible d’attribuer avec certitude des propos à leur auteur. Il ne s’agit pas nécessairement d’une incursion délibérée dans le territoire de la fraude, mais plutôt d’un séjour plus ou moins prolongé dans celui de la « sloppy science » (J. Tijdink), dont les soubassements sont : « ignorance, honest error, biases, dubious integrity ». Le degré d’inconscience du plagiaire peut varier. D. Peraya et C. Peltier distinguent ainsi un chaînon entre la pratique frauduleuse et l’erreur méthodologique de bonne foi : le « plagiat par négligence ». Alors qu’il sait qu’il ne respecte pas les normes, le plagiaire par négligence ne cherche pour autant pas à réformer ses habitudes, faute de connaissances méthodologiques suffisantes et surtout, faute d’intérêt pour ce problème. Facteur aggravant dans le cas des doctorants selon M. Bergadaà, il n’est pas rare que des encadrants de thèse considèrent comme acquise la méthodologie de la citation alors que ces chercheurs novices doivent consolider voire assimiler ces compétences : « Ce qui semble évident pour un professeur n’est souvent pas compris par les doctorants ».

Par ailleurs, si le plagiat revêt une dimension individuelle, il ne saurait être appréhendé hors de son contexte. J.-C. Pacitto alerte sur la nécessité de tenir compte du « caractère contingent du phénomène » : les plagiaires ne sont pas des monades mais bel et bien les éléments d’un système fondé sur des logiques de pouvoir. Le plagiat devient un outil de production et de promotion puisque la publication constitue une monnaie d’échange pour accéder aux responsabilités souhaitées, selon J.-C. Pacitto. Si le sujet demeure hautement sensible et soumis à ce que P. Corvol et R. Gicquel nomment une « régulation non explicite » de la part de la communauté scientifique elle-même, les structures de recherche développent des politiques de défense de l’intégrité scientifique.

Former à l’éthique et à l’intégrité scientifique : une priorité renforcée pour les écoles doctorales

Dans les années 1990, des dispositifs de défense et de promotion de l’intégrité scientifique voient le jour. L’Office of Research Integrity est fondé aux États-Unis en 1992 ; le Code de conduite européen pour l’intégrité en recherche (The European Code of Conduct for Research Integrity) paraît en 2011 sous l’impulsion des organisations All European Academies (ALLEA) et European Science Foundation (ESF). En France, les organismes de recherche prennent des initiatives tout au long des années 1990 et l’année 2017 marque un tournant avec la création de l’Office français d’intégrité scientifique (OFIS[1]). Par ailleurs, l’article 3 de l’arrêté du 25 mai 2016 fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat fait de la formation à l’intégrité scientifique une priorité pour les écoles doctorales : tout doctorant doit pouvoir bénéficier d’« une formation à l'éthique de la recherche et à l'intégrité scientifique ».

En mai 2017, dans le cadre d’un partenariat avec l’école doctorale (ED) Montaigne Humanités (Université Bordeaux Montaigne), l’Unité régionale de formation à l’information scientifique et technique (Urfist) de Bordeaux a conçu et animé des sessions de formation contre le plagiat reposant sur une méthode que l’on pourrait qualifier de coactive dans la mesure où elle implique la co-production de contenus avec les participants grâce à des études de cas. Ce module de 6 heures est animé par un conservateur des bibliothèques. La rédaction et l’analyse d’un plagiat produit par les participants eux-mêmes font partie de ce dispositif : parce qu’on combat mieux un ennemi que l’on connaît, les doctorants sont amenés à recourir sciemment aux techniques des plagiaires. Cette séquence est précédée d’un travail préparatoire sur les bonnes pratiques de citation. Le module s’inscrit dans un programme de formations dédié à l’intégrité scientifique s’adressant aux doctorants de lettres, langues, sciences humaines et sociales. Les questions juridiques[2] et de normes bibliographiques font l’objet de volets spécifiques.

Dans les coulisses de la fabrique du plagiat

Le formateur est confronté à la gageure de concevoir une formation pouvant s’adresser aux plagiaires inconscients comme aux plagiaires par négligence : il faut en effet faire prendre conscience de leurs besoins aux premiers et convaincre les seconds de l’intérêt d’acquérir des compétences rédactionnelles qu’ils jugent secondaires et/ou difficiles à mettre en œuvre au quotidien. Le cas du plagiaire aguerri semble quant à lui relever d’un cadre autre que celui de la formation puisque l’inconduite scientifique est consciemment érigée en modus operandi. Qu’il soit le fruit de la volonté, de la négligence ou d’un manque de méthode inconscient, le plagiat présente le même degré de gravité et ne saurait se réduire à un manquement individuel. Mais il s’avère déterminant dans la conception de la formation de tenir compte des origines plurielles du plagiat afin de ne pas verser dans le seul registre de la répression.

Par ailleurs, il s’agit aussi pour le formateur de fournir la preuve que le respect de l’intégrité scientifique ne constitue pas une question purement théorique, voire rhétorique. Ainsi que P. Corvol et R. Gicquel le rappellent, alors que l’éthique interroge les liens entre recherche et société, l’intégrité scientifique renvoie aux règles, pratiques ou comportements régissant l’activité scientifique. On se situe sur le terrain de la praxis. Tenir compte de l’expérience des participants devrait jouer un rôle structurant dans la manière d’élaborer une formation à l’intégrité scientifique.

Volontairement, l’utilisation de logiciel de détection de plagiat est exclue du périmètre du module dans la mesure où la manipulation d’un outil pourrait faire écran à l’analyse approfondie de pratiques personnelles. Il s’agit en effet prioritairement de transmettre aux participants méthodes et repères pour travailler de manière autonome. Par ailleurs, J.-N. Darde met en garde contre l’écueil de former non pas au « bien citer » mais au « bien plagier » : les participants apprennent davantage à déjouer les logiciels de détection de similitudes plutôt qu’ils n’acquièrent l’art du référencement des sources.

Du purgatoire à l’enfer de la rédaction scientifique : dans la peau du plagiaire

Le module s’articule autour de 3 séquences : rappel des bonnes pratiques de citation ; paraphraser dans le respect du droit d’auteur ; plagiaires et détracteurs de plagiats.

  • rappel des bonnes pratiques de citations. Les participants se répartissent en 2 groupes. Chaque groupe se voit attribuer une série de citations auxquelles des distorsions ont été volontairement apportées. Le cas à étudier n’est donc pas à considérer comme une citation du texte original. Il s’agit d’une version altérée du texte et l’on procède comme si l’auteur avait directement rédigé le contenu problématique. Le texte original est fourni à titre de comparaison. Chaque groupe propose une solution lors de la phase de restitution. Pour cette séquence introductive, les cas servent surtout d’amorces pour des approfondissements. Par exemple, on soumet aux doctorants le cas d’une source secondaire non mentionnée. Ce point de départ permet d’aborder des questions techniques : de quelle manière faire figurer les sources secondaires dans une bibliographie ? Mais également des questions de principe : dans quels cas la citation de seconde main peut-elle être acceptable ? Quels sont les risques liés à cette pratique et comment s’en prémunir ? La séquence permet aussi de travailler sur des notions telles que celle d’auteur, considérée à tort comme une évidence : quels sont les critères pour déterminer l’auteur d’une production scientifique ? Qu’appelle-t-on un « ghost author » ? Quels peuvent être les enjeux de pouvoir inhérents aux citations, qu’est-ce qu’une citation de complaisance ? Quels sont les enjeux de la traduction ? Sont aussi abordés les concepts de contributeur, d’auto-plagiat, ou encore de salami slicing. Ainsi, la séquence permet de sensibiliser les doctorants à des aspects de la citation complémentaires de la question de l’application des normes bibliographiques.
  • paraphraser dans le respect du droit d’auteur. La séquence débute par un exercice de formalisation des critères de rédaction d’une paraphrase respectueuse du droit d’auteur. On fournit aux participants un exemple de paraphrase réussie pour analyse. En plénière, les doctorants énoncent les règles de rédaction à appliquer. Cette première étape permet aussi de faire un point sur des questions d’opportunités : dans quels cas faut-il recourir à la paraphrase plutôt qu’à une citation directe ?
    Dans un second temps, le formateur constitue 2 groupes et fournit à chacun des extraits à paraphraser, accompagnés d’une grille d’analyse dans laquelle les participants reportent les idées clés des textes avant de rédiger. Cette étape permet au formateur d’accompagner chaque groupe dans son travail d’analyse tout en influençant le moins possible l’étape de rédaction. Les groupes s’échangent ensuite leurs productions et doivent identifier les idées principales des textes paraphrasés sans accès aux sources. L’enjeu est de faire mesurer aux participants le degré de fidélité des paraphrases aux sources lors de la plénière. Les textes sources sont distribués en fin de séquence et le formateur fournit également des propositions de paraphrases. La durée à prévoir pour la phase de restitution ne devrait pas être réduite dans la mesure où elle nourrit des débats permettant d’aller au-delà de la seule technique : comment retranscrire la subjectivité d’une énonciation ? Quel est le cadre énonciatif de l’auteur de thèse ? La phase de restitution permet de placer les participants dans une autre modalité de participation. Par ailleurs, notons que l’exercice de rédaction confronte encore plus directement les participants à leurs forces et faiblesses que ne le ferait un exercice de vérification théorique des connaissances, de type questionnaire.
  • plagiaires et détracteurs de plagiats : rédiger et analyser un plagiat. On constitue 2 groupes auxquels on remet une sélection d’extraits à plagier. Chaque sélection présente une cohérence thématique : dans notre cas, il s’agissait de l’intelligence artificielle et de la parité. Chaque groupe doit rédiger le plagiat le plus abouti possible à partir de consignes de rédaction fournies par le formateur ; ces consignes sont communes aux groupes. Les contraintes d’écriture à employer sont adaptées de l’ouvrage de M. Bergadaà : reprises textuelles sans masquage élaboré, masquage par techniques simples, camouflage par techniques sophistiquées. Chaque source est détournée au moins une fois, sans ordre de mention à respecter ; le plagiat doit mettre en œuvre au moins 3 techniques d’écriture différentes. En vue de faciliter la phase de confrontation avec les détracteurs de plagiats, les plagiaires renseignent un journal de bord : pour chaque détournement, on indique le passage du texte source concerné ainsi que la technique utilisée. Par ailleurs, en début de séance, des analyses de plagiats sont remises aux participants à titre d’illustration[3]. Il s’agit de plagier consciemment pour ne plus plagier par méconnaissance.
    Dans un second temps, les groupes s’échangent leurs travaux et doivent analyser les plagiats. Le journal de bord vierge sert cette fois-ci de grille d’analyse. Tous les participants connaissent les techniques employées, y ayant eu recours en tant que plagiaires. La phase de restitution permet aux détracteurs de plagiat de s’assurer qu’ils ont identifié tous les détournements, d’interroger les plagiaires sur la manière dont ils ont procédé. Le formateur fournit également ses propositions de plagiat.

Devenir un formateur accompagnateur

Si la formation par la pratique permet d’aboutir à des interactions riches, elle modifie sensiblement le rôle du formateur :

  • les phases de restitution réclament un investissement particulier de la part du formateur. Certes, le formateur peut apporter des compléments prévus en amont, mais l’écueil serait de s’en tenir uniquement à un contenu standardisé alors que la formation est précisément conçue pour s’appuyer sur les conclusions émergeant lors des séances de travail.
  • la diversité des profils disciplinaires au sein de chaque groupe constitue une richesse plutôt qu’un inconvénient, sous réserve de rester a minima dans un grand ensemble disciplinaire tel que lettres, langues, sciences humaines et sociales ou encore sciences et technologies. En effet, le type de ressources utilisées, les méthodes de rédaction mais aussi les enjeux épistémologiques diffèrent trop d’un ensemble disciplinaire à l’autre et appellent une adaptation.
  • le choix des textes à analyser s’avère fondamental : trop faciles à appréhender, les extraits peuvent engendrer une lassitude de la part des participants et les conforter dans l’idée que les compétences citationnelles sont déjà acquises ; si les textes sont trop jargonneux, la phase d’analyse risque de prendre le pas sur l’étape de rédaction, indispensable à un retour réflexif approfondi. Les textes sélectionnés sont tous de niveau universitaire mais les extraits ne comportent pas de termes techniques spécialisés. Les phases de travail en groupe permettent aussi au formateur de s’assurer de la bonne compréhension des documents.
  • les cas pratiques peuvent fragiliser les participants amenés à remettre en question leur degré de maîtrise des techniques de citation et de l’analyse de texte. L’exercice dédié à la paraphrase illustre particulièrement ce phénomène. L’écart entre sources et paraphrases peut être notable : des idées clés ne sont pas identifiées ou donnent lieu à des contre-sens. Le formateur veille à instaurer un climat de confiance. Déterminer des groupes fixes d’un exercice à l’autre engendre par exemple des conditions de travail plus sereines compte tenu du fait que cette organisation ne contraint pas les participants à renouveler leurs méthodes de collaboration à chaque séquence.

Conclusion

Placer les doctorants en situation active plutôt que face à des énoncés de règles leur permet non seulement de mieux intégrer les bonnes pratiques à développer mais aussi, de s’autoévaluer. La méthode d’animation est plus coûteuse en temps qu’un cours magistral car les séquences d’analyse et de restitution ne doivent pas être réduites sous peine de rendre factice le caractère collaboratif de la formation. Par ailleurs, la durée de la formation peut sembler rebutante pour les potentiels participants. Aussi, les enjeux de communication sur la formation ne peuvent être considérés comme secondaires.

Rendre les doctorants pleinement acteurs de la formation requiert du temps mais ce que l’on pourrait qualifier de confrontation avec le réel est ce qui permet aux participants d’identifier précisément leurs points forts et leurs faiblesses, sans pour autant être soumis à une logique d’évaluation. Il pourrait être intéressant de mettre en œuvre un dispositif d’approfondissement reposant également sur une méthode coactive. Par ailleurs, le travail en groupe permet aux participants de capitaliser leurs expériences respectives. Enfin, former les doctorants par la pratique permet de dépasser les sujets strictement techniques pour amener les usagers à un questionnement plus large sur la fabrique du savoir scientifique. Si les formations ne peuvent suffire à elles seules à endiguer le phénomène du plagiat, elles conservent un rôle préventif majeur. Par ailleurs, les récentes mesures prises à l’échelle nationale en faveur de l’intégrité et de l’éthique scientifique ouvrent un vaste champ de réflexion auquel les professionnels de l’information peuvent apporter une contribution significative du fait de l’importance réaffirmée de la transmission des compétences informationnelles.

Bibliographie

TRUCHET D. Prohibition et prévention du plagiat [En ligne]. [s.l.] : Ecole doctorale Georges Vedel, Université Panthéon-Assas (Paris II), 2009. Disponible sur : < http://responsable.unige.ch/assets/files/ProhibitionPlagiat.pdf >

TIJDINK J. Sloppy science and publication culture. 28 mai 2017.

PERAYA D., PELTIER C. « Mésusages informationnels et plagiat : réflexions autour de quelques effets secondaires du Web 2.0 ». Cah. Doc. Bl. Voor Doc. 2011. n°2, p. 56‑65.

BERGADAÀ M. Le Plagiat académique : comprendre pour agir. Paris : L’Harmattan, 2015. 228 p.ISBN : 978-2-343-07531-0.

PACITTO J.-C. « Le plagiat : transgression individuelle ou phénomène organisationnel? ». In : Plagiat Rech. Sci. Paris : LGDJ, 2012. p. 93‑104.

CORVOL P., GICQUEL R. Bilan et propositions de mise en oeuvre de la charte nationale d’intégrité scientifique. Paris : Secrétariat d’Etat chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, 2016.

THE OFFICE OF RESEARCH INTEGRITY. « Historical Background | ORI - The Office of Research Integrity ». [s.l.] : [s.n.], [s.d.]. Disponible sur : < https://ori.hhs.gov/historical-background > (consulté le 23 août 2017)

MAKAROW M., ENGELBRECHT J. The European Code of Conduct for Research Integrity [En ligne]. 2011. Disponible sur : < https://www.nsf.gov/od/oise/Code_Conduct_ResearchIntegrity.pdf >

« Arrêté du 25 mai 2016 fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat ». In : Légifrance [En ligne]. [s.l.] : [s.n.], [s.d.]. Disponible sur : < https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032587086> (consulté le 4 octobre 2016)

UNIVERSITÉ BORDEAUX MONTAIGNE. « Formation à l’éthique de la recherche et à l’intégrité scientifique - Université Bordeaux Montaigne ». [s.l.] : [s.n.], [s.d.]. Disponible sur : < http://www.u-bordeaux-montaigne.fr/fr/ecole-doctorale/diplomes-et-formations/formations-proposees-par-l-ed/integrite-scientifique.html> (consulté le 22 juin 2017)

DARDE J.-N. « Les logiciels anti-plagiat : détection? formation? prévention? dissuasion? ». In : Plagiat Rech. Sci. Paris : LGDJ, 2012. p. 129‑139.

 


[1] La création de l’OFIS découle des recommandations du rapport de P. Corvol et de R. Gicquel et a été votée par le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (HCéres) le 20 mars 2017.

[2] Le cycle de formations conçu en partenariat avec l’ED Montaigne Humanités comporte une initiation au droit d’auteur (6h) ainsi qu’un volet juridique consacré au plagiat (3h). La formation à la citation des sources (6h) se concentre sur la présentation des sources : typologie des sources, organisation des notes, abréviations et locutions latines, formats de citation, gestion des sources citées.

[3] Ont été sélectionnés pour la formation : « Plagiat : l’affaire Rigaux rebondit » [En ligne : http://huet.blog.lemonde.fr/2016/06/08/plagiat-laffaire-rigaux-rebondit/]. Consulté le26 avril 2017 et DARDE, Jean-Noël, « L’Université Paris-Sorbonne (Paris 4) recrute une plagiaire », [En ligne : http://archeologie-copier-coller.com/?p=12928]. Consulté le3 février 2017.

Manivelle à l’UBO

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A l’occasion de la 4ème édition de la Biennale du numérique qui s’est tenue à l’Enssib les 13 et 14 novembre 2017, le jury a remis le Prix de l’innovation numérique en bibliothèque au projet Manivelle porté par les bibliothèques de l’université de Bretagne Occidentale.
Ce projet inspiré d’une initiative québécoise vise à donner de la visibilité aux collections de ebooks en bibliothèque universitaire.

À l’origine du projet : des ebooks trop discrets

La génération qui arrive aujourd’hui à l’université a grandi avec internet et le numérique. Pourtant, l’attrait pour les ouvrages papier semble perdurer, en particulier chez les étudiants en Lettres et Sciences humaines.
Cette tendance se retrouve à l’UBO. Malgré un budget multiplié par trois en cinq ans (72 000 euros en 2017), l’usage des ebooks peine à décoller pour certains bouquets, alors même qu’ils disposent de toutes les fonctionnalités propres au numérique : accès illimité et à distance, recherche plein texte, navigation hypertexte...
En dépit des efforts de valorisation, les bibliothèques de l’UBO, comme de nombreux établissements, ne parviennent pas à donner une réelle visibilité à leurs livres numériques.
Par ailleurs, les choix qui ont été faits jusqu’à présent ne se sont pas toujours révélés très judicieux pour la promotion des ebooks.

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Poster présenté pour le Prix de l'innovation numérique en bibliothèque – Biennale du numérique 2017 (crédits : BU UBO)

La recherche d’ebooks à l’UBO : un exercice difficile pour l’usager

Rechercher sans outil de découverte

Les bibliothèques de l’UBO ont renoncé en 2015 à leur outil de découverte, après une année d’expérience peu satisfaisante. Outre les dysfonctionnements et problèmes d’affichage qu’il ne parvenait pas à corriger, le prestataire était dans l’impossibilité de garantir la protection des données personnelles. Une enquête a également confirmé que les usagers ne s’étaient pas approprié l’outil et étaient, de fait, peu nombreux à l’utiliser. Enfin, sur la période, aucune augmentation sensible du nombre de requêtes ou de consultations de la documentation électronique n’avait été constatée.
Le choix de renoncer à cet outil de découverte, s’il a pu être tout à fait justifié à l’époque, s’avère aujourd’hui pénalisant pour le signalement des ebooks qui, pour des raisons techniques, ne peuvent être intégrés massivement au catalogue.

Rechercher par titre ou auteur… ou par ISBN !

Pour pallier l'absence d'outil de découverte et l’impossibilité de signaler tous les ebooks dans le catalogue, un moteur de recherche dédié a été intégré au site web des BU en 2016, à partir d’un formulaire de la liste AZ. Mais la récupération partielle des métadonnées rend cet outil difficilement exploitable par l'usager : il permet en effet une recherche par titre, auteur et ISBN, mais ignore le champ sujet.
Pour trouver un ebook, l’étudiant doit donc déjà avoir une idée précise de ce qu’il recherche : un postulat en réalité peu adapté aux pratiques universitaires.

Rechercher base après base

Une solution complémentaire a été mise en place : une page web listant tous les bouquets de livres numériques, avec un classement par disciplines[1]. À l’étudiant de deviner dans quelle collection effectuer sa recherche !
Une enquête menée au printemps 2017 auprès des étudiants de l’UFR Lettres est venue confirmer  cette méconnaissance des ebooks de la bibliothèque. S’ils restent attachés au livre papier, ils affirment toutefois être intéressés par les collections numériques, mais manquent d’informations à ce sujet. Ainsi, un étudiant sur deux indique connaître l’offre grâce aux formations dispensées par les bibliothécaires. À l’UBO, les formations représentent donc à ce jour le canal de communication le plus efficace sur les ebooks, malgré les autres initiatives mises en œuvre par les équipes.

La valorisation des ebooks à l’UBO : un impact difficile à mesurer

Depuis plusieurs années, différentes actions de valorisation ont été menées dans les bibliothèques du réseau : affiches explicatives (réalisées en interne ou fournies par les éditeurs), flyers, marque-pages, QR codes, communication par mailing et sur Facebook. Mais l’impact réel de ces actions sur la consultation des ressources reste difficile à apprécier.

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Un ebook déguisé en livre papier (ou en DVD) et des affiches de communication au milieu des rayons (crédits photos BU UBO)
« Dans les espaces physiques, on déguise des ebooks en ouvrages papier » - Dominique Corlett, responsable du Département Collections
Parmi les initiatives de valorisation qui nous interrogent, prenons celle menée dans l’une de nos bibliothèques : une collègue s’est amusée à déguiser des ebooks en livres papier, partant de l’idée que le fond doit l’emporter sur la forme.
Pour cela, il lui a suffi d’habiller des boîtiers DVD vides avec la couverture de leur équivalent papier, d’ajouter la cote correspondante sur la tranche, de les glisser dans les rayons au milieu des ouvrages papier… et d’observer l’usager.
L’étudiant est parfois surprenant : la probabilité pour qu’il tombe sur un ebook déguisé est déjà faible (on a tout fait pour le cacher !), mais le voir arriver à la banque de prêt avec le boîtier vide pour déclarer “J’aimerais emprunter ce DVD”, vous renvoie tout à coup à cette cruelle vérité que la valorisation est tout sauf une science exacte.
L’agent à l’accueil, un peu amusé, n’a alors d’autre choix que de lui répondre : “mais ceci n’est pas un DVD, c’est un ebook ! et vous ne pouvez pas l’emprunter puisqu’il est disponible en illimité depuis n’importe quel ordinateur connecté à internet.”

C’est en raison de ces difficultés à donner une visibilité à leurs ebooks que les bibliothèques de l’UBO se sont tournées vers Manivelle.

Manivelle, un dispositif original

L’originalité du projet Manivelle réside à la fois dans la technologie utilisée et dans le processus collaboratif qui l’accompagne.

Une expérience usager renouvelée

La technologie Manivelle redonne aux sens une place centrale dans la découverte des contenus numériques. L’interface, tactile et colorée, mobilise à la fois la vue et le toucher, afin de rendre l’expérience de l’usager la plus simple et la plus ludique possible.

En mode veille, l’écran attire le regard du visiteur en lui présentant une succession colorée d’ebooks sélectionnés.

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Aperçus de l’interface Manivelle UBO (crédits photos Manivelle)

L’œil est d’emblée mobilisé, mais l’outil invite aussi à manipuler : toucher l’écran permet de naviguer au sein de rayonnages virtuels matérialisés par des bulles de couleurs.
Un titre retient son attention ? L’usager accède rapidement au résumé et à la notice détaillée. En quelques secondes, il obtient par courriel ou sms le lien vers le texte intégral du document, qu’il pourra consulter sur son smartphone, sa tablette ou son ordinateur.

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Écran Manivelle déployé à la bibliothèque Georgette Lepage à Brossard, Québec (crédits photos BU UBO)
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Accès aux ebooks sur un écran Manivelle québécois (crédits photos Manivelle)

Les écrans Manivelle sont conçus pour être complémentaires des outils traditionnels : ils sont basés sur la sélection et la sérendipité, et non sur la recherche ; ils sont orientés vers la découverte, et non vers la lecture du texte intégral.

« L’aventure Manivelle : une expérience marketing à l’heure numérique » - Séverine Lepiouff, responsable de la mission Communication et Action culturelle
Dans nos sociétés modernes, la vue est notre sens le plus sollicité. Le marketing visuel, enrichi par les nouvelles technologies, est donc devenu un dispositif incontournable. Il se développe depuis plusieurs années sur les sites web, mais également dans les lieux publics sur de grands écrans. Dans les espaces physiques très fréquentés que sont les BU, il a donc toute sa place. À l’UBO, nous avons été conquis par les écrans Manivelle qui offrent cette expérience marketing pour nos collections d’ebooks : une expérience visuelle, mais aussi tactile.
Nous mettons là en place un modèle de “click-and-send” et souhaitons tirer parti de la présence des usagers dans les BU pour leur faire (re)découvrir nos ressources numériques. Nous nous attendons, dans un premier temps, à des comportements expérientiels, induits par l’attrait d’un objet design et ludique, qui invite à l’interaction ; puis à des comportements utilitaires (découvrir facilement et rapidement un titre intéressant). Avec le fablab de l’UBO Open Factory, nous chercherons à améliorer l’expérience usager : nous travaillerons sur la fluidité, l’intuitivité et le design des écrans.
Ce qui nous plaît également avec Manivelle, c’est la sérendipité organisée avec la complicité des enseignants : les bibliothécaires construisent avec eux le parcours de découverte de l'usager. Et c’est là aussi une nouveauté dans notre démarche de valorisation des collections.

Un processus expérimental et orienté usagers

La technologie Manivelle est née au Québec, à Montréal, au sein de la société Manivelle co-fondée par le bibliothécaire Vincent Chapdelaine[2]. L’aventure a débuté en 2015 par un processus de co-design avec des citoyens, des bibliothécaires et des spécialistes du design numérique.

La société Manivelle
une start-up québécoise co-fondée en 2015 par Vincent Chapdelaine
une équipe composée d’un bibliothécaire, d’un designer et de développeurs
des valeurs et des ambitions : économie sociale, co-création, innovation numérique, villes intelligentes
un projet phare : les écrans Manivelle
« Manivelle, une startup numérique créée par et pour les bibliothèques » - Vincent Chapdelaine, co-fondateur et président de Manivelle
La genèse du projet Manivelle tire son origine dans une discussion que j’ai eue en 2014 avec Jean-François Cusson, le directeur de l’organisme BiblioPresto[3] qui gère la principale plateforme de prêt de livres numériques au Québec, PrêtNumérique.ca[4]. En discutant des besoins des bibliothèques, nous avons mis le doigt sur l’immense défi de faire connaître la richesse des collections numériques grandissantes en bibliothèque – l’idéal étant de les rendre visibles au sein même des établissements.
L’idée a fait son chemin au sein de ma propre organisation, Espaces temps – un incubateur de projets culturels, numériques et collectifs[5]. En 2015, mon collègue Simon Emmanuel Roux et moi-même avons donc creusé l’idée et imaginé la solution. Notre premier réflexe fut de rallier des bibliothèques partenaires à travers le Québec, afin de les impliquer dans une phase de prototypage, qui s’est déroulée tout au long de l’année 2015. Durant cette phase, nous avons animé de nombreux ateliers en bibliothèque, avec des usagers et bibliothécaires, et cela a alimenté grandement les phases de design.
Devant le succès du projet et de notre preuve de concept, Manivelle a pris son envol d’Espaces temps à l’automne 2015 et est devenue une société autonome. Dès lors, de janvier 2016 à mai 2017, nous nous sommes consacrés à développer une version commercialisable de la solution, en visant particulièrement le marché des bibliothèques universitaires et bibliothèques publiques au Québec et en Europe.
Pour nous, chaque nouvelle bibliothèque qui rejoint le réseau Manivelle ne fait pas qu’offrir à ses usagers une solution élégante pour la valorisation de ses collections numériques. Elle permet aussi de renforcer le réseau, et nous aide à rendre la solution encore plus attrayante pour l’ensemble des bibliothèques participantes.

Dès l’origine, l’aspect collaboratif et l’expérience usager font partie intégrante du projet.

Les premiers écrans Manivelle ont été imaginés lors d’ateliers organisés avec des usagers de la bibliothèque Gabrielle-Roy de Québec en décembre 2014 et de la bibliothèque Georgette Lepage à Brossard en février 2015. Cherchant à mieux comprendre la perception des outils de diffusion d’information dans l’espace public, l’équipe de la société Manivelle a mobilisé la créativité des participants pour inventer le dispositif d’information numérique idéal. Les prototypages papier ont abouti à une série de recommandations à destination de l’équipe projet.

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Ateliers de co-design menés dans les bibliothèques du Québec au tout début du projet (crédits photos Manivelle)

 Plusieurs écrans ont ensuite été déployés dans les bibliothèques publiques du Québec au cours de l’année 2015.

Le processus est itératif : chaque écran est un prototype, des tests sont effectués directement dans les espaces publics des bibliothèques partenaires, et le logiciel évolue en fonction des retours des utilisateurs.

Un chantier spécifique « engagement des utilisateurs » a également été mené en 2016, avec une étude confiée à la société montréalaise Design par Judith Portier, spécialisée dans le design d’environnement, pour analyser et optimiser le taux d’engagement des usagers envers les écrans. Les conclusions ont confirmé la nécessité de passer à une v2 plus interactive, plus ludique et plus facile à maintenir.

Une démarche collaborative

Manivelle mise sur la conception réseau et la capitalisation : les développements effectués par la société Manivelle sont reversés à l’ensemble de la communauté Manivelle.
Le code est conçu pour être ouvert : les bibliothèques partenaires pourront y contribuer dès que la société aura mis en place le kit de développement logiciel (software development kit). L’objectif sera de pouvoir bâtir un écosystème de contenus accessibles à tous.

Manivelle à l’UBO : une première mondiale en contexte universitaire

Le projet Manivelle à l’UBO a débuté en septembre 2016 lorsqu’il a été retenu dans le cadre de l’appel à manifestation d’intérêt « Transformation pédagogique et numérique » du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation[6].

Il est prévu de déployer, à partir du printemps 2018, cinq écrans dans cinq des douze bibliothèques de l’UBO, couvrant différents champs disciplinaires et différents territoires : trois bibliothèques à Brest (Lettres et Sciences humaines / Santé / Droit-Économie-Gestion-Sciences-STAPS), une à Quimper (multidisciplinaire) et une à Rennes (Sciences de l’éducation).

« Manivelle, l’idée » - Nicolas Tocquer, directeur des bibliothèques de l’UBO
La manivelle a commencé de tourner au Québec en 2014, sous l’impulsion du directeur général d’Espaces temps, Vincent Chapdelaine. En tant que membre du conseil d’administration de cet organisme à but non lucratif, j’étais régulièrement tenu informé des projets innovants menés au Canada autour de la diffusion et du partage de connaissances. Il s’agissait à l’époque de déployer dans l’espace public des écrans destinés à diffuser des informations à caractère culturel et citoyen. Lors d’un déplacement professionnel à Montréal effectué en 2016, j’eus le plaisir de constater que les premiers écrans avaient été installés dans les bibliothèques publiques et rencontraient un vrai succès auprès des usagers. Élégants, colorés et ludiques, ils attiraient le regard, excitaient incontestablement la curiosité, et rendaient palpable l’information numérique. Pourquoi donc ne pas les implanter dans l’environnement académique ? L’appel à manifestation d’intérêt « Transformation pédagogique et numérique » lancé au printemps 2016 constitua l’élément déclencheur du projet brestois. Il fallut alors entrer dans le vif du sujet, identifier les ressources destinées à être diffusées, associer la gouvernance de l’université, solliciter des subventions, et communiquer sur ce projet d’autant plus enthousiasmant qu’il s’inscrit dans une démarche collaborative.

Intégration de Cairn au dispositif Manivelle

Le choix de Cairn par l’UBO tient au caractère pluridisciplinaire de la base et à la variété de ses ebooks, adaptés à tous les publics, du premier cycle au doctorat.

« Cairn ? un choix qui s’est imposé de lui-même ! » - Dominique Corlett, responsable du Département Collections
Quand le projet Manivelle a été lancé, la question de la plateforme d’ebooks à valoriser en priorité s’est tout de suite posée. Cairn réunissait tous les critères souhaités : la consultation était en hausse mais largement en-dessous de ce que l’on pouvait espérer d’une collection pluridisciplinaire, francophone et visant un public très large. Les statistiques Ezpaarse avaient d’ailleurs confirmé l’intérêt de la plateforme au-delà de la seule UFR Lettres. Last but not least, nous étions abonnés à la totalité des collections d’ebooks Cairn depuis janvier 2017. L’éditeur a tout de suite compris l’intérêt du projet et nous a fait confiance : la société Manivelle et Cairn ont ainsi pu travailler en étroite collaboration à l’importation des métadonnées.

La société Manivelle a développé au printemps 2017 une chaîne de contenus spécifique pour les ebooks Cairn, à partir des métadonnées récupérées via une API[7] fournie par la plateforme. Les métadonnées ont ensuite été normalisées afin d’être intégrées au système de diffusion Manivelle.
Des développements complémentaires ont été nécessaires pour pouvoir intégrer d’autres données qui ne pouvaient pas être récupérées via l’API, notamment les sujets des ebooks.

Mutualisation des développements informatiques

Ces développements financés par l’UBO autour de Cairn vont désormais pouvoir être récupérés par toutes les autres bibliothèques partenaires de Manivelle.
En retour, l’UBO aurait pu récupérer les développements effectués pour les bibliothèques québécoises, mais ils ne correspondaient pas aux plateformes d’ebooks auxquelles les BU sont abonnées.

Coûts
Le coût global du projet est évalué à 35 000 €, pour le déploiement de 5 écrans et l’intégration d’une source de contenus.
Ce projet bénéficie du soutien financier du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (AMI 2016) et de subventions des collectivités territoriales (Brest Métropole et Département du Finistère).

Un projet en mode « innovation ouverte » avec le fablab de l’UBO

À l’opposé des outils préformatés auxquels l’utilisateur doit souvent s’adapter, les écrans Manivelle ont été conçus au Québec dans une démarche UX, et le projet va être poursuivi à l’UBO sur le même mode, au plus près des étudiants.

Les BU ont donc sollicité le fablab de l’UBO Open Factory[8] pour les aider à déployer ces écrans dans les espaces. L'expertise du fablab en matière de fabrication et de design, ainsi que sa capacité à mobiliser un réseau – étudiants et fablab managers – sont en effet des atouts pour la réussite de ce projet.
Dès le début de l’année 2018, le fablab travaillera avec les bibliothécaires et les usagers pour le choix de l’implantation des écrans sur chaque site.
L’utilisation de machines à commande numérique permettra de façonner différents habillages pour les écrans, et d’expérimenter directement dans les BU plusieurs prototypes, pour observer ce qui fonctionne auprès des étudiants : ce qui leur indique qu’il s’agit d’un dispositif tactile et interactif, et ce qui leur donne envie de l’utiliser.

Dans un second temps, des développements informatiques pour personnaliser l'interface logicielle pourront également être envisagés.

« Expérimenter, observer, réajuster » - Gaëlenn Gouret, responsable du Département Numérique et chef de projet Manivelle
Manivelle, c’est une belle aventure que nous menons depuis plus d’un an avec nos partenaires québécois, et que nous prolongeons à l’UBO avec nos collègues du fablab de l’UBO Open Factory.
Manivelle, c’est d’abord un pari : le pari qu’il est possible de matérialiser autrement les ressources numériques dans les espaces physiques des bibliothèques, sans passer par l’imitation du livre papier, mais en exploitant au contraire les possibilités des technologies modernes.
Les défis qui s’ouvrent devant nous pour 2018 ? Expérimenter l’outil dans un contexte nouveau, l’université, et observer la façon dont les étudiants vont s’en emparer. Allons-nous observer les mêmes usages que dans les bibliothèques publiques du Québec ? Quel sera l’impact sur les consultations d’ebooks Cairn ? Ce dispositif permettra-t-il de créer une nouvelle dynamique de collaboration entre les enseignants et les acquéreurs de nos BU, autour de la question des ressources numériques ?
Différents essais et ajustements seront sans doute nécessaires pour que l’outil puisse s’insérer durablement dans les pratiques.
Nous envisageons également d’expérimenter, sur ces écrans, d’autres types de contenus : d’autres ebooks, mais aussi la production scientifique de l’université, ou encore l’affichage de services ou d’événements. On pourrait alors imaginer que les écrans Manivelle puissent se déployer aussi hors des BU, disséminant sur les campus toutes ces petites bulles de documentation et d’information...

 

[1] http://ubodoc.univ-brest.fr/ressources/ebooks/

[2] http://manivelle.io/

[3] http://bibliopresto.ca/

[4] http://www.pretnumerique.ca/

[5] http://espacestemps.ca/

[6] http://www.sup-numerique.gouv.fr/cid110951/ami-2016-les-laureats-et-leurs-projets.html

[7] Application Programming Interface (interface de programmation applicative)

[8] https://uboopenfactory.univ-brest.fr/

Hommage à Robert Damien

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Tour à tour philosophe, rugbyman, auteur, Robert Damien a nourri la pensée des bibliothèques et sur les bibliothèques. Ce penseur éminent nous a quittés en octobre 2017, et le BBF a choisi de lui rendre hommage en sollicitant quatre textes de collaborateurs ou interlocuteurs privilégiés qui ont eu à cœur de saluer son œuvre et de remercier l’homme et l’allié des bibliothèques qu’il était.

Robert Damien (1949–2017)
Professeur émérite des universités (Paris Ouest Nanterre), conseiller scientifique du Labex Passés dans le présent, Robert Damien est l’auteur de Bibliothèque et État, naissance d’une raison politique (PUF, 1995), de La grâce de l’auteur (Encre marine, 2001) et de Le conseiller du prince de Machiavel à nos jours, genèse d’une matrice démocratique (PUF, 2004). Il a publié en 2010 une réédition critique de Qu’est-ce que la propriété ? de Proudhon (Livre de poche). Éloge de l’autorité, généalogie d’une (dé)raison politique est paru en 2013 chez Armand Collin, et Eutopiques, exercices de méditations physiques en 2015 chez Champ Vallon.

 

Bibliographie du BBF

À lire et relire, les contributions de Robert Damien dans le BBF :
•  Une étrange victoire, BBF n° 5, 2015, dossier « Liberté chérie ».
•  L’antre du malin ou la part du diable, BBF n° 6, 2003, dossier « Cultures et religions ».
•  L’analyse de Robert Damien, BBF n° 1, 2003, rubrique Débat.
•  Procès et défense d’un modèle bibliothécaire de la démocratie, BBF n° 5, 2000, dossier « La bibliothèque citoyenne ».

et également aux Presses de l’enssib (2017) :

•  Robert Damien, du lecteur à l’électeur : bibliothèque, démocratie et autorité, sous la direction de Thomas Boccon-Gibod, Cristina Ion et Éric Mougenot (collection Papiers). Livre issu d’une journée d’étude tenue à la BnF en novembre 2014.

 

 

Certains l’appelaient Bob

par Anne-Marie Bertrand

Quand Yves Alix m’a proposé d’écrire un court texte sur Robert Damien, après sa mort soudaine, je me suis demandé comment faire.
J’ai d’abord fait un petit détour archéologique. Où ai-je rencontré pour la première fois Robert Damien ? C’était le 24 janvier 2002, à la BnF, un dialogue intitulé « Usages de la bibliothèque », dialogue entre Robert Damien et Régis Debray, à propos de la Grâce de l’auteur (Encre marine, 2001). J’ai rendu compte de cette rencontre dans le Bulletin des bibliothèques de France (n° 2, 2002). Robert a ensuite accepté de participer à la présentation de mon ouvrage sur les bibliothèques municipales, en 2003, au Salon du livre. Puis, nous nous sommes croisés à de multiples reprises, dans des journées d’étude, des colloques, des séminaires. Directrice de l’Enssib, je l’y ai fait intervenir de nombreuses fois, pour des cours, des interventions, des débats. Les Presses de l’enssib ont publié deux de ses interventions dans des ouvrages collectifs (Horizon 2019, 2011, et 50 ans d’histoire du livre, 2014) et, en 2017, les actes d’une journée qui lui avait été consacrée par la BnF (Robert Damien, du lecteur à l’électeur, Bibliothèque, démocratie et autorité). De 2010 à 2014, il a occupé les fonctions de président du conseil scientifique de l’Enssib.
Pourquoi cet intérêt ? Son travail sur les bibliothèques, sur « la matrice bibliothécaire », sur le rapport entre bibliothèques et démocratie m’a toujours paru fécond, de nature à nourrir la réflexion des bibliothécaires et à asseoir la légitimité des bibliothèques. Travail sans complaisance mais avec un regard amical. Bien au-delà de l’Enssib, ses interventions ont enrichi de nombreuses rencontres, à la BPI, à la BnF, à Médiadix, à l’ADBDP, à l’ABF, et ailleurs.
Mais, c’est le moment de le dire, Robert Damien n’était pas seulement un grand penseur des bibliothèques. C’était aussi un type baraqué, doté d’une belle moustache et d’un bel appétit. Il fumait comme un sapeur et aimait rire. Il était fier de sa femme et de ses enfants. Il disait peu de méchancetés (moins que moi !) et avait confiance dans le genre humain (plus que moi !). Il avait participé à la campagne présidentielle socialiste en 2007 et ne reniait rien de ses convictions - ses travaux sur le conseil du prince lui faisaient dire, souriant, qu’il était le dernier « philosophe soviétique ». Il s’investissait farouchement dans les projets de recherche, à Besançon puis à Nanterre, où il a beaucoup œuvré pour la création du Labex « Les passés dans le présent ».
Un soir de dîner officiel, assise près de lui et de Roger Chartier, je me concentrais pour une conversation sérieuse sur les bibliothèques mais (à mon grand soulagement) ces deux grands chercheurs parlèrent rugby - Robert avait été numéro 10, puis entraîneur d’une équipe de jeunes. Lors de son enterrement, Régis Debray souligna que cet investissement sportif expliquait sans doute pourquoi Robert « aimait les équipes et savait augmenter ses équipiers ».
En 2011 (je crois), nous avons fait ensemble un voyage à Montréal pour dynamiser les partenariats avec les chercheurs québécois (Réjean, tu t’en souviens, nous avions dîné chez toi, avec Raphaëlle et Benoît ?). Il neigeait. Pendant une journée de pause, nous sommes allés à Québec. Je me souviens de la vitre embuée du car et de Robert me racontant son parcours de formation, exemple magnifique de méritocratie républicaine, alors que tout le destinait à l’usine.
Lors d’un colloque à la BnF (celui de 2014 ?), Denis Bruckmann concluait son introduction en indiquant qu’en lisant ou écoutant Robert Damien, il avait « l’impression d’être plus intelligent ». Moi aussi.
C’était un grand chercheur. C’était un type bien.

 

Robert Damien, le philosophe de la Bibliothèque

par Denis Bruckmann

J’ai déjà eu l’occasion de dire ce que fut pour moi la découverte tardive mais extraordinaire de l’œuvre de Robert Damien (1). Si les bibliothécaires ont une propension à réinterroger sans cesse la définition et l’exercice de leur métier, ils ont globalement peu de goût pour la réflexion théorique sur l’institution qu’ils servent, ou ils la formulent en termes plutôt convenus. C’est dire la très forte stimulation provoquée par les travaux novateurs, exigeants et un peu abrasifs de Robert Damien, en particulier par ses deux ouvrages majeurs : Bibliothèque et État (PUF, 1995) et La grâce de l’auteur (Encre marine, 2001), qu’il faudrait compléter de nombreux aperçus dans d’autres ouvrages ou articles.
Personne n’a comme Robert Damien synthétisé et analysé dans un style aussi marqué par le bonheur d’écrire, le vaste corpus de textes philosophiques ou littéraires que la Bibliothèque a engendré. Personne n’a mieux montré la polysémie psychologique, sociale, spirituelle et politique de cette institution, son caractère pluriel et profond, apportant ainsi une contribution majeure à ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler l’imaginaire des bibliothèques (2). Et personne n’a mieux montré non plus son ambiguïté fondamentale, dérangeante, à la fois « programme d'une mainmise » visant à « stériliser le réel », à désamorcer la culture, et fondement de l'idée démocratique.
Une des notions les plus stimulantes qu’il a mises au jour est la Bibliothèque comme modèle, comme matrice, matrice de l’État mais matrice aussi d’un certain état culturel et social, « machine d’exclusion » et notamment des femmes et de tous les dominés, matrice aussi de l’esprit révolutionnaire avec ses grands rêves de partage, de fraternité, de laïcité militante. Cette matrice, il ne l’a pas montrée simplement comme originelle ou fondatrice, mais bien comme un phénomène dynamique, perpétuellement en cours, ce qu’il nomme de façon audacieuse la « bibliothécation ». Cette « bibliothécation » du monde, de la société, de la culture est elle-même à la fois stérilisante, mortifère et potentiellement stimulante. Sans que Robert Damien le dise explicitement, on peut y voir aussi une sorte de relecture de l’internet. « Fluidité ubiquitaire », « hétérogénéité qualitative et dispersion quantitative », « mobilité inventive », « axe majeur d’une transformation libératrice », on est frappé par le fait que beaucoup des qualificatifs que Robert Damien attribue avec justesse à une Bibliothèque, qu’on voudrait libérée de ses pouvoirs néfastes, paraissent s’appliquer à ce qu’est devenu aujourd’hui l’internet : l’énorme, universelle et infinie bibliothèque que portaient en germe toutes les rêveries bibliothécaires. Non contente d’avoir réinterrogé le passé de la Bibliothèque et son aura négative ou positive, la pensée de Robert Damien la projette aussi et ainsi dans l’avenir.
Il y a beaucoup d’autres perspectives, échappées, et, si le mot n’est pas inadéquat pour un homme de raison, beaucoup d’autres fulgurances dans les travaux de Robert Damien. Espérons que d’autres à sa suite, dans ses pas, poursuivront ses travaux pour approfondir les raisons pour lesquelles la Bibliothèque s’est ainsi ancrée si loin dans le cœur des humains et de beaucoup de civilisations.

(1)  Voir Robert Damien, du lecteur à l’électeur : bibliothèque, démocratie et autorité, Presses de l’enssib / BnF Éditions, 2017.
(2)  Robert Damien avait accepté avec enthousiasme de participer à un numéro de la Revue de la BnF, dont j’avais pris l’initiative, consacré à « l’imaginaire des bibliothèques », en 2003, en publiant un extrait de La grâce de l’auteur. Ce fut le début de notre rencontre.

 

Le legs républicain de Robert Damien

par Anne-Sophie Chazaud

« Être à la fois courageux et inventif, élégant et combatif, percutant et dynamique, intelligent et engagé, généreux et contrôlé, lucide et ludique, ardent et vigilant, vaillant et respectueux, explosif et concentré. Des requisits antagoniques pour une métamorphose exaltante… »
Voici comment Robert Damien détaillait les qualités attendues d’un bon joueur de rugby dans le passionnant petit texte qu’il consacra en 2005 à ce sport dans lequel il s’est beaucoup investi, avec tout le talent et la réussite que l’on sait, en tant que joueur au poste non anecdotique de demi d’ouverture d’abord (une position où importe la « vista », le sens du jeu, la capacité à orienter ce dernier, à faire jouer ses coéquipiers), puis en tant qu’entraîneur au CS Lons le Saunier (3).
Or, ce qui frappe à la lecture de ces quelques qualificatifs dont l’apparente juxtaposition paradoxale procède en réalité de l’efficience dialectique inscrite au cœur de toute la pensée du cher philosophe qui nous a quittés cet automne, c’est que ce sont exactement les termes que l’on pourrait employer pour en décrire l’auteur : « courageux, inventif, élégant, combatif, percutant, dynamique, intelligent, engagé, généreux, contrôlé, lucide, ludique, ardent, vigilant, vaillant, respectueux, explosif, concentré », oui, pas de doute, c’est bien de lui qu’on parle.
Certes, la rhétorique de l’hommage se prête parfois à la surenchère apologétique, mais on est réellement frappé, dans son cas précis, par la parfaite sincérité de l’exercice, par la stricte adéquation, si rare et en particulier d’ailleurs chez les intellectuels souvent comiques de ce point de vue, entre les principes qu’il a dégagés dans l’élaboration de sa réflexion – sans cesse approfondie, affinée – et ceux qui ont présidé à la conduite de sa propre existence, dans la « tenue » de sa personne (lui qui accordait tant d’importance à l’« esth-étique » de l’autorité).
Ce qui marque également, c’est que ce sont ces mêmes termes qui permettent de décrire les qualités d’un bon chef telles que Robert Damien en dégagea l’impérieuse nécessité dans notre société moderne atomisée d’autonomies égoïstes, les qualités d’un bon entraîneur de rugby, les qualités enfin d’une bonne et juste République à la fois sûre d’elle, active et fraternelle.
La cohérence, on le voit, est parfaite chez lui entre le paradigme sportif, le paradigme philosophique, le paradigme politique et le paradigme personnel.
Précisément, si ces différents champs s’articulent avec logique et élégance, c’est qu’au cœur dynamique de la pensée de Robert Damien, en son poste de pilotage et de distribution, son centre opérationnel en quelque sorte, agit la matrice opératoire de l’autorité, celle-là qui, étymologiquement, « augmente » un être, une équipe, une société, une démocratie.
La référence matricielle, quant à elle omniprésente, est sans doute le point fondamental de sa réflexion, de portée à la fois heuristique et épistémologique, au point d’ailleurs qu’on pourrait parler de « matrice matriciante », comme d’autres identifient la nature naturante ou d’autres encore la valeur de la valeur, ce qui est loin d’être une pirouette logique et creuse dont certains philosophes auraient le secret, mais parce que la figure traduit un mouvement instituant et fondateur, un principe à la fois d’élucidation du réel et de fondation de celui-ci.
Sur cette force de l’engendrement dynamique (et féminin, notons-le au passage, puisque cela a son importance dans une œuvre qui valorise par ailleurs le rôle indispensable du chef, masculin dans ses attributs et sa représentation), Robert Damien fonde et fait jouer entre elles, au fil de son œuvre, un certain nombre de figures essentielles qui en sont les marqueurs-clés et qui toutes s’articulent autour du couple conseiller/chef (savoir/pouvoir).
Celles-ci permettent à une philosophie politique éminemment républicaine de se déployer, avec rigueur et vigueur. Car Robert Damien est avant tout un penseur de la République. Non point que celle-ci, en tant que système d’organisation sociale et d’organisation des savoirs, fasse l’objet d’une sacralisation ou d’une liturgie a priori, qui seraient de principe et n’auraient d’autre fondement que l’évidence de leur propre affirmation incantatoire. Non. Mais parce qu’elle est, dans sa nature même, ce qui fonde une « arkhè » en démocratie, c’est-à-dire un commencement et un commandement. La République fonde la démocratie, elle la rend possible et agissante, elle l’institue (à tous les sens du terme) au lieu de s’y opposer comme le pensent d’autres pour qui la notion d’autorité n’est pas démocratiquement concevable et qui lui préfèrent la dispersion horizontale (et ingouvernable) des singularités.
Pour en comprendre la fine analyse et les mécanismes, il faut en (re)parcourir le travail et les étapes, de La grâce de l’auteur, essai sur la représentation d’une institution publique, l’exemple de la bibliothèque publiqueà l’Éloge de l’autorité, généalogie d’une (dé)raison politique, de Bibliothèque et État : naissance d’une raison politique dans la France du XVIIe siècle aux Eutopiques. Exercices de méditations physiques, en passant par Le conseiller du Prince, de Machiavel à nos jours, genèse d’une matrice démocratique.
On y explore une pensée dialectique en permanente construction de soi, conformément à cette vitale revalorisation de la notion d’« auteur » qui, dans l’ordre bibliographique, dans l’ordre anthropologique, dans l’ordre politique, dans l’ordre intime comme dans l’ordre collectif est porteuse de la même sémantique efficiente d’« augmentation » de soi que l’autorité dont elle est en quelque sorte le principe actif.
Et ce n’est pas la moindre des qualités de Robert Damien que de parvenir à transmettre à ses lecteurs, à ses collègues, à ses étudiants, à ses amis, à ses proches, toute la vitalité émancipatrice de son analyse philosophico-politique, non point tel un héritage figé qui serait aussi sacré qu’encombrant, mais au contraire comme une dynamique, une force de réflexion et d’action particulièrement fertiles dans la période d’incertitude et de recomposition où nous sommes immergés.
Longue vie donc à l’œuvre de Robert Damien !

(3)  « Deux ou trois choses que je sais à propos du rugby », texte paru en 2005 sur Mezetulle, le blog de la philosophe Catherine Kintzler.

 

Robert Damien, philosophe

par Stéphane Haber et Christian Lazzeri

La disparition de Robert Damien en octobre 2017 a été ressentie comme une grande perte non seulement par ses anciens élèves et ses collègues, mais aussi par celles et ceux avec lesquels il avait eu l’occasion de travailler et de discuter au cours de sa carrière, au fil de ses nombreuses activités. Il fut, pour nous, un collègue et un ami très cher dont le souvenir restera vif.
Né en 1949, étudiant à Lyon jusqu’à l’obtention de l’agrégation, il enseigna ensuite la philosophie au lycée avant de rejoindre l’université de Franche-Comté, comme maître de conférences puis comme professeur. Il arriva à l’université de Nanterre en 2006 et prit sa retraite en 2013. Membre actif du laboratoire « Sophiapol », très présent dans son département, dirigeant de nombreuses thèses, il a également occupé les fonctions d’administrateur provisoire de l’UFR « Phillia » et de directeur de l’École doctorale « Connaissance, Langage, Modélisation ». En dehors de ses universités de rattachement, il fut également président du conseil scientifique de l’Enssib (2010-2014).
Son travail philosophique, très personnel, s’enracine dans une réflexion sur les diverses tensions indépassables qui habitent le monde démocratique, les tensions entre décision et connaissance, entre immanence et autorité…
Dans sa thèse d’État, centrée sur Gabriel Naudé (1600–1653), une personnalité singulière du XVIIe siècle français, tout à la fois érudit, théoricien de la raison d’État, penseur de la bibliothèque comme institution, Robert Damien étudiait la manière dont la culture européenne avait réagi au double choc induit par la diffusion de l’imprimerie et par l’élargissement du monde consécutif aux grandes découvertes : d’une part en associant pensée et curiosité voyageuse, d’autre part en réfléchissant à la centralité du dispositif bibliothécaire, seul apte désormais à assurer la préservation, mais aussi à assumer la prolifération des connaissances et des discours. Dans les deux cas, ce qui s’invente, c’est, montrait Robert Damien, la visée d’une totalisation qui se sait imparfaite, inachevée, risquée, aventureuse, mais qui ne renonce pas pour autant à l’enthousiasme du partage de l’intelligence. En devenant le partenaire de cette entreprise, le « public » était invité à accéder à l’espace de la connaissance et de la délibération politique. C’est ainsi une des conditions de la citoyenneté moderne qui, discrètement, se met en place.
Sur ce socle, Robert Damien a proposé une généalogie de deux figures essentielles de la modernité culturelle, celle de l’auteur (La grâce de l’auteur, essai sur la représentation d’une institution publique, l’exemple de la bibliothèque publique, Encre marine, 2001) et celle du conseiller du Prince (Le conseiller du Prince, de Machiavel à nos jours, genèse d’une matrice démocratique, PUF, 2003). Plus récemment, Éloge de l’autorité, généalogie d’une (dé)raison politique (Armand Colin, 2013), ouvrage majeur, se présente comme une méditation polyphonique sur le statut du « Chef », source à la fois de stimulations nécessaires et de risques permanents. Dans le cadre de sa pensée politique, l’une des questions reprises inlassablement dans le travail de Robert concernait les problèmes du gouvernement et de l’exercice du pouvoir dans la société démocratique. Si celle-ci se caractérise par « le déclin des absolus qui ont ordonné l’autorité et commandé son exercice par des chefs couronnés par Dieu » (Éloge de l’autorité, p. 489), peut-on dire qu’une telle société se referme et se clôt sur elle-même en rendant totalement symétriques les figures du gouvernement et du gouverné dans l’exercice de la citoyenneté ? Peut-on soutenir que ces deux figures sont symétriques et réversibles, se transformant sans accroc l’une dans l’autre : n’importe quel gouverné devenant gouvernant et n’importe quel gouvernant devenant gouverné ? À cette question, et tout en se voulant un défenseur inconditionnel de la démocratie moderne, Robert Damien a répondu par la négative. Il n’existe pas de réversibilité dans l’exercice du pouvoir, et la possibilité même du choix des gouvernants n’en tient pas lieu. Il n’y a pas de principe d’autosuffisance démocratique et l’élection des gouvernants n’est pas le signe d’une égalité du mandant et du mandataire. C’est en quelque sorte le paradoxe de la démocratie que Robert Damien formule ainsi : « L’énigme d’une autorité démocratique demeure toujours entière car comment rendre compatible l’inégalité des puissances affirmées avec l’égalité des droits et la liberté partagée de les imposer ? Qui peut être reconnu premier, comment hiérarchiser des égaux ? Comment classer les citoyens ? » (ibid., p. 24-25). Ce paradoxe ne signifie pas que les choix électifs se produisent dans une situation d’égalité pour engendrer une simple asymétrie de pouvoir, il signifie bien plus que cela : il montre que ce choix est travaillé par un principe de soumission non transparent à « quelqu’un » d’exception « qui fait plus qu’un et vaut pour tout » (p. 24). C’est le « charisme » du chef qui travaille ce choix et semble s’imposer à lui, à la manière dont Weber le définissait : le pouvoir charismatique repose sur les qualités extraordinaires d’un individu, qu’il s’agisse du pouvoir magique que possèdent les prophètes ou les sages, qu’il s’agisse du pouvoir militaire que possèdent les chefs des peuples chasseurs et guerriers. Ce pouvoir ou cet ascendant dépend de la qualité de ces personnages, qui sont doués d’une force ou plus généralement d’une puissance surnaturelle ou surhumaine, en principe inaccessible au commun des mortels, et c’est ce qui leur confère cette autorité qui leur permet d’être considérés comme des « chefs » naturels auxquels on obéit avec émotion et enthousiasme. Ce pouvoir du prophète ou du chef est légitime dans la mesure et aussi longtemps que subsiste le charisme personnel du dirigeant et, de manière générale, il cesse lorsque ce charisme disparaît. Or, selon Robert Damien, l’exercice de ce charisme renvoie à deux phénomènes : le premier, de nature empirique, montre que les formes d’autorité personnelle se révèlent communes à de multiples sociétés, le second est que l’exercice de ce pouvoir personnel semble témoigner de l’existence d’un principe « d’incomplétude » inhérent à l’être humain, malgré la revendication insistante de l’autonomie personnelle caractéristique des sociétés modernes. Ces deux phénomènes semblent indiquer, contre les revendications les plus radicales de la démocratie moderne, qu’il semble difficile de faire l’économie de l’exercice d’un pouvoir personnalisé de nature charismatique, et cela à tous les niveaux de la vie sociale, qu’il s’agisse de la sphère politique, éducative, sportive, entrepreneuriale, ou religieuse. Et si cette économie est difficile, n’est-ce pas parce que, fonctionnellement, l’exercice de l’autorité, au-delà de son efficacité décisionnelle et de sa capacité d’entraînement, produit un effet positif bien plus important ?
Dans sa présentation d’un numéro de la revue Cités (n° 6, 2001) consacré à l’autorité, Robert écrivait : « Comme l’étymologie l’indique, la finalité de l’autorité est l’augmentation de l’être à qui elle s’applique. Elle se définit par le service de l’autre qui accepte de reconnaître, dans cette médiation, les moyens de sa propre élévation. Elle lui autorise ainsi de revendiquer d’être à sa hauteur en étant auteur de soi. L’autorité exhausse et exauce. La fin de l’autorité est ainsi sa propre disparition dès lors que l’autre est accompli dans ses propres fins. » Il n’y a donc pas d’antagonisme réel entre l’autorité et l’autonomie puisque la première apparaît comme la condition de production de la seconde. Plus exactement, il n’y a pas d’antagonisme réel entre les deux dans la mesure où l’autorité demeure ordonnée à la production d’un tel objectif, ce qui n’a rien d’historiquement garanti. C’est ce qui a conduit Robert Damien à entreprendre, dans son traité, une typologie des différentes formes d’exercice de l’autorité, incluant l’analyse respective de leurs effets et l’énoncé des conditions de leur contrôle. C’est cette analyse systématique et minutieuse, remarquablement documentée par une connaissance de l’histoire des idées, de l’histoire politique et de la sociologie qui fait de ce livre l’un des tout premiers travaux de cette ampleur consacrée en France à ce sujet.
Par ailleurs, directeur ou codirecteur de nombreuses publications collectives, Robert n’avait pas pour autant négligé ses auteurs favoris, tels que Machiavel ou Proudhon (dont il a proposé en 2013, avec Edward Castelton, une édition de Qu’est-ce que la propriété ? au Livre de poche).
Celles et ceux qui l’ont connu se souviendront de l’impression de force et de solidité qui émanait de sa personne. Sa passion pour le rugby, en plus de nourrir sa réflexion philosophique sur la constitution du collectif, fut sans doute pour beaucoup dans ce mélange inimitable de bienveillance et d’exigence envers autrui qui le caractérisait. C’est au nom de ses collègues de Besançon et de Nanterre que nous nous réjouissons de voir son travail théorique et sa mémoire honorés par des penseurs et des acteurs d’une institution, la Bibliothèque, qui lui était chère entre toutes.

Qu'apporte le Big Data ?

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Si l’accès à Internet en bibliothèque s’est banalisé ces quinze dernières années, il reste souvent bridé, accessible sous conditions ou avec limitation[1]. À la faveur d’un renouvellement de son offre, la Bibliothèque publique d’information (Bpi) a cherché à connaître les usages développés à partir de son parc d’une centaine de postes connectés au web. Avec plus de 20 000 réservations mensuelles et 2 millions de logs de connexion par jour, la Bpi entrait, sans le savoir, dans le Big Data. Retour d’expérience d’un partenariat de recherche avec l’équipe de Dana Diminescu et Quentin Lobbé à Télécom ParisTech.

 

Internet public à la Bpi (1995-2017) :
déjà une longue histoire

L’internet public fait son entrée à la Bpi en juin 1995 avec 10  postes de consultation[2]. Les premières études de ce public indiquent que l’usager-type est alors un homme, jeune et bachelier, généralement issu de la filière scientifique, assidu de la bibliothèque et utilisateur des collections imprimées. C’est une époque où domine le versant extatique de cette nouvelle technologie ; pour reprendre l’intitulé d’un dossier du magazine Manière de voir, penser internet en bibliothèque ce sera, à la fin des années 90, se situer  entre l’extase et l’effroi.

L’effroi, les controverses au sujet d’un internet public en bibliothèque marquent en particulier la décennie suivante pendant laquelle les bibliothèques s’interrogent sur le filtrage d’un objet qui ne leur appartient pas, dont elles ne sont pas  propriétaires[3].  Le périmètre des discussions est large, il touche à la fois la valeur documentaire ou non d’internet et le respect de la liberté d’accès à l’information, particulièrement bousculée dans la période post-attentats du 11 Septembre, celle de la loi dite du Patriot Act aux États-Unis. À la BPI, à cette  époque, l’offre consiste en 50 postes accessibles dans les espaces de la bibliothèque pour une durée limitée à 45 minutes (chats, messageries, son et audio sont interdits).

Dans les années 2010, l’offre de la Bpi s’élargit  avec l’accès wifi d’une part et une augmentation du nombre de postes en accès filaire d’autre part, toujours soumis à une limitation de durée. Le contexte de cette intensification est celui dit de la «  fracture numérique  », à plusieurs niveaux, celui de l’accès physique au réseau et celui de l’utilisation des ressources. À partir de 2013 en effet, les services publics français s’engagent dans une  dématérialisation massive, qui suppose de la part des administrés autonomie et littératie[4]. A cet égard, l’enquête Crédoc Baromètre numérique de 2016, rapporte qu’environ 15% des adultes se sentent incapables d’entreprendre des démarches administratives en ligne ». On peut signaler sur ce point que certaines bibliothèques d’Amérique du Nord vont plus loin en matière de lutte en faveur de la réduction de la fracture numérique en proposant le prêt de spots wifi mobiles, comme c’est le cas à Toronto ou à Chicago. Évoquons encore le retour récent de la problématique de la protection de la vie privée des usagers de l’internet public en bibliothèque dans un contexte tenté par une politique accrue de surveillance : le Library Freedom Project préconise en effet de recourir à un  relai TOR afin d’anonymiser et de protéger la vie personnelle des usagers qui utilisent la connexion internet de l’établissement (et l’idée commence visiblement à faire son chemin en France), comme le signalait dans un récent billet de Calimaq (alias Lionel Maurel) sur son blog S.I.Lex.

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Graphique 1 : Évolution de l’offre d’accès internet à la Bpi mise en contexte

La nouvelle offre de la Bpi depuis le 7 avril 2017 est d’une autre nature et se caractérise par trois traits : d’une part, une augmentation conséquente du nombre de postes – multiplié par trois –, d’autre part, la suppression d’une durée de connexion limitée et du système de réservation des postes qui accompagnait ce partage du temps de connexion ; et enfin, une offre élargie sur tous les postes, à la fois vers l’internet public et vers ce que nous appelons  l’Autre internet, qui fédère les accès  aux ressources pour lesquelles la bibliothèque souscrit des abonnements payants. C’est dans le cadre de cette bascule de l’offre – privilégiant l’internet public – que le service Études et recherche a enquêté sur la base de plusieurs dispositifs d’analyse[5] – des plus éprouvés comme l’enquête par observation et par entretiens – aux plus expérimentaux – comme le Data mining[6].

Log de navigation et/ou trace de consultation :
le pari du Data Mining

L’exploitation de données enregistrées quotidiennement par le serveur d’accès à internet de la Bpi (journal de logs du proxy) peut-elle constituer une source d’information pour la connaissance de l’usage d’internet dans l’espace public de la bibliothèque ? Autrement dit, nous nous sommes demandés si des données techniques et fonctionnelles, nécessaires à l’affichage des pages web appelées par les BPI-nautes, pouvaient fonctionner comme des traces de consultation, voire comme des indices de projet d’usages de l’internet à la Bpi. Cette tentative, ou cette hypothèse, de transformation de données nécessaires à la réalisation d’une tâche en des connaissances sur cette tâche elle-même, constitue le coeur des travaux relevant de la discipline du Data mining. Nous nous sommes rapprochés de spécialistes de ce domaine travaillant à Paris Tech - Institut des sciences et des techniques de Paris - nous avons en particulier établi une convention de recherche avec une équipe mixte de sociologue (Dana Diminescu) et d’ingénieur (Quentin Lobbé) pour explorer cette piste de travail.

Chaque jour, le serveur d’accès internet de la Bpi enregistre environ deux millions de lignes de logs, ces deux millions constituent-ils autant de consultations de sites web ? Pas vraiment : pour une page qui s’affiche sur l’écran du Bpi-naute, ce sont jusqu’à cinq lignes de logs différentes qui sont écrites dans le journal du serveur : autrement dit, le journal de logs est très bruité du point de vue de l’analyse des usages par des lignes non directement visualisées par l’usager mais servant à afficher une page ou encore à la décompter. Il faut donc filtrer les lignes du journal en isolant celles correspondant aux URL visualisées par le Bpi-naute ; il faut également transformer une ligne de logs en champs structurés d’informations interprétables : l’URL du domaine consulté bien sûr mais aussi l’étage du poste de consultation par exemple ou encore la date et l’heure de consultation : c’est l‘aspect mining du data mining, rendant l’interprétation possible. Le dispositif d’analyse exploratoire des logs qui a été conçu par nos collègues de ParisTech comporte quatre phases dont seule la première est automatisable : elle permet de passer de 2 millions de lignes de logs à 250 000 lignes de logs analysables par jour.

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Graphique 2 : dispositif d’analyse des logs (source : Quentin Lobbé et Dana Diminescu)

Un ensemble de trois briques logicielles libres[7] permet de nettoyer les données, de les filtrer, de les agréger par nom de domaine pour tenter d’isoler ce que peut être une trace de consultation menée sur un poste public de la Bpi. Ces briques logicielles reposent sur des heuristiques qui ne sont pas aujourd’hui complètement stabilisées[8] : une première version du dispositif a été livrée en septembre 2016 et nous a permis de traiter trois mois de logs, de mars à mai 2016, dont l’analyse est présentée dans ce document. Dans cette première phase, nous avons été confrontés à plusieurs types de questions et de difficultés. S’il paraît à première vue assez facile d’éliminer du journal de logs des lignes qui relèvent de traces nécessaires à la machine seulement, la frontière entre traces d’usage volontaires et traces d’usage involontaires devient vite très poreuse. C’est pourquoi une boucle rétroactive est indiquée dans ce schéma entre les phases d’interrogation et les heuristiques programmables de nettoyage ou de filtrage (voir graphique 2).

L’ « Effet bibliothèque » : ni tout à fait le même,
ni tout à fait un autre (internet)

La première question que nous avons adressée aux données a permis de comparer les sites web consultés par les Bpi-nautes avec les sites web consultés par les internautes français en général. La question sous-jacente à cette comparaison consiste à savoir si un « effet bibliothèque » joue sur les modalités de consultations d’internet. Nous avons donc comparé la répartition des consultations à la Bpi sur les 50 premiers sites les plus consultés selon l’analyse menée par Médiamétrie dans son compte rendu des audiences d’internet mensuel

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Graphique 3 : Les 20 sites les plus consultés selon Médiamétrie et selon le dispositif Bpi

Ce graphique permet de visualiser la concentration très forte des consultations Bpi sur les deux plateformes Facebook et YouTube (3 fois plus consultées à la bibliothèque qu’à domicile)[9] ; de façon corollaire, est tout aussi notable la quasi-disparition, en bibliothèque, de la longue traîne de consultation faible : tous les autres sites font en effet l’objet de scores de consultations extrêmement faibles, sans doute sporadiques à l’échelle du mois. On sait bien sûr que les deux plateformes YouTube et Facebook constituent en elles-mêmes des espaces du web aux contenus et aux usages extrêmement hétérogènes à l’intérieur desquels sont à l’œuvre à la fois des phénomènes de longue traîne et d’ultra-consultations. Le problème est que l’exploration plus fine des consultations à l’intérieur de ces plateformes n’est pas possible en raison du protocole sécurisé https utilisé par ces deux plateformes. Il ne serait d’ailleurs pas licite sans autorisation de la Cnil. Aujourd’hui, l’unité de consultation sur laquelle nous travaillons n’est pas l’URL consultée, mais le nom de domaine concaténé et agrégé[10].

Reste qu’intrigués par la sur-fréquentation de ces deux plateformes à la Bpi, nous avons tenté d’observer ces big data à la loupe... à la trace, devrait-on dire. Nous avons nous-même réalisé des parcours de consultation sur les postes internet de la Bpi et annoté très scrupuleusement tout ce que nous faisions : nous avons ensuite confronté notre carnet de bord avec les traces que nous retrouvions à travers notre application, et là, sans véritablement découvrir de scoop, nous avons tout de même mieux compris à quel point les Big data, la production massive des données de connexion, profitaient essentiellement aux Big producteurs de données. Des phénomènes de sur-comptage ont pu être observés : par exemple, des lignes de connexion à Facebook étaient enregistrées dans une session alors que pendant le parcours annoté ce site n’avait pas été appelé[11]. Plus les sites proposent une information élaborée de façon gratuite, comme les sites d’information, plus les données de connexion sont abondantes et indiquent que des requêtes se déclenchent en sous-marin, c’est-à-dire sans être effectivement formulées de façon directe et volontaire par l’usager. Inversement, des phénomènes de sous-comptage ont pu être observés : il y a un rapport de 1 à 40 entre la consultation du boncoin.fr et celle de la caf.fr, c’est-à-dire que 2 minutes de consultation du site leboncoin.fr génèrent 40 fois plus d’occurrences du site LeBonCoin que 2 minutes sur la caf.fr, polemploi, cairn ou encore pressdisplay.

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Graphique 4 : synthèse des observations sur les parcours annotés révélant sur-comptages et sous-comptages

Ces observations ne bouleversent pas les grands équilibres et les abyssales différences de consultations mais elles permettent de comprendre que la modestie du volume des consultations enregistrées par les sites publics tient pour une part à des modes de développement des bases de données et des interfaces faiblement sensibles – voire insensibles – à l’enjeu du marquage de leur présence sur le web. On comprend aussi que les big data ne sont pas forcément pertinentes pour analyser l’usage de tous les types de sites, de tous les types de parcours web pourrait-on dire.

C’est pourquoi nous avons exploré un autre angle d’analyse sans nous laisser éblouir par l’ultra-consultation de Facebook et de YouTube à la Bpi[12] ; nous avons cherché à saisir l’éventuelle diversité qualitative des consultations, en dehors des seuls critères quantitatifs. Pour cela, un examen par niches a été conduit, en particulier sur deux segments : celui des sites de rencontres et celui des sites d’information non-francophones.

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Graphique 5 : synthèse des observations sur deux requêtes - sites de rencontres et sites d’informations

Notre première surprise a été de voir se hisser dans le top des sites de rencontres consultés à la Bpi non pas les sites de rencontres mainstream comme meetic ou adopteunmec.com, mais des sites de rencontres plus marqués par la recherche d’endogamie comme  inshalla.com ou  afrointroductions. La même surreprésentation dans les consultations Bpi de l’intérêt porté à l’actualité non-francophone est également observable dans le segment constitué par les sites d’informations hors .fr et .com. On observe une intéressante diversité linguistique dont le tableau ci-dessus donne un aperçu avec des communautés à faible nombre de locuteurs comme pour le letton (graphique 5). Ces signaux faibles nous ont engagés vers l’exploration de smart data, appelées ainsi parce qu’elles sont construites sur la base d’une hypothèse de recherche qui se donne pour objectif de considérer les données dans leur contexte de production, susceptibles de devenir ainsi intelligibles et interprétables. Nous avons donc interrogé la base de données de nos logs de consultation en nous focalisant sur un segment de sites à la fois mainstream et exprimant une diversité linguistique, et avons retenu le corpus des domaines locaux de Google en excluant les domaines .com et .fr. Là, nous avons vu se hisser en première place des domaines les plus consultés le Google en letton à la Bpi, venant confirmer la place des consultations en cette langue dans les emprises de la bibliothèque.

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Graphique 6 : requête sur les domaines locaux de Google et mise en évidence d’une communauté d’usages en langue lettone

Pour comprendre cette présence inattendue, nous avons examiné l’indice de pénétration du numérique au sein des pays européens mis en place depuis deux ans, l’indicateur DESI (Digital Economy and Society Index) : nous avons relevé que la Lettonie se place, en mars 2016, au 9e  rang des pays européens en matière d’utilisation d’internet par les citoyens, bien devant la France, située au 17e rang pour cet indicateur. L’analyse de l’usage d’internet public à la Bpi permet de révéler des pratiques d’internet beaucoup plus diversifiées que ce que laissaient supposer les premières approches essentiellement quantitatives.

Ces smart data sont cependant très dépendantes des catégorisations de sites que l’on utilise et des critères de catégorisations que l’on retient. La limite, on le voit, de la démarche que nous avons menée actuellement, est de considérer l’analyse du seul point de vue des sites consultés eux-mêmes et non du point de vue des Bpi-nautes : c’est à la recherche de traces des parcours sur internet que nous consacrons désormais nos efforts dans la phase 2 de notre recherche qui a commencé fin février 2017. Par ces parcours, peut-être observerons-nous des articulations entre une sur-consultation des GAFA[13] et une exploration plus singulière d’un espace moins investi du web[14]. Ainsi l’examen exploratoire[15] de quelques parcours montre-t-il que la présence quasi systématique dans tous les parcours des sites phares Facebook, YouTube ou Google ne doit pas pour autant laisser croire à une uniformité de tous les projets d’usage.

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Graphique 7 : le site Google est présent dans toutes les sessions mais dans des proportions et au sein de logiques hétérogènes (les données chiffrées renvoient à un nombre de lignes de logs filtrées et concaténées).

Conclusions sur l’internet “immobile” et en public

L’internet proposé sur les postes de la Bpi n’est pas complètement équivalent à celui auquel donnent accès des abonnements contractés depuis le domicile, par exemple auprès de fournisseurs privés, parce que précisément il ne s’agit pas d’un accès privé à domicile mais d’un accès public et en public. En effet, les postes internet Bpi sont disposés dans les espaces publics de la bibliothèque au vu et au su de tous et ce contexte d’usage pèse sur ce qu’il est possible de consulter individuellement en public.

À cet égard, la Bpi, comme bien d’autres établissements, filtre l’accès à internet dans ses emprises sur la base d’une charte soumise à l’approbation de ses usagers. Deuxième caractéristique de cet internet Bpi public et en public, il s’agit d’un internet partagé, le nombre de postes mis à disposition ne répondant pas à tous les besoins[16]. De ce fait, si elle est encore exploratoire, cette analyse des logs de connexion à la Bpi peut peut-être compléter la connaissance en matière d’audience et d’usages de  l’internet  en  France  enregistrées  classiquement  par  les  méthodes  centrées  sur  l’internet  à domicile (approches dites user-centric) ou réalisées à partir des sites producteurs (approches dites site- centric). Notre approche, que l’on pourrait qualifier de biblio-centric, a peut-être pour intérêt de donner à voir des usages moins souvent répertoriés, puisque développés dans des contextes d’absence d’équipement personnel, quelles qu’en soient les raisons[17]. Cependant, pour peu que nous parvenions à restituer des parcours ou des communautés d’intérêt[18], les analyses qui pourront être menées à partir des Big data aujourd’hui disponibles à la BPI serviront vraisemblablement plus la connaissance des usages du web, voire du web lui-même, que celle des usagers et des usages de la bibliothèque... [19]


1. La description de l’offre d’accès internet en médiathèque publique n’est pas toujours précise à cet égard (accès sous réserve d’inscription ou pas, pour une durée limitée ou un ensemble de services précis, etc.)

2. On compte à cette époque entre 200 et 300 000 internautes en France ; le premier cyber-café ouvre à Paris, quartier de la Bourse, en mai 1995, avec un tarif horaire d’accès à internet de 60 francs. Source : Ina, Collection  Journal télévisé Soir 3 (12 mai 1995).

3. Voir aussi sur ce point, « Babel ou le choix du caviste : la bibliothèque à l’heure du numérique », coord. Par C. Evans et F. Gaudet, in Text-e : le texte à l’heure de l’Internet. Paris : Bibliothèque publique d’information, 2003, coll. Etudes et recherche ; Yves Desrichard, Cinquante ans de numérique en bibliothèque, Paris : Editions du Cercle de la librairie, 2017, p. 53 et suiv.

4. Définie ainsi par l’OCDE : « Aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités », in  La littératie à l'ère de l'information, 2000. Pour une approche critique, le numéro « New Literacy Studies », Langage & Société, n°133, septembre 2010, numéro dirigé par Béatrice Fraenkel et Aïssatou Mbodj.

5. Cette diversité de méthodes était en outre rendue nécessaire par les  difficultés rencontrées à la BPI de longue date pour enquêter auprès des usagers de l’offre internet, voir sur ce point l’intervention de Christophe Evans aux Rencontres numériques des 27 et 28 mars 2017.

6. Une traduction pourrait être fouille de données ; quand les données sont issues du web, on parle plutôt de Web Mining. Les études menées depuis 20 ans à partir de l’exploitation des journaux de logs relèvent de la sous-branche du Web Usage Mining, Francony 2016. Nos collègues de la BnF ont également adapté la méthode de fouille de données à leurs besoins de connaissance des pratiques en ligne développées à partir de la bibliothèque numérique Gallica. Voir sur ce point les travaux de BibliLab.

7. Logstash pour filtrer les logs (suppression des images, stats / css, des publicités grâce à la liste adblocker augmentée) et agréger les logs de connexion / Elasticsearch : moteur de recherche open source, structuration des logs par champs: | date | url | nom de domaine | extension (.com .fr .ru …) | catégorie du site ( olfeo ) | catégorie du site ( bpi ) | session id | étage | secteur | poste / Kibana : interface de visualisation à la volée.

8. En informatique, on entend par heuristique « un raisonnement formalisé de résolution de problème (représentable par une computation connue) que l’on tient pour plausible, mais non pour certain, et qui conduira à la détermination d'une solution satisfaisante du problème», Jean-Louis Le Moigne, La modélisation des systèmes complexes (Dunot, 1991). Ces heuristiques dépendent également de la configuration de l’offre d’accès à Internet qui elle-même est encore en cours d’expérimentation à la BPI (trois modalités d’offre ont été testées entre avril 2016 et octobre 2017).

9. Le graphique 3 ne rend pas compte des scores de Google, en tête bien sûr de tous les palmarès : ils auraient « écrasé » toutes les autres données, rendant l’analyse encore plus difficile.

10. Ce type de traitement avait déjà été testé et mis en oeuvre en 2004 par  Matthieu Renault sur les logs Bpi, mis à jour en 2017 par Chaïma Berrachedi, sous la direction de Pierre Senellart et Quentin Lobbé.

11. Inscription relevant de techniques de fabrication d’audience artificielle, de type likejacking (littéralement : détournement de « J'aime »).

12 . Résultat confirmé par l’analyse systématique menée par Marie Pierru, élève ingénieur à ParisTech (Rapport d’étude sur les logs BPI, méthode des K-Means, 2017, np).

13. GAFA = Google, Apple, Facebook, Amazon.

14. Ainsi par exemple ceux qui recourent massivement à Meetic n’ont pas forcément besoin de le faire dans un lieu public et ceux qui passent par la Bpi pour faire des rencontres en ligne développent très vraisemblablement des parcours sur le web bien spécifiques. Autrement dit, pour le champ de nos interrogations, la catégorie « sites de rencontres » n’est pas finalement si pertinente, si ce n’est pour révéler cette hétérogénéité.

15. Réalisé sur un corpus différent de celui présenté précédemment : corpus de mars 2017, avec traçage possible des sessions.

16 . Des besoins qu’il semble bien difficile de circonscrire ; si quantitativement, on peut estimer qu’il concerne environ 13% des usagers (Enquête TMO 2016 et  enquête BPI 2015), la variété des profils et des projets d’usage est réelle, voir Rapport d’enquête qualitative (entretiens et observations) menée par Anaïs Crinière, Agnès Camus-Vigué et Christophe Evans, à paraître.

17. On notera, à cet égard, que dans son Baromètre du Numérique, le Crédoc ne produit plus de données sur les connexions à internet réalisées depuis les cybercafés ou les bibliothèques (la dernière donnée produite date de 2011 et indique que 15% des personnes se connectant à internet le font à partir de l’un ou l’autre de ces lieux).

18. Travail d’exploration des logs Bpi en cours, mené par Dana Diminescu et Quentin Lobbé à partir du corpus des sites de traduction en ligne.

19. Pour une argumentation complète, voir par exemple MENGER, Pierre-Michel (dir.) ; PAYE, Simon (dir.). Big data et traçabilité numérique : les sciences sociales face à la quantification massive des individus.  Paris : Collège de France, 2017. Disponible sur internet : http://books.openedition.org/cdf/4987.

Quels enjeux éditoriaux pour un carnet de recherche ?

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Le carnet de recherche DLIS [1], dédié aux débats communs entre bibliothécaires et chercheurs dans le champ des digital humanities et des sciences de l’information et de la communication (SIC), a été ouvert en 2016 sur le portail d’Hypothèses. Il est le fruit d’une collaboration entre deux chercheurs en SIC et une conservatrice des bibliothèques en poste à l’Enssib et d’une réflexion sur l’intérêt de partager un espace éditorial commun. L’idée de partager un carnet de recherche entre bibliothécaires et chercheurs n’est pas si récente. Elle est née de rencontres déterminantes…

 

Naissance d’un carnet de recherche :
l’implication d’une conservatrice des bibliothèques

par Catherine Muller

L’idée du carnet de recherche DLIS n’est pas si récente au regard de mon parcours professionnel et des questionnements scientifiques sur l’évolution de mon métier qui l’ont nourri. Il est aussi le fruit de rencontres déterminantes et fortuites avec certains chercheurs ou ingénieurs de recherche confrontés à des interrogations sur les liens qu’ils ont, ou souhaitent développer, avec le monde des professionnels de l’information dans un contexte d’économie numérique et de transformation des rapports au savoir.
L’intuition d’un rapprochement possible et d’une convergence d’analyse des effets de la transition numérique sur des écosystèmes de travail distincts s’est produite lors du ThatCamp [2] de Saint-Malo de 2013. Cette édition, consacrée aux relations entre humanités numériques et bibliothèques, a constitué un tournant historique dans ma réflexion professionnelle parce qu’elle posait d’emblée des questions qui m’interpellaient à l’époque : quelles pratiques informationnelles pour les chercheurs ? Quelles compétences en jeu ? Quid des évolutions des profils et du dialogue des bibliothèques avec la recherche ?
Je connaissais déjà le Manifeste des Digital Humanities, publié à l’issue du ThatCamp de 2010 qui était organisé par Marin Dacos sur les Digital Humanities. Ce texte fondateur appelle à réunir les communautés de recherche et tous ceux qui participent à la création, l’édition, la valorisation et la conservation des savoirs autour des pratiques et des valeurs communes de l’open access.
Je fais partie des générations de bibliothécaires qui ont commencé leur parcours dans les années 2000 à l’époque du web 2.0. Nous étions aux débuts des négociations des bibliothèques orchestrées par le consortium Couperin avec les éditeurs de la documentation numérique, laquelle était plutôt qualifiée à l’époque de documentation électronique en écho à l’édition électronique. J’avais de ce fait été sensibilisée dès mon entrée dans le monde des bibliothèques à l’Appel de Budapest, lancé en 2001 par les chercheurs en faveur de l’Open Archives Initiative et du libre accès aux publications scientifiques. Dans mon travail de signalement de ressources, je connaissais bien les plateformes d’édition ouverte telles que Revues.org du Cléo, Érudit au Canada, ou encore le DOAJ, et j’adhérais déjà à cette vision aussi bien culturelle que politique des modèles de publication scientifique alternatifs.
Pour revenir au ThatCamp de 2013, j’y ai participé à un atelier, animé par Olivier Le Deuff, qui s’interrogeait sur le rôle et la place des bibliothèques dans les activités de recherche. Après de fructueux échanges avec des chercheurs qui menaient des projets de recherche mobilisant les savoir-faire des bibliothèques et inversement, j’en suis sortie avec l’intime conviction que le métier de bibliothécaire a toute sa place dans l’écosystème de travail du chercheur, non seulement dans un rôle d’accompagnement, ce qui reste assez classique, mais aussi dans un rôle d’acteur, de moteur, de fédérateur. Un point de vue partagé par l’ADBU, dont le thème du congrès 2017, Les bibliothèques, acteurs de la recherche, est significatif à mon avis du ralliement actuel fort de la profession sur ce positionnement. Au niveau international, LIBER, la ligue des bibliothèques européennes de recherche, a d’ailleurs engagé depuis quelques années un groupe de travail dirigé par Kirsty Lingstadt sur le rôle des bibliothèques dans les humanités numériques, qui préconise un certain nombre de recommandations pour interagir activement avec le monde de la recherche.
Une autre question, non moins essentielle, soulevée au ThatCamp de 2013 par le responsable du pôle numérique du Campus Condorcet, ­Johann Holland [3], était de savoir si la bibliothèque peut servir d’espace physique pour fédérer des réalisations d’équipe scientifique, ou plutôt d’espace virtuel de diffusion et de médiation des résultats de la recherche sur le modèle outre-Atlantique des Digital Humanities Center. Bien entendu, en 2013, je n’étais pas seule au sein des bibliothèques à porter ce type de discours ; de jeunes professionnels sortis de la formation des conservateurs, comme Benjamin Caraco, prônaient également un partenariat naturel entre les digital humanities et les bibliothèques. Et assez vite, en 2015, la publication d’un mémoire de conservateur, Quel rôle pour les bibliothèques dans les humanités numériques ? d’Élydia Barret, est venue en quelque sorte donner ses lettres de noblesse et toute sa légitimité à ce positionnement de la profession. C’est la raison pour laquelle je lui avais demandé d’exposer les problématiques de son mémoire dans les billets d’EnssibLab.

Les prémices du carnet DLIS : les Billets d’EnssibLab

Il paraît difficile de parler du travail de conception éditoriale du carnet sans évoquer ce qui en a constitué les prémices, les billets d’­EnssibLab, dont j’étais responsable avant d’ouvrir le carnet DLIS. Avec le carnet, nous ne sommes pas partis de rien, loin de là. Grâce à l’expérience de trois ans d’édition des billets, nous avons pu acquérir un savoir-faire dans l’éditorialisation de formats de publication relativement brefs et nous nous sommes confrontés aux contraintes de l’exercice éditorial.
La forme de publication du billet de blog est propice à l’esprit de synthèse, elle est apparue rapidement comme un outil adapté pour identifier les acteurs, baliser les problématiques et analyser les enjeux des innovations numériques en bibliothèques. Un grand nombre de publications préparait déjà le champ de réflexion du carnet.
Par ailleurs, l’investigation de toutes ces interrogations sur l’évolution du métier de bibliothécaire dans le contexte numérique, nous a montré, après plus de deux années de publications, qu’elle trouvait – nous l’espérions – un écho auprès de la communauté professionnelle, et qu’elle recoupait très souvent des questionnements et des objets d’étude investis par les sciences de l’information et les humanités numériques. À partir de là, en 2016, il nous a semblé nécessaire d’élargir, au-delà de la pure question de l’innovation et des bibliothèques, le périmètre d’exploration des transformations numériques qui agitent les sciences de l’information ; et surtout de nous ouvrir à un espace d’expression et de réflexion partagées, plus neutre, moins institutionnel, qui dépasse largement l’horizon des bibliothèques pour s’inscrire dans un réseau plus vaste de convergences. C’est pourquoi nous avons eu envie de tenter une aventure éditoriale pour matérialiser ces passerelles en nous associant autour d’un carnet de recherche collaboratif.

Le carnet DLIS : un espace éditorial de rencontre
entre bibliothécaires et chercheurs à l’âge du numérique

À ce titre, l’ancrage du carnet DLIS au sein du réseau des carnets de recherche académiques en SHS d’Hypothèses a été une belle opportunité pour tisser et consolider les liens entre professionnels de l’information, de la documentation et de l’édition avec les chercheurs des SHS aguerris aux pratiques du blogging scientifique, en particulier dans les champs des SIC et des DH. Je crois que la formulation de Gildas ­Illien, énoncée dans un tout autre contexte, à propos de « l’agilité [qui] rapproche […] bibliothécaires et informaticiens […] génère de l’acculturation, de la porosité entre ces communautés métiers […] conforte des polyvalences [4] » résume bien l’enjeu stratégique du carnet.
La possibilité de proposer un espace éditorial mixte sur des problématiques et démarches communes a permis de concrétiser deux postulats des digital humanities qui me tiennent à cœur : d’une part, placer les publications sous les auspices d’une identité professionnelle hybride pour témoigner de l’intérêt pour le bibliothécaire et le chercheur de travailler ensemble et de conjuguer leurs objectifs et, d’autre part, élément clé d’une approche renouvelée des méthodes de travail, inscrire cette initiative éditoriale dans le champ de l’expérimentation. Le carnet de recherche est un outil de blogging scientifique qui a pour vocation d’offrir aux contributeurs un espace d’expérimentation d’écriture numérique. Le cycle de l’expérimentation va de pair avec l’innovation, certes – on ne manque jamais de le clamer –, mais aussi, et c’est tout son intérêt, il ne va pas sans des moments d’incertitude, de crise, voire d’échec. Le principe du « bac à sable » est exigeant et n’est jamais définitif, il repose tout autant sur l’enthousiasme de la découverte que sur la remise en cause de nos certitudes, professionnelles, techniques, etc. La ligne éditoriale du carnet s’inscrit dans la lignée et la philosophie des humanités numériques : il ne s’agit pas seulement de comprendre comment le tournant numérique de nos sociétés modifie et interroge les conditions de production et de diffusion des savoirs, car « le numérique ne peut se réduire à un simple outil ou à un objet d’étude, il renouvelle en profondeur les structures de la culture et produit une nouvelle civilisation [5] ».
La mutation numérique, ainsi que l’envisage l’approche de l’humanisme numérique par Milad Doueihi, va plus loin et engage une vision philosophique du monde dont les implications ne sont pas circonscrites au seul domaine des technologies de l’information. L’enjeu, ici, est de saisir ce que les humanités pensent de la technique, et non l’inverse. Je souscris totalement de ce point de vue aux positions de chercheurs et philosophes, comme Éric Guichard ou Marcello Vitali-Rosati, qui nous alertent sur les dangers de l’illettrisme numérique et de l’absence de pensée critique sur la technique. Nous devons être capables de penser la technique au risque de la laisser penser à notre place et par défaut. Ce débat n’est pas neuf dans notre histoire. De par ma formation littéraire et philosophique, mais aussi à l’aune de mon expérience professionnelle, je suis parfaitement en accord avec la position de Marcello Vitali-Rosati : « On ne peut pas séparer le travail de structuration de celui de conception car la structuration implique la conception. Si l’on délègue, c’est la pensée qu’on délègue. Les informaticiens deviennent les véritables chercheurs, ceux qui [...] produisent le savoir [6]. »

DLIS : quelle place dans le paysage des carnets
de recherche et de bibliothèques ?

Il est intéressant de replacer la démarche éditoriale du carnet DLIS dans le paysage des carnets de recherche et des projets de recherche auxquels participent les bibliothèques. Sur Hypothèses, il existe de nombreux carnets de chercheurs, collaboratifs ou non, souvent liés aux séminaires d’une équipe de recherche, ou d’un projet de recherche en cours, qui traitent de questions proches des thématiques de DLIS. On pourrait citer, par exemple, un carnet qui réunit une équipe de recherche pluridisciplinaire, le blog du projet Web90 – ­Patrimoine, Mémoires et Histoire du Web porté par Valérie Schafer [7] et soutenu par l’Agence nationale de la recherche. Ce carnet de chercheurs pourrait d’ailleurs être rapproché à bien des égards du blog de la BnF Web Corpora qui porte également sur les archives de l’internet. Dans la grande majorité des cas, ces carnets de chercheurs s’inscrivent dans une perspective multidisciplinaire avec une forte dominante historique, par exemple Philologie à venir, le carnet d’Aurélien Berra, Histoire et humanités numériques, le carnet du séminaire « Histoire et humanités numériques » de l’université de Toulouse II – Le Mirail, L’histoire contemporaine à l’ère numérique, le carnet de Frédéric Clavert, ou encore Modéliser et virtualiser. Il n’est pas rare d’y voir traitées des questions propres aux sciences de l’information et des bibliothèques.
D’un autre côté, Hypothèses héberge également un petit nombre de carnets de bibliothèques valorisant les interactions avec la communauté de chercheurs qui leur est propre : citons entre autres le Carnet de l’Inathèque, Colligere, le carnet des bibliothèques et archives du Collège de France, Convergences, le carnet du centre de documentation de la Maison des sciences de l’homme de Clermont-Ferrand, ou encore le Carreau de la Bulac qui figure parmi les premiers carnets de recherche de bibliothèques à proposer des regards croisés entre bibliothécaires et chercheurs sur les collections.
Mais souvent, on constate que la forme éditoriale du carnet de recherche sert plus d’outil de valorisation du service rendu par la bibliothèque que d’expression d’un réel partenariat éditorial entre les deux communautés. En définitive, les carnets de recherche faits par et pour des bibliothécaires et des chercheurs, autour des questions de travail communes sur le renouvellement des pratiques documentaires, restent assez rares en France. Ce clivage relatif entre identités professionnelles ne doit pas pour autant occulter les initiatives éditoriales de qualité qui se positionnent sur cette ligne de partage. Contre toute attente, un espace éditorial collaboratif à la croisée des bibliothèques et de la recherche autour des questions numériques, dans lequel le carnet DLIS pourrait se reconnaître, est à chercher en dehors de ce format éditorial et du réseau de blogging scientifique d’Hypothèses, sur le site de l’InSHS du CNRS. Il s’agit de CORIST, le site collaboratif proposé par les correspondants Information scientifique et technique (IST) qui, en plus de réaliser un travail de veille rigoureux dans le domaine, met en avant – sans les dissocier – les convergences professionnelles en recensant les projets de recherche et les initiatives de tous les acteurs de l’IST confrontés aux problématiques numériques de l’édition, la documentation, l’information, l’archivage, les données, les catalogues de bibliothèques, etc.

On pourrait s’étonner de cette partition clivée alors qu’il y a de plus en plus, en France comme à l’international, des projets de recherche, des initiatives ou des collectifs qui réunissent bibliothécaires, informaticiens et chercheurs.
Ces rapprochements se sont produits, historiquement, autour de la documentation électronique, qui scelle le regroupement d’intérêts, avec des acteurs nationaux comme le consortium Couperin, l’Abes, l’Inist ou la BSN. Et plus généralement, il y a entre ces professions des lignes de partage évidentes autour de l’IST et des humanités numériques – avec des infrastructures nationales comme Huma-Num [8] – sans oublier toutes les problématiques numériques communes liées au droit de propriété intellectuelle et de protection des données personnelles.
Des collectifs militants en faveur du logiciel libre, comme Framasoft, ou de l’accès aux biens communs de la connaissance, comme ­SavoirsCom1, regroupent tout autant des bibliothécaires que des chercheurs, des informaticiens ou des ingénieurs. Le propos n’est pas ici de tenter un catalogue des projets de recherche auxquels participent la communauté des bibliothécaires, qu’ils exercent en lecture publique ou à l’université, et qu’ils soient mobilisés dans le projet au titre de leur institution ou pour la spécificité de leurs compétences. Parmi tant de réalisations qui attestent d’une complémentarité des approches métiers entre chercheurs, ingénieurs, informaticiens et bibliothécaires et de l’intérêt stratégique d’une telle alliance, je retiendrai l’exemple du prototype Prévu de Paris 8, le projet de visualisation des prêts de bibliothèque. Né en 2013 d’une collaboration [9] entre chercheur, informaticien, designer et bibliothécaire, le projet est emblématique du partage de moyens et de problématiques à partir du même terrain, de la même question de recherche : « Ouvrir et exploiter les données d’usage des bibliothèques : pour quoi faire ? »
En définitive, au-delà de l’intérêt scientifique et stratégique d’ouvrir un espace éditorial partagé entre bibliothécaires et chercheurs, l’enjeu est de positionner le bibliothécaire comme un acteur essentiel de l’information et de la recherche et de le former en conséquence. Mais aussi de faire de la bibliothèque un lieu fédérateur et expérimental conçu sur un nouveau modèle d’organisation et de mutualisation des compétences entre communautés d’apprentissage, à l’instar du projet de grand équipement documentaire du Campus Condorcet qui ouvrira ses portes en 2019.

 

 

Un carnet de recherche pour décloisonner
les pratiques professionnelles et de recherche
en sciences de l’information

par Hans Dillaerts

Comme son nom l’indique (Digital Libraries & Information Sciences), l’objectif de DLIS est de valoriser les recherches en cours en sciences de l’information et de la communication (SIC) en lien avec des questionnements numériques, et plus largement les humanités numériques.
Cet espace éditorial est le fruit d’une rencontre et d’un travail réflexif commun entre une conservatrice des bibliothèques et deux enseignants-chercheurs en sciences de l’information et de la communication. La composition même de ce comité éditorial illustre et explique en grande partie sa vocation.
Il s’agit d’un dispositif d’échange et de discussion, véritable carnet de recherche. Mélodie Faury a proposé une définition du terme « carnet » qui nous semble particulièrement approprié pour DLIS : « […] le terme de “carnet” induit une utilisation, des intentions dans l’écriture, qui me paraissent différentes d’un blog “classique” : il ne s’agit pas de parler de soi, mais bien de ce qui accompagne sa recherche, ce qui en fait partie, sans avoir nécessairement de place visible dans d’autres cadres, ni même de légitimité a priori. Ainsi, selon les carnets, des cours, des échanges entre pairs, des échanges interdisciplinaires, des hypothèses en construction, des idées saisies au vol trouvent toute leur place [10]. »
Dans le cadre de ce carnet, l’objectif est de faire parler l’autre, de mettre en avant les réflexions, les questionnements et les problématiques que nos contributeurs rencontrent au cours de leurs recherches et/ou pratiques professionnelles. Les SIC étant par nature une « interdiscipline plurielle [11] » par la « pluralité, d’objets, d’objectifs théoriques, de finalités professionnelles [12] », nous accordons une importance particulière à des échanges décloisonnés et ouverts mêlant des chercheurs d’autres disciplines et des praticiens en information-documentation.
DLIS est également porté par un collectif et a pour vocation d’être animé en partie par une communauté de contributeurs extérieurs provenant d’horizons scientifiques et professionnels divers qui sont concernés et intéressés par les objets de recherche et les problématiques qui nous préoccupent.
Ce choix a eu un impact important sur la stratégie éditoriale et communicationnelle du carnet de recherche. La notion même d’« animation » prend tout son sens ici :
Repérage et sélection : un travail important de repérage de textes, de projets de recherche et de contributeurs potentiels est nécessaire, de même que les activités liées à la sollicitation (réseautage) et de relance.
Évaluation et accompagnement des auteurs : DLIS n’est pas une revue scientifique et, à ce titre, il ne fait pas appel à un dispositif d’évaluation par les pairs. Toutefois, un important travail d’évaluation et de relecture est fait par l’équipe éditoriale avant la publication des billets. La mise en ligne des contenus est également assurée par l’équipe éditoriale, de même que les activités liées à la publicisation et à la diffusion desdits billets.
La diffusion des billets se fait par des canaux divers et notamment à travers les réseaux sociaux. Le compte Twitter @carnetdlis, depuis son lancement en mars 2016, comptabilise aujourd’hui plus de 7 500 tweets et plus de 900 abonnés.

Collaborer à un carnet de recherche :
quelle apport pour l’évaluation d’un chercheur ?

Comment quantifier et promouvoir ces activités ? Comment démontrer la valeur ajoutée de ce travail et la faire valoir ? Comment les mettre en avant dans le cadre des rapports d’évaluation de la recherche ? Si la pratique du blogging scientifique n’est pas ou peu prise en compte dans les politiques d’évaluation de la recherche académique, elle peut toutefois apporter une certaine reconnaissance symbolique, même si cette dernière est toujours difficile à mesurer. Dans le cadre de l’animation d’un carnet de recherche dont l’objectif premier est de valoriser l’autre, ce questionnement lié à l’évaluation est entièrement renouvelé. Comment en effet prendre en compte les activités d’animation d’un carnet de recherche lorsqu’on n’est pas l’auteur principal des billets qui sont publiés ? Comment rendre compte et faire reconnaître le travail que cela engendre ? À titre plus personnel, ces questionnements émergent à travers notre implication dans DLIS, mais également à travers notre site InfoDoc MicroVeille, qui est un projet de veille scientifique dédié aux sciences de l’information et des bibliothèques, et dont l’objectif est de mettre en avant des publications scientifiques en accès gratuit ou libre, en lien avec les thématiques de recherche qui nous préoccupent : la communication scientifique, le libre accès, les pratiques et usages de l’interdisciplinarité, les bibliothèques et les politiques documentaires à l’heure du numérique.
Animer un carnet de recherche, et DLIS plus particulièrement, est un choix engagé et délibéré qui s’inscrit à notre sens à la fois dans une démarche de science ouverte et d’ouverture (openness) : science ouverte parce que « les mouvements de science ouverte véhiculent un certain nombre d’aspirations scientifiques parmi lesquelles l’inter et la transdisciplinarité, une science plus citoyenne et des modes de communication scientifique alternatifs qui s’affranchissent des publications scientifiques traditionnelles [13] » ; ouverture parce que ce concept véhicule « une démarche intellectuelle et scientifique plus ouverte [14] » qui doit favoriser le décloisonnement des pratiques professionnelles et les recherches en sciences de l’information en lien avec le numérique.

 

 

Coopérer à la production d’espaces éditoriaux
des bibliothécaires pour un chercheur :
pour quoi faire ?

par Benoît Epron

En 2010 avait lieu à l’Enssib un colloque intitulé « Bibliothèques et sciences de l’information, quel dialogue ? [15] ». Ce colloque se déroulait dans le cadre des Entretiens Jacques Cartier et était co-organisé par l’Enssib et la School of ­Information Sciences de l’université McGill à Montréal. Il a donné lieu à des interventions et échanges sur la place des sciences de l’information et des bibliothèques, et notamment sur le sens d’une discipline qui convoque, dans son intitulé même, un objet d’étude central, la bibliothèque. En effet, les contours disciplinaires des sciences de l’information et des bibliothèques sont délicats à définir. Un numéro de la Revue de l’Enssib abordait cette problématique en janvier 2013. Anne-Marie Bertrand, parmi d’autres, interrogeait cette identité complexe d’une discipline qui n’en est pas vraiment une. Elle s’interrogeait en conclusion : « […] ne faut-il pas se réjouir qu’avec la bibliothèque nous ayons trouvé un objet scientifique qu’une seule discipline ne saurait épuiser ? N’est-ce pas une chance pour les chercheurs qui s’y attachent ? N’est-ce pas une chance pour les praticiens que de disposer de tant de voisins éminents pour nouer dialogue [16] ? »
Ainsi, cette discipline si complexe à définir se trouverait face à la nécessité d’un dialogue double : interdisciplinaire, d’une part, pour échanger avec les autres approches sur cet objet d’étude que sont les bibliothèques, et professionnel, d’autre part, avec une bibliothèque à la fois objet d’étude, terrain d’observations et d’expériences et interlocuteur qui permet de forger des problématiques scientifiques.
C’est plus précisément la nécessité et le sens d’un dialogue à nouer entre une (presque) discipline académique – les sciences de l’information et des bibliothèques – et un objet politique, pour citer à nouveau Anne-Marie Bertrand, qui constitue le point de départ de notre réflexion.
Nous considérons ici que cette double problématique peut trouver une réponse possible dans des espaces éditoriaux partagés entre chercheurs et bibliothécaires. Ces espaces éditoriaux permettent potentiellement une forme réinventée de coopération offrant un équilibre entre les attentes respectives des deux communautés, scientifiques et bibliothécaires.
Sur cette problématique précise, l’objectif d’une forme éditoriale telle que le carnet DLIS a d’abord été de proposer un espace de publication qui tienne compte des attentes des deux lectorats visés, universitaires et professionnels des bibliothèques. Pour cela, nous avons souhaité proposer des articles de fond, rendant compte de projets de recherche ou de manifestations scientifiques, mais également de réalisations ou de projets menés dans des bibliothèques, avec le souhait de pouvoir associer aux descriptions de ces projets numériques une explicitation de l’intention, des enjeux pour l’établissement et les personnels, ainsi que les difficultés rencontrées ou les évolutions par rapport à l’idée initiale.
Cette déclinaison des formats utilisés dans le carnet renvoie encore une fois à la question du dialogue entre les deux communautés. Elle réfère à un constat, sans cesse renouvelé lors des manifestations auxquelles j’ai pu assister depuis plusieurs années : les chercheurs ne fréquentent que peu les événements professionnels, quand bien même les questionnements abordés pourraient être éclairés par leurs travaux de recherche. A contrario, les professionnels des bibliothèques ne s’adressent que peu aux enseignants-chercheurs pour alimenter leur réflexion sur leurs problématiques professionnelles.
Cette absence relative d’échanges s’explique en grande partie par les contraintes, institutionnelles et professionnelles, auxquelles ces deux types de professionnels sont confrontés aujourd’hui.
Un premier frein est lié à l’économie symbolique de la publication académique qui amène les chercheurs à privilégier, presque exclusivement, les formes de publication reconnues dans leur discipline, à savoir les revues académiques habilitées par leurs instances d’évaluation. En France, il s’agit de revues dites « qualifiantes », qui sont définies par chaque discipline [17]. Parallèlement, les bibliothécaires disposent d’une offre de revues dites « professionnelles » dans lesquelles les articles portent sur des pratiques, des réflexions et analyses de professionnels concernant les enjeux de leur activité et ses perspectives. De ce fait, les lectorats ne se croisent que trop peu et les différentes productions ne permettent que rarement d’amorcer des réflexions personnelles ou partagées. Pourtant, dans d’autres pays, et notamment dans le monde anglo-saxon, la publication scientifique fait partie intégrante des critères d’évaluation et de progression des carrières des conservateurs des bibliothèques.
Ce premier frein au dialogue entre les deux communautés en entraîne un second.
Suivant la même logique, les événements pouvant donner lieu à des échanges entre chercheurs et professionnels des bibliothèques sont peu nombreux. Comme pour les publications, l’obligation de reconnaissance académique contraint les chercheurs à privilégier des conférences et des colloques académiques pour lesquels il existe un processus de sélection.
Ces contraintes ne doivent pas pour autant occulter les réalisations qui participent déjà à ce dialogue entre chercheurs et bibliothécaires. Le BBF ou la revue I2D [18], (anciennement Documentaliste – Sciences de l’Information), le congrès de l’ABF ou le projet Prévu [19] sont des exemples significatifs d’espaces partagés entre chercheurs et professionnels des bibliothèques.

C’est en partant de ces constats que nous avons souhaité proposer un espace de dialogue partagé entre chercheurs et bibliothécaires. Cette volonté était déjà présente dans l’organisation de la Biennale du numérique [20], avec l’objectif de construire un point de contact entre chercheurs, professionnels de l’édition et des bibliothèques. Le succès de cette manifestation (140 participants environ à chaque édition) nous conforte dans la nécessité d’un lieu d’échange entre les différentes communautés travaillant autour de la bibliothèque, du livre ou de la transmission du savoir.
Pour le carnet DLIS, ce point de contact s’inscrit dans la durée. Son installation sur le long terme doit permettre de concilier le temps de la recherche et celui de la bibliothèque, de prendre un recul critique et réflexif sur les problématiques de terrain. L’espace éditorial participe à estomper ces différentes temporalités.
Son objectif, son ambition peut-être, est de devenir un objet éditorial partagé entre ces communautés.

1. Digital Libraries & Information Sciences.Voir l’article qui lui est consacré dans le BBF n° 15 (2018), « DLIS, carnet de recherche partagé ». En ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2018-15-0078-011

2. 2. Définition de Pierre Mounier donnée à l’occasion du ThatCamp 2012 organisé à Paris (https://tcp.hypotheses.org/534) : un ThatCamp – The Humanities and Technology Camp – est une rencontre qui permet aux acteurs de la recherche en sciences humaines et sociales utilisant des technologies numériques de partager informations, idées, solutions et savoir-faire autour de leurs pratiques. Les ThatCamps sont organisés par les participants eux-mêmes. Le programme n’est pas établi à l’avance mais construit directement sur place. Un ThatCamp n’est pas constitué de conférences ex cathedra mais prend la forme d’atelier où tous les participants sont invités à partager leurs connaissances.

3. Voir son intervention récente au colloque sur l’accès libre du CRHIN, « Le Campus Condorcet et les humanités numériques : pour un centre de soutien à la recherche » : https://www.youtube.com/watch?v=hfYVCW9SJEc

4. Gildas Illien, « Une BnF agile ? Quand le développement logiciel fait bouger l’organisation du travail », in Christophe Pérales (dir), Conduire le changement en bibliothèque : vers des organisations apprenantes, Presse de l’enssib, 2015, coll. « La Boîte à outils », no 32.

5. Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, Seuil, 2011.

6. Il s’agit d’un ensemble de réponses que le chercheur a adressées sur son blog à ses lecteurs suite à la parution d’un article polémique, « Les chercheurs en SHS savent-ils écrire ? », et aux commentaires exprimés à cette occasion.

7. Valérie Schafer est chercheuse à l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC). L’équipe Web90 rassemble chercheurs, enseignants-chercheurs et ingénieurs de recherche issus de plusieurs disciplines (histoire, SIC, droit, sciences politiques, informatique).

8. Huma-Num est une très grande infrastructure de recherche (TGIR) visant à faciliter le tournant numérique de la recherche en sciences humaines et sociales. Elle a été mise en œuvre par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et est portée par le CNRS, Aix-Marseille Université et le Campus Condorcet.

9. Gaétan Darquié, alors doctorant au laboratoire CiTu (Paragraphe Paris 8), Isabelle Breuil, alors conservatrice à la BU de Paris 8, et Mehdi Bourgeois, chargé de projets numériques au Labex Arts-H2H. La collaboration s’est faite aussi en partenariat avec l’EnsadLab et le Campus Condorcet.

10. http://infusoir.hypotheses.org/1984

11. http://journals.openedition.org/rfsic/1191

12. Idem.

13. Hans Dillaerts, « Ouverture et partage des résultats de la recherche dans l’économie de la connaissance européenne : quelle(s) liberté(s) de circulation pour l’IST ? », Communication & management, vol. 14, no 1, 2017, p. 39-54. Disponible en ligne : https://www.cairn.info/revue-communication-et-management-2017-1-page-39.htm#no2

14. Idem.

15. http://www.enssib.fr/agenda/bibliotheques-et-sciences-de-linformation-quel-dialogue

16. Anne-Marie Bertrand, « Un anglicisme encombrant », Revue de l’Enssib [en ligne], 2013, n° 1 : http://bbf.enssib.fr/revue-enssib/consulter/revue-2013-01-008

17. Pour les sciences de l’information et de la communication, la liste est disponible à cette adresse : https://www.sfsic.org/index.php/infos/liste-des-revues-qualifiantes-en-71eme-section

18. https://www.adbs.fr/publications-de-ladbs

19. Voir le compte rendu d’une journée d’étude à l’Enssib par Daniele Franco, « Exploiter les données d’usages en bibliothèque : pour quoi faire ? », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2016, n° 7. Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/tour-d-horizon/exploiter-les-donnees-d-usages-en-bibliotheque-pourquoi-faire_65839

20. http://www.enssib.fr/biennale-du-numerique


Indexation d’un quotidien de langue arabe

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Les articles, analyses et informations sont l’apanage d’un journal quotidien. Et pour en tirer un meilleur profit, un corpus judicieux s’impose. Cette accumulation, si elle est bien organisée, devient une importante et sérieuse source d’information. Et pour classer et réunir les informations de ces quotidiens, un index et une base de données précis et concis sont de rigueur. Au Moyen-Orient, un quotidien politique, le Nahar, a commencé en 1992 une expérience d’indexation sur des numéros scannés, fournissant une énorme base de données à tout chercheur, journaliste et étudiant pour approfondir la politique, l’économie, et la culture de cette partie du monde.

Mais comment indexer un quotidien qui a 65 ans d’âge quand on a affaire à :

  • une langue qui a ses propres caractéristiques linguistiques et écrites ;
  • un thesaurus traduit et qui doit s’adapter à un quotidien ;
  • un contexte géopolitique complexe et difficile ?

Ainsi, quels sont les obstacles à un tel projet ? Quelles sont les difficultés auxquelles s’attendre ?
Pour répondre à ces questions, nous allons aborder dans cet article l’élaboration d’un index d’un journal politique libanais, les étapes qui l’ont marquée, les problèmes rencontrés et son adaptation à un environnement politique complexe. Nous aborderons de même l’utilisation d’un thesaurus en arabe pour un quotidien, cette expérience étant pionnière dans ce domaine. L’indexation est utile pour tout journal ou document qui ne peut être soumis à une indexation automatique à cause de son ancienneté ou d’une reconnaissance optique de caractères (OCR) imprécise.

Il s’agit dans cette étude d’établir un bref historique du journal puis d’aborder la démarche d’indexation et ses secrets.

Historique du Nahar

Le premier numéro du Nahar date du 4 août 1933. Il a été fondé par Gibran Andraos Tuéni, avec la collaboration de ses compagnons de plume tels les grands journalistes Fouad Hbeich, André Tuéni, Tawfiq Yousef Awad et Afif Tibi, afin d’établir un nouveau modèle dans l’écriture journalistique loin de l’approche traditionnelle qui sévissait à l’époque.
Gibran Andraos Tuéni a quitté le Liban en 1947 pour l’Argentine, en laissant des recommandations quant à l’approche des politiques extérieures et intérieures du journal. Ce sera un « journal arabe libanais, défendant et l’indépendance du Liban et sa propre indépendance financière, et qui, surtout, s’éloignera du sectarisme ». Le document engage le journal à suivre la « culture progressiste », à ne pas rejeter ce qui vient de l’Occident, mais à l’assimiler « dans notre propre culture et à l’ajouter à l’héritage arabe ».

Tout journalisme n’est en fait qu’à l’image de la société qu’il représente. « Le paysage médiatique libanais est le reflet de la structure politique du pays » (Abou Assi, 2009). Pour décrire l’adaptation du journal à la complexité de la politique libanaise, il est essentiel de revenir à un article publié en page une du 7 octobre 1956 (El Hajj, 1956), article dans lequel Louis El Hajj, un grand journaliste de son époque et éditeur en chef du journal, dévoile les secrets de l’écriture journalistique propre au Nahar. Ces directives seront reprises par Ghassan Tuéni qui prônera certaines règles dans l’édition, continuant les directives de Tuéni père, et de Hajj :

  • ne rien publier sans enquête préalable et sans s’assurer des points de vue de toutes les parties concernées ;
  • dénicher les informations. Ne pas se limiter pas à celles qui s’imposent à nous, mais les chercher là où elles devraient être et où elles seront à venir ;
  • militer pour la liberté, pour les courants de changements, lever la voix, et être les porte-parole des grandes et petites plaintes, des critiques, des rêves et des aspirations du peuple.

Le titre, une approche différente

Alors que les gros titres dans la presse arabe du début du siècle étaient formulés tels les titres des livres, le nouveau journalisme a adopté « le titre élargi », ce qui n’était pas d’un journalisme familier. Le titre est devenu ce résumé des faits qui contenait les éléments les plus importants de l’article, et alléchait le lecteur par les détails avant de commencer la lecture, comme le décrit le grand journaliste Farés El Khoury qui a dit que le titre de ce journal EST la nouvelle (El Hajj, 1956).

Un style journalistique particulier

Le journal est devenu une source importante pour de nombreux chercheurs parce qu’il offre à ses lecteurs des informations précises sur les affaires gouvernementales et la politique intérieure, ainsi que les déclarations et les discours des ministres et des députés de toutes tendances politiques confondues. Le journal publia en 1956 une feuille de route sur les secrets de la rédaction journalistique, lors d’un remaniement total du journal. Dans un article en page une du 16 octobre, une feuille détailla la répartition des nouvelles et articles sur les huit pages du journal. Ces divisions semblent de prime abord classique, mais c’est la qualité des nouvelles qui donna sa particularité au style journalistique adopté.

Pourquoi un index ?

Une étude approfondie des articles du journal, ainsi que des demandes des utilisateurs, chercheurs, journalistes et étudiants, a révélé que les dossiers des coupures de presses n’étaient plus suffisants devant l’ampleur de l’information, et surtout devant les corrélations entre les sujets couverts par le journal.
Les coupures de presse classées dans des dossiers thématiques n’arrivaient plus à satisfaire la demande centrée sur les détails, les chiffres précis et quotidiennement renouvelés. Et surtout, il s’agissait d’avoir les informations rapidement et sur son poste, c’est-à-dire ne pas avoir à se déplacer pour consulter les dossiers papiers. Et devant l’ampleur des informations, il fallait passer à une recherche plus avancée qui « s’immisce » et « s’infiltre » dans l’article pour en retirer profit. Un index s’imposait.

La spécificité des titres et la présentation des sujets facilitait l’approche. Et pour une bonne indexation d’un quotidien, cet index a dû répondre à ces questions :

Technique de l’indexation
– Quels types d’informations les utilisateurs chercheront-ils dans cinq ans ?
– Quelles sont les informations bibliographiques qui doivent être mentionnées et affichées pour une utilisation optimale ?

Pertinence de l’indexation
– Quel niveau d’indexation est prévu ?
– Quels articles ne seront pas sélectionnés pour l’indexation ?

Organisation de l’index
– Combien d’articles, ou de numéros du journal, seront indexés quotidiennement ?

Publication de l’index
– Quelles seront les utilisations futures de l’index ?
– L’index sera-t-il distribué ou vendu ?

Pourquoi un thesaurus ?

La relation entre les index et les thesaurus est une relation fondamentale. Et le choix d’un thesaurus ne fut pas simple face à trois problèmes majeurs :

  • l’ampleur de la tâche (cinquante neuf ans de journaux au moment où commença ce ­projet) ;
  • la spécificité du style journalistique ;
  • la langue arabe du quotidien.

Une étude faite sur un certain nombre de textes du journal, a montré qu’on pouvait établir une structure identifiable quoique particulière à ce style journalistique. En effet, dans la majorité des cas, les articles présentent une structure unifiée. Ils sont construits avec méthode pour faire passer un message, un fait, ou un évènement majeur : le premier paragraphe introduisant le sujet, le deuxième cernant les lieux, les interlocuteurs et résumant les faits, puis le corps de l’article donnant au lecteur une idée plus ou moins exhaustive du sujet qui a été traité. Ces constatations ont conduit à admettre que la division de l’article en descripteurs était faisable et avec méthodologie, tout en préservant une unité globale du document par le scannage de la page entière, offrant ainsi une cohérence entre l’indexation et le document.

Le journal a entrepris son projet de digitalisation et d’indexation en 1992, et a adopté le thesaurus de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), traduit en arabe par Middle East Research and Studies (MERS).

Pourquoi le thesaurus de l’OCDE ?

Ce choix est justifié par des raisons majeures :

  • Les thesaurus dans les sciences humaines et sociales sont moins nombreux et beaucoup moins précis que ceux pour les sciences pures et exactes (Khalifa, 2001). Il fut donc logique d’utiliser le thesaurus de l’OCDE dont le lexique est le mieux adapté à des informations d’ordre économique et social.
  • Ce thesaurus existe en arabe dans le cadre des efforts de la Ligue arabe de traduire le thesaurus de l’OCDE. C’est donc dans ce contexte que parut en 1979 un thesaurus exhaustif des termes dans les domaines du développement socio-économique, et c’était peut-être la première tentative arabe d’aborder les thesaurus.
  • Même si la version du thesaurus de l’OCDE traduite par la Ligue arabe ne fut pas une traduction précise, mais plutôt une « arabisation » et une adaptation du thesaurus étranger (Khalifa, 2001), le choix de la Ligue arabe de traduire ce thesaurus en particulier n’est pas à négliger.

Ce thesaurus fut donc un outil de contrôle pour introduire une analyse objective concernant tous les documents arabes dans le domaine socio-économique, en favorisant les sujets de développement industriel (Khalifa, 2001). ­Chaaban AbdelAziz Khalifa [1] qualifie la traduction de ce thesaurus comme un travail incomplet et primitif. Il lui reproche, entre autres, l’utilisation des termes au singulier plutôt qu’au pluriel (Khalifa, 2001).

MERS entreprit donc de faire sa propre traduction. Cette version fut utilisée par plusieurs journaux libanais pour indexer leurs numéros. Ce thesaurus traduit en arabe fournissait les concepts et les hiérarchies adéquates, et permettait d’incorporer les nouveaux sujets qui s’imposaient au fur et à mesure du travail, en étant plus adapté au lexique utilisé par les journaux libanais notamment.

L’indexation d’un journal arabe

La méthodologie du travail

Une méthodologie stricte et particulière s’imposait. Elle est le résultat de l’expérience.
Le classement alphabétique se fait en ne tenant pas compte de l’article défini [AL] en début de mots.

  • Tous les articles du journal sont inclus dans l’index à l’exception des nécrologies, des annonces et des photos.
  • L’indexation des photos se passe en parallèle de l’indexation du journal, quoique la banque de données, le thesaurus et les notices bibliographiques soient quasiment les mêmes, à part quelques différences spécifiques aux photos.
  • Les notices bibliographiques sont divisées en deux grandes catégories :
    – Les notices bibliographiques communes au numéro en entier, notamment la source, la date du numéro, le numéro de série
    – Les notices bibliographiques qui appartiennent à chaque page séparément. Et ces notices lient les entrées et sont publiées sur cette même page, mais se différencient par le numéro de la colonne où débute chaque article.
  • Certains évènements majeurs nécessitent un grand nombre de descripteurs, ce qui charge l’index et rend la recherche très complexe. Pour résoudre ce problème, on a eu recours à des « descripteurs thématiques » tels que : « La Guerre de la Montagne », ou l’« Invasion Israélienne 1982 ».
  • Ces « descripteurs thématiques » répondent à la terminologie utilisée par le journal, une objectivité stricte cernant le choix des descripteurs.
  • Tous les signataires sont classés dans la case des « Auteurs », même s’ils sont des reporters ou des journalistes délégués dans les différentes régions.
  • Les noms des personnes sont classés par ordre alphabétique du nom de famille, exceptés les noms des souverains.nes, des princes.sses héritiers.tières, les saints, les pontifes, les patriarches, les cardinaux… classés par leur prénom.
  • Pour les autres il était très difficile d’avoir le nom officiel, par manque de ressources et de références. Concernant les noms arabes anciens, il fallait avoir recours à plusieurs références en la matière, notamment le livre de Kheir ElDine El-Zarkali (1896–1976) ­(El-Zarkali, 1980) sur les Biographies arabes.

Le choix des descripteurs

Le rôle d’un thesaurus est, d’un côté, de faciliter le travail de l’indexeur et, d’un autre, de cerner les sujets. Et pour servir un quotidien politique libanais dont le style ne fait que couvrir la complexité du pays, il fallait faire en sorte qu’une liste de « descripteurs spécifiques » soit ajoutée de prime abord avant d’attaquer les sujets publiés dans le journal. Ces descripteurs concernent les personnes, les partis politiques, les associations, les syndicats, certains sujets divers.

Méthodologie de travail

Quelques règles essentielles sont nécessaires pour indexer les nouvelles afin de faciliter la recherche et bâtir des « dossiers » thématiques virtuels.

  • Ainsi, une rencontre entre deux politiciens, deux partis politiques, ou une réunion entre un parti politique et un politicien, doit nécessairement prendre les descripteurs « réunions » avec les noms des deux partis.
  • Un discours ou une annonce est décrit par « annonces, discours, déclarations », selon la situation.
  • Concernant les accrochages entre les miliciens, les miliciens et l’armée, etc., il faut adopter une méthodologie stricte et surtout objective. Le descripteur « accrochages » est utilisé avec les noms des partis et mentionnés par ordre alphabétique.
  • Toute visite d’une personnalité politique en fonction, hors de son pays, doit nécessairement être accompagnée du descripteur « visites » et du descripteur « relations extérieures » avec les noms des deux pays concernés. La même règle s’applique si un assassinat ou une explosion se passe contre des ressortissants d’un pays dans un autre.
  • Pour enrichir le thesaurus et le rendre plus malléable avec plus d’une centaine d’entrées par jour, il faut ajouter presque tous les « noms propres » qui passent dans les titres des articles en premier lieu, puis ceux qui étaient dans l’article. Ce qui nous ramène à la clarté des titres mentionnée auparavant. Et par « noms propres », on veut dire tous les noms des personnes, des syndicats, des partis politiques, des sociétés, des conférences, etc.

La liste des descripteurs

Ils sont classés par ordre alphabétique en deux listes séparées : la liste des « auteurs » et la liste des sujets.
Un index papier fut publié pour la période 1992-1994. C’est un travail pénible et difficile, car il s’agissait d’indexer les articles avec des descripteurs tels que les vedettes-matières utilisées dans un index-papier. Il s’agissait d’imprimer les descripteurs comme entrée reliées chacune au nom du pays concerné.

Par ex :
Étudiants-France
France-relations extérieures-Liban
Liban-parlement

Les titres qui paraissent sous les descripteurs sont publiés par ordre chronologique afin de conserver le déroulement des faits.

Une première esquisse

Le premier numéro indexé était celui du 1er janvier 1992. Année de publication : 59, numéro de série : 18121. C’est un numéro de 12 pages et de 95 entrées.
Dans cette première page du 1er janvier 1992 (dossier attaché no 1), le nombre d’entrées s’élève à 7. Deux auteurs sont relevés : Gibran Hayek, dans le second article de la page, première colonne de droite, et Ahmad Ayache, dans le cinquième article, colonne cinq, de cette même page.

 

Dans ce numéro, on note :
Table 4 - « descripteurs spécifiques » au 1er janvier 1992

Le nombe total d’entree pour l’annee 1992 est de 41 501. Et pour donner une idée de l’importance des « descripteurs spécifiques » ajoutés à la version du thesaurus de l’OCDE et utilisés pendant l’année 1992, un bilan donne les résultats suivants :
Table 5 - « descripteurs spécifiques » à l’année 1992

Conclusion

L’indexation est et restera toujours un moyen de traitement d’information très importante même en la présence de logiciel de reconnaissance optique de caractère (OCR) ou par la recherche par mots du texte. La gestion des descripteurs pour indexer un journal quotidien est une entreprise difficile car elle demande une grande connaissance des sujets actuels et historiques. Elle rassemble plusieurs domaines, telos l’histoire, la politique, l’art, l’éducation, l’économie, le sport, etc.
Et relier ces sujets ensemble dans le système structuré qu’offre un thesaurus est intéressante pour le chercheur comme pour l’indexeur. C’est la recherche qui nous dévoile l’intersection des sujets surtout si la période couverte par la banque de donnée s’étend sur plusieurs décennies. Et au chercheur de découvrir, par l’accumulation des articles, des réponses à ces questions :
Quels sont les facettes qui éclairent ce problème ?
Est-ce que l’on doit considérer d’autres sujets en relation avec ce problème ?
Comment furent résolus les problèmes similaires ?
Des questions que seul un index bien agencé parviendra à résoudre.

Références

Abou Assi, J. (2009, février), « Les médias libanais : entre confessionnalisme et recherche de crédibilité », Confluences Méditerranée, 69, p. 49-59.

Khalifa, C. A. (2001), dans La liste des en-têtes arabes standardisée pour les bibliothèques, centres de recherche et bases de données, Caire : Dar El Chourouq.

El-Zarkali, K. (1980), Qamouss el Iilam : Tarajem li Achhar el Rijal wal Nissa’ min el Arab wal Moustaaribin wal Moustachriqine, Beyrouth : Dar El Ilm Lylmalayeen.

El Hajj, L. (1956, 7 octobre), Mahalyat « Al -Nahar » kayfa taktibo hadthan : Louis El Hajj Yachrah kayfa yousna’o min al khabar.­An-­Nahar (6388), p. 1.

Gibran Tueni baad 25 sana (1973) [Beyrouth].

1. Chaaban AbdelAziz Khalifa est professeur à la faculté de littérature à l’Université du Caire, président de l’Association égyptienne pour les bibliothèques et l’information. Il est l’auteur de La liste des en-têtes arabes standardisées pour les bibliothèques, centres de recherche et bases de données (qa’imat rou’ouss el mawdouat al arabia al qyassia lilmaktabat wa marakiz el maaloumat wa qawaed el bayanat), trois volumes, publié chez Dar El Shourouq en 2001.

Le recours aux services numériques du SCD par les étudiants

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* Les références bibliographiques mentionnées entre crochets sont regroupées en fin d’article.

Si la récente thèse de Duguet [2014] sur les pratiques pédagogiques des universitaires souligne un usage peu massif du numérique pour leurs enseignements, Michaux et Roche [2017] rappellent quant à eux les résultats contrastés et mitigés de l’utilisation du numérique sur les performances des étudiants lors de leurs examens et que le numérique reste peu mobilisé dans les stratégies d’apprentissage des étudiants. À l’inverse, la fréquentation de la BU par les étudiants est associée à une plus forte réussite [Dumora et al., 1997 ; Gruel, 2002] et même le lien entre l’emprunt d’ouvrages et la réussite est effectif [Fantin & Heusse 2012].

De fait, l’usage compétent de la BU est un indicateur de l’affiliation universitaire [Coulon, 2005], lui-même facteur de réussite. Pourtant, la proportion d’étudiants se rendant dans les BU diminue régulièrement depuis que cet indicateur est présent dans les enquêtes de l’observatoire de la vie étudiante (OVE), essentiellement dans certaines filières (IUT et sciences) [Paivandi, 2016], certains rencontrent des difficultés lorsqu’ils travaillent au sein des BU [Galland, 2011], et dans le même temps le temps de travail autonome des étudiants tend à diminuer [Lima & Nakhili, 2016].

Les bibliothèques universitaires se sont quant à elles converties à l’ère du numérique se transformant parfois aussi en « learning center », tout en étant confrontées à une recrudescence de la fréquentation physique avec l’essor du nombre d’étudiants entraînant pour nombre d’entre elles un allongement des horaires et des jours d’ouvertures (plan ministériel « Bibliothèques ouvertes » en 2016), répondant à une revendication ancienne des usagers [Mareca et al., 2005] et se retrouvant également confrontées à une transformation des ressources dans certaines disciplines dominées par la documentation numérique. À noter que les bibliothèques de l’université de Bourgogne viennent de recevoir le label NoctamBU+ en raison de leurs plages d’ouverture importantes. Cette nouvelle offre des BU permet ainsi de renouveler le contexte d’apprentissage offert aux étudiants dans les établissements universitaires, contexte dont les travaux sur la réussite à l’université ont souligné les effets dans les trajectoires étudiantes. Mais avant même de penser aux effets possibles de cette nouvelle offre, encore faut-il pouvoir répondre aux questions suivantes : comment les étudiants s’emparent-ils des nouveaux services numériques offerts par les BU ? Le recours à ces nouveaux services est-il différent selon les profils des étudiants ?

Comme dans nombre d’universités, le pôle Documentation de l’établissement de l’université de Bourgogne (uB) accompagne les étudiants avec la mise en place de nouveaux services. En 2016, l’uB s’est engagée dans une étude sur les usages du numérique par ses étudiants en vue du futur schéma directeur numérique de l’établissement (2017-2022). Dans ce cadre, une enquête web a été réalisée auprès des étudiants par le CIPE (Centre d’innovation pédagogique et d’évaluation), les étudiants ayant été invités à répondre à cette enquête par le biais d’une campagne de communication et l’envoi d’un courriel personnalisé au printemps 2017. 1955 étudiants ont participé à cette enquête comportant de multiples questions dont certaines portaient sur le recours aux services numériques du pôle Documentation. Bien plus que de produire des statistiques sur les usages des étudiants vis-à-vis des services offerts par l’uB, cette enquête est utilisée pour étudier si leurs pratiques diffèrent selon la nature des études universitaires, le genre ou encore le travail salarié en cours de cursus, ces trois caractéristiques étant des informations demandées aux étudiants en sus des questions sur le numérique. La mise en perspective des réponses avec ces caractéristiques (genre, niveaux et types de formation, travail durant les études) permet d’apporter des éclairages nouveaux sur les comportements des étudiants vis-à-vis des services offerts par les bibliothèques universitaires des différents sites de l’uB et vient renouveler les données de la recherche sur les pratiques étudiantes. L’objectif n’est ainsi pas de présenter les taux d’usage de différents services du SCD à la manière d’un rapport d’activité, mais de mettre en lumière l’existence des profils d’usagers pour informer l’action [Maisonneuve, 2014].

Construite pour répondre à une demande institutionnelle, cette enquête ne comprend pas d’autres informations habituellement mobilisées par la recherche sur les pratiques étudiantes. Il s’agit ici d’une première approche exploratoire mobilisant les questionnements de l’institution sur le SCD relatifs aux services numériques (catalogue en ligne, ressources numériques, compte lecteur, ressources thématiques, archives ouvertes, tutos et réseaux sociaux) et aux formations aux outils documentaires. Le taux de réponse à cette enquête s’élève à près de 7 %, ce qui peut apparaître a priori faible, mais il apparaît relativement conforme à d’autres enquêtes menées auprès des étudiants sur cette thématique [Michaud et Roche, 2017 ; Sylvestre, 2008]. Une lecture prudente des résultats bruts doit être faite en raison des biais de représentativité de l’enquête (cf. encadré ci-dessous). Mais dans la mesure où la population est suffisamment diversifiée, il est possible d’étudier les profils des étudiants en utilisant des analyses multivariées 1 pour analyser les recours aux services offerts par le pôle Documentation. Dans cette perspective, cette étude fait appel à une série de modélisations statistiques (régressions logistiques 2). Elles permettent de dégager les facteurs explicatifs d’un phénomène en appréciant le poids respectif de chacun de ces facteurs de manière simultanée. Ici, les utilisations des ervices numériques sont ainsi analysées en fonction des différentes caractéristiques des étudiants (genre, statut étudiant, filière et niveau de formation). Ces modélisations permettent alors d’estimer les effets nets de chacune des caractéristiques étudiantes, « les autres caractéristiques étant égales par ailleurs », ces effets nets étant présentés sous un format numérique exprimant les chances ou risques du recours aux services numérique selon le genre, le statut de l’étudiant, la filière et le niveau de formation 3.

Les services numériques de la BU
mobilisés par les étudiants

Dans cette enquête, 29 % des étudiants reconnaissent ne pas utiliser les outils et services numériques de la bibliothèque universitaire et 2 % ne pas les connaître. L’utilisation intensive de ces outils et services est avancée par 9 % des étudiants. Si bien qu’en tenant compte des non-réponses, le taux d’utilisation atteint 67 %. Le recours aux outils et services numériques de la BU est moins fréquent que l’ENT, le wifi, la messagerie et l’emploi du temps (cf. graphique 1).

Comme nombre de bibliothèques universitaires, les services numériques offerts aux étudiants se sont multipliés à l’uB. L’utilisation de ces services se révèle variée avec 35 % d’étudiants utilisant le catalogue en ligne, 32 % les ressources numériques (revues en ligne), 30 % les services du compte lecteur, 10 % les ressources thématiques, 8 % les archives ouvertes et 4 % les tutos. Finalement, la proportion d’étudiants n’utilisant aucun de ces services s’élève à 42 % (cf. graphique 2). En fait, certains étudiants utilisent de multiples services et d’autres ont des usages plus restreints. Ainsi, 22 % des étudiants n’utilisent qu’un seul de ces services, alors qu’un tiers s’appuie sur plus d’un service. (cf. graphique 2).

Le tableau suivant permet d’appréhender les caractéristiques des étudiants selon l’intensité du recours aux services bibliothécaires. Ainsi, la proportion de femmes parmi les non-utilisateurs s’élève à 54 % alors qu’elles sont 62 % dans la population globale. Les étudiants n’utilisant pas ces services numériques sont pour près des trois quarts des étudiants de 1er cycle (73 % exactement alors ils ne représentent que 62 % de la population globale).

Mais surtout, les usages de ces services sont différents selon la nature des formations suivies, le genre et le fait d’avoir ou non un emploi durant les études, comme le démontrent les modélisations statistiques relatives au fait de recourir aux services numériques ou non d’une part, et au fait de recourir à un seul service ou à plusieurs d’autre part. Ainsi, il apparaît que le fait d’utiliser les services numériques de la BU est moins important pour les étudiants des filières professionnelles courtes (DUT et licences professionnelles) comparativement aux étudiants des licences généralistes, et s’accentue avec l’élévation du niveau de formation, les étudiants de master et doctorat ayant une utilisation plus intensive des différents services que les étudiants de licence. L’utilisation de ces services est 2,2 fois plus importante pour les étudiants de master et 1,8 fois plus importante pour les doctorants comparativement aux étudiants de licence, mais en revanche 2,3 fois moins importante pour les inscrits des filières courtes professionnelles. En outre, les femmes sont moins enclines à se détourner des multiples services numériques de la BU que les hommes (elles ont 0,6 fois moins de risque d’ignorer ces services). Les étudiants travaillant durant leurs études ont 1,3 fois plus recours à au moins un des services numériques proposés par la BU. Et ils se distinguent des non salariés par l’utilisation plus importante de plusieurs services. En effet, comparativement à l’ensemble des étudiants non salariés utilisateurs des services numériques de la BU, ils ont 1,4 fois plus de chance de mobiliser plusieurs services et non pas un seul service.

Le catalogue en ligne de la BU

Interrogés plus spécifiquement sur le catalogue en ligne, 89 % de ses utilisateurs s’en déclarent satisfaits ou très satisfaits. Mais 29 % d’entre eux estiment qu’il est complexe, 26 % que les résultats retournés sont souvent trop nombreux, voire erronés, 23 % que le catalogue est complexe, 20 % que les accès aux données sont souvent lents ou dysfonctionnent et 11 % signalent ne pas avoir d’aide dans l’utilisation de ce service. De tels constats ne sont pas sans rappeler les difficultés des étudiants soulevées par Renould [2005] ou encore Després-Lonnes et Courtecuisse [2006]. Mais l’un des points saillant de cette enquête est de révéler que, globalement, plus du tiers des étudiants estiment que ce service n’est pas utile dans leur formation. Cette proportion touche 39 % des hommes et 32 % des femmes, 23 % des étudiants ayant un emploi contre 37 % de ceux sans activité professionnelle, 35 % des Dijonnais pour 32 % des étudiants des sites délocalisés, 30 % des étudiants des UFR contre 40 % des étudiants des écoles et instituts. En termes de formation, c’est le cas de 55 % des inscrits en filières professionnelles courtes (DUT et licences professionnelles), 34 % de licences généralistes, 22 % en masters et 18 % en doctorat.

Face à ces constats, une modélisation statistique permet d’estimer les effets nets de chaque caractéristique des étudiants en raisonnant à caractéristiques égales par ailleurs, c’est-à-dire en déterminant par exemple le poids respectif de la formation et du genre sachant que les formations sont plus ou moins féminines ou masculines. Ainsi, de forts effets liés à la nature de la formation, aux lieux de formation, au genre et au fait de travailler transparaissent avec cette analyse. Comparativement aux étudiants des licences généralistes, les inscrits dans des formations professionnelles courtes estiment 2,1 fois plus souvent que le service « catalogue en ligne » n’est pas utile pour leur formation, alors que les étudiants en masters et de doctorat sont près de deux fois moins souvent dans cette perspective, à caractéristiques égales par ailleurs. De même, les élèves des UFR sont 20 % moins souvent dans cette perspective que leurs collègues des instituts et écoles. Mais encore, les hommes ont 1,2 fois plus souvent cette vision de l’inutilité du catalogue en ligne comparativement à leurs homologues féminins, et les étudiants non salariés ont 1,6 fois plus souvent cette vision que les étudiants ayant un emploi durant leurs études.

Les ressources numériques

Les ressources numériques (articles de revue) apparaissent comme le deuxième outil mobilisé par les étudiants après le catalogue en ligne. Les utilisateurs de ces ressources sont pour les deux tiers des femmes, le quart est salarié et 84 % sont étudiants sur le site dijonnais. Le tiers est inscrit dans un institut ou une école. En termes de formation, 9 % sont inscrits dans les filières professionnelles courtes, 40 % dans les licences généralistes, 40 % en master et 6 % en doctorat (5 % sont dans d’autres formations). Enfin 9 % sont inscrits au titre de la formation continue. Ces utilisateurs des revues en ligne proposées par la BU diffèrent de la population répondante à l’enquête en étant une population plus féminine, plus souvent en emploi, en formation continue et moins inscrite dans des filières professionnelles courtes. La modélisation statistique souligne les différences entre les étudiants : les femmes ont ainsi 1,2 plus de chances de recourir à ce service que les hommes, les salariés 1,3 fois que les étudiants ne travaillant pas durant leurs études et les étudiants en formation continue 1,6 fois plus à caractéristiques égales par ailleurs. Elle révèle également que l’utilisation de cet outil s’accroît avec le niveau de formation, à caractéristiques égales par ailleurs : les étudiants de master ont 2,2 fois plus chances et les doctorants 3,4 que les étudiants de licence, ces derniers ayant eux-mêmes 2,1 fois plus de chances de l’utiliser que les inscrits dans des filières courtes professionnelles.

Les services du compte lecteur

Seuls 30 % des étudiants déclarent se servir du compte lecteur en ligne. Celui est utilisé par 36 % des femmes pour 21 % des hommes, 38 % des salariés pour 28 % des non salariés et 31 % des inscrits en formation continue pour 24 % des inscrits en formation initiale. Selon les formations, il est utilisé par 47 % des étudiants en master, 35 % de doctorants et 8 % des étudiants des filières professionnelles courtes. Ces différences sont significatives comme le montre la modélisation de l’utilisation de ce service : les étudiantes ont ainsi 1,8 fois plus recours à ce service que leurs homologues masculins, les inscrits au titre de la formation continue l’utilisent 1,7 fois plus et les étudiants travaillant durant leurs études sont 1,3 plus usagers que les étudiants sans emploi. Comparativement aux étudiants des filières professionnelles courtes, les inscrits en licence se servent 4 fois plus de leur compte lecteur, les étudiants de master 9,4 fois plus et les étudiants de doctorat 5,6 fois plus (toutes les autres formations l’utilisant aussi 3,2 fois plus) à caractéristiques égales par ailleurs.

Ressources thématiques, archives ouvertes et tutos figurent parmi les services numériques les moins mobilisés par les étudiants avec respectivement 10 %, 8 % et 4 % d’utilisateurs. Concernant plus particulièrement les tutos produits par les personnels des bibliothèques, les profils des utilisateurs n’apparaissent pas spécifiques au regard des informations à notre disposition, excepté le fait que les étudiants des formations professionnelles courtes sont plus enclins à les utiliser (ils constituent le tiers des utilisateurs alors qu’ils ne représentent que 20 % des répondants à l’enquête).

Les réseaux sociaux de la BU

85 % des étudiants de l’enquête utilisent des réseaux sociaux dans leur vie quotidienne, ce constat étant en adéquation avec ceux émis pour la population jeune [INSEE, 2016]. Il s’agit du quatrième motif avancé par les étudiants dans leur utilisation d’internet, après le fait de communiquer par messagerie électronique, naviguer sur des sites pour la détente, écouter de la musique, regarder des vidéos ou la télé. Les réseaux utilisés par les étudiants sont variés, les trois premiers étant Facebook, (97 %), YouTube (72 %) et Snapchat (68 %). Finalement, alors que le recours au réseau Facebook est massif dans la vie quotidienne des étudiants, seuls 48 % connaissent celui de l’université et le consultent peu de manière assidue (seuls 21 % le consultent au moins une fois par semaine ou tous les jours). Les autres réseaux sociaux de l’uB (YouTube, Instagram, LinkedIn) sont peu connus des étudiants car, en fait, c’est bien plus le site internet de la composante de la formation dans laquelle ils étudient qu’ils consultent à 73 %. Bien qu’ils connaissent le site de leur composante, seulement les trois quarts déclarent l’utiliser.

Concernant spécifiquement la BU, seuls 13 % consultent sa page Facebook  et 5 % son compte Twitter. Ces étudiants consultant la page Facebook de la BU sont à 93 % des étudiants en formation initiale. 70 % sont des femmes et 23 % exercent une activité salariée. 89 % étudient sur le site dijonnais (et non sur un site délocalisé) et 70 % étudient au sein d’une UFR et non d’une école ou d’un institut. En termes de formation, 15 % sont étudiants des filières professionnelles courtes (DUT et licences professionnelles), 51 % de licences généralistes, 29 % de masters et 2 % doctorants. Ceux consultant le compte Twitter de la BU sont à 91 % des étudiants dijonnais et 77 % étudient au sein d’une UFR. Parmi ces utilisateurs du compte Twiter de la BU, on dénombre 57 % de femmes, 26 % d’étudiants exerçant une activité salariée. 13 % sont étudiants des filières professionnelles courtes (DUT et licences professionnelles), 58 % de licences généralistes, 20 % de masters et 4 % doctorants. Recourir à une modélisation statistique pour caractériser la consultation des réseaux sociaux en intégrant les informations sur les étudiants (genre, formation, composante, site, salariat, inscription initiale ou continue) permet d’identifier les spécificités des étudiants utilisateurs de ce service offert par le SCD, à caractéristiques égales par ailleurs. Ainsi, seules deux dimensions apparaissent discriminantes : les Dijonnais ont 1,7 fois plus recours à la page Facebook de la BU que les étudiants des sites délocalisés et les étudiants des UFR 1,5 fois plus que ceux des écoles et instituts. Ces effets sont encore plus accentués quant au recours au Twitter de la BU puisque les Dijonnais y recours 2,3 fois plus que les étudiants des sites délocalisés et les étudiants des UFR 1,9 fois plus que ceux des écoles et instituts.

Utilisation des services numériques du pôle Documentation et utilité perçue de ces services semblent aller de pair. Ce sont les étudiants des filières professionnelles courtes qui sont le moins enclins à utiliser ces services et à en percevoir l’utilité pour leurs études, ce qui n’est pas sans questionner sur les pratiques pédagogiques enseignantes plus ou moins associées à des recherches complémentaires comparativement aux études des filières généralistes. Mais encore, la mise en évidence de l’augmentation du recours aux services en ligne du SCD dans les filières généralistes avec l’élévation du niveau des formations n’est pas sans rappeler que les étudiants les plus avancés ont intégré les normes et formes du travail universitaire et acquis les compétences de leur métier d’étudiant gage de leur réussite. La seule exception à ce schéma concerne l’emploi plus important des tutos par les étudiants des filières professionnelles courtes. Le constat des effets différenciés selon le genre précise ainsi que les différences dans le travail étudiant entre femmes et hommes n’est pas remis en cause par l’introduction du numérique, les filles ayant des vies plus studieuses avec des stratégies d’apprentissages plus « en profondeur » (recherche personnelle et/ou utilisation de manuels et pas seulement des cours) [Frickey & Primon, 2000 et 2002]. Les résultats relatifs aux étudiants salariés sont quant à eux relativement novateurs, dans le sens où ils mettent en évidence des stratégies d’études et notamment un travail autonome différent, ces étudiants mobilisant plus les services numériques offerts que les autres étudiants. Faut-il y voir une transformation de leurs pratiques avec l’offre numérique ? Peu mobilisés par les étudiants, les réseaux sociaux du SCD sont marqués par des effets de sites. Ceci n’est pas sans rappeler les différences pédagogiques existantes entre les sites universitaires délocalisés [Losego, 2012 ; Felouzis, 2001]. Ou faut-il y voir les effets d’une communication à destination des étudiants différente entre les sites ? Sans toutefois négliger aussi les effets des déplacements plus ou moins rapides dans des agglomérations de taille très différentes, les étudiants des sites délocalisés étant moins contraints par les temps de trajet entre la BU et leur logement ?

Conclusion

Bien évidemment, il convient de ne pas oublier les limites de cette étude, liées à la méthode et au public. Concernant la méthode, l’échantillon n’est pas exhaustif et les informations collectées ne sont que des déclarations. Toutefois, un certain nombre de constats et de résultats permettent d’apporter des informations sur les recours différenciés des services numériques de la BU par les étudiants. Le recours aux services numérique de la BU est à l’image des constats soulignant une fréquentation variable de la BU « non numérique » selon les filières [Lahire, 2000 ; Mareca et al., 2005 ; Paivendi 2011], mais aussi selon le niveau de formation des étudiants [Paivendi, 2016]. Une partie des données vient conforter l’un des résultats connus de la recherche relative aux pratiques étudiantes, à savoir des pratiques différenciées entre les étudiants et les étudiantes. L’originalité de cette étude est de pointer les spécificités des pratiques des étudiants exerçant un travail salarié durant leurs études sous un angle nouveau en montrant un accès plus important aux services numériques offerts par le pôle Documentation, permettant d’augurer une autonomie plus forte de ces étudiants face au travail académique.

Si les services numériques dans les BU sont en développement, il ne faut pas négliger l’essor de l’accueil des étudiants dans les locaux des BU. Avec l’augmentation du nombre des inscriptions universitaires, les BU se retrouvent confrontées à une saturation des locaux. Dans le même temps, les transformations pédagogiques (exemple : développement des travaux de groupe) contribuent également à faire émerger une nouvelle demande aux BU (exemple : espaces de travail pour des travaux de groupe). Dans un contexte de profondes transformations des bibliothèques universitaires en « learning center » proposant de nouveaux services aux usagers, mais également toute une gamme de nouvelles salles de travail (box individuels et salles de travail de tailles variées équipées en outils numériques) comme de politiques actives en termes de pédagogie numérique avec la production de ressources nouvelles pour les étudiants , il convient de se poser les questions suivantes : ces nouveaux services sont-ils en train de transformer les pratiques étudiantes ? Comment se combinent-ils avec la fréquentation physique de la BU ? Et quels peuvent être leurs effets sur la réussite étudiante ? C’est bien désormais ces questions qui doivent faire l’objet d’investigations via une comparaison de la mobilisation des services numériques et non numériques par les étudiants.

Bibliographie

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Després-Lonnet M. et Courtecuisse J.-F. (2006), « Les étudiants et la documentation électronique », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), n° 2, p. 33-41. Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2006-02-0033-005

Duguet, A. (2014), Les pratiques pédagogiques en première année universitaire : description et analyse de leurs implications sur la scolarité des étudiants, Dijon : thèse de doctorat, université de Bourgogne.

Dumora B., Gontier C., Lannegrand L. et Pujol  J.-C. (1995), « Les étudiants en psychologie : de l’histoire scolaire au projet universitaire », L’orientation scolaire et professionnelle, 24 (2), 135-156.

Fantin R., et Heusse M.-D. (2012), Emprunt en bibliothèques universitaires et réussite aux examens de licence (Études et enquêtes), Toulouse : université de Toulouse. Consulté à l’adresse : http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/notices/60348-emprunt-en-bibliotheques-universitaires-et-reussite-aux-examens-de-licence

Felouzis G. (2001), La condition étudiante. Sociologie des étudiants et de l’université, PUF.

Gruel L. (2002), « Les conditions de réussite dans l’enseignement supérieur », OVE Infos, n° 2.

INSEE (2016), Usage d’internet pour les relations sociales selon l’âge en 2015. Disponible en ligne : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2411023#graphique-Donnes

Lahire B, 2000, « Conditions d’études, manières d’étudier et pratiques culturelles », in Grignon C., Les conditions de vie des étudiants, La Documentation française, p. 241-392.

Lima L. et Nakhili N., 2016, « Allocation du temps par les étudiants : quelles évolutions ? », in Giret J. F, Van de Velde C. et Verley E., Les vies étudiantes tendance et inégalités, La Documentation française, p. 83-100.

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Maresca B., Dupuy C. et Cazenave A. (2005), Enquête sur les pratiques documentaires des étudiants, chercheurs et enseignants-chercheurs de l’université Pierre et Marie Curie (Paris 6) et de l’université Denis Diderot (Paris 7), Crédoc : http://www.credoc.fr/pdf/Rapp/R238.pdf

Michaut C. et Roche M., 2017, « L’influence des usages numériques des étudiants sur la réussite universitaire », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur [en ligne], 33-1 | 2017, mis en ligne le 6 mars 2017 : http://ripes.revues.org/1171

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Primon J. et Frickey A. (2002), « Les manières sexuées d’étudier en première année d’université », Sociétés contemporaines, 48 (4), 63-85. doi:10.3917/soco.048.0063.

Renoult D. (2006), « Enquêtes de publics dans les bibliothèques universitaires : où en sommes-nous ? », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), n° 2. Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2006-02-0005-001

Sylvestre, E. (2008), Améliorer la participation aux enquêtes en ligne. Repéré à : http://www.cndp.fr/agence-usages-tice/que-dit-la-recherche/ameliorer-la-participation-aux-enquetes-en-ligne-31.htm

Thirion P. et Pochet B. (dir.) (2008), Enquête sur les compétences documentaires et informationnelles des étudiants qui accèdent à l’enseignement supérieur en Communauté française de Belgique, Bruxelles : Conseil interuniversitaire de la Communauté française de Belgique [CIUF] ; EduDOC.

1. Les analyses multivariées regroupent un ensemble de méthodes statistiques permettant l’analyse d’un phénomène par l’étude des relations entre deux et plusieurs variables.

2. Ces types de modélisations statistiques sont utilisés pour comprendre des phénomènes mesurés par des réponses non numériques (c’est-à-dire qualitatives) lors de réponses à une enquête, par exemple lorsque les enquêtés répondent oui ou non à une question.

3. D’un point de vue technique, les résultats des modèles sont interprétés à l’aide des odds ratio.

Labellisation Marianne au SCD de Limoges

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Les bibliothèques universitaires de Droit Sciences économiques et Lettres et sciences humaines ont été auditées par l’Afnor les 12 et 13 juin 2018 afin d’obtenir la labellisation Marianne. Engagé depuis fin 2011 dans une réflexion centrée sur la démarche qualité, le SCD a rapidement décidé de s’orienter vers une labellisation dont la mise en œuvre a été ponctuée d’obstacles et de remises en question inhérentes à ce processus.
Sous la responsabilité d’un chef de projet « Référent Marianne », un groupe de quinze agents du SCD a été constitué, représentatif de toutes les structures documentaires et de toutes les fonctions et catégories de personnel. En effet, l’Université de Limoges étant pluridisciplinaire et présente sur trois départements (Haute-Vienne, Creuse, Corrèze), le SCD se déploie dans treize bibliothèques de tailles et de publics très différents.
Cette initiative s’inscrivait naturellement dans le projet de service du SCD pour la période 2012-2016, qui a suscité un vif intérêt et une participation très active de la part de plus de vingt-cinq collègues (tous corps et catégories confondus). Structurée en quatre grandes orientations stratégiques (médiation, intégration, valorisation, qualité), sa mise en œuvre a été immédiate.

L’organisation du travail :
des liens étroits avec l’Université

L’organisation du groupe de travail « Marianne » a permis d’impliquer tous les sites distants du SCD et de renforcer la transversalité, l’harmonisation des procédures et le sentiment d’appartenance à un véritable service commun. Si le groupe s’est réduit entre 2012 et 2018, passant de quinze à huit agents, c’est parce que nous avons constaté que le mode de travail participatif fonctionnait difficilement avec un nombre trop important d’agents et ralentissait la prise de décision.
Impliqués dans la démarche, ils ont rapidement été identifiés comme « correspondants Marianne » au sein de leur bibliothèque de rattachement, et relayaient les informations et les actions à mettre en œuvre en commun. D’autre part, le chef de projet « Référent Marianne » faisant partie de l’équipe de direction, il était le pivot naturel dans la validation des décisions proposées par le groupe de travail. Outre ce fonctionnement à la fois transversal et hiérarchique, le SCD a travaillé en collaboration étroite avec le directeur général des services et la chargée de mission Qualité au sein de l’université. Il était indispensable d’avoir l’appui de la gouvernance et de les informer des enjeux concernant l’obtention de la labellisation. Leur implication a d’autant plus légitimé notre action aux yeux des agents du SCD et suscité une adhésion collective.
Un comité de pilotage réunissant plusieurs membres de l’Université a formalisé le circuit de prise de décision hiérarchique et a été validé lors du Conseil de la documentation de juin 2016. Ce comité de pilotage est composé du directeur général des services, de la chargée de mission Qualité de l’université, du vice-président chargé de l’attractivité des campus, de deux enseignants, de deux élus étudiants, de la directrice du SCD, du référent Marianne et de deux personnels du SCD.

Vers la labellisation

En conformité avec la méthodologie de la démarche, nous avons travaillé en quatre phases :

L’autoévaluation (2012)

Cette autoévaluation, la première réalisée au SCD, a permis de situer la structure et ses services à 2,95 sur une échelle allant de 1 à 4. Elle a également mis en évidence le décalage entre certains engagements du référentiel et la réalité des missions du personnel d’un SCD. Nous nous sommes appuyés sur les documents de travail fournis par le Ministère afin d’être en conformité avec les attentes des engagements Marianne.

Enquêtes de satisfaction Libqual (2013 et 2016)

Le choix du groupe de travail, et validé par l’équipe de direction, s’est naturellement porté sur l’outil Libqual pour mener sa première enquête de satisfaction de grande ampleur. Ce questionnaire standardisé permet aux bibliothèques universitaires de disposer de données homogènes et comparables entre elles (appréciation graduée sur une échelle de 0 à 9).
En plus de son adéquation à la nature des activités d’une bibliothèque, son intérêt réside dans la possibilité de l’intégrer dans une démarche d’évaluation et d’amélioration de la qualité. La première enquête a été réalisée en décembre 2013, avec un taux de réponse de plus de 15 %, ce qui était très satisfaisant au regard des taux observés dans d’autres SCD. La seconde a été lancée en novembre 2016 et a obtenu un taux de réponses valides de 7,8 %, soit moitié moins qu’en 2013, mais toujours assez représentatif pour être exploitable.

Mise en œuvre d’actions d’amélioration (2014…)

Le groupe de travail restreint, spécifiquement dédié à la mise en œuvre des deux enquêtes, a étroitement collaboré avec le groupe « Marianne » du SCD afin d’analyser les résultats de l’enquête et de mettre en œuvre les actions d’amélioration. Nous avons choisi d’analyser les résultats tous usagers confondus puis nous avons affiné notre perspective en les classant par niveau ou catégorie professionnelle : licence, master/doctorat, enseignants et enseignants-chercheurs, personnels BIATSS. Outre les notations portées sur les bâtiments, l’accueil (physique et à distance) et l’offre documentaire, les commentaires libres laissés par les répondants nous ont permis d’avoir une vision quasiment exhaustive des besoins, tout en réalisant que ces derniers sont récurrents, quelles que soient la bibliothèque ou la catégorie d’usager.
Chaque bibliothèque a donc élaboré des fiches actions (soit 20 au total) suite aux résultats de la première enquête Libqual. Certaines ont été réalisées en 2014 (travaux d’éclairage à la BU de Droit, réaménagement des espaces et des collections en BU de Lettres et de Santé, remplacement de sièges, augmentation du nombre de prises électriques). D’autres, nécessitant des investissements et/ou des travaux plus importants, ont été programmées l’année suivante, en 2015. Par exemple, toutes les bibliothèques ont mis en place un zonage de leurs espaces en fonction du profil de leurs usagers, avec une signalétique appropriée (zones rouge, orange et verte, matérialisées par de grands panneaux).

 

BU de Lettres et sciences humaines. SCD de Limoges. © Julie Floreani

 

Au-delà de ces actions d’amélioration, le SCD a largement communiqué sur les résultats de l’enquête et la prise en compte réelle des besoins des usagers.

 

Affiches de communication « Bougeons notre BU ! » © SCD de Limoges

 

Déploiement du référentiel de manière progressive
(à partir de 2015)

Suite à la concrétisation rapide des actions d’amélioration, le groupe de travail Marianne a finalisé la programmation des engagements et la direction du SCD a annoncé que le déploiement du référentiel aurait pour objectif l’obtention de la labellisation. Un conservateur stagiaire, présent de février à mai 2015, a réalisé un calendrier prévisionnel qui prévoyait l’audit du SCD en juin 2016. C’est également durant cette période qu’une partie des correspondants Marianne du SCD a pu se rendre aux SCD d’Albi et de Paris 8, déjà labellisés, afin d’observer comment se déployaient concrètement les engagements sur place.
Si l’audit prévu en juin 2016 n’a eu lieu qu’en juin 2018, suite au changement de référent Marianne pour le SCD, il n’en reste pas moins que de nombreuses actions d’amélioration ont ponctué les trois dernières années.
Du côté des usagers, nous avons largement communiqué autour de ces actions, que ce soit par le biais des instances de l’université (Conseil d’administration, Conseil de la documentation, où les représentants étudiants sont présents) que par le truchement des associations étudiantes locales et pluridisciplinaires, ainsi que par des affiches (papier et numériques).
Du côté des personnels, nous pouvons affirmer qu’en six ans l’implication a fluctué au gré de la concrétisation des projets liés à la démarche qualité. En effet, nous avons connu des périodes où la prise de décision n’était pas nécessairement suivie d’actions rapidement mises en place, ce qui a engendré une diminution de la motivation chez certains correspondants Marianne, et a logiquement démobilisé les agents dans les différentes bibliothèques, percevant cette démarche comme quelque chose de trop abstrait.

Se préparer à l’audit

La labellisation des BU Droit Sciences économiques et BU Lettres et sciences humaines étant inscrite dans le projet de service 2017-2018 du SCD, la chargée de mission Qualité de l’université a organisé un premier audit blanc en février 2018. Le rapport d’audit a révélé de nombreuses « non-conformités » pouvant être bloquantes et essentiellement liées au manque de formalisation des procédures, à l’absence de documents prouvant que nous respections les différents engagements, et d’un plan d’action concret et programmé dans le temps. L’affichage des engagements à l’entrée de la bibliothèque, des enquêtes de satisfaction et des actions correctives ponctuelles ne suffisent évidemment pas à obtenir le label Marianne.
Aussi, la direction du SCD a pris le parti de devenir « Référent Marianne » (directrice et directrice adjointe, ainsi que l’équipe de direction élargie) afin d’accélérer la formalisation de ces documents, puisque nous souhaitions être audités en juin 2018. Après un entretien avec la qualiticienne de l’université pour obtenir les grandes orientations des procédures à formaliser, nous avons fait réaliser un second audit blanc en mai 2018, dont les résultats étaient plus satisfaisants.
En outre, nous avons produit un certain nombre de documents : un document général exposant la démarche qualité au sein du SCD, un tableau présentant la déclinaison concrète des engagements dans les bibliothèques, un plan d’action pour l’année universitaire en cours et l’année suivante fondé sur le modèle proposé par le Ministère, ainsi que des notes de service reprenant des consignes que nous avions données de manière plus informelle dans les réunions au sein des sections.
Concernant l’autoévaluation, nous avons mis en place des tableaux de suivi dans toutes les sections (pour évaluer le temps de réponse au téléphone ou aux courriels), bien que seules les BU Droit et Lettres soient auditées, dans la mesure où nous travaillons tous de manière transversale et que l’implication des agents est essentielle pour parvenir à matérialiser nos actions dès l’entrée dans le bâtiment ou sur notre site web.
Nous avons mis en concurrence plusieurs organismes d’audit et l’Afnor a été retenue. Nous avons produit les documents de préparation aux deux journées d’audit : lettre d’engagement, note sur la politique qualité de l’établissement, plan d’actions en cours, déclinaison des engagements et interlocuteurs. Sur site, l’auditeur s’est entretenu avec la direction du SCD une demi-journée, et a consacré une demi-journée par bibliothèque auditée. La dernière demi-journée était consacrée à un bilan provisoire.

Le bilan de l’audit : et maintenant ?

Puisque les « points sensibles » étaient « non bloquants », nous avons obtenu le label Marianne pour trois ans, sous réserve de mener les actions correctives préconisées d’ici l’audit de suivi en décembre 2019. Si nous ne respectons pas nos engagements, le label peut nous être retiré.
L’obtention du label est un réel moteur à tous points de vue. D’abord, le SCD est le premier service de l’université à avoir reçu un label certifiant et validant la démarche qualité mise en place depuis 2012. Nous sommes donc pilotes et porteur d’un projet construit avec la chargée de mission Qualité et nous pouvons nous appuyer sur ce label pour justifier nos demandes d’investissements lors du dialogue budgétaire annuel, que ce soit pour améliorer le confort de nos bâtiments, l’accueil physique ou à distance, ou financer des moniteurs étudiants pour ouvrir davantage.
Du côté des personnels, entrer dans une démarche qualité est un exercice managérial indispensable et permet de remettre en question nos pratiques, et surtout nos échecs en termes de mobilisation et de motivation. Il est essentiel de décliner concrètement les engagements et de suivre le calendrier prévu pour ne pas perdre l’attention et l’implication des collègues dans l’amélioration continue des services. La communication interne s’est également grandement améliorée : mise en ligne des comptes rendus des réunions sur l’espace commun, point Marianne dans toutes les réunions de sections et lors des journées semestrielles des agents du SCD, mise à jour régulière de l’intranet dans lequel on retrouve de nombreux documents harmonisés, etc.
La communication envers les usagers est également un élément essentiel dans la mise en œuvre de la démarche qualité. Outre les enquêtes, il est important de leur faire savoir que nous nous appuyons réellement sur les besoins qu’ils expriment par d’autres biais : la boîte à suggestions située à l’entrée de chaque bibliothèque ou lors du Conseil de la documentation. Nous valorisons les travaux que nous réalisons : augmentation du nombre de places assises, de prises électriques, de l’amplitude horaire, harmonisation des règles de prêt sur les 13 bibliothèques, développement de nouveaux services comme le « Prêt nomade » couvrant les trois départements…
L’obtention du label Marianne n’est pas une fin en soi mais bien un moteur supplémentaire dans la concrétisation de nos objectifs et la mobilisation du personnel des bibliothèques, tout autant qu’une volonté affirmée de représenter l’université en termes de qualité de services et d’accueil. Les agents, tout autant que la direction, ont pris conscience que la démarche qualité est avant tout une manière de travailler en équipe. Cela nous permet de nous fonder sur les besoins réels des usagers tout en nous remettant régulièrement en question sur nos pratiques et nos procédures par l’évaluation des différents aspects de nos missions et en lien avec les douze engagements Marianne. C’est pourquoi toutes nos actions et nos services s’intègrent naturellement dans ce processus d’amélioration continue.

Se former aux outils documentaires

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* Les références bibliographiques mentionnées entre crochets sont regroupées en fin d’article.

À l’université de Bourgogne, la formation des étudiants aux outils documentaires est proposée sous différentes formules : des formations formelles en groupe via des ateliers spécifiques, des formations programmées avec les enseignants, un programme tutoré mis en place en septembre, des rendez-vous individuels, ainsi que des tutoriels (animations et vidéos) disponibles sur le portail du Pôle documentation. Elle concerne aussi bien les outils spécifiques de l’établissement que des outils génériques utiles pour la recherche documentaire (logiciels de gestion bibliographique, portails des BU, structuration de documents longs sur un traitement de texte, etc.) et des enseignements de recherche documentaire, dont des actions de sensibilisation au plagiat. Accessible à tous les étudiants, les formations sont réalisées dans les locaux du Pôle documentation des différents sites territoriaux de l’université de Bourgogne. Ainsi à titre d’exemple, durant l’année 2015-2016, 4 769 étudiants ont bénéficié des formations organisées par le Pôle documentation (dont 2 188 dans le cadre du tutorat de rentrée contenant une première prise de contact avec les services des bibliothèques, et certains dans le cadre de formations programmées par les enseignants ou les diplômes en étant parfois adossées à un dispositif pérenne comme l’UE Initiation à la recherche).

Dans le cadre d’une enquête de l’université de Bourgogne réalisée en 2016 sur les usages du numérique 1, 1 955 étudiants ont répondu à de multiples questionnements dont certains portaient sur les formations offertes par le Pôle documentation de l’établissement 2. À partir de ces informations, il est possible d’étudier si le recours à ces formations diffère selon la nature des études universitaires, le genre ou encore le travail salarié en cours d’études. Les résultats bruts de l’enquête utilisés dans cet article doivent être lus avec prudence compte tenu des biais de représentativité (surreprésentation des femmes parmi les répondants, sous-représentation du site dijonnais et surreprésentativité de certaines filières). Mais surtout, il est nécessaire de recourir à l’analyse multivariée 3 pour dégager des facteurs explicatifs concernant le recours aux formations du SCD par les étudiants. En effet, ce type d’analyse permet d’apprécier le poids respectif de chacun de ces facteurs de manière simultanée. Les effets nets de chacune des caractéristiques étudiantes – « les autres caractéristiques étant égales par ailleurs » – sont ainsi estimés à partir de régressions logistiques 4, qui expriment les probabilités du recours aux formations du SCD selon le genre, le statut de l’étudiant, la filière et le niveau de formation. Ainsi on détermine par exemple le pourcentage de possibilités qu’un étudiant s’inscrive aux formations du SCD, selon qu’il est une femme ou un homme, quelles que soient son origine sociale et sa filière de formation. Cette perspective ne s’inscrit pas dans une logique de production d’indicateurs sur la fréquentation étudiante. Elle permet même de dépasser une vision s’appuyant sur l’utilisation des taux de recours des étudiants aux formations du SCD (exemple : pourcentage d’étudiants s’inscrivant en formation). En fait, adopter une telle démarche d’analyse permet de mieux étudier les profils des étudiants par rapport aux formations offertes par le SCD en apportant un éclairage sur leurs pratiques.

Dans cette enquête, 86 % des étudiants se déclarent satisfaits des formations documentaires proposées par les BU de l’université de Bourgogne. Ce fort taux de satisfaction renvoie aux constats établis en interne par le Pôle documentation à travers les enquêtes de satisfaction réalisées à l’issue de chaque formation, puisque 98 % des étudiants répondants se déclarent satisfaits. Il s’explique notamment par le format des formations : courtes et très personnalisées (groupes restreints à huit personnes, ou formation individuelle en lien avec le sujet de l’étudiant). Mais ce fort taux de satisfaction ne doit pas faire oublier l’un des enseignements de cette enquête, à savoir la faible connaissance des étudiants de ces formations aux outils documentaires combinée à une faible inscription même lorsqu’ils savent qu’elles existent. En effet, seuls 26 % des étudiants connaissent ces formations et parmi ces derniers seuls 27 % en ont déjà bénéficié, si bien qu’il est possible d’estimer à 7 % la proportion d’étudiants impactés parmi l’ensemble des répondants à cette enquête.

Au-delà des aspects liés à la communication de l’information sur ces formations, la faible participation des étudiants ne peut pas être imputée à des capacités d’accueil insuffisantes, étant adaptées en fonction de la demande étudiante (thématiques et nombre de formations et groupes). C’est sans doute bien plus la forte conviction des étudiants concernant leurs compétences documentaires, et leur faible adhésion sur l’utilité des formations à la recherche documentaire pour leur réussite académique [Perret, 2013] qui doivent être questionnées, alors même que la capacité à se documenter de manière autonome apparaît importante pour réussir [Coulon, 1999], et qu’elle peut même être présentée par les enseignants comme une condition pour réussir [Boyer et Coridian, 2002]. Nombre de travaux soulignent la faiblesse des compétences des étudiants en termes de méthodologie documentaire lors de l’entrée à l’université [Mittermeyer et Quirion, 2003 ; Thirion et Pochet, 2008 ; Perret, 2013], mais qu’en est-il actuellement avec les réformes initiées au collège et au lycée pour les nouveaux publics ? Quels sont les outils déjà familiers aux étudiants avant leur entrée à l’université ? Soulignons que 98 % des étudiants de l’enquête estiment ne pas avoir de besoins en formations documentaires lorsqu’ils sont interrogés dans l’optique de formations non actuellement proposées. Mais encore quel rôle dédier aux enseignants pour inciter les étudiants en carence de compétences à s’engager dans des formations aux outils documentaires ? En effet, n’oublions pas qu’au-delà du « flou pédagogique » [Oberti, 1995] pouvant être entretenu par les enseignants peu explicites quant aux pratiques de travail à mettre en œuvre pour réussir [Boyer et Coridian, 2002], les pratiques pédagogiques des étudiants peuvent exercer une influence sur les motivations des étudiants et sur les manières d’étudier [Duguet, 2014]. Dans ce cadre, les sollicitations diverses des enseignants via des devoirs ou des travaux ont des effets sur la nature du recours aux services des bibliothèques universitaires [Maresca et al., 2005 ; Perret, 2013]. Ne pourraient-elles pas aussi être un facteur incitatif de l’inscription en formation documentaire des étudiants ?

Au-delà de ce constat général, les étudiants en formation continue apparaissent peu informés des formations aux outils documentaires, puisque seulement 12 % savent qu’elles existent au sein de l’université de Bourgogne. Que dire alors pour les étudiants qui occupent un emploi rémunéré, sachant que depuis deux décennies environ un jeune sur deux travaille durant ses études, même si ces emplois recouvrent des réalités très différentes notamment selon l’âge et les filières [Gruel et Tiphaine, 2004] ? En effet, le temps que ces étudiants peuvent consacrer à leur travail personnel autonome apparaît d’emblée restreint par le travail salarié [Béduwé et Giret, 2016]. En fait, les résultats de notre enquête montrent que les étudiants salariés sont plus informés des formations aux outils numériques que les étudiants non salariés (31 % versus 25 %) et y ont également plus participé (29 % versus 26 %), si bien que l’estimation de la proportion de ces étudiants touchés par les formations du SCD s’élève à 9 %, contre 6 % pour les autres étudiants. Alors que les travaux sur la réussite étudiante montrent le risque d’échec important lorsque l’activité rémunérée entre en concurrence avec les études [Gruel, 2002 ; Michaut, 2012], les différentes disponibilités des étudiants entrant en concurrence, les spécificités des étudiants salariés dans cette enquête tendent à suggérer des pratiques différentes. Ce constat apparaît en adéquation avec les récents travaux de Béduwé, Berthaud et Giret (2016) qui soulignent l’existence de pratiques d’études plus autonomes pour les étudiants salariés.

L’un des enseignements de cette enquête concerne les différences entre les sites territoriaux puisque dans les sites délocalisés, les étudiants sont moins informés des formations aux outils documentaires (13 % des étudiants contre 29 %). En revanche, lorsqu’ils les connaissent, ils ont plus fréquemment eu l’occasion d’en bénéficier (37 % versus 25 %). Ces différences territoriales font écho à des différences selon les types et filières de formations, les formations universitaires professionnelles courtes ou les écoles étant plus massivement implantées dans ces sites délocalisés que les formations universitaires généralistes de niveau licence et les masters. En effet, ce sont les étudiants des filières professionnelles courtes et ceux des écoles et instituts qui sont le moins fréquemment informés de l’existence de ces formations aux outils documentaires (respectivement 21 % et 17 %) contrairement aux étudiants de doctorat (53 %), de licences généralistes (45 %) et de masters (39 %). Concernant les filières, relevons des différences marquées entre les composantes, les étudiants des UFR étant plus fréquemment informés de telles formations (excepté en sciences et techniques) que ceux des instituts et écoles (59 % versus 17 %). S’intégrant pleinement dans le travail autonome des étudiants (hors participation aux cours), le recours à ces formations par les étudiants ne peut-il pas être lui aussi mis en regard avec certains constats sur le travail personnel des étudiants pour leurs études, en dehors du travail académique proprement dit ? Le caractère genré des pratiques étudiantes n’est plus à démontrer, les filles ayant des pratiques plus studieuses. Elles se traduisent dans cette enquête par une meilleure information concernant les formations aux outils documentaires (28 % pour 23 % des hommes) et par une adhésion importante (28 % pour 25 % des hommes). Mais en fait, ces différences entre femmes et hommes sont avant tout liées à des pratiques différentes selon les filières de formation, sachant que certaines filières/composantes sont plus féminines que d’autres (les résultats des modélisations économétriques ne mettant pas en évidence des effets liés au genre).

Le recours à l’analyse multivariée à l’aide d’une modélisation de type logistique permet de mieux cerner les effets de chacune des dimensions en éliminant les aspects liés aux répartitions différenciés des étudiants. Ainsi, la connaissance des formations aux aides documentaires est 2,7 fois plus importante en doctorat qu’en licence, 1,5 fois plus importante dans les formations professionnelles courtes et 1,3 fois plus importante en master. Si les étudiants en formation initiale sont 2,1 fois mieux informés que les étudiants en formation continue, les étudiants exerçant une activité salariée durant leurs études sont également 1,3 fois mieux informés que les non salariés. Les effets des contextes d’études sont confirmés : ceux liés aux sites territoriaux sont importants (les étudiants du site dijonnais étant 1,7 fois mieux informés que les autres), comme ceux ayant trait aux composantes (les étudiants des UFR ayant 3,3 fois plus de chances que ceux des instituts et écoles de connaître les formations du SCD).

En suivant cette même logique de modélisation, cette fois-ci appliquée au fait de suivre des formations proposées par le SCD, un nouvel éclairage est établi, puisque les effets liés au contexte d’études sont différents. En effet, lorsqu’ils sont informés de l’existence de ces formations, les étudiants des sites délocalisés ont 2,3 fois plus de chances de les suivre que les étudiants du site dijonnais. Cet effet territorial est à rapprocher du fait que les enseignants sont souvent associés à la création des formations ou des ateliers, en lien avec les enseignements que ceux-ci dispensent. Les enseignants en informent directement les étudiants, ce qui apparaît comme le meilleur moyen de faire venir les étudiants à la bibliothèque. Peu d’autres différences transparaissent entre les étudiants quant à leur probabilité de suivre ces formations lorsqu’ils en connaissent l’existence, exception faite du recours plus fréquent des doctorants (4,3 fois plus bénéficiaires que les autres étudiants, à caractéristiques égales par ailleurs).

Pour conclure, il n’est pas inutile de préciser que cette étude comporte des limites, puisqu’elle s’appuie sur les déclarations des étudiants et sur un échantillon non exhaustif. Mais notre approche souligne des pratiques différenciées dans le recours aux formations du SCD selon le contexte d’enseignement, et en pointant des différences selon le niveau de formation à l’image des travaux sur les fréquentations des bibliothèques universitaires de Paivendi (2011). Les constats sur les différences de comportement des étudiants entre sites et plus précisément pour les sites délocalisés ne sont pas à négliger. Ils interrogent autant sur l’existence des pratiques d’étude des étudiants, différentes entre sites, que sur l’existence de pratiques d’enseignement variées entre les enseignants et enseignants-chercheurs eu égard au site dans lesquels ils enseignent. Retenons qu’en pointant une homogénéité du recours aux formations documentaires par les étudiants et les étudiantes, les résultats de cette étude viennent ici à l’encontre des résultats mettant en avant des pratiques différenciées selon le genre, alors même qu’il existe des pratiques différenciées dans l’utilisation des services numériques offerts par le SCD par ces mêmes étudiants. C’est ici un constat qui vient interroger sur les facteurs expliquant l’investissement des étudiants dans leurs études via la formation documentaire. Retenons également que cette étude montre un nouvel aspect des spécificités des pratiques des étudiants exerçant un travail salarié. En effet, ces derniers accèdent non seulement de manière plus importante aux services numériques offerts par le Pôle documentation, mais ils sont également plus informés de l’existence des formations offertes par le SCD.

Bibliographie

Béduwé C., Berthaud J., Giret J.-F. et Solaux G. (2016). « Travailler tout au long de ses études : comment l’activité salariée structure-t-elle les parcours d’études dans l’enseignement supérieur ? », in M. Baslé, N. Beaupère, C. Guéguen, S. Issehnane, F. Moizeau et al. (dir.), Les transitions professionnelles tout au long de la vie. Nouveaux regards, nouveaux sens, nouvelles temporalités ?, Céreq Échanges, n° 1, p. 333-345.

Boyer R. et Coridian C. (2002), « Réapprendre à apprendre pour réussir sa première année de DEUG », L’Orientation scolaire et professionnelle, vol. 31, n° 3, p. 429-452.

Coulon A. (1999), « Un instrument d’affiliation intellectuelle : l’enseignement de la méthodologie documentaire dans les premiers cycles universitaires », Bulletin de bibliothèques de France (BBF), n° 1, p. 36-42. Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1999-01-0036-005

Duguet A. (2014), Les pratiques pédagogiques en première année universitaire : description et analyse de leurs implications sur la scolarité des étudiants, Dijon : thèse de doctorat, université de Bourgogne.

Gruel L. (2002), « Les conditions de réussite dans l’enseignement supérieur », OVE Infos, n° 2.

Gruel L. et Thiphaine B. (2004). « Formes, conditions et effets de l’activité rémunérée des étudiants », Éducation et Formation, n° 67, mars, p. 51-60.

Maresca B., Dupuy C. et Cazenave A. (2005), Enquête sur les pratiques documentaires des étudiants, chercheurs et enseignants-chercheurs de l’Université Pierre et Marie Curie (Paris 6) et de l’Université Denis Diderot (Paris 7), Paris : Crédoc, http://www.credoc.fr/pdf/Rapp/R238.pdf (consultation : 6 janvier 2012).

Michaut C. et Roche M., 2017, « L’influence des usages numériques des étudiants sur la réussite universitaire », Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur [en ligne], 33-1 | 2017, mis en ligne le 6 mars 2017. http://ripes.revues.org/1171

Michaut C. (2012), « Réussite, échec et abandon dans l’enseignement supérieur français : quarante ans de recherche », in M. Romainville et C. Michaut (éd.), Réussite, échec et abandon dans l’enseignement supérieur, Bruxelles : De Boeck, p. 53-68.

Mittermeyer D. et Quirion D. (2003), Étude sur les connaissances en recherche documentaire des étudiants entrant au 1er cycle dans les universités québécoises, Montréal : Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec.

Oberti M. (1995), « Les étudiants et leurs études », in O. Galland (éd.), Le monde des étudiants, Paris : PUF, p. 23-54.

Paivandi S. (2011), « Les pratiques studieuses d’études dans l’enseignement supérieur », in Galland O., Verley E. et Vourc’h R., Les mondes étudiants. Enquête Conditions de vie 2010, Paris, La Documentation française, coll. « Études et recherche », p. 167-176.

Perret C. (2013), « Pratiques de recherche documentaire et réussite universitaire des étudiants de première année », Carrefours de l’éducation, n° 35, p. 197-215.

Sylvestre E. (2008), Améliorer la participation aux enquêtes en ligne. Repéré à : http://www.cndp.fr/agence-usages-tice/que-dit-la-recherche/ameliorer-la-participation-aux-enquetes-en-ligne-31.htm

Thirion P. et Pochet B. (dir.) (2008), Enquête sur les compétences documentaires et informationnelles des étudiants qui accèdent à l’enseignement supérieur en Communauté française de Belgique, Bruxelles : Conseil interuniversitaire de la Communauté française de Belgique [CIUF] ; EduDOC.

 

Notes

1. 1. Voir la contribution de Cathy Perret et Alexandre Fournier, « Le recours aux services numériques du SCD par les étudiants. Le cas de l’université de Bourgogne », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 13 juillet 2018. En ligne : http://bbf.enssib.fr/contributions/le-recours-aux-services-numeriques-du-scd-par-les-etudiants

2.2. Le taux de réponse à cette enquête s’élève à près de 7 %, ce qui peut apparaître a priori faible, mais il apparaît relativement conforme à d’autres enquêtes menées auprès des étudiants sur cette thématique [Michaud et Roche, 2017 ; Sylvestre, 2008].

3. 3. Les analyses multivariées regroupent un ensemble de méthodes statistiques permettant l’analyse d’un phénomène par l’étude des relations entre deux et plusieurs variables.

4. 4. Ces types de modélisations statistiques sont utilisés pour comprendre des phénomènes mesurés par des réponses non numériques (c’est-à-dire qualitatives) lors de réponses à une enquête, par exemple lorsque les enquêtés répondent oui ou non à une question.

Les bibliothèques universitaires en mutation

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« Tous les hommes désirent naturellement savoir. »
Introduction de La Métaphysique d’Aristote

 

« Un mensonge peut faire le tour de la terre, le temps que la vérité mette ses chaussures. »
Attribué à Mark Twain111


Résumé d’une recherche doctorale en 2018 déposée dans Hal, cet article repose la question de l’avenir des bibliothèques universitaires que l’on craignait menacées par l’émergence du numérique. Le plan annuel de performance 2018 du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche anticipe une érosion de la fréquentation globale des BU. En revanche, « L’État de l’enseignement supérieur et de la recherche 2» de juillet 2018 observe une augmentation des entrées dans plus des deux tiers des établissements, confirmée par les professionnels dans les bibliothèques récentes, les mieux adaptées à l’évolution des publics. Quand on les interroge, leur expérience ces dernières années semble montrer une évolution plurielle infirmant le cliché que le numérique renverse l’ancien monde comme une avalanche couche une forêt. La question existentielle de l’avenir des bibliothèques resterait ainsi à explorer 3.

Les bibliothécaires n’ont pas ménagé leurs efforts ces dernières années pour s’adapter et préserver leur rôle, apparu à l’âge de l’écrit dans la conservation et la médiation des savoirs. De nouvelles pratiques en termes pédagogiques, de médiation ou d’action culturelle, ont émergé dans les BU, intégrant les concepts de Learning Center et de troisième lieu 4. Des financements publics sans précédents ont permis depuis vingt-cinq ans la création et la restructuration de nombreux bâtiments.

BU La Garde, université de Toulon – © Duchier Pietra architectes


Pour déchiffrer l’avenir, la recherche ici présentée se penche dans une première partie sur le passé, avec le dessein de repérer dans la relation entre les supports de la communication et la médiation des savoirs des évolutions ou des permanences, que l’on puisse extrapoler au regard des bibliothèques. Son analyse emprunte à la médiologie, laquelle « s’efforce de comprendre comment une rupture dans nos méthodes de transmission et de transport suscite une mutation dans les mentalités et les comportements 5… ». Partant des origines, nous revisiterons les conséquences du passage de l’oral à l’écrit sur la médiation des savoirs et l’émergence des bibliothèques, puis lors du passage au support numérique. Cette histoire pose ainsi trois âges : oral, écrit et unimédia 6, l’écrit pouvant être subdivisé en deux sous-périodes (manuscrit et imprimé).

De cette histoire où les professionnels retrouveront nombre d’éléments connus, nous tâcherons dans une deuxième partie de poser des hypothèses schématisant les invariances ou permanences dans la relation entre supports, médiations des savoirs et bibliothèques, pouvant nous éclairer sur leur avenir.

LES TROIS âGES

Au commencement était le verbe

Dans un monde avant l’écrit, « le langage oral est un média central 7». Le pouvoir de l’orateur est grand 8. Il suffit au Créateur dans la Genèse de dire pour que le monde soit 9, aux mages de prononcer des formules. Proverbes et dictons font loi. Les mythes – récits et représentations 10– véhiculent et conservent les explications fondamentales. Comment la médiation des savoirs en est-elle conditionnée ?

Pour Pierre Levy 11, « grâce au langage nous avons un accès direct au passé sous la forme d’une immense collection de souvenirs ». Mais l’oral étant limité par la mémoire, l’accumulation et la transmission des connaissances sont contraintes. Les explications sont courtes : la création du monde que nous transmet la Genèse dure six jours, à comparer aux 13,4 milliards d’années des théories actuelles… Le mythe, récit métaphorique parfois violent, générateur d’émotions facilitant la mémorisation, est l’outil efficace de la transmission. Le rythme et la versification poétiques y participent. L’Odyssée est le chant d’un aède aveugle, la perte de la vue étant supposée stimuler la mémoire 12. Les règles de la vie en société sont simples : le principe du Talion.

Dans ce monde, les savoirs sont donc limités mais également instables comme l’a démontré Jack Goody en étudiant le « Bagre » africain. Les interprétations de ces récitals qu’il a enregistrés pendant quarante ans de cette culture orale encore disponible se sont montrées d’une grande variabilité, les interprètes ne pouvant tout retenir, brodant et réinventant. Justifiant le fameux adage selon lequel lorsqu’un sage meurt, c’est une bibliothèque qui brûle.

Émergence de l’écrit et des bibliothèques

Une écriture reconnue comme telle apparaît en Mésopotamie et en Égypte il y a 5 000 ans, puis un alphabet phonétique en Crête au IIe millénaire avant J.-C., promu par les commerçants phéniciens pour la copie des langues entendues dans leurs voyages. L’alphabet ionien est officiellement unifié en 403 à Athènes, format de communication des textes à travers la Méditerranée égéenne, près de 2 400 ans avant l’HTML, sans doute plus éphémère…

Quelles conséquences sur la création et la médiation des savoirs ? Pour Henri-Jean Martin, « le recours au graphisme semble avoir exprimé le besoin éprouvé par l’homme de visualiser, en les fixant, ses interprétations du monde extérieur pour les mieux définir […] et transmettre son savoir à ses semblables13». L’écrit sécurise la médiation entre les générations. D’après Daniel Boorstin, qui fut directeur de la Public Library de New York, nous ne connaîtrions pas Marco Polo sans le hasard d’une rencontre en prison avec un écrivain public à qui il a raconté son histoire 14. En dehors du fait qu’il est fixé sur un support, l’écrit est par sa structure même un outil de conservation. Cédric Villani montre que la codification rigoureuse de l’écriture des mathématiciens fait qu’elle est « vecteur de sens et vérification mécanique15» : quand on ouvre une parenthèse, il faut la fermer.

L’écrit transmettra jusqu’à nous les mythes et représentations antiques. Les religions du verbe se renforceront en religion du livre grâce à la conservation et à la diffusion sur un support tangible. Idem pour un philosophe de l’oralité comme Socrate via Platon. Pour Patrick Boucheron, une révolution technologique renforce d’abord l’âge précédent 16.

Mais l’écrit a permis ensuite de s’émanciper des paradigmes précédents, outil de représentations et de réflexions plus complexes. Les briques des savoirs antérieurs capitalisés par l’écrit permettent en effet une construction créatrice de nouveaux savoirs, comme un dictionnaire donne à comprendre un concept par l’assemblage de concepts précédents. « Rien n’est donné tout est construit» pour Bachelard 17.

L’écrit permet d’abord d’allonger la logique linéaire du verbe, d’exploiter la dialectique pour en extraire une synthèse 18. Suivant la méthode cartésienne 19, il permet de poser des hypothèses et de décortiquer les éléments d’une analyse pour les recomposer en théorie. L’écrit est nécessaire aux mathématiques. Il permet de dépasser la linéarité logique en complexifiant le raisonnement en catégories, en structures et en systèmes 20, de développer un raisonnement complexe multidimensionnel.

On passerait ainsi d’un âge des mythes, histoires simples et émotives, à un âge plus complexe des théories ; avec une continuité, les mythes transmis par l’écrit restant présents dans nos représentations.

Qu’en est-il des bibliothèques ? Leur apparition avec l’écrit les positionne comme l’outil par excellence de médiation des savoirs pendant cet « épisode » de notre histoire. La bibliothèque à vocation encyclopédique du Lycée d’Aristote en 335 av. J.-C. ou celle du musée d’Alexandrie en 288 en sont des références originelles, instruments avant tout de conservation. La « seconde révolution du livre », avec l’imprimerie à caractères mobiles à partir de 1450 en Europe, multipliant les exemplaires et les bibliothèques, diffusera la lecture et les savoirs hors des élites monastiques ou princières.

Comme on l’a vu, l’innovation commence souvent par reproduire les modèles précédents. La première œuvre d’envergure de Gutenberg sera la reproduction en 1452 de la Bible. L’imprimerie cherchera d’abord à ressembler aux manuscrits, avec par exemple des fins de ligne justifiées à droite. L’imprimerie ne véhiculera que dans un second temps de nouvelles thèses comme celles de la Réforme au XVIe siècle. On lui attribue surtout un rôle dans la propagation des Lumières en Europe 21, la multiplication des textes dans les bibliothèques permettant leur comparaison et suscitant l’esprit critique. La citation recule face à la méthode 22.

L’ère du numérique et de la simulation

Dès le XIXe siècle apparaissent de nouveaux supports à l’origine d’un nouvel âge de la médiation, notamment des savoirs.

Il s’agit des innovations de la simulation, offrant des représentations du réel directement sensibles, analogiques dans un premier temps, comme la photo ou l’enregistrement sonore. La combinaison du son et de l’image donnera ce qu’on a appelé plus tard le multimédia, proposant encore plus de facilités cognitives à la représentation et à la médiation.

Cette première étape entraîne l’apparition d’unités multimédias dans les bibliothèques 23, les bibliothécaires devant évoluer mais sans que leur existence soit remise en cause.

L’ère de la simulation s’accomplit pleinement dans un deuxième temps avec le numérique. « Le numérique, c’est la virtualité et les réseaux» pour Xavier de La Porte 24. L’accès se généralise via l’internet et les innovations de portabilité (tablettes, smartphones). Le numérique, c’est aussi la mémoire. À l’âge de l’oralité, un cerveau humain ne pouvait mémoriser que l’équivalent de quelques livres (l’inconscient est plus puissant mais on ne l’a pas facilement à disposition). Si l’écrit a permis de mieux « capitaliser » les savoirs pour en construire de nouveaux, à l’âge du numérique ce sont de véritables banques de données qui sont constituées. La capacité de stockage numérique est néanmoins limitée par l’énergie, qui serait équivalente actuellement à celle brûlée par le transport aérien 25, et dans le temps par l’obsolescence rapide des formats et des supports.

Apparaît un unimédia transportant partout dans un format numérique unique nos représentations sur un mode sensible. Le périmètre du réel simulé par le numérique s’élargit, modifiant progressivement la médiation des savoirs et la pédagogie dans de nombreuses disciplines : en biomécanique, dans nos facultés de STAPS ou en médecine, le fonctionnement des organes du corps humain est représenté et analysé par des simulations. L’hypertexte, interactif et non linéaire, est adapté à nos fonctionnements cognitifs 26. Les réseaux dynamisent les échanges itératifs créateurs de savoirs.

Alors les paradigmes peuvent à nouveau changer. « Le numérique est devenu une civilisation. En effet il modifie nos regards sur les objets, les relations et les valeurs27. » Chris Anderson annonce, dans son article « The end of theory 28», un bouleversement de la méthode scientifique hypothético-déductive grâce au « déluge de données », la puissance calculatoire permettant de découvrir des corrélations et régularités statistiques sans hypothèses.

L’unimédia a des conséquences sur l’élaboration mais aussi la médiation des savoirs. Comme l’imprimé en son temps, le numérique démocratise l’accès. Une bibliothèque universitaire de province n’offrait à ses lecteurs que quelques centaines de revues scientifiques à l’époque de l’imprimé, contre des dizaines de milliers en ligne aujourd’hui. En revanche, les apports cognitifs sont controversés. Pour Stanislas Dehaene 29, les processus cérébraux disposant d’une plasticité, le cerveau serait en train de se transformer comme sous l’Antiquité avec l’alphabet. Pour d’autres, les facilités de l’unimédia affaibliraient les facultés de concentration. Étienne Klein raconte qu’il a cessé d’enseigner à l’École centrale une démonstration devenue trop longue pour ces élèves pourtant brillants. Déjà au temps de l’analogique, André Malraux, dans Les chênes qu’on abat, tempêtait : « La télévision nous montre sans équivoque [..] la différence entre le charabia de la parole et l’écriture », le langage fixant des valeurs « semblant aller de soi » pour Roland Barthes dans Mythologies. Les réseaux sociaux produiraient un retour des explications mythologiques.

Confrontées ainsi à l’effervescence des transformations générées par l’unimédia, comment les bibliothèques, outil par excellence des médiations de l’écrit, peuvent-elles conserver un rôle dans la médiation des savoirs ? La chronologie depuis les origines que nous avons esquissée des relations entre supports, médiations et bibliothèques atteste d’importantes évolutions, susceptibles en effet de les menacer. Mais cette histoire n’a-t-elle pas révélé à l’inverse des permanences, susceptibles de les pérenniser ?

MÉDIATION DES SAVOIRS ET BIBLIOTHÈQUES :
QUELQUES INVARIANTS

Des invariants constatés dans l’histoire que nous avons ébauchée pourraient, en les extrapolant, nous rassurer (bien que l’historien ne soit que le prophète du passé pour Hegel). Voici quelques hypothèses dont les fondations restent à approfondir.

Reproduction : chassez l’humain…

« L’esprit aime mieux ce qui confirme son savoir que ce qui le contredit», écrivait Bachelard 30. On ne rompt qu’avec prudence ses habitudes. Avant de transformer les paradigmes, nous avons vu que les livres, grâce aux copistes puis à l’imprimerie, ont d’abord reproduit et transmis les mythes antiques, représentations de l’âge de l’oralité. Frédéric Barbier, dans son Histoire du livre, évoque la théorie de la reproduction 31. Les habitudes de pensée mais aussi les intérêts en place poussent à maintenir et reproduire les modèles précédents.

À l’arrivée du numérique, comme à l’avènement de l’imprimerie, on constate un tropisme à reproduire les livres anciens. La BNF créa Gallica en mode image, le XIXe siècle étant le plus représenté. La mise à disposition de nouveautés sous forme numérique par les éditeurs français, craignant pour leurs intérêts, est peu empressée. Le livre audio connaît, il est vrai, un essor récent.

Du côté des revues, après l’expérimentation Tulip en 1992 32, la diffusion numérique de l’actualité des résultats scientifiques s’est accélérée avec ScienceDirect en 1997. Mais le choix fut naturel de conserver la présentation ancienne des revues grâce au PDF, participant à pérenniser l’usage des revues en place. L’éclosion de l’open access (OA) est lente. L’intérêt en termes d’évaluation pour les enseignants-chercheurs de continuer à publier chez les grands éditeurs pérennise le modèle marchand. Bourdieu serait affligé de cette vérification des thèses du libéral Milton Friedman, l’intérêt personnel d’agents publics primant sur l’intérêt général. La loi sur le numérique de 2016 commence heureusement à faire évoluer la situation en autorisant la recherche publique à mettre en OA après un embargo de six mois (un an pour les SHS).

Des résistances sont ainsi repérables, tendant à maintenir l’ordre ancien. Déjà à la césure de l’oral et de l’écrit, Platon plaidait que l’écrit menaçait la dialectique. À l’avènement du papier en Chine peu avant notre ère, pour Tchouang-tseu, « les discours que le monde transmet par des livres et qu’il considère comme précieux sont sans valeur33». Si pour Max Weber le progrès technique tend à s’imposer, l’offre technique n’est pas toute-puissante face à la demande. Au XXIe siècle, malgré l’omniprésence des écrans, la demande de spectacle vivant paraît n’avoir jamais généré autant d’entrées 34, ce qui devrait rassurer les inquiétudes anticipant l’ampleur d’une déshumanisation induite par le numérique et l’intelligence artificielle. Il semble que le besoin et la demande « d’humain » perdurent, qu’ils puissent même être paradoxalement renforcés par le développement des simulations numériques. Rappelons l’effet jogging de Régis Debray, en réaction à la civilisation automobile, pour qui le progrès technique entraîne des progrès rétrogrades. Tant que la demande de service humain sera solvable ou subventionnée, pourquoi serait-il condamné ? Même Ellon Musk, regrettant la construction d’une de ses usines à 100 % robotisée, a avoué qu’« on sous-estime les humains35».

Dans le contexte des bibliothèques, cette observation renvoie au point de vue de Bertrand Calenge pour qui « la désintermédiation crée un besoin de médiation» : l’accès direct sur internet à l’information sans référent visible (professeur, journaliste…) est générateur d’un besoin d’aide et d’accompagnement nécessitant de remettre de l’humain dans la médiation. Bertrand Calenge a ainsi légué un testament d’espoir à ses collègues bibliothécaires.

Superposition et remédiation

Pour Dominique Cardon, « la nouvelle technologie ne se substitue pas à l’ancienne mais se superpose36». L’écrit n’a pas éliminé le chant, la poésie, les mythes et les discours. La télévision n’a pas fait disparaître le cinéma, lequel résiste plutôt bien en France 37. La prédiction de Victor Hugo annonçant « l’écrit tuera l’architecture38» reste discutable. On pourrait ainsi douter que l’unimédia fasse totalement disparaître le livre. Il semble que l’on obtienne plutôt une sédimentation par superposition des médias chronologiquement successifs.

La géologie à faire de ces couches superposées montrerait certes l’écrasement de certaines technologies (la photographie analogique). Elle montrerait une porosité entre les couches : nos écrans domestiques sont alimentés par le cinéma, qui est en partie nourri par la littérature, nourrie elle-même par les mythes. Au final, la guerre de Troie successivement re-médiée surgit dans nos foyers via les blockbusters et les jeux vidéo. Cette re-médiation s’exécute de la même façon concernant la médiation des savoirs, pour le meilleur et pour le pire. Par exemple, si les sciences de la nature sont excellemment représentables en image, si l’apprentissage des langues a été révolutionné dans les médiathèques, en revanche la médiation des phénomènes économiques complexes est incompréhensible dans l’oralité omniprésente des talk-shows. Les réseaux sociaux sont saturés d’explications mythologiques émotives. Sur Twitter, les informations fausses se propagent plus vite et plus largement que les vraies, d’après une étude du MIT 39 : les tweets « vrais » ne touchent pas plus de 1 000 personnes alors que les « faux » en atteindraient jusqu’à 100 000. « Un mensonge peut faire le tour de la terre, le temps que la vérité mette ses chaussures», aurait dit Mark Twain 40.

Dans les bibliothèques, on peut retrouver cette géologie. Au sein des collections princières, les imprimés se sont ajoutés aux manuscrits. L’émergence des médiathèques a concrétisé au XXe siècle cet empilement des supports. L’étape du numérique a généré un nouveau modèle de bibliothèques dites mixtes 41 ou hybrides que le rapport Orsenna nomme « un objet nouveau 42», les collections numériques cohabitant avec les collections imprimées et analogiques.

Ainsi une disparition des bibliothèques, clôturant l’épisode anthropologique d’une médiation des savoirs dominée par l’écrit, est loin d’être annoncée par l’histoire que nous avons reconstituée. Les hypothèses de reproduction et de résistance, de superposition et de remédiation, lesquelles nécessitent d’être approfondies, alimentent la thèse d’une possible pérennité. Les nouvelles technologies génèrent de nouveaux paradigmes tout en maintenant des paradigmes précédents 43, mêlant paradoxalement invariances et « disruptions » pour employer un langage à la mode. L’audiovisuel avait réintroduit une oralité primitive déplorée par Malraux, au point d’interdire les télévisions dans certaines familles de bibliothécaires. L’écrit reste finalement assez présent sur nos smartphones. Avant la parution de la première revue scientifique Philosophical Transactions 44 et du Journal des savants en 1665, la communication était surtout épistolaire entre chercheurs. Le mail et les réseaux sociaux ont revitalisé ces pratiques, unissant, après la République des Lettres, une autre forme de communauté.

EN FORME DE CONCLUSION

Alors que faut-il craindre ou espérer pour les bibliothèques universitaires ? S’il est vrai que le livre résiste, que l’on construit encore des bibliothèques, il existe des accidentés de l’histoire du numérique : la valeur des actions de Kodak a été divisée par 10 ces cinq dernières années.

Au gré des transformations et des permanences observées par vingt ans d’expérience professionnelle et par cette recherche médiologique dont les hypothèses restent à compléter, se dessinent des bibliothèques hybrides répondant par des services diversifiés à des besoins pluriels.

S’emparant du numérique, les bibliothécaires se sont adaptés à toutes les innovations, depuis l’informatisation des catalogues jusqu’à la science ouverte. Nous avons beaucoup amélioré les bibliothèques physiques, à la faveur de constructions nombreuses depuis une génération. La qualité des lieux documentaires, la diversification des services, la présence des personnels (titulaires ou étudiants), furent les moyens de compenser la désintermédiation amenée par le numérique. Le bibliothécaire reste un acteur important d’une médiation définie comme un accompagnement 45 humainement intelligible complémentaire des flux automatisés. La formation en méthodologie documentaire y participe, la vigilance traditionnelle sur la qualité scientifique des sources rejoignant le nouvel enjeu sociétal des infox. Le sondage BVA du 22 mars 2018 sur « les Français et les fake news 46» montrait un niveau de croyance inversement fonction du niveau d’éducation. La rumeur est « le plus vieux média du monde 47». Si l’accès numérique fut un facteur d’égalité, pour que cette égalité soit réelle l’éducation à l’usage des nouveaux médias ne doit pas être oubliée. Les bibliothèques universitaires ne peuvent pas laisser passer ces cohortes de jeunes citoyens sans participer à l’éducation qui doit leur être donnée sur la vérification de l’information. L’ADBU s’est justement emparée de cette nouvelle frontière à l’occasion d’une journée d’étude le 5 juin 2018 48.

L’ouverture élargie de services et de lieux confortables de travail dans des horaires de plus en plus étendus est également facteur d’égalité. Les bibliothèques récentes, multipliant salles de travail en groupe, salles à pédagogie innovante, cafés et espaces conviviaux, se sont positionnées au sein des campus comme des lieux d’échanges, de vie et de travail, suivant les concepts de Learning centre et de troisième lieu. Bertrand Calenge était critique quant à un troisième lieu limité à une sorte de « club anglais […] dissociant la bibliothèque de ce qui la fonde, la transmission du savoir, en particulier par le partage49». On voit se développer dans nos BU une forme de médiation entre pairs, se mêlant aux précédentes, fruit de l’échange entre étudiants au sein des nouveaux espaces qui connaissent un remarquable succès. Cette forme de médiation fait dire à Eppo van Nispen, directeur de la bibliothèque publique de Delft que « la meilleure collection d’une bibliothèque, c’est le public50». Plus que jamais, personne n’est seul en bibliothèque.

Si pour un philosophe comme Aristote, dans l’introduction de sa Métaphysique, « tous les hommes désirent naturellement savoir», pour les économistes l’information est un besoin dont la demande est infinie tant que, vision prométhéenne, nous ne sommes pas Dieu. Les bibliothèques universitaires comme lieux de médiation plurielle des savoirs démontrent une capacité à se transformer pour répondre à cette demande évolutive, mais où la dimension humaine semble permanente. Cette adaptation d’une profession concernée très tôt par le numérique est propre à encourager certains métiers qui s’inquiètent sur leur avenir.

Dans la transmission des savoirs, d’après l’historien Patrick Boucheron, on peut « avoir plusieurs cordes à son arc51». Les BU pourront continuer à jouer un rôle dans les couches diverses de la médiation en adaptant leurs services, sous réserve des moyens nécessaires fournis par leurs tutelles car n’oublions pas que leur gratuité est un avantage décisif dans un paysage informationnel concurrentiel, et en s’appuyant sur des lieux dont l’architecture et les aménagements doivent rester ambitieux.

On pourrait imaginer que, dans quelques décennies, les étudiants travaillent dans des bâtiments nommés toujours Bibliothèque, sans connaître leur sens originel de Lieu des livres, comme on ignore souvent qu’Académie vient du lieu où Platon enseignait, près du tombeau d’Academos, dont le mythe nous rapporte qu’il aurait sauvé Athènes de la destruction.

 

1. Cité sans source par http://dicocitations.lemonde.fr. Pour le site expert Quoteinvestigator.com, « there is no substantive support for assigning the saying to Mark Twain ». https://quoteinvestigator.com/2014/07/13/truth/

2. https://publication.enseignementsup-recherche.gouv.fr/eesr/FR/EESR-FR.pdf

3. Christine Leroy, « Vers la fin des bibliothèques ? », Sciences Humaines, 2017, Grands dossiers n° 46. https://www.scienceshumaines.com/vers-la-fin-des-bibliotheques_fr_37782.html

4. Mathilde Servet, « Les Bibliothèques troisième lieu », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2010, n° 4, p. 57-63. Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2010-04-0057-001

5. https://mediologie.org/ancien-site/presentation/

6. Intégration sur un support numérique unique des différents médias, ou âge numérique du multimédia. Cf. Joël de Rosnay, L’homme symbiotique, Seuil, 1995.

7. Frédéric Barbier, Histoire des bibliothèques, d’Alexandrie aux bibliothèques virtuelle, Armand Colin, 2013.

8. Brigitte Boudon, « Aristote : le pouvoir de l’orateur », Sciences Humaines, 2017, Grands dossiers, n° 46.

9. Logos est la seconde personne de la Sainte Trinité, dans l’Évangile de saint Jean, le Verbe incarné.

10. Cf. la définition du Dictionnaire de l’Académie française.

11. Pierre Levy, Qu’est-ce que le virtuel ?, La Découverte, 1995

12. Aristote, Éthique à Eudème, 1248b.

13. Henri-Jean Martin, Histoire et pouvoir de l’écrit, Albin Michel, 1996.

14. Daniel Joseph Boorstin, Les découvreurs, Robert Laffont, 1986.

15. Conférences du Collège méditerranéen des libertés, université de Toulon, 17 avril 2012

16. Patrick Boucheron, Place de la toile, émission diffusée le 18 janvier 2014 à 18 h sur France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/place-de-la-toile/des-cisterciens-google-le-regard-dun-medieviste-sur-le-numerique

17. Gaston Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Librairie philosophique J. Vrin, 1938.

18. Johann Gottlieb Fichte, Doctrine de la science : exposé de 1812, Presses universitaires de France, 2005.

19. Cf. les quatre règles du Discours de la méthode de Descartes.

20. Jean-Louis Le Moigne, La théorie du système général : théorie de la modélisation, Presses universitaires de France, 1977.

21. Comme la propagation plus tard du modèle américain par l’audiovisuel.

22. Sylvie Fayet-Scribe, « Chronologie des supports, des dispositifs spatiaux, des outils de repérage de l’information », Solaris [en ligne], septembre 1997 : http://gabriel.gallezot.free.fr/Solaris/d04/4fayet_0intro.html

23. Et même de médiathèques comme à Rennes II.

24. Ce qui nous arrive sur la toile, France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/ce-qui-nous-arrive-sur-la-toile

25. Georges Chapoutier, Michel Lagues et Denis Beaudouin, L’invention de la mémoire, CNRS Éditions, 2017.

26. Raffaele Simone, Pris dans la toile : l’esprit aux temps du web, Gallimard, 2012.

27. Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, Seuil, 2011.

28. Chris Anderson, « The end of theory », Wired, 23 juin 2008. https://www.wired.com/2008/06/pb-theory/

29. Stanislas Dehaene, Les neurones de la lecture, Odile Jacob, 2007.

30. Gaston Bachelard, op. cit.

31. Voir aussi : Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La reproduction : éléments pour une théorie du système d’enseignement, Les Éditions de Minuit, 1970.

32. « The University Licensing Program » d’Elsevier avec neuf bibliothèques universitaires américaines.

33. P. Dupré, Encyclopédie des citations, Éd. de Trévise, Paris. 1959.

34. Le ministère de la Culture a lancé au 1er juillet 2018, SIBIL, un observatoire qui centralisera les données de billetterie sur les arts de la scène.

35. 24 avril 2018, 13 h 58, BFM Radio.

36. Mathieu Vidard, La tête au carré, diffusé le 7 juin 2016, France Inter.

37. Centre national de la cinématographie et de l’image animée, « Bilan 2017 du CNC » : https://www.cnc.fr/cinema/etudes-et-rapports/bilans/bilan-2017-du-cnc_559489

38. Max Milner, « Quoi tuera quoi ? Les enjeux de l’invention de l’imprimerie chez Victor Hugo et Gérard de Nerval », Livraisons de l’histoire de l’architecture, mis en ligne le 10 décembre 2012 : http://journals.openedition.org/lha/251

39. S. Vosoughi et al., « The spread of true and false news online », Science, vol. 359, p. 1146-1151, 2018.

40. Voir note 1.

41. Bertrand Calenge, op. cit.

42. Rapport d’Erik Orsenna et Noël Corbin, Voyage aux pays des bibliothèques : lire aujourd’hui, lire demain, Ministère de la Culture / La Documentation française, février 2018.

43. Patrick Boucheron, op. cit.

44. http://rstl.royalsocietypublishing.org/

45. Olivier Chourrot, « Le Bibliothécaire est-il un médiateur ? », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2007, n° 6, p. 67-71. Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2007-06-0067-001

46. https://staticswww.bva-group.com/wp-content/uploads/2018/04/BVA-La-villa-numeris-Les-Français-et-les-Fake-news-Pour-publication.pdf

47. Jean-Noël Kapferer, Rumeurs : le plus vieux média du monde, Seuil, 1987.

48. https://adbu.fr/category/journees-etude/#

49. https://bccn.wordpress.com/2012/02/12/la-sideration-du-troisieme-lieu/

50. José Cucurullo, « Stupeur et agacement autour d’une matérialisation de l’étrange », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 2009, n° 6, p. 79-81. Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2009-06-0079-001

51. Patrick Boucheron, La Grande Table, diffusé le 22 mai 2018 à 13 h 07, France Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-2eme-partie/lhistoire-entre-en-scene-avec-patrick-boucheron

Une modeste proposition – Pour des négociations collectives de nos licences nationales

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Engageant dès leur signature des dépenses importantes, les négociations portées par le consortium Couperin, en particulier dans le cas des licences nationales, sont menées suivant une méthode dont ces lignes interrogent la performance avant de proposer une alternative plus transparente et collaborative, dont on peut imaginer qu’elle serait plus efficace in fine.

Contexte

Le 16 avril 2019, le blog The Sound of Science 1 diffusait une lettre d’accord de principe 2 datée du 11 avril 2019, envoyée par la présidente du consortium Couperin à l’éditeur Elsevier, et esquissant un protocole d’accord à finaliser entre les parties engagées dans la préparation de la licence nationale Elsevier prévue pour s’étendre de 2019 à 2022.

Dans ce courrier, au-delà de l’esquisse d’un certain nombre de dispositions pour le moins discutables 3 et ayant donné lieu à plusieurs prises de positions officielles de structures concernées au premier chef 4, le point 8, intitulé plus précisément « Communication et confidentialité », ne laissait pas de surprendre, sa teneur valant bien qu’on le cite in extenso :
 

« À défaut de confidentialité, clause contraire à la politique de transparence engagée par le gouvernement français et que nous ne pouvons de toute façon pas assurer, Elsevier et Couperin assureront une communication officielle coordonnée concernant les contenus de l’accord.
Ce projet d’accord ouvre la voie — sous la condition de consolider préalablement l’engagement des établissements sur cette base — vers la signature par Couperin, l’ABES et Elsevier d’un protocole d’accord. L’accord sera rendu public au plus près de la signature du protocole, qui sera suivie de la rédaction du marché public concrétisant juridiquement la licence nationale 2019-2022. » 5

À la lecture, ce point 8 réussit la performance d’indiquer que le consortium ne peut assurer la confidentialité des accords le liant à Elsevier tout en traçant une démarche de publicisation d’un protocole au plus tard possible, ce qui ressemble tout de même bien à une intention de confidentialité sans doute d’ailleurs très fortement demandée/attendue par l’éditeur.

Ici émerge à nouveau le débat entre, d’une part, les partisans d’une transparence la plus poussée possible autour des négociations menées par le Consortium ; et d’autre part, les tenants d’une discrétion de bon aloi seule à même, selon ses supporters, de permettre de mener au plus les gains desdites discussions commerciales.

Rappelons à cet égard le fonctionnement des montages de licence nationale : après enquête vers les établissements, élaboration de différents scénarios puis définition et validation d’un mandat 6 par Couperin, une poignée (trois personnes pour la licence nationale Elsevier, selon le site Couperin) de collègues courageux/courageuses, dont il faut souligner ici l’engagement comme le travail, se chargent pour le consortium de la négociation avec le fournisseur, jusqu’à l’aboutissement d’un accord signé puis rendu (relativement) public dans ses composantes financières et ses conditions détaillées.

Ce fonctionnement, s’il participe à l’élaboration d’un mandat issu a priori d’un consensus, pose problème à plus d’un titre :

  • il abandonne en frontal face à des commerciaux qu’on imagine particulièrement aguerris et habiles une toute petite poignée isolée de négociateurs/négociatrices supportant seule le poids important d’une négociation à très fort enjeu ;
  • la loi du silence pèse globalement sur les discussions, même si l’équipe de négociateurs joue les go-between entre l’éditeur et certains sous-ensembles de la communauté concernée, entre autres via des listes de diffusion restreintes 7 ;
  • les échanges préalables à l’élaboration du mandat de négociation et les informations d’étape éventuelles ont, selon toute apparence, tendance à ne pas « descendre » les échelons hiérarchiques des établissements, les principaux acteurs étant positionnés dans les établissements à des niveaux hauts des organigrammes (présidents, vice-présidents, directions des bibliothèques, de laboratoires, etc.) qui ne pensent pas nécessairement, pour diverses raisons (manque de disponibilité, de temps, cloisonnement des structures concernées, logiques décisionnelles purement verticales, etc.), à solliciter/informer leurs N–X de terrain ;
  • les membres de la communauté concernée n’ont pas la possibilité individuelle de se prononcer publiquement pour ou contre tel ou telle point/condition et/ou de discuter le détail précis des points/conditions, la logique de mandat ajoutée au fonctionnement hiérarchique traditionnel limitant ici de fait le nombre de personnes informées et en mesure d’intervenir.

Au final, ces processus demeurent très largement verticaux et opaques, à l’agent comme au chercheur, sans parler du citoyen lambda qui, lui, n’entendra jamais parler, ni ne pourra participer à des discussions commerciales où s’engagent pourtant des centaines de millions d’euros d’argent public.

Vers l’ouverture

Face à ces pratiques relevant d’un temps à présent dépassé, en notre époque qui a enfin compris que la transparence était un élément fondamental des politiques publiques, on ne peut alors s’empêcher de penser à des pratiques que l’on voit émerger, engageant une communauté dans des processus de discussions et de décisions réellement collaboratifs.

Si ces méthodes de démarches participatives citoyennes se répandent (conseils citoyens ou locaux, budget collaboratif, etc.), le plus bel exemple récent est sans doute la phase préalable à la rédaction de la loi pour une République numérique, dite loi Lemaire qui, utilisant un outil particulièrement bien conçu 8, a permis de rassembler, dans les quelques jours s’étant écoulés du 26 septembre 2015 au 18 octobre 2015, 8 492 contributions, 147 549 votes, et 21 4729 participants – une performance à saluer sur un sujet pour le moins aride.

En l’occurrence et concernant les négociations évoquées ici, dont en particulier les licences nationales de type Elsevier, une démarche innovante pourrait être la suivante :

  1. un groupe de collègues est chargé de la négociation (ce point ne change pas) ;
  2. une enquête préalable large permet de recueillir les avis et intentions de la communauté entière, dans toutes ses composantes ou comités et sa riche diversité (versus le modèle actuel d’enquête, fermée et ne consultant que les établissements – entendre, ne recueillant que quelques dizaines de réponses d’institutions qui, en tout état de cause, n’ont certainement pas le temps de répercuter vers tous les professionnels la constituant les interrogations soulevées par l’enquête) ;
  3. cette enquête esquisse le cadre général de la négociation. Une première mouture de texte détaillant la future licence est rédigée au sein du consortium, devenant ainsi la proposition initiale soumise à la communauté durant un temps limité via un outil en ligne ouvert à tout public idéalement ; à la seule communauté concernée, éventuellement ;
  4. des commentaires, amendements, suggestions, sont apportés à cette mouture, chaque commentaire, amendement, suggestion, pouvant faire l’objet d’un vote pour ou contre par les autres participants, entendre qu’on peut le/la pousser en avant ou le/la rétrograder, de manière à ce que les propositions les plus intéressantes aux yeux de la communauté émergent ;
  5. à la fin de la période de consultation, le groupe négociant fait la synthèse des propositions et en tire sa feuille de route pour un premier round de négociations avec le fournisseur ;
  6. de retour dudit round, le groupe négociant dispose d’une nouvelle mouture à soumettre à la communauté ;
  7. retour au point 4, jusqu’à épuisement des ajouts/modifications/amendements et/ou l’obtention d’un résultat de négociation convenant à l’ensemble des personnes engagées dans la discussion.

Évidemment, cette manière de travailler serait réservée aux seules licences nationales dépassant une barre financière au-delà de laquelle toute négociation devrait impérativement utiliser cette méthode conforme aux objectifs de transparence déjà évoqués, et dont on peut penser qu’elle recèle plusieurs avantages :

  • le fait de rendre public d’emblée toute ébauche d’accord, comme les multiples versions de travail des accords en cours d’écriture, éviterait de passer à côté d’un loup caché dans les textes par le fournisseur, en vertu du principe évident que plusieurs regards repèrent mieux les loups ;
  • cette démarche permettrait de s’assurer au fil de l’eau de l’adhésion permanente de la communauté concernée ;
  • la discussion ouverte conforterait la position de l’équipe négociante, en mesure de s’appuyer sur une base arrière visible et multiple s’étant exprimée publiquement ;
  • cette méthode embarquerait largement ladite base, et tout particulièrement l’ensemble des chercheurs, en la responsabilisant dans ses positions comme dans ses silences, ce dernier point participant d’ailleurs à clarifier les positions des uns et des autres en limitant toute possibilité de double discours dans des discussions qui, au-delà des négociateurs, embarquent nombre d’acteurs à plusieurs niveaux de nos structures.

Enfin, last but not least, une négociation publique serait de nature à casser la dynamique d’un modèle de négociation classique où le vendeur utilise la méthode datée mais encore efficace du secret partagé 9, laissant croire à son client que les conditions qu’il lui accorde sont des conditions privilégiées qu’il convient de ne pas laisser sortir du cadre de la négociation pour qu’elles (ces conditions) puissent rester privilégiées – évidemment, il n’en est rien.

Dans cet ordre d’idées d’ailleurs, pour finir, une négociation plus transparente aurait également sans doute des effets positifs dépassant nos frontières, son aspect public permettant par ricochets de donner à voir aux autres pays négociant des licences à coûts conséquents, quelles conditions sont débattues pour la France, et sur quelles bases, donc, leurs propres négociations pourraient se construire.

Pour un choix démocratique

À bien y regarder, un tel changement de nos pratiques n’est pas un problème d’outil puisque les instruments du type « consultation collaborative » ne manquent pas, sont simples à déployer (ce sont souvent des outils SaaS), tout en étant faciles à prendre en main par leurs utilisateurs finaux.

Ce n’est pas non plus un problème de temps, au sens où la démarche ici proposée serait plus chronophage que la méthode actuelle parce qu’elle supposerait plus d’échanges entre plus de participants : l’exemple de la consultation préalable à la loi pour une République numérique, et les chiffres ci-dessus évoqués, démontrent même le contraire puisque cette masse d’interventions et d’interactions a été obtenue en moins d’un mois, délai particulièrement court.

Ce n’est enfin pas un problème de coûts de mise en place technique : les plateformes existantes proposent en effet leurs services pour des sommes quasi négligeables, eu égard aux montants en jeu dans les négociations ici évoquées.

Non, à y bien regarder, un changement dans nos pratiques de négociation des licences nationales tel que suggéré ici est simplement un choix politique sur la méthode employée pour engager des marchés à plusieurs dizaines de millions d’euros d’argent public, négociations historiquement menées dans une transparence très relative accompagnée d’une confidentialité totalement illusoire, et qu’il est certainement temps de dépoussiérer pour les faire évoluer vers plus de démocratie ouverte.

11. https://www.soundofscience.fr/1754

22. https://www.soundofscience.fr/wp-content/uploads/2019/04/2019-04-11-COUPERIN-Lettre-accord-Elsevier.pdf

33. En particulier dans un contexte national comme international orienté « Science Ouverte », tout particulièrement dans sa ligne « Open Access », et par rapport également à plusieurs exemples récents de négociations nationales « dures » entre l’éditeur en question et, soit des universités, soit des consortiums, tels qu’évoqués dans The Sound Of Science. On pourra consulter par ailleurs ce billet détaillant certaines des problématiques posées par les dispositions esquissées : http://blog.univ-angers.fr/rj45/2019/04/29/un-accord-de-mauvais-principes/ et cet article proposant une synthèse rapide et mesurée de la problématique générale : https://www.lemonde.fr/sciences/article/2019/05/13/embrouilles-a-propos-de-l-acces-aux-revues-scientifiques_5461530_1650684.html

44. Voir par exemple les réactions de la Société française de physique : https://www.sfpnet.fr/prise-de-position-de-la-sfp-sur-les-negociations-avec-elsevier, celle d’Allistene :  https://www.allistene.fr/files/2019/04/Contrib_GT_SO_Allistene_NegoElsevier_vfinale.pdf, celle de la SMAI : http://smai.emath.fr/spip.php?breve278 ou celle de CAPSH :
https://blog.dissem.in/2019/lettre-ouverte-au-consortium-couperin-sur-le-renouvellement-de-labonnement

55. Je souligne.

66. Mandat qui vaut lettre de mission en ce qu’il définit les attendus.

77. Cette diffusion restreinte d’informations s’avérant d’ailleurs paradoxale, en ce qu’elle utilise un outil (le mail) qui, en l’espèce, est déjà une porte ouverte à toutes les « fuites » imaginables.

88. On se fera une idée de l’outil en parcourant le site web dédié : https://www.republique-numerique.fr/project/projet-de-loi-numerique/consultation/consultation

99. Sans parler du secret des affaires parfois invoqué et protégeant ici des éditeurs en très large situation de monopole, ce qui pose tout de même question.

Un portrait inconnu de madame Lavoisier ?

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En février 2018, à l’occasion d’une recherche en histoire des sciences menée dans les fonds anciens de la bibliothèque universitaire des sciences et techniques (BUST) de l’université de Bordeaux, nous avons découvert un portrait gravé inédit, qui semble être un autoportrait de madame Lavoisier. Après avoir décrit le contexte de cette découverte et montré l’intérêt d’étudier les fonds anciens, nous nous attarderons sur cette gravure et nous expliquerons pourquoi l’hypothèse de l’autoportrait de madame Lavoisier est la plus probable.

Une découverte inattendue dans un endroit inattendu

En 1995, à l’occasion du bicentenaire de la mort de Lavoisier, René Maury, à l’époque conservateur à la BUST de l’université de Bordeaux, a rédigé une brochure sur la collection Lavoisier possédée par la bibliothèque [Maury, 1995]. Il y recense soixante-sept titres, portant tous l’ex-libris gravé ou manuscrit de Lavoisier, dont il donne les caractéristiques bibliographiques principales et une courte biographie des auteurs. Dans le cadre d’un mémoire de recherche de master en épistémologie et histoire des sciences mené en 2018 à l’université de Bordeaux Montaigne, nous avons examiné en détail ces ouvrages. Cette collection Lavoisier fait partie du fonds Baudrimont (1806–1880), fonds acquis par la bibliothèque en 1880, à la mort de ce professeur de chimie à la faculté des sciences de Bordeaux, et nous remercions la BUST qui nous a fort gentiment permis d’accéder à ce fonds ancien. Lors de ce travail, nous avons identifié d’autres livres ayant appartenu à Lavoisier et la collection compte désormais soixante-treize titres. Le 1er février 2018, nous avons découvert une gravure, dans le troisième tome des Expériences physiques et chymiques, sur plusieurs matières relatives au commerce & aux arts du pharmacien et médecin anglais William Lewis (1714–1781), traduit par Philippe-Florent de Puisieux et publié en 1769. Cette épreuve était insérée entre les pages 356 et 357 du livre, au début d’un passage sur le platine. Cette place incongrue pour une telle gravure, un petit portrait de femme en plein milieu d’un ouvrage de chimie, fait penser aux cartes à jouer qui étaient utilisées parfois comme marque-page. Ni René Maury ni Marco Beretta, qui a pour sa part publié en 1995 Bibliotheca Lavoisieriana : the catalogue of the Library of Antoine Laurent Lavoisier [Beretta, 1995], n’évoquent la présence de cette gravure. La bibliothèque universitaire ne l’avait pas répertoriée non plus et nous n’en avons pas trouvé mention ailleurs.

De l’intérêt d’étudier les fonds anciens

Cette découverte présente un double intérêt. Elle est importante par son existence même, et nous nous attarderons dans un second temps sur ce portrait inédit, sa description, les hypothèses sur la femme représentée et sur l’auteur de cette gravure. Cette découverte montre par ailleurs la nécessité d’une étude méticuleuse des fonds anciens et de leur histoire afin, justement, de trouver d’éventuels documents inédits et de comprendre la cohérence de tel ou tel fonds. Ainsi la collection Lavoisier identifiée par René Maury en 1995 appartient au fonds Baudrimont, dont nous allons décrire l’historique. Dans les Actes de l’Académie nationale de sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux publiés à Paris en 1897, Georges Rayet (1839–1905), alors professeur à la faculté, retrace l’histoire de la faculté des sciences de Bordeaux entre 1838 et 1894. Il consacre notamment un large passage à Alexandre-Edouard Baudrimont (1806–1880), professeur de chimie à la faculté des sciences de Bordeaux de 1866 à 1878 et collectionneur d’ouvrages scientifiques anciens. À sa mort, sa famille a permis à la faculté de Bordeaux « avant toute vente, de choisir les cinq cents volumes qui constituent aujourd’hui le fonds Baudrimont » [Actes, 1897]. Georges Rayet précise que ce fonds contient notamment « quatre-vingts volumes provenant de la bibliothèque de Lavoisier, portant l’ex-libris et la signature du savant intendant, et comprenant une série de traités de chimie publiés de 1688 à 1785 » [Actes, 1897]. Il cite Herman Boerhaave (1668–1738), Jean D’Arcet (1725–1801), Antoine-François Fourcroy (1755–1809), Jean-Claude De La Metherie (1743–1817), Nicolas Le Fevre (1610–1699), Pierre-Joseph Macquer (1718–1784), Antoine Baume (1728–1804) et Carl Wilhelm Scheele (1742–1786) comme exemples d’auteurs entrant dans cette collection. Le fonds ainsi constitué au début des années 1880 a dû être catalogué puisque les différents ouvrages portent tous une cote. Ce fonds a ensuite été déplacé à plusieurs reprises au gré des changements de locaux des bibliothèques universitaires. Depuis 2010, Mireille Bravo, bibliothécaire, s’est occupée de traiter le fonds ancien de la BUST et de mettre à jour le catalogue Sudoc1 afin de rendre accessible à tous les informations concernant ces ouvrages.

Portrait à la dérobée

Le papier sur lequel a été réalisée l’impression est assez épais. Il s’agit soit d’un vélin soit d’un vergé assez fort. Il est enfoncé sur un carré de 43 mm de côté et l’impression est presque centrée sur une feuille de 67 mm de haut et 55 mm de large. La technique utilisée est soit une eau-forte soit un essai d’aquatinte. Le décrochement de la plaque de cuivre au niveau du bord inférieur se traduit par une morsure de la cuvette. L’ensemble de ces détails laisse à penser qu’il s’agit d’une gravure d’amateur. Le sujet représenté est un portrait de femme, de trois quarts avant, la tête légèrement penchée à droite, et de couleur bistre. Le visage, de forme plutôt ovale, est assez lisse. Il semble impassible. La bouche étroite et les yeux aux sourcils rehaussés sont délicatement tracés. Le nez est dessiné de façon beaucoup moins délicate, d’un trait lourd et noir, représentant à la fois le bord inférieur de l’aile droite, la narine et l’ombre du lobe. Rien ne marque la partie supérieure de l’aile, non plus que la frontière latérale du lobe. Le front est en partie couvert par la coiffure. Les cheveux sont bouclés, mi-longs, ils cachent l’oreille droite du sujet et semblent retenus par un bandeau. Les joues sont très peu dessinées et le menton est très arrondi. Le haut du buste est esquissé et montre des épaules étroites sur lesquelles retombent quelques boucles de cheveux. Un début de vêtement avec une échancrure en V est dessiné. Le drapé de l’étoffe est rendu par de brefs traits droits, relativement peu épais. Xavier Seydoux2, directeur de la galerie Seydoux à Paris, membre de la Chambre syndicale de l’estampe, du dessin et du tableau, et expert de la CNES (Compagnie nationale des experts spécialisés), estime que cette épreuve a été réalisée entre 1770 et 1830. Le petit format utilisé était d’usage courant à cette période afin de réaliser des essais en une dizaine d’exemplaires, vingt au maximum.

Figure 1. Un portrait inédit de madame Lavoisier3 ?

 

À la recherche de l’illustre inconnue

Nous faisons l’hypothèse que ce portrait peut être celui de madame Lavoisier, réalisé de sa propre main. Pour appuyer cette double thèse, à laquelle souscrit Patrice Bret, secrétaire général du Comité Lavoisier de l’Académie des sciences, à qui nous l’avons soumise, nous nous intéresserons à la physionomie du sujet ainsi qu’à la technique utilisée.

Cette gravure se trouvait dans un livre ayant appartenu à Antoine Laurent Lavoisier. On peut donc penser que c’est le portrait d’une femme de son entourage. Mais les époux Lavoisier n’ont pas eu de fille. Madame Lavoisier n’a pas de sœur et celle de son mari est décédée à quinze ans, en 1760, onze ans avant leur mariage. Reste la possibilité que ce soit madame Lavoisier elle-même. En 1788, le peintre Jacques-Louis David réalise le célèbre portrait des époux Lavoisier4, exposé au Metropolitan Museum of Art de New York, à la demande de madame Lavoisier, laquelle était l’élève du peintre à partir de 1786 [Pinault-Sørensen, 1994]. Elle a réalisé notamment les gravures qui illustrent le Traité élémentaire de chimie que son mari publie en 1789. En 1790, David peint également le portrait des deux filles du banquier Jacques Rilliet : le Portrait de la marquise d’Orvilliers5, aujourd’hui visible au Musée du Louvre à Paris, qui représente Jeanne-Robertine Rilliet, et le Portrait de la comtesse de Sorcy-Thélusson6, qui figure sa sœur, Louise ­Rilliet, conservé par le musée Neue Pinakothek de Munich. Leurs figures présentent de nombreux traits de ressemblance avec le portrait que nous avons découvert. Nous pouvons nous demander si madame Lavoisier n’a pas rencontré les filles Rilliet ou si elle n’a pas pu voir David travailler sur ces peintures, reproduisant elle-même peut-être les portraits à titre d’exercice. Notre gravure pourrait donc être le portrait soit de madame Lavoisier elle-même, soit de l’une ou l’autre des deux sœurs Rilliet.

Lequel de ces trois portraits se rapproche le plus de celui que nous avons découvert ? La technique des logiciels de reconnaissance faciale basée sur la cartographie des visages permet de comparer ces différents portraits entre eux et d’apporter une réponse. En effet, l’écartement des yeux, les arêtes du nez, la commissure des lèvres, des oreilles, la distance entre le menton et la lèvre inférieure comptent parmi les caractéristiques clés d’un visage. Pour chacun des trois portraits et pour la gravure, nous avons repéré la position des yeux et du nez, les positions extrêmes de la bouche, la position de l’extrémité du menton et celle du bas des oreilles (pour faciliter la comparaison avec notre gravure, nous avons réalisé une symétrie par rapport à un axe vertical du visage de la marquise et de celui de la comtesse car elles regardaient à gauche à l’origine alors que le visage de la gravure est orienté à droite). Nous avons effectué ce travail à l’aide d’un logiciel de traitement d’image. Nous avons ainsi obtenu uniquement les points caractéristiques, ce qui nous a ensuite permis, toujours à l’aide du même logiciel de traitement d’image, de superposer la configuration obtenue pour chaque visage avec la configuration obtenue pour la gravure.

Les points caractéristiques du visage de la gravure coïncident bien plus avec le portrait de madame Lavoisier (c’est-à-dire celui qu’elle offre sur le tableau où David la peint avec son mari) qu’avec celui de la comtesse de Sorcy ou celui de la marquise D’Orvilliers. Par ailleurs, madame Lavoisier a peint un autoportrait de profil, peut-être sous la supervision de David lui-même [Beretta, 2001], sur lequel elle présente un visage moins fin que celui du portrait des époux Lavoisier réalisé par le peintre. Malgré la difficulté à comparer ces deux images à l’angle très différent et à des âges distants, la physionomie de madame Lavoisier sur cet autoportrait est assez proche de celle de notre gravure.

Des logiciels ou applications en ligne permettent d’effectuer une analyse similaire. Microsoft7 et Amazon8 proposent ainsi un logiciel de reconnaissance faciale basé sur ce principe. L’application Azure de Microsoft donne par exemple une fiabilité de 74 % de correspondance entre la gravure et le portrait de madame Lavoisier, alors qu’elle est de 63 % avec la comtesse de Sorcy et seulement de 54 % avec la marquise d’Orvilliers.

Une approche complémentaire consiste à comparer notre gravure avec un dessin réalisé par madame Lavoisier, Lavoisier dans son laboratoire : Expériences sur la respiration de l’homme exécutant un travail (voir figure 2). Ces deux dessins emploient des techniques très différentes : trait et lavis pour le dessin, contre une gravure relativement plus épaisse. Cependant, ils présentent des ressemblances en matière de technique de représentation des sujets, qui pourraient confirmer qu’ils sont de la même main. Le premier point concerne la forme des drapés. Dans le dessin, madame Lavoisier se représente avec un vêtement drapé sur les épaules. Nous avons déjà noté le travail particulier sur le drapé de la gravure : le dessin de madame Lavoisier emploie une technique similaire, à base de traits brefs et droits, quasi verticaux. Une deuxième similitude est à chercher dans le dessin du nez. Celui-ci détonne dans le modelé relativement délicat de la gravure. Dans le dessin, la troisième personne sur la gauche – un assistant de Lavoisier – est représentée de trois quarts avant dans une posture proche de celle du portrait de la gravure. Son nez est dessiné d’un trait, englobant là aussi l’ombre de l’aile, la narine et l’ombre du lobe, allié à un trait vertical qui figure le dos de l’organe. Cette ressemblance est notable dans la mesure où le nez est l’une des parties du visage pour laquelle s’exercent des choix très divers en matière de représentation. Dans ces deux illustrations, l’artiste ou les artistes semblent donc avoir opté pour des options similaires, quand d’autres conventions de représentation étaient disponibles. Les résultats de cette étude stylistique appuient donc le second volet de notre hypothèse : le portrait ne représente pas seulement madame Lavoisier, il semble être de sa main.

Une proposition raisonnable

Il est bien entendu difficile d’acquérir une certitude quant à l’auteur de notre gravure et à son sujet. Mais les conditions de la découverte, la facture de l’illustration et les relevés physionomiques, croisés avec les représentations connues de l’entourage des époux Lavoisier, nous amènent à conclure qu’il s’agit bien là d’un autoportrait de madame Lavoisier, probablement réalisé par elle-même aux alentours des années 1790.

Figure 2. Marie-Anne Pierrette Lavoisier, Lavoisier dans son laboratoire : Expériences sur la respiration de l’homme exécutant un travail, coll. part.

 

Remerciements

Mireille Bravo, Patrice Bret, Pascal Duris, Claire-Lise Gauvain, Nicolas Labarre, Xavier Seydoux et Romain Wenz.

 

QR Code des différentes illustrations

Jacques-Louis David, Antoine Laurent Lavoisier (1743–1794) et sa femme (Marie Anne Pierrette Paulze, 1758–1836).

 

Jacques-Louis David, Portrait de la marquise d’Orvilliers.

 

Jacques-Louis David, Portrait de la comtesse de Sorcy-Thélusson.

 

Marie-Anne Pierrette Lavoisier, Autoportrait de madame Lavoisier.

 

Bibliographie

Actes de l’Académie nationale des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux, Paris, 1897.

AKAMATSU Shigeru, SASAKI Tsutomu, FUKAMACHI Hideo, MASUI Nobuhiko et SUENAGA Yasuhito, « An accurate and robust face identification scheme », Proceedings, 11th IAPR International Conference on Pattern Recognition. Vol. II. Conference B : Pattern Recognition Methodology and Systems, La Hague, IEEE, 1992, p. 217-220.

BERETTA Marco, Bibliotheca Lavoisieriana : the catalogue of the library of Antoine Laurent Lavoisier, Florence, L. S. Olschki,, 1995.

BERETTA Marco, Imaging a career in science : the iconography of Antoine Laurent Lavoisier, Bologna studies in scientific heritage 1. Canton, Mass : Science History Publications/USA, 2001.

DAVID Jacques Louis Jules, Le peintre Louis David, 1748–1825, Vol. 1 : Souvenirs & documents inédits, Paris, 1880.

MAURY René et Université Bordeaux I, Service commun de la documentation, Lavoisier, ex-libris : une collection bordelaise, SICOD-Bibliothèque universitaire des sciences et techniques [de] Bordeaux, 1995.

PINAULT-SØRENSEN Madeleine, « Madame Lavoisier, dessinatrice et peintre. », Musée des Arts et Métiers : La revue, n° 6, mars 1994.

 

1.

1. Système universitaire de documentation.

2. Nous remercions chaleureusement Claire-Lise Gauvain, chargée de valorisation documentaire à la direction de la documentation de l’université de Bordeaux, et Romain Wenz, responsable du service du patrimoine documentaire à la direction de la documentation de l’université de Bordeaux, qui ont accepté que ce portrait quitte les locaux de la BUST de Bordeaux afin d’être expertisé à Paris par Patrice Bret et Xavier Seydoux le 19 juillet 2018.

3. Disponible à l’adresse suivante : http://www.babordnum.fr/items/show/1088

4. https://www.metmuseum.org/art/collection/search/436106

5.http://cartelfr.louvre.fr/cartelfr/visite?srv=obj_view_obj&objet=cartel_22506_33187_rf2418.jpg_obj.html&flag=true

6. https://www.pinakothek.de/kunst/meisterwerk/jacques-louis-david/anne-marie-louise-thelusson-comtesse-de-sorcy

7. https://azure.microsoft.com/fr-fr/services/cognitive-services/face/

8. https://aws.amazon.com/fr/rekognition/


Le réseau documentaire de la FFCRIAVS

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Si dans le milieu des bibliothécaires, et des bibliothèques universitaires en particulier, des enjeux légitimes animent la profession (innovation pédagogique et réussite étudiante, services à la recherche ou encore liberté et gratuité ­d’accès aux ressources scientifiques, articles ou encore données de la recherche), une profession plus discrète, celle de documentaliste, porte des enjeux non moins importants et vitaux.

Qu’il s’agisse seulement de nommer les documentalistes hospitaliers, dont la recherche ou la veille peut littéralement sauver la vie d’un ou plusieurs patients, en hôpital général comme en psychiatrie. C’est principalement rattachés à ces institutions que se sont développés les Centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles (CRIAVS).

S’il est important cette année de célébrer leur réseau de centres documentaires, ce n’est pas simplement parce qu’il a dix ans. C’est aussi parce que, par sa problématique, il résonne avec des enjeux particulièrement brûlants de nos jours : violences sexuelles et violences de genre. Les CRIAVS sont des centres ressources interdisciplinaires et interprofessionnels qui ont pour vocation de rassembler les ressources en termes d’expertise humaine, de recherche scientifique et de documentation autour de la prise en charge des auteurs de violences sexuelles (AVS) : autant dans les domaines juridiques, criminologiques, psychologiques, psychiatriques, sociologiques ou encore éthiques. Au-delà de la prise en charge judiciaire, sociale ou encore sanitaire des AVS, on peut donc cerner leur impact sur la société. En effet, les violences sexuelles laissent chez leurs victimes, hommes, femmes ou enfants, des blessures intimes souvent invisibles mais indélébiles. Les professionnels de ce réseau constituent le nerf vital qui assure une veille interdisciplinaire sur cette thématique, et organise et signale cette information pour la diffuser aux intervenants de la santé, de la justice et du social. Autant dire que ces hommes et ces femmes de l’ombre contribuent – certes discrètement – aux avancées qui permettent en France de mieux maîtriser les questions de violences genrées et sexuelles.

Les CRIAVS

La circulaire DHOS/DGS/02/6C no 2006-168 du 13 avril 2006 relative à la prise en charge des auteurs de violences sexuelles et à la création de centres de ressources interrégionaux stipule que les CRIAVS doivent :« Rechercher, rassembler, mettre à la disposition et faire connaître des professionnels toute la documentation et la littérature sur les auteurs de violences sexuelles. »

Cette circulaire répondait intelligemment à un constat simple : la documentation existait mais était difficilement ou pas accessible, charge aux CRIAVS de la structurer et d’en simplifier l’accès aux professionnels, afin que ces documents scientifiques permettent l’amélioration de la prise en charge des patients et contribuent à la prévention des violences sexuelles, notamment en matière de récidive.

Mettre en place un tel système d’information documentaire constituait alors un véritable défi. Bibliothécaires, documentalistes, informaticiens, juristes, secrétaires formés en documentation… les profils pouvant travailler en commun ne manquaient pas pour mettre en place cette organisation, en collaboration avec les acteurs du soin spécialistes du domaine : psychiatres, psychologues, infirmiers, éducateurs, psychomotriciens… Cette multidisciplinarité a permis la professionnalisation et la montée en compétences de personnels non destinés au départ aux métiers de la documentation.

La documentation des CRIAVS a débuté sa structuration courant 2008 avec la création des bases de données documentaires des CRIAVS RA en collaboration avec le CRIAVS Picardie – base qui prendra le nom de Thèséas1 –, et du CRIRAVS PACAC2– base qui restera indépendante –, d’autres centres ressources régionaux ayant fait le choix, pour des raisons techniques et institutionnelles, d’un système documentaire local tout en participant activement au réseau national de veille et d’échange d’informations et de documents. Embryonnaire et confidentiel jusque-là, c’est en juin 2009 que le réseau documentaire des CRIAVS fut officiellement lancé dans le cadre de la Fédération nationale des CRIAVS devenue depuis la Fédération française des CRIAVS (FFCRIAVS) [4]. Thèséas fut proposé et accepté comme catalogue dans lequel serait rassemblé l’ensemble des références documentaires. Cependant, il restait à créer de véritables liens entre les professionnels chargés de la documentation, en d’autres termes favoriser la communication entre eux. Au-delà des positionnements et politiques différentes suivant les centres ressources. Il fallait d’une part impliquer les professionnels, mais aussi leur hiérarchie, afin qu’elle puisse leur dégager du temps pour ce travail, et d’autre part prouver qu’une mutualisation des moyens était profitable à tous.

Il fut donc nécessaire de faire un état des lieux, des disponibilités et compétences de chaque professionnel impliqués dans la documentation, de rédiger une charte, d’entamer un processus de formation afin que tous « parlent la même langue », d’insuffler un esprit de réseau via des réunions, et renforcer les interactions par des réalisations communes.

Profils de membres du réseau documentaire


Documentalistes et bibliothécaires de formation

Les tout premiers documentalistes et bibliothécaires des CRIAVS étaient motivés mais en nombre insuffisant. En effet, très peu d’entre eux étaient à temps plein sur cette fonction (ce qui est toujours le cas aujourd’hui) : seuls quatre CRIAVS sur plus d’une quinzaine avaient un professionnel de l’information à temps plein, les autres utilisant le service documentaire déjà présent dans leur établissement.

D’autres CRIAVS firent le choix de donner du temps de documentation aux secrétaires motivés, documentalistes en devenir, souhaitant se former dans le domaine des sciences de l’information.

Secrétariat et documentation des postes conjugués

Si, dans certains CRIAVS, la distinction est nette entre secrétariat et missions documentaires, dans d’autres, une seule personne cumule ces fonctions, de manière à satisfaire toutes les demandes en restant concentrée et efficace pour le bien de son équipe et de ses usagers. En effet, les fonctions documentaires dans la fonction publique hospitalière souffrent d’un flou statutaire qui nuit à leur identité comme à la reconnaissance de leur spécificité et de leur expertise dans le domaine de l’information scientifique et technique (IST).

Comment les professionnels concilient-ils ces missions antagonistes ? Même s’il existe des profils de poste « secrétaire documentaliste », il est évident que les missions ne sont pas les mêmes.

La gageure, pour ces agents, est de mener de front des fonctions administratives, d’accueil et de service public (les secrétariats sont en quelque sorte les vitrines d’un service de santé) avec les fonctions techniques et scientifiques de documentaliste, en faisant en sorte que l’une ne prenne pas le pas sur l’autre : les deux étant légitimement chronophages et exigeantes, mais surtout dissemblables.

Ce défi quotidien est difficile mais valorisant pour les agents qui ont l’occasion d’élargir leur horizon professionnel et d’acquérir, notamment par la formation organisée au sein du réseau, de nouvelles compétences professionnelles.

D’autres profils sont plus originaux, et apportent un point de vue différent sur la documentation.

Organisatrice de la recherche
et documentaliste dans un CRIAVS

Citons en exemple le CRIAVS Poitou-Charentes, qui fut, dans le cadre de son association avec l’URC Pierre Deniker de Poitiers en 2011, le premier à recruter une personne faisant fonction de documentaliste dotée d’un doctorat en biologie ; outre la gestion du fonds documentaire, celle-ci fut également chargée de l’organisation de la recherche.

Ses missions consistent notamment à mettre en place les études cliniques puis, ensuite, à veiller à ce que le déroulement de ces dernières suive leurs protocoles respectifs et la législation en vigueur ; de même, elle vérifie la qualité et la fiabilité des données recueillies auprès des volontaires ou des patients inclus. Durant son cursus universitaire, elle a appris à sélectionner des articles scientifiques (principalement anglophones) à partir de bases de données telles que PubMed, à les analyser et à les référencer selon des normes précises. Elle a également acquis une expérience plus ou moins importante dans la rédaction de communications écrites et la création de communications affichées (ou posters).

Transposées dans le cadre d’une fonction de documentaliste, ces compétences lui permettent de procurer aux investigateurs des articles sur des sujets ciblés afin de les aider, d’une part à élaborer le protocole en amont de l’étude, et d’autre part à rédiger la publication des résultats découlant de cette dernière. De plus, l’organisatrice met à profit ses habitudes de lecture critique et de synthèse de textes, pour rédiger des revues de la littérature éditées par des revues scientifiques, et pour confectionner des posters présentés lors de congrès.

Charte du réseau documentaire

Afin d’établir un consensus sur un fonctionnement collectif, une charte, validée en réunion plénière le 17 octobre 2010 par l’ensemble du réseau documentaire, a été mise en place. Elle a été signée par les responsables de service, ainsi que par le chargé de documentation de chaque CRIAVS, intéressé par une mutualisation des compétences et de l’information.

De plus, pour que tous les membres du réseau puissent échanger sur des bases communes, des formations ont été organisées. Ces formations ont été élaborées et effectuées en interne par les documentalistes du réseau professionnel, spécialistes en IST ou en veille informationnelle.

La formation

Collectives à l’origine, ces formations ont évolué vers des sessions personnalisées, permettant une prise de fonction rapide des nouveaux arrivants, mais aussi aux plus anciens de se perfectionner. Ces formations sont de plusieurs types, la liste est non exhaustive et peut dépendre de besoins individuels ;
– techniques de la documentation ;
– SIGB (Thèséas) ;
– veille d’informations ;
– entretien des connaissances.

Réunion deux fois par an

Afin de faire le point et de mettre en place des projets communs, des réunions deux fois par an du réseau documentaire se sont très vite imposées. Parfois des réunions complémentaires, principalement téléphoniques, s’intercalent pour travailler certains dossiers précis. Enfin, une rencontre de la commission documentation est systématiquement organisée à chaque Conseil d’administration de la FFCRIAVS.

Thèséas, le catalogue en ligne

Thèséas est le catalogue en ligne du réseau documentaire de la FFCRIAVS. Forte de plus 8 000 notices sur les AVS, cette base de données interrégionale est unique en France sur cette thématique spécifique.

L’évolution des technologies entraîne la nécessité de mettre à jour le portail documentaire vieillissant, permettant une consultation aisée de références documentaires. Un groupe de travail a donc été constitué, et le déploiement de ce nouveau portail sera effectif courant 2019, celui-ci pourra notamment s’adapter à tous formats d’écran. Toutefois, l’affichage extérieur de la documentation n’est rien sans une organisation efficace de son contenu.

Ascodocpsy3 est le réseau documentaire national le plus important en santé mentale. Celui-ci a développé un thésaurus qui est la référence pour les documentalistes hospitaliers dans ce domaine. Afin de faciliter le signalement des ressources documentaires relatives à la prise en charge des AVS, un groupe de travail de documentalistes des CRIAVS a enrichi ce recueil de mots-clés de termes spécifiques aux violences sexuelles, en ayant bien en tête dans un sujet aussi sensible l’esprit de la citation d’Albert Camus selon laquelle « mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde ».

De plus, dans un souci de mutualisation des moyens, les professionnels du réseau documentaire de la FFCRIAVS ont décidé de mettre en place un groupe de travail en 2016, pour créer une classification commune à tous les CRIAVS. Celle-ci a été déployée sous Thèséas en juillet 2017.

Cette classification est un outil supplémentaire d’organisation et de consultation du fonds documentaire national. En effet, elle permet de classer l’ensemble des documents des CRIAVS par grands thèmes, et de faciliter les recherches d’informations via le portail documentaire.

Le site de la FFCRIAVS

Le réseau documentaire s’est particulièrement investi dans la création du site internet de la FFCRIAVS. Ce dernier est aujourd’hui la plateforme de référence concernant la prise en charge des AVS. Il possède des ressources propres et est connecté à la base de données documentaire Thèséas. C’est également à partir de cette plateforme que le bulletin de la documentation nationale est envoyé.

En effet, grâce à la mutualisation des moyens du réseau, un bulletin d’information national hebdomadaire est diffusé par courriel, à l’ensemble des professionnels qui le souhaitent4. Pour pouvoir l’alimenter en plus de saisies de notices dans Thèséas, une veille d’informations a été organisée. Elle est constituée des classiques partages de liens, mais aussi d’informations remontées par Tiny Tiny RSS l’outil de veille de la FFCRIAVS.

Les partenariats

Avec le temps, le réseau documentaire de la FFCRIAVS a tissé des liens solides avec le réseau Ascodocpsy et l’Association Docteurs Bru5. D’autres partenariats sont également à l’étude au cours de l’année 2019, y compris à l’international.

Communications à destination des utilisateurs

Trois communications scientifiques présentées au Congrès international francophone sur l’agression sexuelle (CIFAS), balayant divers aspects du réseau documentaire, ont été élaborées : en 2013, une présentation globale du réseau documentaire [1] ; en 2015, les outils destinés à l’évaluation des patients [3] ; et en 2017, le soutien qu’apporte la documentation à la recherche [5].

Une communication présentée en 2016 au congrès de l’International Association for the Treatment of Sexual Offenders (IATSO) est une traduction en anglais de la présentation du réseau documentaire de 2013 [2].

Le réseau documentaire a également su répondre aux besoins de l’audition publique de juin 2019 organisée par la FFCRIAVS, représentant 6 mois de travail et plus de 800 demandes d’experts satisfaites, et ayant donné lieu à 35 propositions pour lutter efficacement contre les violences sexuelles6.

Conclusion

Nous avons vu que les documentalistes n’étaient pas seulement fournisseurs de documents, mais aussi acteurs de cette documentation par la veille d’informations, la conception d’outils adaptés à des demandes exigeantes et diverses, donnant lieu parfois à l’élaboration de documents nouveaux. Bibliographies, bulletins d’informations, communications scientifiques, ne sont que quelques exemples qui mettent en lumière un fait rarement évoqué concernant cette profession, à savoir l’alimentation du fonds par des documents créés par les documentalistes eux-mêmes, ce qui n’est pas toujours chose aisée.

Au cours de ces dix années d’existence, le réseau documentaire de la FFCRIAVS a pourtant su relever de nombreux défis : s’organiser, échanger, se former, faire évoluer ses outils, et s’ouvrir vers l’extérieur. Tout cela au service des professionnels en contact avec les AVS, afin que leur prise en charge puisse s’enrichir des derniers écrits, outils… sur cette problématique.
Compte tenu de ses réalisations, il apparaît aujourd’hui que le réseau documentaire, avec le soutien de la FFCRIAVS, et grâce au dynamisme de ses membres, est prêt à relever les défis à venir.

 

Références bibliographiques

[1] ANTONA Éric, RICHEROT Lucile et MESGUICH Marie, Recherche et documentation : l’information documentaire pour la recherche scientifique, poster de communication [acte de colloque], série « CIFAS 2017 : Quand la clinique rencontre la recherche », Fédération française des CRIAVS (FFCRIAVS), 2017. https://theseas.reseaudoc.org/index.php?lvl=notice_display&id=17522

[2] ANTONA Éric, CANO Jean-Philippe, LAMBRINIDIS Claire, RICHEROT Lucile et VEILLEROT Frédéric, Plurality and complexity of literature dealing with sex offenders : Unicity of knowledge and experiences of a french network of resource centres [Pluralité, complexité de la documentation traitant de la prise en charge des auteurs de violences sexuelles : le réseau documentaire, unicité d’expériences et de connaissances], poster de communication [acte de colloque], série « IATSO 2016 », Fédération française des CRIAVS (­FFCRIAVS), 2016. https://theseas.reseaudoc.org/index.php?lvl=notice_display&id=18451

[3] TRAORÉ-LEFÈVRE Simone, RICHEROT Lucile, VANDERSTUKKEN Olivier et ANTONA Éric, …Création d’un répertoire des outils d’évaluation des auteurs d’agression sexuelle (AAS) (tests, échelles, questionnaires d’évaluation clinique), poster de communication [acte de colloque], série « CIFAS 2015. L’agression sexuelle : réalités multiples, approches adaptées », Fédération française des CRIAVS (FFCRIAVS), 2015. https://theseas.reseaudoc.org/index.php?lvl=notice_display&id=18449

[4] CANO Jean-Philippe, « Violences sexuelles – Les centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles : les CRIAVS, dans Psychiatrie légale et criminologie clinique, sous la dir. de Jean-Louis Senon, Carol Jonas et Mélanie Voyer, Elsevier Masson, 2013, coll. « Les âges de la vie », p. 343-346.

[5] ANTONA Éric, LAMBRINIDIS Claire, RICHEROT Lucile et VEILLEROT Frédéric, Pluralité, complexité de la documentation traitant de la prise en charge des auteurs de violences sexuelles : le réseau documentaire, unicité d’expériences et de connaissances, poster de communication [acte de colloque], série « CIFAS 2013. L’agression sexuelle : unicité, pluralité, complexité », Fédération française des CRIAVS (FFCRIAVS), 2013. https://theseas.reseaudoc.org/index.php?lvl=notice_display&id=4398

 

 

1. https://theseas.reseaudoc.org/

2. Aujourd’hui CRIR AVS PACA : Centre ressources pour les intervenants de la région PACA dans la prise en charge des auteurs de violences sexuelles. https://criravspaca.centedoc.fr/

3. https://www.ascodocpsy.org/

4. http://www.ffcriavs.org/ressources/bulletins-documentaire/

5. https://www.associationdocteursbru.org/

6. http://www.ffcriavs.org/la-federation/audition-publique/

3. https://www.ascodocpsy.ohttps://www.ascodoc

En quoi le support numérique complexifie la recherche documentaire ?

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La technologie numérique a bouleversé la méthodologie de la recherche documentaire et facilité l’accès aux textes. Nous attestons ici des difficultés auxquelles sont confrontés les étudiants de master, dans le cadre de leurs recherches documentaires, liées à la rédaction de leur mémoire. Ils rencontrent des difficultés majeures dans deux domaines. Ils perdent les repères spatiaux. Le système d’organisation des connaissances des bases de données génère une déroute. Par ailleurs, ils peinent à comprendre et utiliser les langages documentaires spécifiques à chacun des outils consultés.

Introduction

De plus en plus de maquettes de diplômes universitaires intègrent des formations à la recherche documentaire. La complexité des modalités d’interrogation et la variété des ressources documentaires existantes donnent le tournis aux étudiants. Les personnels des bibliothèques qui travaillent régulièrement avec ces outils ont intégré, au fil de l’eau, leurs évolutions. Mesure-t-on les difficultés que rencontrent les usagers lorsqu’ils utilisent ces ressources ? Le numérique permet d’accéder à une quantité impressionnante de références et documents. Les étudiants doivent trouver puis sélectionner les documents les plus pertinents pour leurs recherches. Pour cela, il leur faut dompter les modalités d’interrogation des ressources numériques. Ils les découvrent souvent brutalement et expriment leur désarroi, voire leur sidération. À l’issue de plusieurs centaines d’heures consacrées à la formation à la méthodologie de la recherche, conduites en M1 et M2 du master des métiers de l’enseignement du premier degré de l’université de Strasbourg, nous souhaitons ici analyser les difficultés rencontrées. « Les détails des avantages et inconvénients rencontrés dans la pratique de la documentation électronique sont édifiants » [Lambert, 2013, p. 54], constate également Vincent Lambert dans le cadre d’une étude comparable conduite à l’université de Nice.

Le support numérique ne facilite pas tout, tentons d’en comprendre les raisons. Comment se redéfinit le rapport au travail dans les environnements organisationnels en prise avec le numérique [Bidet et al., 2017] ? Comment, à cette aune, se redessinent métiers et compétences, par exemple entre compétences techniques et communicationnelles [Bouillon, 2015] ? En quoi le digital labor [Cardon et Casili, 2015], en révélant tout particulièrement la porosité des frontières organisationnelles, modifie-t-il la vision classique de la répartition des tâches et compétences ? Après avoir présenté la méthodologie de l’étude, nous allons voir en quoi la question du support, de l’espace, du langage documentaire et des masques de recherche complexifie la démarche de recherche documentaire.

Protocole d’étude

L’échantillon retenu

En master 1 des métiers de l’enseignement et de la formation du premier degré, la maquette de l’ÉSPÉ (école supérieure du professorat et de l’éducation)1 de Strasbourg prévoit six heures de travaux pratiques de formation à la recherche documentaire réparties en trois séances. Le cours s’intitule « Méthodologie de la recherche documentaire ». En master 2, quatre heures de travaux pratiques sont consacrées à une « Initiation à la recherche – projet de mémoire ». Ces cours s’effectuent en présentiel et sont co-animés par un maître de conférences en sciences de l’information et un membre de l’équipe de la bibliothèque de leur site de formation. Les membres du service des bibliothèques universitaires détiennent un label formateur validé par l’Enssib.

Cette co-animation peut surprendre mais elle nous paraît essentielle. Le maître de conférences cerne les attendus du mémoire, garantit la valeur scientifique des documents moissonnés, élabore la démarche didactique employée, ajuste, si nécessaire, les problématiques retenues par les étudiants. Les personnels des bibliothèques qui dépouillent les documents, cataloguent, nourrissent le portail documentaire et les bases de données, sont les plus au fait des évolutions techniques des différentes ressources. Ce sont eux qui présentent les modalités d’interrogation des différents espaces. Ils prennent également le relais, une fois la formation terminée, pour retrouver, si nécessaire ,les étudiants dans le cadre d’un entretien individuel. Ce partenariat répond aux préconisations du rapport réalisé par le LISEC (Laboratoire interuniversitaire de sciences de l’éducation et de la communication) : L’articulation et collaboration entre les équipes pédagogiques et les services de documentation au cœur de la transformation pédagogique de l’enseignement supérieur (2016). Cet enseignement est facultatif en M1, mais obligatoire en M2. Les cours sont planifiés entre les mois de septembre et de décembre. L’objectif en première année vise à présenter les modalités d’interrogation du portail documentaire de l’université et à faire découvrir le fonds documentaire spécifique à l’ÉSPÉ. En deuxième année, les étudiants doivent rédiger et soutenir un mémoire de recherche. Ils ont donc nécessairement besoin de procéder à des recherches documentaires pointues.

Un recul de plusieurs années de pratique a permis à l’équipe des formateurs d’améliorer tant la progression que les activités proposées. Les éléments développés ci-dessous résultent, d’une part, d’une analyse des retours informels entre les formés et les formateurs. Nous avons noté leurs questions et relevé ce qui leur posait problème dans leurs démarches de recherche documentaire. D’autre part, nous avons soumis en 2018, l’ensemble d’une promotion de 200 étudiants de master 2, à une enquête de satisfaction.

Les besoins des étudiants

La formation s’adresse à un public extrêmement hétérogène, issu de cursus forts divers. Les étudiants ont rarement bénéficié d’une formation méthodologique et, lorsque c’est le cas, ils ont travaillé sur des bases de données en lien avec la discipline suivie en licence. Très souvent, les professeurs leur ont alors fourni des bibliographies. Il leur fallait « simplement » interroger le catalogue, localiser le document (une cote pour un livre, le nom de la revue pour un article) pour accéder au texte. Certains parmi eux ont suivi une formation professionnelle et n’ont que peu utilisé les outils documentaires. Les étudiants que nous avons accueillis en formation sont tenus de rédiger un mémoire de recherche et non un mémoire professionnel pour valider leur master. Ils se trouvent, de ce fait, contraints d’utiliser les outils documentaires. Où chercher ? Comment chercher ? Que chercher ? L’espace qui s’offre à eux s’avère abyssal, opaque et même anxiogène. Ils déclarent être perdus. Nous notons des cas extrêmes de crise de larmes, d’autres à l’inverse rient, lâchent leur clavier et appellent à l’aide.

Rien n’a été publié sur mon sujet ! affirme le stagiaire.
Vraiment ? s’étonne le formateur.

Quelques clics plus loin, la démonstration est faite. Le stagiaire avait mal interrogé les espaces documentaires.

La situation inverse existe aussi, le stagiaire est submergé de résultats mais ne maîtrise pas les techniques de tris.

Comment expliquer ces réactions ?

L’organisation des connaissances
en recherche documentaire

La question du support

Toutes les informations se lisant sur écran, les étudiants perdent les repères physiques qu’autorise le support papier. Claire Belisle (2011) pointe la nécessité pour un être humain de dissocier la forme et le contenu d’un document. Le numérique complexifie cette opération en dématérialisant les supports. Lorsque l’on a matériellement dans les mains un livre, dont un chapitre correspond à l’objet d’étude, sa nature est évidente. Il sera référencé comme étant un « chapitre de livre ». De même, si l’on a matériellement sous les yeux une revue, il est simple de référencer le texte retenu comme un « article de revue ». Ce sont les normes de référencement bibliographique qui imposent cette identification du support. Dans le cas du chapitre du livre, c’est le titre du chapitre qui apparaîtra en italique. Dans le cas d’un article, c’est le nom de la revue qui sera en italique. Ces repères matériels disparaissent avec le numérique. Malgré le niveau d’études des stagiaires (bac + 3), la première notion à poser vise à consolider ce prérequis, à savoir la capacité à identifier la nature du texte qui s’affiche à l’écran. « Le patchwork informationnel des pages du web, de certains manuels scolaires ou magazines, disperse l’attention du lecteur (les psychologues parlent d’attention partagée), rendant la compréhension et la mémorisation plus difficiles » [Baccino, 2011, p. 63].
Nous émettons l’hypothèse que c’est, entre autres, la dématérialisation des supports qui génère un sentiment de perte.

Quels sont les différents types d’espaces à appréhender ?
Les méandres du système d’organisation des connaissances
en recherche d’informations

– Où suis-je ?
– Pourquoi je n’accède pas directement au texte du document trouvé ?
– Comment faire pour lire le texte dont j’ai trouvé la référence ?

Ces questions révèlent la déroute des stagiaires. Ils n’arrivent pas à identifier tant l’espace que la fonction des outils qu’ils utilisent. Tout se ressemble, tout se lit sur écran. Lorsque nous accompagnons les étudiants dans leurs recherches, notre aide consiste également à les amener à reconnaître l’outil qu’ils utilisent. Est-ce un OPAC (Online Public Access Catalog) ? Est-ce un portail d’information ? Est-ce un site ? Est-ce une base de données ?

Notre objectif vise à les conduire à identifier puis à catégoriser les espaces documentaires consultés. Pour cela, nous commençons par présenter le portail documentaire de l’université, puis l’OPAC de l’université et ses modalités d’interrogation. Rien que la présentation de ces deux outils, portail et OPAC, montre que la perception de leurs fonctions n’est pas claire. Quels types de résultats vais-je obtenir en interrogeant tel ou tel espace ? Une cote ? Une référence d’article ? Un article en plein texte ? Pour clarifier cela, nous utilisons la métaphore d’un parc clos. On y pénètre par le biais d’un portail en montrant patte blanche : l’identifiant et le mot de passe. Ce parc se subdivise en plusieurs espaces aux fonctions différentes : la roseraie, le verger, le parc de jeux, le jardin japonais, le potager… Le langage utilisé par les professionnels des bibliothèques s’apparente au registre lexical de la botanique. On parle, par exemple, de désherbage lorsque l’on retire des rayons des documents estimés périmés. On récolte des notices à l’issue d’une recherche.

Les usagers doivent intégrer le fait qu’en fonction de l’outil utilisé, on récolte des références qui nécessitent un rebond. C’est le cas des catalogues. Dans d’autres situations, l’on accède directement au texte intégral, c’est le cas de la documentation électronique. La première notion à établir repose sur la nuance existante entre les catalogues, qui donnent des références, et les bases de données, qui conduisent directement au texte. Mais la performance des OPAC impose de relativiser cette affirmation. Aujourd’hui, ils dépassent la fonction de référencement. Ils permettent aussi un accès direct aux documents. Cette limite poreuse entre l’OPAC et l’accès aux textes intégraux, qu’autorise le support numérique, embrouille l’usager.

La localisation du document source, dans les environnements organisationnels documentaires en prise avec le numérique, n’est lisible que par un public averti, voire expert. De nouvelles compétences sont nécessaires aux usagers. Il s’agit pour eux de connaître et d’identifier les fonctions des différentes bases documentaires. Il leur est aussi impératif de maîtriser leur organisation, de percevoir comment elles s’imbriquent les unes dans les autres.

Prenons l’exemple d’une recherche portant sur la fluence d’une lecture à voix haute dans le contexte de l’enseignement primaire. L’usager va interroger le portail documentaire de l’université qu’il fréquente, en indiquant quelques mots clés dans le masque de recherches :
– Fluence
– « Lecture à voix haute »
– « École primaire »

Il utilisera des filtres pour restreindre les résultats sur des critères temporels (année de publication), de types de support (livre, document audiovisuel…). Il sélectionnera le ou les centres documentaires où porte sa requête, les portails documentaires fédérant les ressources de toute l’université. Le résultat de la requête lui permettra d’accéder à des notices, puis aux documents. En termes de catalogue, il faudra encore consulter le Sudoc. L’accès à des articles de périodiques ou à des livres numérisés portant sur le sujet nécessitera autant de requêtes que de bases interrogées. Pour notre sujet, il serait judicieux de consulter Cairn, mais aussi ERIC et/ou Persée. L’usager gagnera aussi à interroger les bases de données DUMAS et Thèses-Uonistra qui archivent les mémoires et thèses. Ce qui perturbe particulièrement les étudiants repose sur le fait que le dépouillement des périodiques n’est pas réalisé systématiquement dans les OPAC. La nécessité de jongler d’un outil vers l’autre requiert de la dextérité et surtout une prise de conscience de l’organisation générale de ce panorama documentaire. Une cartographie de ces espaces est difficile à dessiner dans la mesure où les frontières sont difficiles à placer, tant elles sont poreuses. Le portail documentaire aiguille vers des bases de données et des OPAC qui s’imbriquent les uns dans les autres. Il fournit aussi une possibilité d’une recherche fédérée. En utilisant cet outil, qui moissonne dans tous les espaces documentaires, la perte de repères est complète. C’est là que l’organisation des connaissances explose. Les frontières volent.

Dans le cadre de notre cours, nous avons retenu deux bases de données : Cairn et Europresse. Nous travaillons également les modalités d’interrogation de deux catalogues : le Sudoc et Callimaque. Nous présentons les sites internet Éduthèque et Éduscol. Pour finir, nous travaillons avec Google Scholar. Moteurs de recherche, OPAC, bases en ligne, sites… très vite, tout s’entremêle. Si les frontières flottantes entre ces différents espaces ne posent pas questions aux professionnels de la documentation, les étudiants s’y perdent.

Texte numérique ou texte numérisé ?

À cette compétence d’identification de l’outil que l’on utilise s’ajoute celle de l’identification de la nature du document trouvé. S’agit-il d’un texte numérisé ? D’un texte numérique ? Notre rôle consiste à nouveau à donner des repères : après avoir identifié l’espace interrogé, il s’agit de faire apparaître les différences entre un texte numérisé et un texte numérique. Nous établissons qu’un texte numérisé a tout d’abord été publié sur un support papier, puis a été rendu lisible sur écran, par le biais d’une numérisation. Le texte numérique, quant à lui, n’a pas connu cette mutation de support. Il a exclusivement été publié sur écran. En prenant l’exemple de textes patrimoniaux, publiés sur le site Gallica par exemple, ce changement de support se clarifie. Nous posons ainsi une compétence supplémentaire. « Une ergonomie de la lecture est donc à développer » [Baccino, 2011, p. 66], indique Thierry Baccino dans une étude portant sur la lecture sur internet.

Avec le numérique, « beaucoup de chemins mènent à Rome ». Les OPAC, portails, bases en ligne assurent chacun des fonctions différentes et la richesse de leurs arborescences ne permet plus d’énoncer des généralités. Tout doit être nuancé. On peut arriver aux mêmes résultats en ayant recours à des procédures différentes. La sérendipité, les tâtonnements sur le web, avec notamment Google Scholar, obligent à la souplesse dans les démonstrations.

Le langage documentaire

Hélène Fournier (2007) travaille avec un public similaire au nôtre, mais au Canada. Elle analyse les stratégies de recherches des professeurs en formation. Elle montre « certaines lacunes […] pour choisir des outils de recherche ou des descripteurs adaptés, pour limiter les résultats de recherche ». Françoise Chapron (2015), Annette Béguin, Stéphane Chaudiron et Éric Delamotte (2007) poursuivent, depuis les années 1990, une réflexion sur la nécessité de former à la culture informationnelle. Ils s’appuient sur une spécificité française : les centres de documentation et d’information que pilotent les professeurs documentalistes dans les établissements du second degré. Ces professionnels y développent une formation à la culture informationnelle. Yolande Maury, Susan Kovacs et Sylvie Condette (2018), Françoise Chapron (2015) pour le second degré, et Sophie Kennel (2014) pour le niveau supérieur ont bâti un curriculum, portant notamment sur des compétences visant à travailler les langages documentaires. Nous avons constaté que, malgré ces dispositifs de formation, les difficultés des étudiants perdurent à leur arrivée en master. Partir de leur objet de recherche et le traduire en concepts pertinents leur permettant d’interroger les moteurs de recherche ou les OPAC est assurément l’exercice qui leur est le plus difficile. Ils tentent systématiquement une recherche intuitive, en langage naturel, comme ils la pratiquent sur le web. L’absence ou l’incohérence des résultats obtenus les stupéfait. Par exemple, lorsqu’ils utilisent le descripteur « primaire », pour eux il s’agit d’un niveau scolaire. Les résultats de leur recherche portant sur l’ère primaire les étonnent. Ils n’hésitent pas à utiliser l’abréviation C2, lorsqu’ils enseignent au cycle 2 ou encore GS, pour grande section de maternelle. Évidemment, avec de tels mots clés, la recherche n’aboutit pas. Dans le même ordre d’idée, « maternelle » figure pour eux l’école maternelle. Ils comprennent au fur et à mesure de leurs errances qu’il leur est impératif d’être précis et qu’il leur est indispensable d’utiliser les concepts reconnus par les bases de données. À force de voir leurs équations ne pas aboutir ou fournir des résultats insatisfaisants, ils comprennent qu’ils doivent, en plus, modifier leurs mots clés selon la base utilisée, chacune d’entre elles nécessitant des modalités d’interrogation différentes. « Le travail sur l’information et la connaissance nécessite une expertise spécifique. Catégories, taxonomie, classification, modèles, tous doivent être maîtrisés pour chercher de l’information » [Belisle, 2011, p. 153]. Il leur faut donc accepter que chaque espace documentaire réagit différemment, même si l’on utilise des mots clés identiques.

Les masques de recherche

À cette réalité s’ajoute celle de l’ergonomie des masques de recherche. Comparons trois d’entre eux.

Figure 1. Masque OPAC Unistra

 

Pour interroger l’OPAC de l’Unistra, un choix entre les quatre onglets proposés est impératif : Catalogue, Revues, Bases en ligne, Articles et +. Ce choix déstabilise pour de nombreuses raisons. L’onglet « Revues » permet une recherche à partir du nom de la revue. L’usager pourra ainsi savoir si la bibliothèque dispose de la collection Revue française de pédagogie par exemple. Souvent l’étudiant le sélectionne pensant qu’il va ainsi pouvoir effectuer une recherche thématique portant uniquement sur des articles de revues. Il n’en est rien. L’onglet « Bases en ligne » permet d’être aiguillé vers les bases auxquelles la bibliothèque est abonnée, Cairn par exemple. Celle-ci fournit, entre autres, des articles de revues. L’onglet « Articles et + », génère une recherche fédérée… qui moissonne bien évidemment aussi des articles de revues. Enfin, les bibliothécaires dépouillent des revues et les notices apparaissent lorsque l’on interroge le « Catalogue ». Ce simple exemple explique le malaise vécu par les étudiants. Ils n’y comprennent rien et s’en remettent souvent au hasard et aux tâtonnements.
Il leur faut aussi comprendre que les notices du catalogue de leur université sont déversées dans le catalogue commun à toutes les universités, le Sudoc Le Sudoc fonctionne comme une matriochka.

Figure 2. Masque OPAC Sudoc

 

Dans le cas du Sudoc, le masque à remplir est réduit. Il apparaît tout en haut de la page. Il fait assurément figure de l’OPAC le plus simple à utiliser, mais ce n’est qu’une apparence. La difficulté rencontrée repose sur l’indexation des documents. Les millions de notices compilées imposent, de la part de l’étudiant, une dextérité certaine. Il faut arriver à tricoter les différents critères de recherche possibles, sinon la noyade est assurée.

Figure 3. Masque OPAC Callimaque

 

Cette difficulté de rédaction d’équations documentaires se retrouve lorsque les stagiaires utilisent la base Callimaque du réseau Canopé. Elle fournit une option de recherche par critères, par thésaurus, avec ou sans OTAREN (Outil thématique d’aide à la recherche pour l’Éducation nationale). Et là, les esprits s’échauffent à nouveau. Ces notions s’avèrent quasiment inconnues.

L’apprentissage à la manipulation des outils de recherche documentaire est souvent laborieux. « La documentarisation externe, en particulier l’explicitation du contexte dans lequel le document a été produit et la recherche de systèmes d’organisation des connaissances en mesure d’orienter les lecteurs est au cœur de ces rôles et de leur [les bibliothécaires] compétence » [Zacklad, 2019].

Conclusion

Il est d’usage de saluer les apports du numérique. En recherche documentaire, l’efficacité des outils disponibles semble établie. Pourtant, les usagers ne mesurent pas à quel point il est essentiel d’apprendre à s’en servir, sous peine d’aboutir à des résultats de recherches infructueux. Souvent l’on récolte trop ou pas assez de références, voire des résultats trop éloignés du sujet. En méthodologie de formation à la recherche d’informations, on gagne à accompagner les étudiants en travaillant la notion d’espace. Il s’agit de les conduire à identifier les lieux qu’ils visitent. L’étape suivante consiste à faire prendre conscience que chacun de ces outils utilise ses propres mots clés. Ils n’opèrent pas de la même façon d’une base à l’autre. Les étudiants arrivent à cette formation avec un a priori négatif. Ils ont le sentiment de maîtriser les techniques de recherche. « Je l’avoue, je suis parti avec un a priori sur ces deux heures. Mais au final, c’était très utile. Les bases de données sont une mine d’or pour les recherches sur le mémoire et nos séances en classe. » Il est donc impératif de sélectionner les outils adéquats, d’établir une relation de confiance, de mesurer les difficultés de ces apprenants bien plus novices qu’ils ne l’imaginaient.

 

Bibliographie

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Baccino Thierry (2011), « Lire sur internet, est-ce toujours lire ? », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), n° 5, p. 63‑66. Disponible en ligne : http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2011-05-0063-011

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1. Selon la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, les ÉSPÉ sont renommées « instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation » (INSPÉ).

Un « matrimoine de raison »

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Le Patrimoine, il est là. Penser cet objet, c’est d’abord constater sa présence, se colleter avec cette évidence. Qu’il s’agisse des vieilles ruines d’un château fort perdues au milieu de la campagne ou de l’alignement des reliures dorées de livres anciens, cette matérialité en impose et nous oblige. C’est le sens que recouvre le mot dans les différentes langues d’Europe occidentale. Le français « patrimoine », hérité du latin patrimonium, et dont on retrouve les équivalents en italien, en espagnol, en portugais, désigne « les biens transmis par le père ». L’anglais heritage est encore plus explicite. Le mot allemand Erbe provient d’une racine signifiant « orphelin ». Si l’angle diffère, l’idée générale demeure. Le « patrimoine », ce sont des biens qui nous ont été légués par l’histoire. Peu importe qu’il s’agisse du magot convoité d’une riche famille, ou bien des pauvres effets d’une vieille tante morte sénile : en hériter nous en rend responsables. Du premier, sans doute, on saura s’accommoder. Des seconds, toutefois, il faudra aussi se préoccuper : régler la succession, payer les droits, vendre ou louer la maison, peut-être la rénover ou la détruire, prendre une décision, toujours. Qu’il nous réjouisse ou qu’il nous embarrasse, quelle que soit sa valeur, il nous faudra assumer cet héritage, en prendre la mesure, le gérer, fût-ce pour le détruire et faire de la place.

Pour parvenir jusqu’à nous, ce patrimoine aura connu bien des vicissitudes. L’histoire, dès lors qu’on la considère dans la durée, n’en est pas avare : conflits, révolutions, inondations, incendies n’épargnent guère les choses matérielles, vieilles pierres et vieux papiers. Pour ce qui concerne le patrimoine écrit, les flux et reflux de ces tempêtes conduisent rarement à constituer des collections homogènes et cohérentes. Ou plutôt si : ces collections ont ceci de cohérent d’avoir été bâties ainsi, et non autrement, d’exister ainsi. « Le réel est rationnel », dit Hegel, et il nous appartient de chercher la raison de cet entassement. Telles qu’elles sont, les collections témoignent d’une histoire, avant tout celle du territoire dans lequel elles ont été constituées. La géographie fait l’histoire et, en l’espèce, elle fait l’historiographie. C’est le rôle du responsable d’un fonds patrimonial de collationner cette histoire, jusque dans celle de chacun des documents qu’il conserve.

Nous, devant le patrimoine

Face à ce patrimoine, nous sommes peu de chose : nous ne faisons que passer. Il était là avant nous, il sera là après. Il le sera, du moins, si nous lui donnons la chance de subsister, car, aussi modestes que nous restions devant lui (« Du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent ! »), nous n’en sommes pas moins tout-puissants : nous avons la possibilité de le nier, de le détruire. L’actualité récente (Bâmiyân, Palmyre) ne nous l’a que trop montré. Des cas extrêmes ? Peut-être pas : il se pourrait bien que nous ayons à faire usage de cette toute-puissance. Si l’état du fonds témoigne de son histoire, nous ne faisons pas moins partie de cette histoire et rien ne nous interdit d’y apposer notre marque. Cette histoire est-elle source de cohérence ? Oui, mais cette cohérence est affaire d’interprétation, d’épistémè. « Notre histoire n’est pas notre code » : c’est aussi la responsabilité du bibliothécaire d’avoir la connaissance et l’intelligence de son fonds, de distinguer dans sa cohérence même l’essentiel de l’accessoire, d’assurer sa vie et sa pérennité en le débarrassant de ce qui l’encombre. En cela, le bibliothécaire patrimonial n’est pas différent de celui de lecture publique, il doit savoir, le moment venu, « désherber ». Bien sûr, il le fera avec discernement : on ne met pas à la benne des collections qui, pour inappropriées qu’elles soient dans ce fonds-là, n’en gardent pas moins une valeur, sinon patrimoniale, au moins sentimentale, ou, pour le dire autrement : pécuniaire. Ainsi, on prendra soin d’identifier les bibliothèques qui pourraient être intéressées par les collections « désherbées », les associations qui sauront en faire bon usage, les libraires qui seraient prêts à les acheter (à condition, bien sûr, que l’argent perçu bénéficie à l’entretien du fonds lui-même).

Fort de cette prise de pouvoir sur son fonds, le bibliothécaire pourra d’autant mieux assumer ses prérogatives : conserver, valoriser. C’est en quelque sorte un mariage de raison qu’il contracte avec sa collection, en osant un archaïsme, nous dirons : un « matrimoine », le mot, attesté en ancien français, désigne en latin (matrimonium) le mariage, comme il continue de le faire en italien (matrimonio). Ce paradoxe, « désherber » pour mieux conserver, n’en est un qu’en apparence, ou plutôt, il vient au service d’un autre paradoxe : montrer pour mieux conserver, ce que Florence Schreiber appelle « exposer », usant de la polysémie de ce verbe1. Montrer la collection, plus largement, l’exploiter, c’est lui donner une existence publique, la faire entrer dans un écosystème propre à la faire connaître, y compris des élus et des « décideurs », les seuls habilités à allouer un budget à sa conservation. C’est en montrant qu’on pourra mieux conserver, c’est en conservant qu’on pourra mieux et plus longtemps montrer.

Qui est ce « nous » ?
Les bibliothécaires, le public, les partenaires

Le métier de responsable d’un fonds patrimonial repose ainsi sur ces deux missions : conserver (un fonds qu’on pourra, au besoin, « désherber » ou enrichir), valoriser (auprès du grand public comme des chercheurs, ce qui suppose de l’avoir au préalable « signalé » dans un ou des catalogues)2. Cette double mission place la collection au cœur d’un réseau de relations qu’il convient d’expliciter.

Le premier public du fonds, ce sont ses bibliothécaires. Les responsables du fonds patrimonial ont pour devoir de connaître leur fonds, y compris par une démarche scientifique. Un travail de recherche permettra de connaître le contenu du fonds, mais plus encore sa provenance, l’histoire de sa constitution, ainsi que cela a déjà été dit plus haut. Ce travail aura l’avantage de permettre de mieux évaluer les besoins des chercheurs, autre public de destination du fonds. Au-delà des responsables eux-mêmes, la connaissance du fonds devra infuser dans le reste de l’équipe : le patrimoine n’est pas l’affaire des seuls collègues estampillés comme tels, il est un service qui peut enrichir l’ensemble des autres missions de la bibliothèque (par une visibilité dans les espaces accessibles au public, par des présentations thématiques dans le cadre des actions culturelles ou éducatives, par des propositions ad hoc pour les usagers plus éloignés des lieux de culture).

Les chercheurs, on l’a dit, sont un public naturel du fonds : encore faut-il ne pas se méprendre sur l’intérêt qu’ils peuvent y trouver. Des collections anciennes, parfois spectaculaires, qui captiveront les lecteurs de la bibliothèque, pourront n’avoir qu’un faible intérêt pour la recherche si elles ont été déjà largement défrichées, si elles sont présentes dans de nombreuses bibliothèques, si elles ont fait l’objet d’une numérisation. C’est encore une fois au responsable du fonds de savoir identifier quelles collections, par leur rareté ou leur unicité (ou parce qu’elles permettent de délester certaines collections nationales d’une partie de leur fréquentation), pourront intéresser les chercheurs. Le cas échéant, ce sont ces collections qui pourront faire l’objet en priorité d’une campagne de numérisation.

Si certaines collections ne présentent pas d’intérêt majeur pour la recherche, elles n’en demeurent pas moins des jalons possibles dans la formation des futurs chercheurs. Des ateliers d’initiation à la recherche historique à destination des lycéens et des étudiants de premier cycle pourront ainsi se révéler très profitables (qu’est-ce qu’une source ? comment la manipuler, la faire parler ? pourquoi confronter des sources ?). Plus largement, ce travail pourra être conduit avec tous les niveaux de classe, de la maternelle au lycée, chacun selon ses acquis et son programme. Ce travail, déjà largement pratiqué3, mérite d’être poursuivi.

Qu’en est-il des autres publics, ni universitaires ni scolaires ? La propriété des fonds patrimoniaux des bibliothèques est la plupart du temps nationale ou municipale (parfois intercommunale). En ce sens, il convient que ces fonds soient en quelque sorte « restitués » à leur propriétaire légitime : le peuple. Ils le sont à travers les formes classiques de l’exposition (pour Saint-Denis, citons : « Victor Hugo et son temps », « La santé à Saint-Denis au XIXe s. », « L’éducation sous la Commune », « 14-18 : hommes et femmes dans la guerre », etc.) et de la présentation orale (les différents avatars de « 10 minutes/1 œuvre »). Ils peuvent l’être encore sous de nouvelles formes, à inventer, dans lesquelles les réseaux sociaux trouveront aussi leur place. À cette fin, il paraît crucial de nouer des liens avec une constellation de partenaires : outre les élus et les grandes institutions nationales déjà mentionnés, les partenaires locaux, qui peuvent avoir une compétence sur le patrimoine (archives municipales, musées, monuments historiques, unités d’archéologie) ou bien offrir un accès à un public que la bibliothèque peinerait à aller chercher elle-même (associations de FLE – français langue étrangère, par exemple). De façon plus anecdotique, et selon les situations, les éditeurs (intéressés par des reproductions d’images ou de documents) ou les institutions étrangères (imaginons une bibliothèque disposant de fonds comparables dans un autre pays) pourront également être sollicités. D’autres formes de collaboration peuvent encore être imaginées : le recrutement de stagiaires, voire de jeunes en service civique, sur des fiches de mission rédigées à cet effet, le recours à du mécénat, voire à sa forme numérique de crowdfunding pour financer certaines opérations particulières (exemple de la restauration d’ouvrages). Certaines bibliothèques n’hésitent pas à tarifer leurs opérations de reproduction, notamment lorsqu’elles sont effectuées à des fins lucratives (publications).

Valoriser le patrimoine : pourquoi, comment ?

Une fois que le bibliothécaire a pris ses responsabilités par rapport au fonds qui lui est échu – le circonscrire, lui donner une plus grande cohérence, prendre les mesures de conservation qui s’imposent pour les documents qui le nécessitent, cataloguer et signaler la collection –, il lui revient de se poser enfin la question qu’il n’a que trop différée : à quoi bon tout ça, et que faire de ce fatras ? Bien sûr, il ne fait aucun doute qu’il y a là un matériau de base pour le travail de l’historien, si celui-ci veut bien s’en emparer. Cette réserve n’est pas négligeable à l’heure où, pour les études historiques, « tout fait ventre » : les apports de l’archéologie, la documentation déjà largement accessible en ligne, l’étude des œuvres d’art, celle des archives et de tout ce qui peut se trouver ailleurs que dans les bibliothèques. Si l’historien a recours à nous, ce ne sera jamais que pour une faible part de nos fonds. Faut-il détruire le reste ? La question a déjà été abordée, et notre responsabilité de conserver excède ce qui est immédiatement utile. Pour l’éternité, à ce jour, le support imprimé reste plus fiable et plus durable que d’incertains et versatiles formats numériques. À quoi bon tout ça ? La réponse appartient une nouvelle fois au propriétaire légitime des fonds, le citoyen, c’est lui qui dictera au bibliothécaire la conduite à suivre.

La société contemporaine est habitée par une inquiétude, celle de l’insignifiance. Tout passe, tout va trop vite. Le monde du travail soumet parfois le salarié à des rythmes effrénés, à des tâches tellement segmentées qu’elles en deviennent incompréhensibles : le travailleur ne voit plus « la cathédrale qu’il habite ». Des flux financiers largement virtuels commandent aux forces productives. Les inégalités se creusent, le lien social se délite. Dans les grands échanges mondiaux, les identités se confrontent et s’exacerbent, de peur de se dissoudre. La planète elle-même, sapée par une exploitation incontrôlée de ses ressources, ne semble plus un terrain sûr sur lequel poser les pieds. Dans la turbulence des flots, chacun cherche où jeter son ancre. Il n’y va pas que de la quête controversée d’une insaisissable « identité nationale ». Le « petit blanc » se raccroche à la nation comme certains enfants de l’immigration en déshérence se raccrochent à leur religion : ce ne sont à chaque fois que des caricatures de cette nation et de cette religion, coupées de toute construction historique4. Des communautés se créent sur les réseaux sociaux entre personnes qu’un même goût, un même centre d’intérêt, une même préférence rapprochent. Qui suis-je ? Le « né sous X » veut connaître sa mère, le citadin creuse ses généalogies rurales, l’employé déboussolé retourne à la terre. Dans une époque de plus en plus horizontale, on cherche un peu de verticalité, pour le dire avec un vieux mot, de racines.

Nos collections patrimoniales sont comme la vie : elles sont profuses, désordonnées (malgré nos efforts !), protéiformes. C’est bien le diable si quiconque n’y trouve quelque chose à quoi se raccrocher, un signe de reconnaissance. Faut-il se limiter à ce signe ? Non, bien sûr, mais c’est une clé d’entrée. On vient chercher dans les collections patrimoniales quelque chose qui puisse nous parler, on y trouve tout autre chose, un fil qu’on n’en finit plus de tirer. Tout responsable d’un tel fonds en a fait l’expérience, il convient de la partager avec le public. Nos fonds témoignent pour l’histoire, y compris par leurs lacunes, ils permettent à chacun de trouver une place, de se situer, à une condition qui est aussi, pour nous, une exigence : utiliser ces fonds pour montrer que nulle histoire ne saurait être univoque. Il y a une vérité des faits bien sûr, il y a aussi une pluralité d’approches pour les interpréter. Il ne s’agit pas pour nous de dire : « ça s’est passé ainsi », encore moins, bien sûr, de délivrer une interprétation idéologique de l’histoire, mais bien, à partir des connaissances et des attentes mêmes du public, de lui faire partager la complexité du réel. Et l’histoire ne cesse de s’imbriquer en elle-même, de se mettre en abyme. Il y a ainsi, par exemple, une histoire de la Commune de Paris – l’un des domaines d’excellence des fonds de Saint-Denis –, il y a aussi une histoire de la réception de cet événement, une « histoire de son histoire », et on n’en parle pas de la même façon en 1872 qu’en 1936, non plus qu’entre un journal d’opinion ou une brochure scientifique, un périodique conservateur ou socialiste. Embarquons l’usager dans cette aventure : nous ne sommes pas des professeurs d’histoire, nous sommes détenteurs de sources qui ne disent pas la même chose, qui se contredisent, qui occultent des propos ou des événements, les enjolivent ou les déforment. Parti pour retrouver une trace de soi (encore faut-il que la bibliothèque ait consigné une telle trace, mais je parlerai de cela plus loin), le lecteur se retrouve un parmi d’autres, dans le kaléidoscope des points de vue, des identités et des mémoires.

Par sa nature, le patrimoine écrit témoigne de l’Histoire à un triple niveau. En tant qu’objet matériel, le livre s’inscrit dans l’histoire des supports de l’écrit, l’histoire des médias et, au-delà, celle des modes de production. Il y a beaucoup à dire sur l’objet lui-même, sa période de fabrication, sa facture, ses commanditaires, son imprimeur, avant même d’en avoir déchiffré le contenu. Bien sûr, ce contenu, texte ou images, vaut également pour lui-même, pour ce qu’il dit, et pour la façon dont il s’insère dans une épistémologie : histoire de la connaissance en général, ou d’une discipline en particulier. Entre les deux, matérialité de l’objet et intellectualité de son contenu, l’établissement du texte, son caractère original ou bien sa conformité à un original, ses variantes, la façon dont il a été édité, enrichi, coupé ou censuré, composé enfin sur la page, renseigne sur le statut de ce texte dans l’époque où il a été imprimé. Chacun de ces niveaux d’analyse ouvre à des formes de valorisation diverses.

En tant que tel, le document peut être exposé, ou bien faire l’objet d’une présentation orale, cela a été dit. Il peut également être pris en photo pour figurer sur des supports imprimés ou numériques. Ce sont ces déclinaisons qui seront le plus à même de toucher le grand public, voire les personnes les plus éloignées des lieux de culture. Le contenu, selon sa difficulté (langue d’écriture, lisibilité) pourra n’être accessible qu’à des spécialistes : c’est le règne du chercheur. Rien n’interdit, toutefois, pour des documents récents, accessibles, à fort caractère visuel (unes de presse par exemple) d’y travailler avec des groupes scolaires ou universitaires, dans des ateliers de sensibilisation à la méthode de l’historien. Dans une époque qui pose de façon prégnante la question de la fiabilité des sources (problème des fake news et de leur diffusion via les réseaux sociaux), on peut imaginer de confronter des élèves au traitement différencié d’un même événement (si possible de leur programme d’histoire) par différents journaux, et à les faire s’interroger sur ces différences. Pour ce qui est de l’établissement du texte, s’il relève aussi de la sphère du chercheur, il peut également nourrir une réflexion du même type sur la fiabilité des sources. Il renseigne également, sous l’aspect de la composition de la page, sur l’histoire du livre. Ce sont ces deux derniers aspects, analyse du contenu et de sa mise en forme qui profiteront le plus d’une campagne de numérisation.

Travailler sur des vieux papiers n’interdit pas de le faire de façon innovante. Les problématiques très contemporaines de l’accueil, des services aux publics « éloignés » ou « empêchés », de la participation et de la « co-construction » peuvent également nourrir la réflexion sur l’exploitation des fonds patrimoniaux. Côté accueil, on veillera à ce que les usagers qui expriment une curiosité pour ces fonds, du professeur d’université au jeune élève, en passant par l’étudiant de troisième cycle, l’érudit local, le retraité, le généalogiste, soient traités non seulement, bien sûr, avec les mêmes égards, mais aussi à travers une approche adaptée. On ne toisera pas le néophyte du haut de ses connaissances patrimoniales, pas plus qu’on ne demandera au professeur de ne pas écrire sur les livres. Surtout, pour chacun d’entre eux, on s’appuiera sur ses attentes, ses connaissances, ses intérêts, et on commencera par le faire parler de ce qu’il voit dans le document. On se gardera ensuite de lui asséner le discours du « sachant », mais on mettra au contraire en doute son propre savoir, tant il est vrai que la connaissance historique peut à chaque instant être remise en cause. On ne tombera pas pour autant dans le relativisme du « on ne sait pas grand-chose ». La valorisation pourra même se faire participative : pourquoi ne pas construire un chemin d’exposition avec les usagers eux-mêmes, sur le modèle du Biblio Remix, par exemple avec une classe de lycée ou des étudiants de premier cycle ? Le prêt d’ouvrage patrimoniaux, expérimenté notamment à la BHVP (Bibliothèque historique de la Ville de Paris), pourrait constituer une autre façon de rapprocher le public de ces collections. La trace des femmes au sein de notre héritage patrimonial, préoccupation récemment apparue sous la forme d’une nouvelle acception de « matrimoine », devra être recherchée. Enfin, rien n’empêche, même, voire surtout, longtemps après, de revenir vers ses usagers pour s’interroger sur ce à quoi notre action a servi : monter avec des classes des projets ambitieux associant ateliers créatifs, présentation des collections, visites d’expositions ou de la BnF ? A-t-on demandé à un sociologue, dix ans après, d’enquêter sur ce que ces élèves sont devenus, ce qui s’est déposé en eux, jeunes gens, de ces vieux sédiments ?

Continuer l’histoire…

Le patrimoine ne meurt pas avec nous. L’actualité éditoriale d’aujourd’hui fera les collections patrimoniales de demain. Pour autant, les bibliothèques territoriales ne partagent pas la mission de conservation exhaustive de la bibliothèque nationale. Dans ces conditions, que conserver ? Les fonds, tels qu’ils existent, en sont une indication. Il faut continuer d’enrichir ce que j’ai appelé les « domaines d’excellence » : par des acquisitions rétrospectives chez les libraires ou en salle de vente si on le peut, par le suivi de l’actualité éditoriale au minimum. Le désherbage des collections de lecture publique fournira également un appoint. Parfois, s’il témoigne d’orientations nouvelles dans la vie des fonds, il pourra faire l’objet de la création d’un nouveau « domaine d’excellence ». Les travaux de recherche réalisés à partir des fonds devront également être conservés en tant que tels. Ces différents accroissements ne devraient pas faire l’impasse sur la conservation numérique des sites Internet en relation avec les fonds, au moins pour la partie du fonds local.

Est-ce suffisant ? On l’a dit, nos fonds tiennent le peu de cohérence qu’ils peuvent avoir de leur fidélité à l’histoire, à la géographie, à la sociologie d’un territoire. Cette sociologie évolue-t-elle ? Comment nos fonds en rendront-ils compte ? Les dons et legs peuvent y pourvoir. Parfois, il peut se révéler utile de les précéder, de les susciter. Dans une banlieue populaire comme Saint-Denis, l’histoire du mouvement ouvrier est un domaine d’excellence car Saint-Denis a longtemps été une ville ouvrière. Elle ne l’est plus. Elle est en revanche devenue une ville multiculturelle qui s’enorgueillit d’accueillir plus de 100 nationalités. Ce pourrait être aussi une donnée à prendre en compte dans la constitution des fonds patrimoniaux, par exemple par la construction d’une « bibliothèque des diasporas » encore à imaginer. Ainsi les collections épouseraient-elles le continuum de l’histoire, ainsi l’usager se voyant reconnu dans ce continuum aurait-il d’autant plus de curiosité pour ce qui l’a précédé, ainsi se sentirait-il accepté dans cette histoire. À ce prix, notre « matrimoine de raison » pourrait-il donner naissance à de beaux enfants.

1. J’emprunte cette idée à l’article « Exposer le patrimoine » de Florence Schreiber, publié dans L’action culturelle en bibliothèque, sous la direction de Bernard Huchet et Emmanuèle Payen, Éditions du Cercle de la Librairie, 2008.

 2. Je reprends là les quatre grandes catégories dressées par le Manuel du patrimoine en bibliothèque, sous la direction de Raphaële Mouren, Éditions du Cercle de la Librairie, 2007.

3. En témoigne le partenariat entre le réseau de lecture publique de Plaine Commune et la BnF : outre l’article de Florence Schreiber déjà cité, on pourra consulter, de la même, « Quelque chose de Saint-Denis… », publié dans Bibliothèque(s), revue de l’Association des bibliothécaires de France, en juin 2006 (n° 26/27).

4. J’emprunte cette idée à l’ouvrage d’Olivier Roy, La sainte ignorance, éd. du Seuil, 2008.

Un partenariat à l’heure de l’interopérabilité

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Une collaboration à multiples facettes
entre la BnF et la British Library

Mené de juillet 2016 à décembre 2018 grâce à un mécénat exceptionnel de la fondation Polonsky, fondation anglaise à vocation philanthropique dont l’objectif est de favoriser l’accès au patrimoine culturel du plus grand nombre, le programme « France-Angleterre, 700-1200 : manuscrits médiévaux de la BnF et de la British Library » est un vaste programme de numérisation et de valorisation d’un ensemble de 800 manuscrits médiévaux de haute époque, conservés à parts égales entre la BnF et la British Library. Les manuscrits ont été sélectionnés en fonction de leur importance pour l’histoire des relations franco-anglaises au Moyen Âge, à l’image des manuscrits normands, ainsi que pour leur intérêt artistique, historique ou littéraire, de manière à constituer un corpus scientifiquement et historiquement cohérent. Produits entre le VIIIe et la fin du XIIe siècle, ces manuscrits couvrent des domaines très variés qui sont représentatifs de la production intellectuelle du haut Moyen Âge et de l’époque romane.

Pour la première fois dans le domaine des manuscrits, la BnF et la British Library ont réuni leurs collections patrimoniales, qui comptent parmi les plus riches au monde pour les premiers siècles du Moyen Âge, et leur expertise afin de construire un projet global et transversal qui répond pleinement aux défis actuels du numérique en faisant appel aussi bien au socle traditionnel de connaissances scientifiques qu’aux nouvelles technologies, projet qui s’adresse aussi bien à la communauté des chercheurs qu’à un plus large public. Le résultat est un programme innovant à multiples facettes, englobant différentes opérations de valorisation des manuscrits, aussi bien techniques que scientifiques, où les deux institutions ont travaillé de manière pleinement complémentaire, mettant leurs points forts respectifs au service du programme1.

Le site en marque blanche : IIIF et Mirador

Outre le catalogage, la restauration et la numérisation des 800 manuscrits du programme, l’accord entre la British Library et la Bibliothèque nationale de France prévoyait entre autres la conception de deux sites Internet dédiés à la valorisation2. Un site éditorialisé (« Interpretative Website »), composé de sélections thématiques à destination du grand public, était conçu par la British Library, tandis que la BnF devait mettre en place une bibliothèque numérique donnant accès à l’intégralité des manuscrits numérisés grâce à la technologie IIIF3.

Page d’accueil du site « France-Angleterre : manuscrits médiévaux entre 700 et 1200 » (marque blanche Gallica), https://manuscrits-france-angleterre.org/

 

Depuis plus d’une décennie, la mise en place de tels « portails » a constitué un passage obligé de tout partenariat de numérisation multilatéral, garantie essentielle pour les mécènes de la pérennité de leur action. En 2007, le premier partenariat d’ampleur impliquant la numérisation de manuscrits à la BnF aboutissait déjà à l’ajout de 300 manuscrits français à la Roman de la Rose Digital Library4. Entre 2010 et 2012, dans le cadre du partenariat Europeana Regia, la BnF avait conçu un portail spécifique rassemblant des notices succinctes, homogènes et multilingues, des 871 manuscrits médiévaux numérisés par les bibliothèques européennes participantes, ainsi que des liens vers les catalogues et bibliothèques numériques spécifiques de chacune d’entre elles5. Cette expérience et le recul qu’il est possible d’avoir aujourd’hui sur ces anciens portails ont nourri les choix techniques pour la bibliothèque numérique du projet Polonsky.

Adopter la technologie Gallica marque blanche développée par la BnF pour ses partenariats a paru l’option la plus pertinente pour la bibliothèque numérique Polonsky, à la fois pour des raisons de pérennité et d’entretien, et d’économie de moyens. Adossé à Gallica, le site bénéficiera des évolutions techniques de celle-ci même après la fin du projet ; lié aux catalogues des deux institutions, il répercutera d’éventuelles évolutions du contenu en cas de découverte scientifique sur les manuscrits concernés. Ces avantages apportent certes les contraintes correspondantes, en particulier des possibilités limitées d’adaptation de l’infrastructure, commune à Gallica et aux sites Gallica marque blanche, devant donc rester suffisamment généraliste pour s’adapter à tous types de documents numérisés (et non les seuls manuscrits médiévaux), et tributaire de choix techniques antérieurs, tels que l’utilisation de métadonnées au format Dublin Core. Il permettait cependant de limiter les coûts de développement d’infrastructure pour se concentrer sur le visualiseur IIIF, au cœur du projet.

Résultat d’une recherche grâce à la technologie Gallica marque blanche et aux métadonnées Dublin Core.

 

IIIF – International Image Interoperability Framework– est un ensemble de spécifications techniques destinées à rendre interopérables et faciles d’accès les résultats de la numérisation patrimoniale. Le rassemblement de numérisations de manuscrits conservés dans des institutions différentes, cruciale pour les études médiévales, constituait dès le départ l’une des motivations à la mise en œuvre de IIIF, dans lequel la British Library comme la BnF se sont précocement engagées. Depuis 2015, Gallica implémente une application IIIF, rendant l’ensemble de ses collections accessibles en haute définition par l’intermédiaire de protocoles normalisés, mais, malgré l’implication de la BnF dans des projets d’expérimentation des possibilités de IIIF tels qu’Europeana ou Biblissima6, elle ne tirait que marginalement partie de cette technologie pour afficher ses propres ­documents numériques ou ceux de ses partenaires.

L’un des enjeux techniques du partenariat, l’utilisation d’IIIF pour afficher les numérisations dans la bibliothèque numérique commune, permet d’éviter la copie et le transfert de fichiers. Chaque institution reste responsable de l’hébergement de ses manuscrits numérisés (voire, le cas échéant, de leur mise à jour) ; le portail commun fait directement la requête en temps réel à chacun des deux serveurs. Cela permet par exemple de rendre visible les 400 manuscrits de la British Library dans la bibliothèque numérique du projet sans les intégrer directement dans la chaîne d’entrée BnF. Comme pour les métadonnées, issues des catalogues de chaque institution, une modification sur les serveurs de chacune serait immédiatement répercutée sur le portail du projet.

Plutôt que de faire évoluer le visualiseur natif de Gallica, propriétaire et prenant peu en charge IIIF, ou Universal Viewer, progressivement déployé par la British Library, le choix s’est porté vers l’implémentation de l’application Mirador7. Ce visualiseur libre, déjà déployé par la Bayerische Staatsbibliothek ou, en France, par Biblissima et par la BVMM (Bibliothèque virtuelle des manuscrits médiévaux), a semblé particulièrement adapté pour un corpus de manuscrits médiévaux, grâce notamment à ses fonctionnalités avancées de manipulation d’image (contraste, colorimétrie, etc.). Des options supplémentaires de téléchargement, de partage et d’annotation ont également été mises en place.

Si l’articulation entre ce nouveau visualiseur et l’architecture Gallica marque blanche a pu être réalisée de façon harmonieuse, la diffusion des métadonnées selon les « manifestes » prévus par les spécifications IIIF a dû s’insérer dans un écosystème complexe, intégrant déjà un catalogage natif dans des formats différents et un export en XML/Dublin Core dans des sets OAI, indispensable à la recherche dans Gallica.

Manuscrits BnF Latin 9436 (Missel de saint Denis, reliure) et Latin 8846 (Psautier anglo-catalan, détail du f. 1v) dans le visualiseur Mirador. Ces deux manuscrits ont été restaurés, catalogués et numérisés dans le cadre du projet Polonsky.

 

L’interopérabilité des métadonnées

Les deux institutions ont une longue tradition de description scientifique de leurs collections de manuscrits, dont l’aboutissement a été la mise à disposition des catalogues en ligne BnF Archives et manuscrits (BnF) et Explore Archives and Manuscripts (BL). Le processus de création des données descriptives pour le portail numérique reposera de part et d’autre sur les données existantes dans les catalogues d’origine et leur mapping vers le format socle de Gallica, le Dublin Core.

Les deux institutions entreprennent un chantier de reprise et d’enrichissement des descriptions des 800 manuscrits sélectionnés afin de répondre aux exigences scientifiques du projet. À la BnF, par exemple, les notices provenant de la rétroconversion des catalogues imprimés sont intégralement reprises avec un haut niveau d’exigence scientifique : remise à niveau du point de vue de la qualité des données suivant les préconisations du Manuel de catalogage des manuscrits médiévaux et du Guide des bonnes pratiques de l’EAD en bibliothèque, enrichissement des descriptions incluant l’identification des auteurs et des œuvres, des copistes et des lieux de copie, ainsi que des anciens possesseurs ; un important travail sur la description physique est également effectué. Deux chargés de projet au sein du département des Manuscrits travaillent pendant deux ans à la reprise des 400 notices du corpus. Le département des Métadonnées est également mis à contribution pour la création, la mise à jour et le dédoublonnage des notices d’autorités noms de personnes et titres d’œuvres.

Si un consensus international ancien existe en matière de description de manuscrits, l’absence de norme écrite ainsi que le recours à des formats et des référentiels différents vont nécessiter de mettre en place un certain nombre de dispositifs pour permettre l’alignement des données provenant des deux catalogues. La British Library utilise en effet un outil de catalogage par formulaire fondé sur la norme ISAD(G), tandis que la BnF a recours à un outil de catalogage en EAD natif. D’autre part, les référentiels utilisés pour l’indexation des noms de personnes, des œuvres, des lieux et des sujets sont également distincts : recours au fichier d’autorité interne de la BnF d’un côté, recours à un fichier d’autorité interne ou à des fichiers externes pour la British Library (VIAF, LCSH, Getty Geo ID). Enfin, chaque catalogue est rédigé dans la langue nationale, plus le latin.

Si l’objectif, à terme, est bien l’interopérabilité et la symétrie des données à verser dans le portail, il n’est toutefois pas envisageable ni d’un côté ni de l’autre de dévier de la politique de catalogage ni du modèle de données en œuvre dans le catalogue, de manière à conserver une cohérence d’ensemble. On pourra consulter un article de Mélanie Roche et Maryline Devidal présenté lors du Congrès mondial des bibliothèques et de l’information organisé par l’IFLA en août 2018, sur la difficulté à construire un catalogue homogène faisant coexister des descriptions de manuscrits allant du codex médiéval à peintures au manuscrit dactylographié en feuilles d’un auteur contemporain, en passant par les estampages chinois et autres manuscrits en rouleaux, avec des descriptions de documents d’archives de tout type et de toute forme8 : il n’est ainsi pas question de mettre en péril ce fragile équilibre.

Ce sont donc les données Dublin Core, générées par mapping à partir des données sources, qui devront faire l’objet d’un alignement. Là encore, la marge de manœuvre est faible. En effet, le choix d’une infrastructure marque blanche implique pour les deux partenaires de travailler à partir du modèle de données établi pour les descriptions en Dublin Core dans Gallica, pour la constitution des index et les paramètres de la recherche avancée. Difficulté supplémentaire pour la BnF, un mapping unique de l’EAD vers le Dublin Core existe pour tous les documents décrits dans BnF Archives et manuscrits, qu’il s’agisse de manuscrits ou de documents d’archives et quel que soit le type de document (textuel, iconographique, audiovisuel, etc.). L’hypothèse de la création d’un mapping et d’un entrepôt OAI spécifiques pour les 400 notices du corpus est écartée pour des raisons de coût d’initialisation et de maintien. Il va donc falloir faire passer les données à l’épreuve du mapping existant afin d’en tirer les données attendues en sortie. De légers aménagements de ce mapping pourront toutefois être consentis lorsque le besoin spécifique du projet rencontre un besoin commun (par exemple l’identification des noms de personne ou des lieux de copie dans les niveaux décrivant les différentes parties d’un recueil composite).

Les manifestes IIIF, nécessaires à l’affichage des numérisations dans Mirador, font largement doublon aux descriptions Dublin Core de Gallica, mais, peu normalisés et pour l’instant uniquement exploités pour des manuscrits, ils laissaient davantage de latitude. Le choix a été fait de les dériver des notices Dublin Core tout en apportant des évolutions légères dans l’esprit des préconisations de la communauté IIIF-Manuscripts et de Biblissima (telles que privilégier la cote au titre pour le libellé principal). Dans la perspective de l’extension d’IIIF à d’autres collections, la pérennité de ce dispositif paraît cependant peu assurée.

Un autre écueil rencontré a été également la création d’index en recherche avancée pour les auteurs et les lieux de copie, en raison du multilinguisme d’une part et du recours à des référentiels distincts pour l’indexation des entités d’autre part. La solution mise en œuvre a été de créer des requêtes pré-câblées au service de recherche SRU Gallica d’après des tableaux de concordance entre les graphies d’un même nom en français, en anglais et en latin, ainsi qu’entre les identifiants des fichiers d’autorités (alignement des ISNI présents dans les fiches d’autorité « nom de personne » de la BnF avec les identifiants VIAF ; alignement des identifiants des notices d’autorité « RAMEAU Nom géographique » avec les identifiants du fichier du Getty Thesaurus of Geographic Names). Concernant la recherche par thématique, les données de la British Library contiennent une indexation matière qui n’existe pas dans les données de la BnF pour les manuscrits et qu’il n’était pas envisageable d’intégrer par souci de cohérence. La solution mise en œuvre a consisté à déterminer une douzaine de thématiques à partir du référentiel de la British Library et de leur associer des codes projets dans les notices de la BnF afin, là aussi, de construire une recherche pré-câblée dans le portail à partir d’un tableau de concordance.

Gallica marque blanche
et le travail de coopération numérique

Le choix de Gallica marque blanche dans le cadre du projet s’est imposé assez rapidement, la BnF ayant un recul de quelques années sur cette technologie.

Le dispositif Gallica marque blanche a été en effet initié en 2011 à la suite de la demande à la BnF d’un partenaire, la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, de créer sa bibliothèque numérique en réutilisant l’infra­structure Gallica. À l’époque, Gallica avait près de 15 ans et comptait déjà plusieurs millions de documents, s’affirmant comme une bibliothèque numérique collective de référence.

Gallica marque blanche s’est ensuite adressé assez rapidement à d’autres établissements partenaires ayant numérisé ou souhaitant numériser une partie de leurs collections, mais ne disposant pas de plateforme de diffusion ou souhaitant renouveler leur plateforme actuelle. Chaque projet s’est ainsi concrétisé par la réalisation d’une bibliothèque numérique construite sur la base de l’infrastructure Gallica, utilisant le moteur de recherche Gallica, mais paramétrée et personnalisée aux couleurs du partenaire. Parallèlement, la BnF a amélioré le service rendu sur Gallica en proposant un fonds documentaire enrichi.

La maintenance et l’évolution de ces bibliothèques numériques ont été incluses dans le dispositif dès le démarrage : toute évolution majeure, toute amélioration de Gallica sont ainsi répercutées dans les sites en marque blanche. Et les collections des partenaires sont archivées dans l’outil d’archivage réparti SPAR, pour une conservation pérenne à long terme.

Sept bibliothèques numériques en marque blanche sont actuellement en ligne et sept sont en cours de construction, avec des bibliothèques municipales (Rouen, Pau, Toulouse, Brest, Grenoble) ou d’autres institutions (Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, Service interministériel des Archives de France, ministère des Affaires étrangères, Cirad…).

Au moment de la mise en œuvre du projet France-Angleterre, Gallica marque blanche avait donc déjà fait ses preuves avec plusieurs bibliothèques en ligne, comportant des collections de manuscrits, et répondait a priori bien à l’objectif de présenter, sur un même site, des collections de la British Library (BL) et de la BnF, en utilisant la robustesse et la puissance de l’infrastructure et du moteur de recherche Gallica. Néanmoins, le projet présentait certaines spécificités, qui n’étaient pas prévues dans le dispositif, notamment la réalisation d’un visualiseur IIIF, décrit précédemment, et la possibilité de gérer plusieurs langues (français, anglais, italien). Ces deux innovations techniques ont été conduites avec succès et ont permis, notamment pour la gestion du multilinguisme, de faire évaluer l’ensemble des systèmes : Gallica dispose aujourd’hui d’une interface complète dans plusieurs langues et les marques blanches qui le souhaitent peuvent également en bénéficier.

Au-delà de ces innovations prévues, le projet a permis d’acquérir de nouvelles approches, avec davantage de souplesse pour la valorisation de collections de manuscrits.

Le partage d’expérience avec nos partenaires de la British Library, leur approche très marketing et la nécessité de faire cohabiter deux sites frères, l’un géré par la British Library sur la partie médiation et l’autre géré par la BnF sur l’exploration des collections, ont incité à renforcer l’attention sur le fameux « parcours utilisateur », même si au départ de tout projet numérique, l’internaute, qu’il soit chercheur, érudit ou simple curieux, est au centre des préoccupations.

Cela s’est traduit par la mise en place d’un groupe de testeurs, qui a utilisé l’ensemble des fonctions du site avant mise en ligne et répondu à un questionnaire : leurs analyses ont permis d’ajuster certains aspects du site. Les fréquents échanges avec nos homologues de la British Library ont fait également évoluer sur l’aspect et la configuration de la page d’accueil, avec pour objectif de la rendre plus percutante. Enfin, la nécessité de guider l’internaute dans les collections a conduit à la mise en place d’abécédaire d’auteurs, d’accès par zones géographiques, thèmes ou époques, ou bien encore de pages recensant d’autres ressources disponibles sur les manuscrits médiévaux de cette époque.

L’ensemble de ces améliorations irriguent aujourd’hui la démarche et les échanges avec les nouveaux partenaires et permettent de mieux les accompagner.

Au-delà de l’aspect qualitatif, le bilan statistique, d’un point de vue quantitatif, est positif. Le site « France-Angleterre » en marque blanche voit une fréquentation notable, avec une audience plus de deux fois supérieure à la moyenne des autres marques blanches. Si ce nombre de visiteurs est certainement lié à l’attention portée au site, le rôle de la communication est également à souligner : des articles de blog, repris par les réseaux sociaux, la mise en ligne d’un documentaire, des colloques et conférences, ont préparé puis accompagné la mise en ligne des manuscrits.

L’intérêt porté par le public aux collections de manuscrits est probablement aussi une des raisons de cette fréquentation et encourage vers des projets intégrant ce type de fonds, qui trouve son public en ligne.

Il y aurait encore sans doute beaucoup à faire pour compléter ce projet, le faire vivre, l’actualiser. Une des limites de ce programme « France-Angleterre » réside dans sa durée : même si le site est prévu pour durer dix ans, ce partenariat dès le démarrage s’est limité à un corpus donné, avec une mise en ligne unique et pas d’actualisation ou d’enrichissement au fil des ans. Or – on le remarque pour d’autres projets – la durée permet de tirer pleinement avantage d’une coopération numérique. C’est en mettant en ligne de nouveaux corpus, de nouvelles pages éditoriales, de nouvelles fonctionnalités, que l’on rend complètement opérant un site, avec un noyau de visiteurs fidèles, de nouveaux prescripteurs, de nouvelles opportunités de valorisation et de rayonnement.

C’est dans ce sens que s’inscrivent généralement les dispositifs de coopération numériques avec la BnF, chaque partenariat pouvant s’additionner dans le temps avec d’autres, au fur et à mesure des besoins et des opportunités : participation au marché de numérisation de masse, subventions pour de la numérisation concertée, intégration ou moissonnage dans Gallica, médiation via des pages sélections, participation aux programmes internationaux « Patrimoines partagés ». La multiplication des canaux de diffusion dans le temps permet, pour un même document, d’en révéler plusieurs facettes et de faire découvrir et analyser, dans des contextes différents, les ressources de notre patrimoine.

 

1. Pour une présentation détaillée du programme, voir Charlotte Denoël, « Le programme Polonsky “France-Angleterre, 700-1200 : manuscrits médiévaux de la Bibliothèque nationale de France et de la British Library” : bilan et perspectives », éditorial du Bulletin du bibliophile, 2019, 1, p. 3-10.

2. Ces deux sites ont été mis en ligne le 21 novembre 2018 ; le site éditorialisé est accessible à l’adresse https://www.bl.uk/fr-fr/medieval-english-french-manuscripts et la bibliothèque numérique sur https://manuscrits-france-angleterre.org

3. Voir « API IIIF de récupération des images de Gallica » sur BnF API et jeux de données : http://api.bnf.fr/api-iiif-de-recuperation-des-images-de-gallica

4. La numérisation des manuscrits français du Roman de la Rose était le fruit d’un partenariat avec la John Hopkins University de Baltimore avec le soutien de la fondation Andrew W. Mellon. Remanié dix ans plus tard, le portail est désormais inclus dans la Digital Library of Medieval Manuscripts [https://dlmm.library.jhu.edu/] et a adopté des technologies modernes telles qu’IIIF, sans mise à jour des contenus (numérisations ou métadonnées).

5. Toujours en ligne à l’adresse http://www.europeanaregia.eu/, ce portail n’est pas sans poser des difficultés techniques de maintenance, mais également de pertinence de données à mesure que les notices sont mises à jour dans les catalogues propres de chaque bibliothèque, que de meilleures numérisations sont réalisées, et parfois simplement en l’absence d’adresses URL réellement pérennes.

6. Équipement d’excellence subventionné au titre des « Investissements d’avenir » (2013-2019), Biblissima est un consortium de douze institutions spécialisées dans la recherche en histoire des textes, bibliothèques et savoirs médiévaux et modernes. S’étant fait une spécialité des technologies IIIF pour la mise en œuvre d’un portail unique fédérant les ressources de diverses bases de données existantes, Biblissima joue également un rôle d’expertise et de promotion d’IIIF en France. https://projet.biblissima.fr/

7. Voir https://projectmirador.org/

8. Maryline Devidal et Mélanie Roche, « Cinquante nuances d’EAD : réconcilier la théorie et la pratique de la description des manuscrits à la Bibliothèque nationale de France ». Disponible en ligne : http://library.ifla.org/2267/1/124-devidal-fr.pdf

La bibliothèque a des dossiers !

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Après vingt années de bons et loyaux services, le produit documentaire de la bibliothèque de Sciences Po « Les dossiers de la bibliothèque » a fait l’objet d’une transformation en 2017. Comment renouveler ce produit sans lui faire perdre son identité et sa spécificité dans le monde des bibliothèques universitaires ?

Les dossiers documentaires de la bibliothèque de Sciences Po existent depuis plus de vingt ans. Basés sur des bibliographies mettant en valeur les collections existantes, ils constituaient l’un des produits phares du travail des documentalistes de Sciences Po, en s’inscrivant dans la tradition de transmission et d’ordonnancement des ressources. Réalisés en lien avec des chercheurs et chercheuses de Sciences Po, ils offraient une sélection de documents sur un sujet spécifique (réforme territoriale, genre et marché du travail, 11-Septembre, etc.).

Poser un diagnostic avant toute transformation

Début 2016, il a été décidé de faire évoluer ce produit. Après un état des lieux qui a permis notamment de montrer la rareté de cette offre en bibliothèque universitaire, trois constats ont été établis.

1) Améliorer l’exploitation des références collectées

Les dossiers proposent des types de collecte de références très variés : sitographie, bibliographie, liste de dossiers de presse, etc., qui se présentent sous la forme d’une liste de références intégrée dans le bloc principal de la page comme du texte simple.
Ces collectes constituent un matériau précieux, contenant de très nombreuses références, mais bien qu’étant le cœur même de ces dossiers, les exploiter peut s’avérer difficile (longue bibliographie sans autre mode de navigation que les ancres HTML, permettant de se déplacer directement sur chacune des parties, et le défilement de l’écran – scroll).
Il a également fallu questionner la pertinence de séparer les différents types de références entre bibliographie, sitographie, liste de dossiers de presse, etc. Cette organisation par type de documents ne permettait pas d’envisager les références de manière transversale par sous-thèmes.

2) Renforcer la collaboration
avec les communautés enseignante et de recherche

La collaboration avec les enseignant.e.s et chercheur.euse.s est en revanche une dimension à conserver, voire à promouvoir. À la suite d’une série d’entretiens avec différent.e.s bibliothécaires ayant collaboré à des dossiers, il est apparu que la collaboration avec un chercheur ou une chercheuse était considérée comme indispensable à la constitution de ces dossiers, apportant une validation en scientifique. Mais cette collaboration pouvait sembler frustrante, car limitée bien souvent à une validation du plan de la bibliographie.

3) Être un vecteur de savoirs

Enfin, il est apparu que l’on pourrait aller plus loin sur la dimension de vecteur de savoirs grand public, jusque-là sous-exploitée. Ce dernier axe résultait d’un questionnement autour des contenus mêmes de ce que l’on appelait alors un dossier. Ils se composaient uniquement de listes de références. Comment aller plus loin ? En proposant d’autres types de contenus ? En les organisant différemment ?

 

C’est à partir de ces trois axes de travail que la transformation du produit vers une nouvelle interface web a été amorcée.

 

 

Un site pour les dossiers de la bibliothèque

La première évolution a consisté à envisager les dossiers dans une interface spécifique. Ils étaient jusqu’alors réunis dans une page parmi d’autres du site de la bibliothèque. La décision de créer un tout nouveau site, tant dans sa forme que dans ses contenus, s’est alors imposée.

Le choix de leur donner une interface propre posait définitivement l’idée de les envisager comme un produit à part entière, et de permettre une plus grande liberté de conception (s’affranchir des modèles de pages existants, proposer une page d’accueil qui offre une vision rapide de l’ensemble des dossiers et de leur variété, etc.).

Des contenus enrichis

Dans l’objectif de développer les contenus éditoriaux des dossiers et de ne pas être enfermé dans un seul format, il a été choisi d’opter pour une gamme de contenus élargie. Toutes les listes de références seraient désormais regroupées sous un seul type de contenu : la bibliographie, à laquelle des articles, des « zooms », des entretiens, des glossaires, des chronologies seraient ajoutés. À chaque type de contenu devait correspondre un type de page ; la création de ces différents types de contenus a permis de donner la structure cadre de ces nouveaux dossiers.

La bibliographie fait peau neuve

La bibliographie en elle-même a constitué un des principaux champs de réflexion dans cette refonte. En effet, il y avait un double enjeu : améliorer l’expérience de nos lecteurs et lectrices, mais également, faciliter le travail des bibliothécaires amené.e.s à travailler sur les dossiers. En effet, dans la phase d’état des lieux, en consultant des collègues ayant participé à des dossiers, il est apparu que la collecte et surtout la mise en forme de la bibliographie constituaient des tâches chronophages.

Il a donc été décidé que la collecte se ferait désormais via l’outil de gestion bibliographique Zotero. Cela présentait dans le contexte de ce projet un double avantage, faciliter la collecte par le biais du plug-in Zotero sur le navigateur et offrir la possibilité de travail collectif. Cependant, l’utilisation de Zotero ne résolvait pas à elle seule le problème de la gestion de la bibliographie dans le cadre des dossiers.

L’option d’une synchronisation entre le site des dossiers et Zotero a ainsi été choisie. Elle permet de s’affranchir du passage par un outil de saisie type wysiwyg qui n’est jamais exempt d’erreurs de frappe, d’autant plus lorsque l’on travaille sur des centaines de références, et surtout qui ne permet pas de conserver à l’identique la collecte source et le résultat mis en ligne.

La réalisation du site a été confiée à un prestataire. Le CMS Drupal étant le système de gestion de contenu du site de la bibliothèque, l’agence web Plume, notamment spécialisée en développement Drupal, a été sélectionnée.

Sous Drupal, des modules de bibliographies existaient déjà comme le module Biblio, mais celui-ci ne répondait pas de manière satisfaisante à notre besoin, n’ayant pas assez de fonctionnalités de facettage et de synchronisation entre Zotero et le site. Le développement réalisé par Plume a permis d’arriver à un produit qui répond à nos besoins sur le plan des pratiques (facilitation du travail sur la bibliographie) et de nos attendus pour nos lecteurs et lectrices.

Côté public, la bibliographie est désormais exploitable par tous et toutes via les facettes qui permettent de naviguer par thématique, type et langue du document, et disponibilité en ligne.
Sur le plan professionnel, les méthodes de travail intègrent Zotero, et la mise en forme manuelle a disparu. Un contrôle qualité reste nécessaire, qui consiste en la vérification des champs renseignés sur Zotero. Et, si besoin d’effectuer des modifications de la bibliographie, le travail s’effectue sur Zotero ; un bouton de synchronisation permet de l’actualiser sur le site.

 

 

Une collaboration renouvelée
avec les communautés enseignante et de recherche

Le développement et l’éditorialisation des contenus des dossiers s’inscrivent dans une logique d’approfondissement de la coopération avec les communautés enseignante et de recherche de Sciences Po qui est une composante essentielle des services proposés par la bibliothèque.

En effet, chaque dossier était, dès l’origine du projet, envisagé avec la caution scientifique d’un chercheur ou d’une chercheuse qui en validait la bibliographie. Le principe a été maintenu et renforcé, le chercheur ou la chercheuse devenant un véritable partenaire du dossier, et s’engageant sur l’ensemble du projet de dossier.

Pour atteindre cet objectif, il a fallu changer l’approche des dossiers. Désormais, la bibliothèque offre un service : un sujet préalablement identifié ne conduit plus à la recherche a posteriori, mais à partir d’une thématique très large, le sujet est co-construit avec elle ou lui au plus près de ses centres d’intérêt (sujets de recherche, enseignements, etc.). Le dossier n’est ainsi plus un « à côté » chronophage pour les collaborateurs.

Deux dossiers « nouvelle formule »

Le dossier « Voir plus loin que mai : les mouvements étudiants dans le monde en 1968 » a été réalisé avec Gerd Rainer Horn du Centre d’histoire de Sciences Po.

Il est composé d’une bibliographie de plus de 500 références (livres, articles de revue, sites web, vidéos, etc.), d’un entretien avec cet historien, de neuf articles et d’une chronologie. Coordonnés par G. R. Horn, les articles ont été écrits par des chercheurs et chercheuses et des doctorant.e.s.

Cependant et bien qu’axés sur des sujets parfois « pointus », comme dans ce cas, les dossiers sont destinés à un public large et non spécialiste et ne sont pas positionnés sur le créneau de la publication scientifique.

Dans ce dossier, la bibliothèque joue son rôle de vecteur de vulgarisation scientifique, propose à son public des contenus scientifiques accessibles à tous et toutes et offre aux chercheurs et chercheuses comme aux doctorant.e.s un canal de diffusion de leurs productions à destination du plus grand nombre.

Le deuxième exemple est très différent puisqu’il met la pédagogie au centre du projet. Le dossier « Une vie politique européenne ? » a été réalisé sous la coordination d’un chercheur et enseignant de Sciences Po, Olivier Rozenberg du Centre d’études européennes et de politique comparée (CEE), et d’Eleonora Russo, responsable du pôle Master affaires européennes de l’École d’affaires publiques. Les contenus, en dehors de l’interview et de la bibliographie, ont été réalisés par des étudiant.e.s de master de Sciences Po.

Composé d’un entretien, de quatorze articles rédigés par les étudiant.e.s, d’une bibliographie et d’une chronologie, il s’est inscrit dans un travail pédagogique. La bibliothèque a joué le rôle de médiatrice pédagogique. Il s’agissait de proposer aux étudiant.e.s un exercice nouveau et de les accompagner afin de passer de l’essai/paper classique de Sciences Po, à un produit éditorial web avec ses exigences propres en ce qui concerne l’écriture et la structure qui se destine non plus à un.e enseignant.e dans la perspective d’une évaluation (l’exercice étant d’ailleurs basé sur le volontariat), mais à un public large et non spécialiste.

Résultat de ce travail de réflexion et de réinvention, le nouveau site des dossiers de la bibliothèque a été lancé en 2017. En deux ans, il s’est enrichi de cinq dossiers, et le projet est d’y ajouter deux dossiers minimum par an.

Ces dossiers ont des traits communs dans leur forme, mais aussi des spécificités dans la manière dont ils sont réalisés. Ainsi le projet de transformation des dossiers documentaires de la bibliothèque a été finalement l’opportunité d’incarner, à partir d’un produit solide et reconnu, la mutation du rôle des bibliothèques universitaires vers une coopération plus étroite avec la pédagogie et la recherche. Le projet a également mis en valeur plusieurs compétences désormais reconnues dans les bibliothèques, comme la conception d’interfaces de valorisation de contenus, la coordination d’équipes transversales, la médiation documentaire ou encore l’accompagnement des étudiant.e.s dans de nouvelles formes de travaux académiques.

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